L’obésité est un problème de riches dans les pays en développement
Le 19/01/2020
De nombreux rapports ont fait état, ces dernières années, d’une progression de l’obésité sur le continent africain. Certains pointent du doigt une baisse de l’activité physique ou encore une consommation alimentaire déséquilibrée des populations urbaines. Quel est votre avis sur le sujet ?
Il y a une dizaine d’années, l’Afrique restait le seul continent où l’obésité ne représentait pas encore un problème de santé publique. Toutefois, les données fortement agrégées à l’échelle nationale occultent les profondes disparités au sein des pays. En 2008, la prévalence de l’obésité, alors de 10 %, avait plus que doublé en 15 ans en Afrique de l’Ouest urbaine, alors qu’elle restait faible et stable en milieu rural. Elle était trois fois plus fréquente chez les femmes que chez les hommes tant en ville qu’en milieu rural. L’obésité en Afrique subsaharienne affecte-t-elle donc essentiellement les citadins et, parmi eux, les mieux nantis, comme on le prétend encore souvent ? L’augmentation rapportée reflèterait-elle simplement l’amélioration du niveau de vie, entre autres avec l’urbanisation ? Qu’est-ce qui peut expliquer la prévalence incomparablement plus élevée d’obésité chez les femmes que chez les hommes, en Afrique de l’Ouest mais aussi en Afrique du Sud, alors que dans les pays industrialisés, c’est plutôt l’inverse ?
L’analyse des données d’enquêtes démographiques et de santé (EDS) dans sept pays africains où deux enquêtes séparées par une décennie avaient été menées révélait qu’il y avait en moyenne 5 % d’augmentation par an de la prévalence de surpoids ou d’obésité. Chez les femmes, il y avait une forte relation positive entre l’obésité et un niveau socioéconomique élevé. Mais en 10 ans, le surpoids/obésité avait progressé plus rapidement chez les femmes pauvres (+50 %) que chez les riches citadines (+7 %). En outre, il y avait une progression de 50 % chez les femmes peu ou pas scolarisées, alors qu’on notait une diminution de 10 % chez celles qui avaient un niveau secondaire ou supérieur. Ces données laissent à penser qu’avec le temps, les citadins pauvres seront autant, sinon plus, affectés par l’obésité que les citadins nantis. L’éducation pourrait plutôt faire reculer l’obésité chez les femmes. Elle pourrait notamment les amener à se détacher de l’image traditionnellement positive de l’obésité dans certaines sociétés.
S’agissant de la relation entre le niveau socioéconomique et l’obésité, relation qui n’est pas univoque, il est bon de distinguer non seulement le revenu des individus, mais également le niveau économique des pays. À la lumière de 244 EDS (878 000 femmes) menées dans 56 pays entre 1991 et 2009, une étude montre que le surpoids chez les femmes était positivement associé à la résidence urbaine. Toutefois, l’association positive entre le niveau socioéconomique et le surpoids devenait plus faible à mesure que la richesse des pays augmentait. En outre, un niveau universitaire était négativement associé au surpoids, mais cette relation était modulée par le niveau de revenu des pays. Jusqu’à une richesse de 4000 $ US par habitant dans un pays, les femmes les plus éduquées étaient plus susceptibles d’être en surpoids que celles qui avaient moins fréquenté l’école. En revanche, au-delà de ce niveau de richesse du pays, ce sont les femmes les moins éduquées qui avaient la plus forte probabilité de surpoids. Ainsi, le risque d’obésité basculerait des plus riches aux plus pauvres et des plus éduquées aux moins éduquées avec le progrès économique des pays. Ce constat est congruent avec la plus forte prévalence d’obésité observée parmi les populations à faibles revenus dans les pays industrialisés.
On avance souvent, pour tenter d’expliquer l’obésité de la pauvreté, qu’avoir une saine alimentation coûte plus cher, car ce sont les aliments denses en énergie mais relativement pauvres en nutriments qui coûtent le moins cher. Ceci a été démontré pour les pays industrialisés, mais aussi en Afrique du Sud, où a été menée la seule étude sur ce sujet dans un pays en développement.
Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, mais pas dans les pays à revenu élevé, il apparaît que l’obésité est plus présente en ville qu’en zone rurale. Dans une analyse de 28 études de populations en Afrique de l’Ouest, dont 13 réalisées en milieu urbain, des chercheurs ont montré que l’occidentalisation de l’alimentation, avec une consommation accrue de sucre et de gras, ainsi qu’un mode de vie sédentaire, pouvaient expliquer l’augmentation fulgurante de l’obésité en milieu urbain. Ces deux changements – alimentation plus dense en énergie et dépense physique moindre – caractérisent la transition nutritionnelle qui se produit à des rythmes variés dans les pays à faible revenu. Nos études ont montré que l’alimentation s’éloignait progressivement des habitudes traditionnelles en ville et que le schéma alimentaire urbain était associé à un risque accru de résistance à l’insuline (qui favorise le diabète). En outre, l’inactivité physique était un facteur important d’obésité et d’hypertension.
Une autre idée reçue est que l’obésité, ou tout excès de poids, est une surnutrition, diamétralement opposée à la dénutrition, qui serait son contraire. En réalité, l’obésité est aussi une forme de malnutrition, car coexistent souvent avec ce bilan calorique positif une ou des carences en d’autres micronutriments, comme le fer. En outre, les deux peuvent se cumuler, pour des populations et même des ménages. C’est ce qu’on appelle le double fardeau de la malnutrition. C’est ainsi qu’on observe assez fréquemment que les mêmes ménages abritent un adulte obèse ou en surpoids, souvent la mère, alors qu’un ou plusieurs enfants présentent un retard de croissance caractéristique d’une dénutrition chronique. En Afrique du Sud, pays à revenu intermédiaire où l’on observe une transition nutritionnelle rapide, le double fardeau de la malnutrition est fortement répandu, même en zone rurale. On rapportait récemment que le retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans coexistait avec un taux élevé d’obésité à l’adolescence, particulièrement chez les filles.
La surnutrition et la dénutrition présentent par ailleurs des liens étroits, puisqu’une dénutrition tôt dans la vie, c’est-à-dire pendant la vie intra-utérine ou l’enfance, augmentera par la suite les risques d’obésité et autres troubles cardio-métaboliques. Le fœtus qui aurait adapté son métabolisme à un environnement nutritionnel de manque serait très mal outillé pour faire face à une alimentation abondante combinée à la sédentarité. Il serait de ce fait prédisposé aux maladies chroniques métaboliques. Il y aurait ainsi une synergie entre les deux formes de malnutrition, la dénutrition favorisant plus tard l’obésité et les autres maladies chroniques associées. Cette situation devrait être une préoccupation importante pour l’Afrique subsaharienne, qui a connu ou connaît encore une forte prévalence de malnutrition maternelle et infantile.
L’obésité est certainement à prévenir et à contrer. S’agissant du surpoids, son incidence sur la santé est moins nette. D’après une analyse de près de 100 études, il n’y aurait pas d’excès de mortalité pour les individus qui sont en surpoids. Toutefois, un rapport ultérieur concluait, après une nouvelle analyse de ces mêmes résultats, que le surpoids augmente effectivement le risque de décès. Au demeurant, comme le surpoids conduit facilement à l’obésité, il importe de le prévenir également. L’Association internationale pour l’étude de l’obésité lançait tout récemment un plan d’action en 10 points à l’intention des gouvernements pour qu’ils contribuent à maîtriser l’obésité. Ce plan d’action mise sur le leadership des gouvernements qui, avec la société civile, pourraient prendre des mesures propices dans le marché, mais aussi dans d’autres secteurs.
Il apparaît que si l’obésité est pour l’instant proportionnellement plus fréquente parmi les couches privilégiées dans les pays à faible revenu d’Afrique, il est à craindre qu’elle augmente plus rapidement parmi les moins favorisées, particulièrement en milieu urbain et chez les femmes, accentuant encore davantage les inégalités socioéconomiques de santé.
Hélène Delisle