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- Situation des Pygmées en RDC
En RDC, les Pygmées sont considérés comme des citoyens de seconde zone. Leur mode de vie a contribué à alimenter les préjugés à leur égard.
Aujourd’hui, les Pygmées revendiquent leurs droits en tant que citoyens congolais. Ils sont connus sous le nom de Aka, Bambutti et Batwa. La forêt, leur habitat naturel, est systématiquement détruite par les exploitants de bois. Conséquences : leur mode de vie est bouleversé et les pygmées n’ont plus de logement. Ils sont victimes de malnutrition et de maladies.
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RDC : Peuples autochtones Pygmées
Le 26/12/2018
Pygmée (en grec ancien πυγμα?ος / pugmaîos (« haut comme le poing ») désigne un individu appartenant à des populations spécifiques caractérisées par leur petite taille, inférieure à 1,50 m de haut. Il ne s'agit pas de nanisme au sens médical du terme, mais d'une adaptation morphologique au milieu de la forêt équatoriale dans laquelle vivent ces populations.
Le terme « pygmée » englobe les différents groupes ethniques disséminés le long de l'équateur dans de nombreux États de l'Afrique actuelle, allant de la partie occidentale Cameroun, Gabon, Congo, République démocratique du Congo, jusqu'au Rwanda, au Burundi et à l'Ouganda à l'est. Ces groupes de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs sont aujourd'hui confrontés à une précarisation croissante par l'exploitation des forêts équatoriales et leur mode de vie se trouve menacé.
Présence et histoire des Pygmées en RDC
Les peuples appelés Pygmées qui vivent actuellement dans la cuvette Congolaise et ses marges sont les descendants de populations dont les vestiges les plus anciens remontent à I'age de pierre récent, 3000 ans av JC (Obenga T 84 cités par Ndaywel e Ziem, 97). lis sont reconnus par les archéologues et les autres populations actuelles du Congo comme les plus anciens occupants d'i'espace congolais, au moins de ceux qui y détiennent une descendance. Les vestiges de leurs établissements les plus anciens témoignent d’une occupation de lisière de forêt et de savane, répandue sur de plus vastes espaces que ceux ou vivent les Pygmées contemporains. On les trouvait par exemple dans I'actuel kongo central, ou leur présence n'est plus signalée. lis y menaient une vie de cueillette et de chasse probablement très proche de celle des Pygmées actuels les moins acculturé.
Au début du premier millénaire de notre ère, peut-être avant, ces populations ont etc. confronté à I'arrivée de peuples bantouphones originaires du pourtour du Lac Tchad, pousses vers Ie Sud par la régression climatique qui devait faire du Sahara un désert. Ces peuples voisins des néolithiques sahariens n'ignoraient pas I'agriculture ni I'usage du fer (Obenga T. 1984, cite par Ndaywel e Ziem I. 1997).
Au début du premier millénaire de notre ère, peut-être avant, ces populations ont etc. confronté à I'arrivée de peuples bantouphones originaires du pourtour du Lac Tchad, pousses vers Ie Sud par la régression climatique qui devait faire du Sahara un désert. Ces peuples voisins des néolithiques sahariens n'ignoraient pas I'agriculture ni I'usage du fer (Obenga T. 1984, cite par Ndaywel e Ziem I. 1997).
« L’arrivée des Bantous eut pour effet de refouler les Autochtones vers les régions les plus défavorisent. L'aspect agressif de ce contact est évident. II transparaît dans I'attitude chargée de mépris sinon de condescendance que les Bantous affichent parfois encore. Ceux-ci prennent soin, malgré (un) contexte de métissage, de maintenir Ie clivage entre les deux communautés ... Pourtant, Ie contact entre les deux groupes ne s'est pas seulement exprimé en matière d'opposition, loin de la; une harmonie discrète s'est créée à peu pour constituer les groupes ethniques que connaissent actuellement. À cette synthèse, les Autochtones ont surtout apportent leur expérience du terrain et la somme des connaissances accumulées tout au long de l'évolution : connaissance essentiellement géographique, botanique, zoologique. Les Autochtones avaient déjà mis au point des techniques de piégeage et de vannerie, de péché et bien d'autres. Ceci constituait déjà un acquis pour cette nouvelle communauté faite du brassage des nouveaux venus et des Autochtones ( ... ) La contribution particulière des Bantous semble être plutôt I'introduction ou I'extension de I'agriculture ... » (*)
Ainsi, I'histoire de la relation entre les Pygmées et les Bantous est aussi et peut-être d'abord faite de métissage, d’intégration technique et culturelle. Elle est aussi marquée par Ie refoulement et I'assujettissement. En effet les franges forêts-savanes les plus propices a la vie traditionnelle où vivaient les Pygmées leur sont ravies et ils pénétreront désormais plus loin dans la forêt ou toujours les Bantous les suivront, pour y établir leur mainmise sur les terroirs et en devenir progressivement les propriétaires héréditaires. Sur la base de ces enracinements villageois, les Bantous développeront des structures sociales et politiques hiérarchisent et étendues sur de vastes espaces inter villageois, tandis que les Pygmées conserveront jusqu’à nos jours un mode d'organisation égalitaire et très peu hiérarchisée. lis perdront peu à peu leurs langues, pour acquérir les langues d'origines bantoues ou soudanaises de leurs voisins, tout en créant des dialectes pour leur propre usage.
Effectifs et distribution
On connaît mal les effectifs réels des populations Pygmées d'ia RDC. Les évaluations des chercheurs (annexe Ie) fournissent une fourchette comprise entre 100 000 et 250 000 personnes. Celles des organisations d'appui aux Pygmées sont de I'ordre de 500000. L'un des objectifs de l'enquête couverte par Ie pressent rapport était d'affiner ces chiffres. On verra qu'elle aboutit provisoirement - à remonter le niveau de la fourchette entre 600 et 700000 personnes reparties sur plus de 60 territoires de la RDC, qui en compte 147.
On distingue cinq grands groupes Pygmées en fonction de leurs propres dénominations et de leurs pôles territoriaux :
• les Aka du Nord Ouest de la RDC, dans Ia province du Nord Ubangi, également présents au Cameroun, qui appartiennent eux-mêmes au groupe Batswa;
• les Twa des pourtours des Lac Ntumba el Mai Ndombe, qui remontent sur la rive gauche du fleuve jusqu'au sud de Lisala (territoire de Bngandenga) ;
Pygmées (Ba)Twa de la province du Maï Ndombe
• les Mbuti de la Province de l'Ituri, surtout présents autour de I'actuelle réserve de Faune a Okapi, dans les territoires de Mambasa et Bafwasende. Mais on trouve également des Mbuti dans les Kivu.
Les Mbuti sont un peuple pygmée de chasseurs-cueilleurs et l'un des plus anciens peuples présents en Afrique centrale. Les Mbuti sont organisés en petits groupes ou "bandes" de 15 à 60 personnes. Les Mbuti seraient au nombre de 30 000 à 40 000. Il y a quatre ensembles culturels distincts au sein des Mbuti
L'utilisation du terme Mbuti peut créer parfois une certaine confusion car il peut servir à désigner l'ensemble des populations pygmées de l'Ituri et un sous-groupe de Pygmées vivant au cœur de la forêt de l'Ituri.
À lire également : Ba mbuti le peuple de la forêt (Bakolo zamba)
• les Twa du district du Tanganyika, dans Ie Katanga, également présents dans les montagnes du Kivu (Batswa).
• les Cwa ou Kwa des deux Kasaï, également présents dans Ie Maniema.
Mais ces nuances correspondent peut-être à de simples variations dialectales. À l’intérieur du groupe Twa par exemple les Pygmées peuvent adopter des dénominations variables. Cette remarque permet de constater que malgré l’immensité des territoires couverts et l'isolement des communautés concernées, ces peuples aux dénominations différentes se reconnaissent un lien commun dans I'origine et Ie mode de vie.
Le vocable « Twa» dans les langues bantous semble en effet désigner les peuples chasseurs-cueilleurs. Le terme « Pygmées », qui les désigne communément dans les langues européennes est un emprunt au grec, lié à leur petitesse de taille. Au point que certains Pygmées (ceux de la République démocratique du Congo par exemple), n'acceptent pas qu'on les désigne par ce vocable qu'ils jugent méprisant. Ceux de la RDC, ont préféré, à travers leurs organisations d'appui, prendre l'appellation de« Peuples Autochtones Pygmées» (PA Pygmées), une manière de prendre acte d'un usage général qu'il ne sera guerre possible de modifier.
( * ) Ndaywel e Ziem I. Histoire du Zaïre. De I'héritage ancien a I'age contemporain. Duculot. 1997
Modes de vie
Les Pygmées ont fait I'objet dans les pays d'Afrique Centrale où ils vivent d’études anthropologiques approfondies.
Les PA. Pygmees entretiennent avec la forêt une relation consubstantielle. Ce sont véritablement des « peuples de la forêt », lis doivent à la forêt leur religion, leur subsistance et leur protection, lis y mènent traditionnellement une existence nomade en campements de trente à quarante familles, qui maintiennent entre eux des liens et des échanges réguliers. Leur société égalitaire n'exclut pas la reconnaissance de la sagesse des aînés. qui maintiennent la connaissance des lieux, des plantes et de la vie animale, des êtres et des esprits ainsi que d'i'ensemble des savoirs culturels (rites, musique, danse, lieux sacrés) et pratiques (pharmacopée, techniques de chasse et de pèche",) de la communauté, L'une des aines occupe une place éminente et tranche les palabres, Leur habitat est fait de huttes de feuillages ? Une telle existence ne saurait être assimilée à une forme de «pauvreté ». Elle a sa dignité, sa noblesse et sa cohérence, elle participe du patrimoine universel d'I'humanité.
À ce tableau idyllique s’opposent hélas des réalités plus complexes avec de larges zones d'ombre : en cours de sédentarisation, les Pygmées risquent de perdre progressivement tout ce qui fait encore I'originalité et I'exceptionnelle richesse de leur culture et de leurs savoirs. lis sont menacés de perdre jusqu'à leur accès à la forêt elle-même quand ce n’est pas aux terres agricoles que, dentaires, ils parviennent encore à cultiver.
Le mode de vie traditionnel des Pygmées tire sa subsistance essentielle de la chasse et de la cueillette des produits de la forêt. II est nomade en ce sens que lorsque la pression sur Ie territoire exploité I'epuise, les groupes Pygmées traditionnels déplacent leurs campements pour de meilleurs hospices. II est probable que depuis très longtemps ces groupes pratiquaient des échanges alimentaires avec les Bantous, production agricole en contrepartie de leur production de chasse, de poche et de cueillette. Thomas et Al (1983) cité par K, Shmidt Soltau (2007), ont montré dans Ie cas des Aka du Cameroun que I'espace vital dans lequel ils se meuvent pour satisfaire leurs besoins alimentaires est de I'ordre de 2 km2 par personne en forêt, et de 300 km2 pour un campement moyen qui comprend 150 personnes. L'espace vital ainsi défini, qui porte un nom spécifique, peut-être partage avec d'autres groupes bien identifiés qui pratiquent ensemble la chasse au filet. Toute intrusion d’autres Pygmées dans cet espace nécessite une autorisation. Dans cette mesure, il est permis d’appeler ce domaine exclusif « territoire/localité» proposent les auteurs, «tout en reconnaissant que la configuration de ces territoires est déterminée par les localisations des zones de chasse et de cueillette des villageois avec lesquels les peuples autochtones d'un groupe particulier ont des relations d’échange ». Ces remarques sont d'importance lorsque plus loin on examinera la relation des PA Pygmées à I'accès aux ressources naturelles et à I'administration du territoire.
Selon leur mode de vie traditionnel, les Pygmées sont monogames et marient leurs filles à I'age de leur maturité sexuelle, vers les 12/14 ans. Les rites d'initiation masculine et féminine jouent un rôle très important dans la vie sociale et culturelle des communautés.
Les Pygmées disposent d'une connaissance approfondie de leur environnement où ils mettent à profit pour se nourrir (leurs techniques de chasse, leur connaissance des plantes alimentaires de la forêt et de toutes ses autres ressources, dont Ie mie! . .. ) mais aussi pour se soigner: la qualité de leur pharmacopée est reconnue y compris par les Bantous. Ce sont des musiciens et des danseurs infatigables et les musicologues ont analysé Ie haut niveau d’élaboration de leurs polyphonies.
Bien que les communautés Pygmées qui continuent à vivre traditionnellement comme des chasseurs-cueilleurs ne possèdent pratiquement aucun bien matériel, ils ne vivent pas dans le miséré, et ne se perçoivent pas comme étant pauvres. La forêt pourvoit à leurs besoins vitaux et leur permet de vivre dans la dignité et en harmonie avec leur environnement. La sédentarisation en revanche, menace ces fondamentaux du mode de vie traditionnel, lis peuvent y perdre les éléments-clés qui définissent leur identité, la richesse de leur culture et leurs connaissances traditionnelles. Leur accès à la forêt et aux terres cultivées est de plus en plus menacé.
La sédentarisation progressive
II semble que ce soit à partir de la période coloniale que le processus de sédentarisation des PA Pygmees a commencée. II a depuis lors toujours été encouragé par les autorités administratives et pour la plupart des ONG d'accompagnement des Pygmées comme par les esquisses de planification élaborée ces dernières années (Nzita, 2005, pour le fonds Social de la République), ce processus est la résultante de nombreux facteurs: la pression démographique aussi bien des Bantous que des Pygmées, qui réduit I'espace vital et créé une dépendance plus forte vis-à-vis de l'agriculture, les aspirations propres des Pygmées qui souhaitent changer de vie, les pressions de la société bantoue qui vivent dans Ie sens d'i'uniformisation socio-culturelle (religieuses, comportementales..).
Aujourd'hui, une bonne partie de leur population est sédentarisée et s'adonne à I'agriculture, généralement sur de petites surfaces en propre, mais surtout comme ouvriers agricoles des Bantous avec lesquels ils vivent. Le cycle de la sédentarisation commence par la fourniture de main-d'oeuvre agricole aux Bantous, puis par la création de petits champs, à mesure que Ie campement s’installe de maniérer progressive dans la périphérie d'abord éloignée (1 ou 2 km) puis immédiate des villages bantous, Dans les cas les plus affirmés de sédentarisation les Pygmées peuvent disposer de champs aussi grands que ceux des Bantous (Bikoro).
Mais ce lien à I'agriculture est aussi une contrainte, qui les empêche de s’éloigner trop de leurs champs, et de ce fait augmente la pression de chasse et de cueillette sur I'espace forestier de relative proximité, lequel, disent Thomas et Al. (1983), devient une forêt ouverte dans laquelle les limites d'usage traditionnel propres aux Pygmées se distendent. Dans cette mémé forêt ouverte les Bantous chassent deux-mémés et de plus en plus, limitant ainsi leurs besoins d’échange alimentaires avec les Pygmées.
Le niveau de sédentarisation varie fortement d'un groupe à I'autre. Les Mbuti de la Province de l'Ituri parviendraient ainsi à s’éloigner de leurs campements entre 1/3 et 2/3 de leur temps durant des périodes de plusieurs mois. D'autres, dans les villages riverains du Parc des Virunga par exemple, ont cessé d’être des nomades et dépendent entièrement de leur très petite agriculture ainsi que de la location de leur main-d'oeuvre, ou de leur artisanat. Les auteurs notent que dans les groupes qui détiennent toujours la possibilité de chasser dans des forêts giboyeuses, I'obtention de revenus est aisée aux PA Pygmees, Ie marché de la viande de brousse étant particulièrement ouvert partout en ROC mais, « ils dépensent Ie plus souvent (ces revenus) en boisson à Intérieur de leurs campements permanents» (tous les auteurs).
Cependant, aussi bien pour la remémoration de leur main-d'oeuvre que celte de leur produit, il est reconnu que les Pygmées sont exploités par leurs interlocuteurs bantous. Le différentiel de rémunération de la main-d'oeuvre est significatif, de I'ordre de 50%, alors que la qualité et l'Intensité du travail des Pygmées sont souvent jugées meilleures que celles des Bantous.
Une partie des PA Pygmées de la RDC a perdu cependant tout accès à une forêt giboyeuse et c'est Ie cas en particulier des Pygmées du Katanga. Mais Ie point sur ces questions sera fait par L'enquête provinciale
Les droits citoyens des Pygmées
La loi congolaise ne fait aucun cas particulier des Pygmées et aucun point de vue. lis sont des Congolais à part entiers et à ce titre ont les mêmes droits que la Constitution de la République garantit à tous les citoyens. Ils ont de ce fait accès aux mêmes services publics d’éducation et de santé, à tous les attributs de la citoyenneté comme Ie droit de vote et de se porter candidats à tous les scrutins, à toutes les fonctions administratives. L'enquête provinciale montrera à quel point dans la pratique les Pygmées ne profitent en rien de cette égalité qui les plonge davantage, en fait, dans la différence et I'inégalité.
Les conditions de vie et les revenus monétaires des Pygmées
Comme il a été dit, la vie traditionnelle des Pygmées chasseurs nomades, si elle se déroule dans un contexte favorable d’accès aux ressources naturelles, ne peut être assimilée à la pauvreté. Elle isole toutefois les pygmées de I'accès à I'éducation et aux services de santé, avec toute Ies conséquences sur leurs conditions de santé et sur leur capacité citoyenne et individuelle. Dès lors que les Pygmées se sédentarisent et qu'ils entrent progressivement dans Ie mode de vie de la société congolaise dominante, les comparaisons s'imposent avec les statuts communs moyens de celle-ci. Or, ces comparaisons soulignent un décrochage marqué des Pygmées sédentaires, largement majoritaires, en matière d’alphabétisation, de mortalité et de morbidité. Les revenus monétaires des Pygmées sont également très inférieurs à ceux des Bantous.
Les droits d’accès aux terres et aux ressources naturelles
Les PA Pygmees ont, tel qu'élaboré plus haut, des droits d’usage traditionnels sur la forêt qu'ils partagent avec les Bantous. À vrai dire, ces droits d'usage avec leurs espaces vitaux «territoires/localités» bien délimités sont exclusivement reconnus par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Ils caractérisent des espaces dont I'appropriation coutumière bantoue, soudanaise ou nilotique reconnue de fait par I'état est totale.
Les « propriétaires» de ces espaces consentent aux droits d'usage des PA Pygmees tant qu'ils ne s'opposent pas à leur propre intérêt et si, au contraire, ils y contribuent (tribut de gibier. ... ). Mais dès qu'il en est autrement, les droits d'usage des Pygmées ne leur sont pas opposables juridiquement. Le seraient-ils, Ie rapport de forces des PA Pygmées et leurs faibles capacités à maîtriser Ies rouages institutionnels ne leur permettraient pas d'en profiter.
Ceci vaut également autant pour les ressources de la forêt que pour celles du sous-sol ou bien encore celles des terres agricoles : du jour au lendemain un « propriétaire » bantou pourra mettre un terme à l'usage des ressources naturelles par les PA Pygmées. C'est ainsi que progressivement, dans les espaces où la pression humaine augmente, ou bien dans ceux où des opportunités économiques apparaissent -mines, foresterie, artisanale ou industrielle, plantations de rente - les Pygmées deviennent des journaliers mal payes. II faut souligner que du point de vue de I'accès à la terre, la situation des PA Pygmees n'est pas différente de celle des migrants des autres ethnies non Pygmées du pays; ils sont très nombreux et du reste, bien plus nombreux que les PA. La différence significative avec les PA est que ceux-ci sont présents depuis des siècles et millénaires sur ces espaces.
Une autre menace très importante ayant pesé lourdement sur les Pygmées en matière d’accès aux ressources nature lies dans Ie courant du 20ème siècle est représentée par les parcs Nationaux à protection totale, qui ont projeté des groupes entiers dans la clandestinité, quand ce n'est pas dans la mendicité (Virunga). Ces Parcs excluent toute espèce d'exploitation humaine des ressources naturelles, quelles qu’elles soient et de ce fait, des communautés entières ont été chassées de leurs territoires ancestraux et repoussés à leurs périphéries, devenant des braconniers aux yeux de la loi, sans compensation aucune.
Des relations difficiles entre les Pygmees et les bantous (ou soudanais et nilotiques)
On a pu parler de complémentarité sinon d’harmonie (Ndaywel 97) pour caractériser la relation existant entre les agriculteurs bantous - soudanais, nilotiques - et les PA pygmées. II est possible que dans Ie passé, grâce à leur mobilité, les Pygmées parvenaient à maintenir avec les Bantous, tout en leur payant des tributs, une relation de relative indépendance. La situation actuelle, en marche vers la sédentarisation, présente un tableau moins idyllique des relations entre les deux communautés, tableau aggravé par la guerre dont les Pygmées sont des victimes désignées. La sujétion, I'exploitation, Ie mépris, la dévalorisation progressive des caractéristiques culturelles fortes, les dénis de droits, les violences et les spoliations sont Ie lot commun d'un grand nombre de Pygmées.
Relation avec l'action des ONG et de la société civile
II existe un important mouvement de la société civile en soutien aux peuples autochtones Pygmées. Dans chaque province concernée, dans les secteurs administratifs les plus sensibles, des ONG se sont mobilisées qui mènent des activités au bénéfice des Pygmées. Pour la plupart, ces ONG sont regroupées dans Ie réseau nommé « Dynamique Pygmées»
Facteurs principaux de I'appauvrissement actuel des Pygmées
Les facteurs à la base de I'appauvrissement actuel des Pygmées sont liés à la fois à leur passé et à la société congolaise actuelle dont ils sont les laissés-pour-compte. On peut les énumérer :
• leur sujétion vis-à-vis de leurs voisins bantous, soudanais ou nilotiques, qui est inscrite dans l'histoire des deux communautés; elle se traduit par Ie travail forcé et non ou pas rémunéré, par les abus de toutes sortes dont ils sont les victimes; elle se traduit également par toute une psychologie intériorisée par chacune des deux communautés : sentiment de supériorité et de mépris pour les uns avec son cortège d'abus et de rejet, complexe d’infériorité pour les autres, à la source d'attitudes de renfermement, de mépris de soi, de fuite et d'attitude passive;
• leur dépendance alimentaire vis-à-vis de ceux-ci dès lors que les ressources viennent à manquer, Y compris pour les Bantous :
• Ie passage difficile d'un mode de vie ou l'économie au jour Ie jour, par la chasse, la cueillette, s'oppose à I'économie de prévoyance impose par I'agriculture. II en résulte une psychologie de journalier plutôt que d'agriculteur, psychologie qui fera privilégier la recherche d'un revenu quotidien plutôt que l'investissement à long terme (grands champs versus petits champs ... ) source de sécurité alimentaire ;
• la tendance systématique des bantous à surexploiter la main d'oeuvre pygmée en ne la payant pas ou en la payant mal: ce facteur à la source des problèmes d’accès aux services publics, dont I'éducation et la santé;
• la perte à la limitation d’accès aux ressources naturelles, ou la disparition progressive de celles-ci, provoquée par de multiples facteurs, parmi lesquels: la pénétration de I'agriculture sur brûlis dans les territoires de chasse; la non reconnaissance légale des droits d'usages traditionnels; la dépendance vis-à-vis du propriétaire sédentaire pour tout usage des ressources naturelles, Y compris agricole; la création de Réserves à protection totale; I'exploitation de concessions forestiers, ou la foresterie artisanale, dans les territoires vitaux des Pygmées; l'apparition de la mine artisanale ou industrielle dans ces territoires vitaux ; la pression démographique ;
• la perte de I'identité et du patrimoine culturel et technique, sous les assauts des prosélytismes religieux et du conformisme vis-à-vis de la société bantou sinon globale ;
• la diffusion des maladies contagieuses que la pharmacopée traditionnelle ne parvient pas à guérir, notamment les maladies sexuellement transmissibles mais également la tuberculose ;
• la consommation d'alcool et de chanvre, devenue généralisée, qui accroît tous ces phénomènes négatif
• la guerre aura été ces dernières années un facteur déterminant d'appauvrissement et d'abus de toute sorte pour les Pygmées.
Ces facteurs se conjuguent pour provoquer des pertes de ressources, de sécurité alimentaire et vitale, de capacités, du patrimoine.
Justification d'un Programme Gouvernemental de développement des Pygmées
Ce chapitre examine les raisons qui justifient un Programme spécifique de développement pour les communautés Pygmées. L’élaboration et l'adoption d'un Programme du gouvernement pour les Pygmées sont cohérentes avec la nécessité de permettre à la communauté pygmée de choisir son mode de vie, de cibler Ie développement et la réduction de la pauvreté d'une minorité sévèrement appauvrie et marginalisée, de renforcer la gestion durable des forêts. Un bénéfice additionnel d'un tel Programme sera de contribuer à préserver la diversité du peuple Congolais, et I'héritage culturel de I'humanité.
Pourquoi protéger la culture Pygmées et son Identité
Cette question a une portée générale : pourquoi protéger la diversité des cultures et, pour les cultures minoritaires les plus primitives, est-il seulement possible de Ie faire dans un contexte de pression démographique constante et de globalisation accélérée ? Elle se pose pour toutes les cultures, pour tous les groupes humains, y compris pour ceux qui représentent de vastes pans de I'humanité. La simple possibilité d’échapper à l'uniformisation oppose des points de vue optimistes (UNESCO) et pessimistes (Claude Levy Strauss. 1971). Personne ne croit plus a la possibilité d'une conservation totale des modèles les plus anciens. L'enjeu pour les identités minoritaires est de maîtriser au minimum Ie processus de leur transformation, à I'intérieur de modelés de plus en plus globaux.
Les communautés Pygmées doivent être libres de choisir leur mode de vie.
Par la sédentarisation, les Pygmées sont engages dans un processus d’intégration accéléré la société bantoue, dans laquelle certains de leurs ancêtres ou parents se sont d'ailleurs fondus il y a très longtemps (Kongo central). L’identité n'est pas un bloc, elle comprend des aspects qu'il convient de protéger et de transmettre et d'autres qui Ie méritent moins. C'est aux membres de cette société de décider des aspects qu'il convient de sauvegarder.
II faut pour cela des conditions d'autonomie et d’éducation qui font défaut aux Pygmées. Pauvres parmi les plus pauvres, ils n'ont pas les moyens de prendre du recul par rapport a la situation d'acculturation très forte qui est la leur. Nombre d'entre eux est aujourd'hui dans une situation de rejet massif de leur propre identité, au point qu'ils la cachent ou la refusent (Nord Katanga et la diaspora urbaine en général, ou ils constituent la couche la plus pauvre). Ainsi. les Pygmées ne sont-elles pas guerres en mesure de défendre eux-mêmes et seuls leurs propres cultures.
Gérer les ressources forestières.
Pourtant la culture pygmée représente I'une des formes les plus originales d'adaptation humaines aux conditions écologiques si particulières de la forêt humide. lis détiennent une connaissance très sophistiquée de leur environnement et des possibilités humaines d'y vivre sans Ie détruire. ils possèdent également des connaissances artistiques et culturelles précieuses, qui sont une composante majeure du patrimoine congolais. C'est pourquoi la question de la survie de cette culture concerne également la société congolaise, qui y tient une part de son identité. À travers les pertes d’identité des minorités se jouent aussi des pertes collectives majeures pour la société congolaise en général.
La communauté humaine dans son ensemble est également concernée par cette perte, qui est une perte de diversité. Elle I'est aussi en matière de responsabilité, car parmi les menaces qui pèsent sur la culture pygmée figures celles qui pèsent sur la forêt Humide, leur milieu de vie. L'exploitation forestière, peut-être Ie moment venue I'exploitation pétrolière et déjà I'exploitation minière sont ou seront des prédations de plus en plus fortes du monde moderne qui affecteront la vie humaine en général et pygmée en particulier dans leur milieu de vie.
Les Pygmées ne sont pas en mesure de résister seuls à ces menaces et à ces pertes. Ils ont besoin d'aide, de compassion et de compréhension de la part de la société environnante. Et ceci ne peut se faire que dans un cadre de respect et de reconnaissance identitaire partagée, sans parler du respect elémentaire des droits humains, qui actuellement fait gravement défaut aux Pygmées en RDC.
Pauvrette et vulnérabilité.
Une autre raison qui milite pour Ie même objectif est la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité. À la perte d’identité des Pygmées, à leur marginalisation dans un processus de sédentarisation non maîtrisée sont associées intimement des formes de paupérisation et d'exploitation humaine inacceptables, et des menaces vitales dont les plus graves touchent à la santé de la reproduction, notamment par la diffusion des maladies sexuellement transmissibles, en dehors de tout encadrement de santé.
Dans plusieurs secteurs administratifs de la RDC, les Pygmées représentent ou sont sur le point de représenter la majorité démographique. Dans certains de ces secteurs, les Pygmées se trouvent dans une situation de confrontation avec les Bantous, pour des raisons politiques, économiques et d’accès aux ressources (Katanga). Cette situation est passée par des phases violentes. Le développement de I'exploitation minière (mines et forêts) ou encore la gestion mal maîtrisée des processus électoraux pourraient bien aboutir aux mêmes résultats si I'on n'y prend garde.
Les effectifs des populations Pygmées en RDC
II existe une grande incertitude sur les effectifs et la localisation des populations Pygmées en RDC. La littérature sur Ie sujet est uniquement Ie fait de chercheurs, généralement ancres sur des terrains particuliers en RDC et sans véritable vision d'ensemble. Les chiffres qu'ils avancent sont compris entre 100 et 250000 personnes. D'autres évaluations ont été formulées, notamment par les responsables du réseau de la dynamique pygmée, qui réunit les ONG d'accompagnement des Pygmées ; elles évoquent Ie chiffre de 450 000, repris par la Banque mondiale, L'objectif du présent travail était de donner un ordre de grandeur appuyé sur un minimum d’enquête.
Pour comprendre la difficulté où I'on se trouve pour chiffrer les populations Pygmées il faut savoir que :
• Le seul recensement digne de ce nom en RDC depuis I'indépendance a été réalise en 1984. II a fait I'objet d'actualisations acceptables et raisonnées entre 1990 et 1994 par Ie SNSA. Il existe bien des recensement administratifs réguliers, annuels, mais ceux-ci sont sujets à caution du fait des distorsions de tout ordre qu'ils subissent. Pourtant ces recensements ne sont pas toujours en contradiction avec les extrapolations que I'on peut faire à partir des chiffres de 1984 en prenant des taux de croissance raisonnables (3% annuel en moyenne dans Ie milieu rural). L'administration territoriale dispose en effet d'agents recenseurs à tous les niveaux administratifs et en principe les chefs de villages doivent tenir des cahiers mentionnant les effectifs, les naissances. les décès et les mouvements des populations. Mais il est fréquent que ses agents ne soient pas opérationnels et que les chiffres de I'administration territoriale soient extrapolés et gonflés, souvent avec des visées électorales au clientélistes.
• Les recensements administratifs et I'état civil n'enregistrent pas en principe les critères ethniques, mais seulement Ie secteur administratif d'origine. Cette indication équivalait en fait anciennement à fournir l'origine ethnique à tout connaisseur du pays. L'évolution urbaine du pays et son caractère de melting pot font qu'il n'en est plus ainsi. Le pays rural quant à lui, a subi de profondes migrations.
Quoi qu'il en soit, il n'a jamais existé d’enregistrement administratif ethnique au Congo/Zaire. On peut constater toutefois que les responsables administratifs savent évaluer en fait dans un grand nombre de province les origines ethniques de leurs populations ou de certaines parties de leurs populations. C'est singulièrement Ie cas de certains secteurs administratifs où les populations Pygmées sont les plus nombreuses et où politiquement elles jouent un rôle.
• On est donc confronté à la situation suivante : les seules estimations régulièrement actualisées - quand c'est Ie cas - sur les effectifs respectifs des différentes ethnies sont effectuées par I'administration territoriale au niveau des secteurs, qui disposent d'agents recenseurs. La remontée de ces chiffres vers les niveaux supérieurs est très aléatoire. La période électorale a donné I'occasion dans un certain nombre de provinces à des remontées de ce type, mais pas partout. La Commission Électorale indépendante a fait un important travail de recensement de son côté, en 2005 et 2006, Elle n'a cependant enregistré ni les origines ethniques des personnes qu’elle inscrivait sur les listes électorales, ni Ie nombre d'enfants dans les familles;
• II existe une autre source d'information sur Ies populations de RDC, les recensements effectués par les zones de santé. Elle est généralement considérée comme plus fiable. Mais là encore, au niveau tant des zones de santé que de I'inspection provinciale de la santé, les indications ethniques ne sont pas disponibles.
La présente enquête a permis de réunir ces informations, lorsqu'elles étaient disponibles. Dans d'autres endroits les chiffres ont été élaborés de manière différente : les ONG chargées de I'enquête se sont concertées avec les autorités administratives (territoriales et sanitaires) pour élaborer de manière consensuelle des pourcentages de populations Pygmées dans la population totale de leurs recensements administratifs généraux. On a appliqué ce pourcentage aux chiffres globaux. Dans d'autres cas, les chiffres ont été estimés directement par les ONG d'accompagnement, sur la foi de leurs connaissances propres des communautés.
II est clair, dans ces conditions, que les chiffres obtenus ne sont que des approximations et qu'ils ne se substituent en rien à un recensement véritable, seul Ie manière sérieuse de fournir des chiffres vraiment dignes de foi.
Le réseau dynamique Pygmée a par ailleurs élaboré, préalablement à I'enquête en 2008, un véritable inventaire des communautés Pygmées. La plupart des communautés y sont identifiées par secteurs et localités administratifs. Ces tableaux comprennent des lacunes mais ils constituent une grande avancée dans la localisation des Pygmées en RDC.
Répartition des effectifs des Pygmées selon leurs modes de vie
La répartition des modes de vie actuels des Pygmées selon trois catégories : Nomades, sédentaires, en voie de sédentarisation.
Le terme « nomade » désigne des Pygmées opérant dans un territoire de chasse délimité au sein duquel ils se déplacent. On pourrait, aussi les caractériser à partir de deux autres critères :
I) la prédominance de la chasse et de la cueillette dans leurs ressources alimentaires et leurs activités;
II) Ie fait qu'ils ne disposent pas de campements permanents auprès des villages bantous et des routes. Les sédentaires, au contraire, sont liés à un village dont les caractéristiques des bâtis se rapprochent de celles des villages bantous, en plus précaire. Leur activité est liée en quasi-totalité à l'agriculture, celle des bantous à laquelle ils fournissent des bras, ou la leur propre, avec des champs dont la taille a tendance à augmenter avec les années. Leur alimentation est égaiement dépendante de ['agriculture. lis peuvent chasser, mais cela ne représente plus un élément déterminant dans leur alimentation.
Entre ces deux pôles, des processus de sédentarisation plus ou moins marqués (période de l’année plus ou moins grande dans la forêt, dépendance plus ou moins forte vis-à-vis de ses ressources). On peut compter dans cette catégorie Ie cas des Pygmées opérant dans la périphérie des foyers miniers, comme fournisseurs de viande de brousse et de main-d'oeuvre.
Les Pygmées de RDC sont en grande majorité des semi-sédentaires ou des semi-nomades, qui dépendent de l'agriculture au moins autant que de la chasse : L’enquêté est particulièrement imprécis concernant les effectifs des nomades vrais. On peut penser cependant, qu'ils ne dépassent guère les 30 à 40 000 personnes moins de 10% des effectifs. On ne peut guère non plus fixer avec précision les effectifs ou les pourcentages des sédentaires vrais, que I'on pourrait associer à la perte totale des activités de chasse.
Ces résultats nuancent fortement I'image répandue des Pygmées comme nomades forestiers en contact étroit avec Ie monde bantou mais gardant à son égard une certaine distance. Pour la plupart, les Pygmées vivent dans la proximité immédiate des Bantous et sont en train de devenir des agriculteurs, des artisans des ouvriers ou des mineurs, tout en maintenant à des degrés divers les activités liées à leur ancien mode de vie. Dans certains cas, Ie lien avec la forêt est rompu ou presque (Rutshuru, Masisi et une bonne partie du district du Tanganyika, province du Katanga,). Dans Ie cas du Katanga on peut remarquer que Ie type de leur milieu de vie actuel n'est pas, s'il n'a jamais été, celui de la grande forêt, à moins d'admettre des migrations. De fait, il s'est produit d'importantes migrations récentes de Pygmées autour de Kalemie, à partir de zones plus forestières. En grande majorité, Ie lien a un établissement humain des Pygmées. est associé à la possibilité de grands ou de petits départs en forêt, ainsi qu'à la recherche du travail, lorsque les occasions se pressentent (plantations, grandes campagnes agricoles, mines ... ).
L'acculturation des Pygmées et leur intégration dans la société congolaise globale
Nous intercalons ici une réflexion générale sur Ie niveau d'acculturation des Pygmées. Elle ressort de I'ensemble des enquêtes. Elle a une grande importance stratégique dont I'enjeu principal est la question de la sédentarisation : faut-il en faire un axe stratégique, comme il a été souvent préconisé ces dernières années (afin de faciliter I'accès aux services etc.), ou faut-il au contraire favoriser une vision plus mesurée qui permette des choix, des alternatives, sans obliger à des impasses et qui surtout s'attache à la survivance des patrimoines culturels ?
Les enquêtes provinciales portent sur les relations de la société pygmée avec la société congolaise actuelle environnante. Comme on vient de le voir, les Pygmées sont largement engagés dans un processus d'acculturation. Les caractéristiques de leur société sont en pleine évolution. Les enquêtes mesurent les difficultés et les limites de cette évolution.
La société congolaise globale est elle-même engagée de longue date plusieurs siècles dans un processus d'acculturation profonde avec la société occidentale. Les Pygmées n'ont pas subi ce processus avec la même intensité, ils sont restes en grande partie attaches à leur mode de vie traditionnel jusqu'à une date récente.
Leur mouvement de sédentarisation date en effet de ces 50 dernières années et l'évangélisation chrétienne à leur égard se déroule également dans la seconde moitié du 20ème siècle (alors que la christianisation du Kongo central par exemple commence au l6ème siècle et celle des autres provinces a la fin du 19ème siècle, pour les populations bantoues, soudanaises et nilotiques).
On va donc mesurer pas à pas un ensemble de différences qui traduisent le fait que les Pygmées ont vécu à l’écart par volonté communautaire, soit par nécessité de maintenir des schémas de vie totalement adaptés à la vie nomade qui était la leur, soit parce que leur position de sujétion les maintenait à l'écart. Aujourd'hui, comme on vient de le voir, les Pygmées sont engagé dans une grande mutation. Les enquêtes vont montrer qu'il existe en tout point une attente de changement de leur part : les biens matériels, les avantages d'accès aux services publics, ils veulent eux aussi en profiter et vivre moins malades. plus longtemps, mieux éduqués, moins soumis, mieux représentés dans les institutions, moins dépendants etc.
L'image d'eux-mêmes qui est projetée par certaines enquêtes ne leur est pas toujours favorable tant s'en faut : elle mesure non seulement des critères de pauvreté relative et d'accès mais également des comportements qui leur sont ouvertement reprochés par les Bantous. Or certains de ces comportements sont en grande partie constitutive de leur attachement culture! Ils savent parfaitement eux-mêmes que leur image correspond à des réalités. Ils veulent en changer. II est clair que cela va demander un certain nombre de réajustements des comportements : ceux des Bantous à leur égard d'abord, les leurs aussi. Car l’enquête montre clairement que les comportements des Bantous à l’égard des Pygmées sont globalement inacceptables. Au-delà des comportements individuels et de groupe qu'ils subissent de leur environnement social, le traitement qui leur est réservé par I'État et ses services n'est pas satisfaisant.
En mutation difficile, de plus en plus attachés à des lieux d’opportunité (les routes plus que les villages bantous, car ce sont des endroits où il est possible de trouver du travail, de vendre ses produits, etc.) les Pygmées gardent une profonde singularité culturelle à laquelle ils manifestent un grand attachement. Pour la plupart, ils conservent encore bien vivants leurs croyances, leurs techniques, leur savoir-faire culture!.
Une petite église construite avec de la boue et des roseaux
II faut donc souligner que le mouvement de sédentarisation progressif (et très souvent réversible) des Pygmées ne se traduisent nullement pas par leur intégration pure et simple à la société bantoue dont ils deviendraient les pauvres et les marginaux. Partout leur consistance communautaire et culturelle est extrêmement forte et vivante. Ceci est tout à fait vrai des zones même où cependant leur accès à la forêt à la chasse est pourtant le plus faible, comme dans Ie Nord Katanga. Les Pygmées ne sont pas des et des vulnérables fondus dans la masse des autres en RDC. lis sont, restent, et affirment vouloir rester des Pygmées.
Tout Programme de Développement des Pygmées doit tenir compte de ce vouloir. II doit également tenir compte du fait que pendant des années voire des décennies, la semi-sédentarisation est associée à la pauvreté, à la malnutrition. Encourager ce mouvement ne va pas dans l'intérêt des Pygmées nomades, auxquels il faut donner la possibilité de rester liés aux ressources de la forêt et ne rien faire pour les en empêcher.
Citoyenneté et état civil
Le ministre des Infrastructures, travaux publics et reconstruction (ITPR), Thomas Luhaka Losendjola, avec un groupe de Pygmées Mambasa dans la province de l'Ituri.
La citoyenneté en RDC comme ailleurs ne peut qu’être établie sur des enregistrements d'État Civil.
Profiter des droits liés à la citoyenneté à part entière, notamment les droits électoraux, c'est d'abord être identifié par I'administration.
L'identification administrative des Pygmées
Les Pygmées ne sont que très exceptionnellement enregistrés à I'État Civil: ni la naissance, ni les mariages ou les décès ne font I'objet d'une déclaration au bureau d’état civil Ie plus proche, qui est celui de I'administration de secteur. Aucune province n’échappe à ce diagnostic.
Cette situation touche aussi les Bantous, mais à un degré différent. Les pièces d’identité produites par les Congolais notamment ruraux pour constituer n'importe quel dossier administratif sont presque toujours falsifiées. À I'origine de cela la rareté des déclarations de naissance en conformité de calendrier avec la loi (elles sont tardives ou n'ont pas lieu). Les enquêtes mettent en avant plusieurs raisons à cet état de fait :
I'éloignement des bureaux administratifs; la pauvreté (car il faut payer des droits d'enregistrement et de timbre et les Pygmées sont ici défavorisés); I'attitude des agents de l'administration. qui les tient à distance de leurs bureaux, comme s'ils n’étaient pas des citoyens à part entiers. Les décès ne sont d'ailleurs eux-mêmes que rarement déclarés.
En RDC, les bureaux d’état-civil des secteurs sont parfois éloignés de 100 km des villages et campements.
L'administration territoriale avait établi anciennement la régie de I'enregistrement au niveau villageois, par Ie chef de localité. II est encore pratiqué par certains chefs de localité dans certaines provinces, parfois avec beaucoup de scrupule et de rigueur. II ne pourra pas exister d’état civil performant et un tant soit peu fiable en RDC en milieu rural tant que les enregistrements de base ne seront pas faits au niveau des localités, repris simplement par les agents recenseurs des secteurs. Actuellement I'enregistrement est perçu comme une taxe par les administrés, qui Ie fuient et comme un revenu par les administrateurs, qui ont donné toutes raisons de ne pas Ie décentraliser, écartant ainsi toute possibilité qu'il devienne systématique. S'ajoute à cela une méfiance certaine et relevée par les enquêtes vis-à-vis de tout ce qui représente Ie « pouvoir bantou », parmi lesquels les agents de I'état.
À ce problème d'ordre général s'ajoute la question aggravante du lien des Pygmees avec les localités de base.
Les Pygmées et les institutions
Un document datant de 2012 et signé par le cabinet de la présidence de la République de RD Congo montré par un Pygmée.
Participation des Pygmées aux institutions administratives :
Contrairement aux Bantous, dont Ies villages sont associées à des « localités » reconnues comme entités administratives de base par I'État, les campements Pygmées ne sont pas reconnus comme tels. Ils sont de fait considérés administrativement comme des hameaux d’une localité bantoue ou soudanaise, nilotique qui les englobe. Pour comprendre I'origine de la différence, il faut revenir à la structuration sociale des différentes composantes de la société congolaise et à son histoire administrative.
L'organisation sociale en chefferies est la caractéristique institutionnelle des sociétés bantoues, soudanaises et nilotiques sur laquelle s'est construit I'appropriation territoriale de I'ensemble du territoire congolais, au détriment des formes précédentes d'appropriation, celle des Pygmées donc dépourvue de chefferie héréditaire. L'organisation administrative coloniale s'est largement appuyée sur Ie découpage territorial coutumier pour créer les localités administratives, les groupements et les chefferies, voire les secteurs. Dans Ie système congolais, les groupements sont presque toujours tenus par des représentants de la chefferie coutumière, a fortiori les chefferies-secteurs. Les chefs de localités sont eux-mêmes le plus souvent désignés par Ie chef de groupement coutumier. Il existe ainsi une intime pénétration du système administratif par Ie système coutumier. Les Pygmées, qui n'avaient et n'ont toujours pas de chefs héréditaires, et dont de toute manière les droits fonciers sont inexistants même du point de vue coutumier, sont exclus de faire et de droit de tout contrôle du système de I'administration territoriale. Cependant, on assiste à deux phénomènes distincts d’émergence d'interlocuteurs administratifs du côté de la communauté pygmée :
- les chefs de localité bantoues désignent des représentants dans les quartiers ou villages Pygmées, et ces représentants sont de plus en plus appelés eux-mêmes chefs de localité. lis jouent dans leurs communautés un rôle de référence non seulement comme relais des chefs de localité officiels, bantous, mais également comme piliers de la communauté pygmée et comme interface avec I'extérieur. Souvent d'ailleurs, c'est parce qu'ils occupent déjà dans leurs communautés un rôle éminent que ces personnes sont reconnues comme représentants par les chefs de localité. On peut même les appeler eux-mêmes « chefs de localité ». II est important de souligner que cette « chefferie de localité » n'est pas de nature territoriale, c'est-à-dire qu'il ne lui est pas associé de droit particulier sur les terres ou les ressources naturelles de territoires. II s'agit de fonctions de leadership et de représentation. Ce processus semble s’étendre et même être très répandu chez certains nomades (Kasaï ou dans les zones où les Pygmées sont les plus nombreux relativement.
L'administration de secteur peut même reconnaître comme « chefs de groupement» des personnes de référence des communautés elles-mêmes, au niveau de plusieurs campements.
II se met ainsi en place progressivement des structurations non héréditaires que l'on pourra nommer « para-administratives » dont I'assise est communautaire, et non pas territoriale. Elles sont liées à un double processus de reconnaissance: par Ie haut (les responsables administratifs) et par Ie bas (les communautés).
Présence dans les services techniques:
Elle est pratiquement nulle, sauf sans les territoires de l'Équateur Sud (Bikoro, Ingende) ou, mieux éduqués, plus nombreux et capables de résister à la « timidité» et au mépris des autres, les Pygmées ont des ressortissants dans les services techniques. À quelques exceptions près, cependant, il ne s'agit pas de postes de responsabilité.
Participation aux institutions de la société civile:
La participation aux institutions de la société civile est extrêmement faible, y compris dans Ie milieu ONG.Le questionnaire n'a pas saisi de manière spécifique la participation des Pygmées dans Ie personnel des ONG d'appui aux communautés Pygmées. L'on sait pourtant qu'elle est très faible, Les pasteurs et abbés chargés de I'évangélisation des Pygmées appartiennent très rarement à la communauté.
Participation et candidatures aux dernières élections:
La participation a été massive un peu partout, traduisant la volonté des Pygmées de s’insérer dans la société nationale. Déjà la reconnaissance de la citoyenneté telle qu’elle a été conférée de manière concrète et pratique par la CENI (outre par la Constitution), en fournissant des cartes d’électeur, puis I'acte de voter, a été perçue par les Pygmées comme une forme de reconnaissance individuelle et communautaire, citoyenne par I'état, et ceci a une signification politique et psychologique non négligeable. Elle a donné I'occasion aux Pygmées d'affirmer leur égalité citoyenne.
II ne faut pas s’étonner que les candidatures aux élections soient rares et mêmes inexistantes dans les milieux où les Pygmées ne sont pas nombreux. Ils n'auraient aucune chance. Bien que leur nombre ait été faible, on a pu constater des candidatures aux élections législatives provinciales, en décembre 2006, bien qu'aucune n'ait été couronnée de succès, dans les territoires où les Pygmées sont les plus nombreux.
Émergent ainsi, peut-être, les prémisses d'un éveil de conscience et peut être d'une intégration politique.
Les conditions de vie des Pygmées
C'est ici sans doute que s'accusent Ie plus nettement les différences. Elles ne sont choquantes que dans les cas de sédentarisation ou de semi-sédentarisation, lorsque Ie choix volontaire ou imposé de l’intégration au mode de vie des Bantous est fait. Or, comme il a été établi, la grande majorité des Pygmées est dans cette situation. Elles sont moins choquantes dans Ie cas de la vie nomade dans la mesure où ce mode de vie a des contraintes qui rendent difficiles - quoique possibles des améliorations et où elles sont vécues des choix de vie non imposés, assumés avec dignité.
L'économie des Pygmées
L’Accès des Pygmées aux ressources naturelles
L’économie des Pygmées est tout entière dépendante de leur accès aux ressources naturelles. La limitation de leur accès à ces ressources, et/ou la dégradation de celles-ci notamment par diminution du gibier qu'elles renferment sont les causes majeures du processus de sédentarisation en cours, lui-même à l'origine des graves problèmes de malnutrition signalés par les enquêtes provinciales. Dans Ie mouvement de sédentarisation, ces causes s'ajoutent sans doute au désir d’améliorer leurs conditions de vie ou de saisir les opportunités de revenus qu'offre la proximité des agglomérations bantoues et surtout des routes.
Le paradoxe pour les Pygmées est que cette évolution correspond, comme il a été mentionné plus haut, à un processus de paupérisation et d'aggravation des conditions de vie.
II convient par conséquent de préciser Ie statut de I'accès des Pygmées aux ressources naturelles en RDC et les menaces y afférentes.
Les droits d'usage des Pygmées
La loi foncière congolaise, loi dite Bagajika de 1973 corrigée et complétée en 1981, précise que les terres du territoire national, appartiennent à l'État. Des dispositions concessionnaires permettent cependant d’établir sur les terres une jouissance privée sure, aussi bien dans Ie domaine urbain que rural. Ces dispositions ont été complétées récemment par Ie Code Forestier et Ie Code Minier. En dehors des concessions (rurales, urbaines, forestières et minières) Ie droit coutumier s'applique, bien que les ressources concernées soient à tout moment susceptibles d'entrer dans des logiques de concession. Dans les faits, aucune transaction concessionnaire ne se fait en RDC sans que les ayants droit coutumiers ne perçoivent quelque chose et que, dans Ie sens commun, ils ne vendent « leur bien ». On achète au propriétaire coutumier et ensuite on fait enregistrer son bien par l'État. Voilà en résumé comment les choses se déroulent réellement.
II convient de préciser que dans la coutume en vigueur dans tous les territoires où ils sont installés, les Pygmées ne sont pas assimilés à des propriétaires coutumiers sur les terres ni sur les ressources naturelles en RDC. Progressivement, selon une chronologie méconnue, ils ont perdu leurs droits anciens, à mesure qu'ils étaient chassés plus au loin dans la forêt ou intégrés aux sociétés bantoues, soudanaises et nilotiques qui les ont envahis. Ces forêts elles-mêmes ont progressivement fait I'objet du même processus d'accaparante coutumière et de délimitation de territoire au profit de leurs envahisseurs. Dans ces territoires et dans ce cadre juridique coutumier, les Pygmées ont acquis ou conservé des droits d'usage associés à des servitudes, il faut bien Ie dire et on y reviendra. Toute forêt, en RDC, a un « propriétaire »coutumier qui n'est pas pygmée. Ce « propriétaire» peut tolérer et d'ailleurs profiter de la présence des Pygmées dans «sa» forêt (en tant que pourvoyeurs de gibier, etc.). Mais il peut également disposer de cette forêt à d'autres fins, y compris en entrant dans un processus concessionnaire au bien en attribuant un droit d'usage à d'autres opérateurs, comme les exploitants forestiers artisanaux (droits de coupe) ou des droits d'exploitation minière artisanale. II ne consulte en rien dans ce cas les usagers en place, les Pygmées Ie cas échéant, et la loi n'I'y oblige pas, bien que ces usagers soient établis dans la forêt bien avant lui, depuis des temps immémoriaux.
Ce qui vient d’être dit à propos des Pygmées n'est pas différent pour tout Congolais migrant dans son propre pays qui s'installe dans un territoire dont il n'est pas originaire : il peut obtenir des droits d’usage sur Ies ressources naturelles (terre, forêts) mais ces droits peuvent lui être retirés par Ie propriétaire coutumier, sauf si d'aventure il obtient un droit concessionnaire reconnu par I'état. Le Pygmée comme Ie migrant vil dans Ie territoire des autres. Et, ces droits d'usage sont toujours liés à paiement d'une contrepartie au propriétaire coutumier. On peut ajouter, pour compléter Ie tableau, que les droits de propriété coutumiers des Bantous, qui étaient initialement des droits quasiment claniques, dont Ie chef coutumier ne faisait que gérer I'usufruit est peu à peu devenus des droits patrimoniaux du chef de terre et de son lignage, dont il use à merci, au point d'en déposséder par la vente officielle, définitivement lui-même et les autres membres de son clan, au grand dam de ces derniers. II n'est pas exagéré de dire que le lien patrimonial renforcé de fait par la loi foncière au bénéfice du chef est ainsi à I'origine de vastes dépossessions communautaires en RDC, qui sont la trame de fond des conflits armés de ces dernières années.
Les droits d'usage des Pygmées et le Code Forestier
Le Code forestier ne distingue pas et pour cause entre les droits d'usage et les droits de propriété coutumiers, distinction pourtant centrale de la coutume, et très logiquement puisque la propriété des forêts est affirmée par Ie Code comme relevant de l'État. Voici comment sont définis ces droits d'usage par Ie Code Forestier, Titre III article 36 a 40 chapitre I et II.
Article 36:
Les droits d'usage forestiers des populations vivant à I'intérieur ou à proximité du domaine forestier sont ceux résultant de coutumes et traditions locales pour autant que ceux-ci ne soient pas contraires aux lois et à I'ordre public. Ils permettent Ie prélèvement des ressources forestières par ces populations, en vue de satisfaire leurs besoins domestiques, individuels ou communautaires.
L'exercice des droits d'usage est toujours subordonné à l’état et à la possibilité des forêts.
En outre, Ie plan d’aménagement de chaque forêt classée détermine les droits d'usage autorisés pour la forêt concernée.
Article 37:
La commercialisation des produits forestiers prélevés au titre des droits d'usage n'est pas autorisée, excepté certains fruits et produits dont la liste est fixée par Ie Gouverneur de province.
Article 38:
Dans les forêts classées, à I'exception des réserves naturelles intégrales, des parcs nationaux et des jardins botaniques. les droits d'usage sont exercés exclusivement par les populations riveraines et leur jouissance est subordonnée au respect des dispositions de la présente loi et de ses mesures d’exécution.
Article 39:
Dans les forêts classées, les droits d'usage sont limités :
a) au ramassage du bois mort et de la paille;
b) à la cueillette des fruits, des plantes alimentaires ou médicinales;
c) à la récolte des gommes, des résines ou du miel;
d) au ramassage des chenilles, escargots ou grenouilles;
c) au prélèvement du bois destiné à la construction des habitations et pour usage artisanal.
En outre, Ie plan d’aménagement de chaque forêt classée determine les droits d'usage autorises pour la forêt concernée.
Article 40 :
Les périmètres reboisés appartenant à l'État ou aux entités décentralisées sont affranchis de tout droit d'usage forestier.
Ainsi. Ie code forestier reconnaît les droits d'usage, en prenant garde de ne rien dire de la manière dont ils sont régis par la coutume. On constate toutefois que I'article 37 met hors la loi toute activité commerciale liée à la chasse, ceci dans les forêts protégées et de production, car la chasse est interdite dans les forêts classées. comme I'agriculture dans les concessions forestières.
II faut souligner à quel point ces dispositions sont restrictives pour les Pygmées : on leur interdit pratiquement de commercialiser les produits de leur activité principale, et d'un autre côté, dans les concessions forestières, on leur interdit I'agriculture, à laquelle il faudrait pourtant qu'ils se convertissent.
Relevons une autre difficulté pour les Pygmées, liée cette fois au concept de «concession forestière communautaire ». C'est là que surgit la notion de concession coutumière. L'article 22 en effet du Code stipule que :
Article 22:
Une communauté locale peut à sa demande, obtenir à titre de concession forestière une partie ou la totalité des forêts protégées parmi Ies forêts régulièrement possédées en vertu de la coutume.
Les modalités d'attribution des concessions aux communautés locales sont déterminées par un décret du Président de la République. L'attribution est à titre gratuit.
Cet article écarte toute attribution de concession forestière communautaire au bénéfice des Pygmées, puisque les Pygmées ne possèdent régulièrement aucune forêt en vertu de la coutume. La modalité d'attribution présidentielle des concessions communautaires, en ce qu'elle politise à haut niveau Ie débat, est un facteur supplémentaire de blocage pour les Pygmées.
Les mesures d'application du Code Forestier donnent réponse à certaines de ces questions à savoir :
I) inclure les Pygmées dans les consultations participatives préalables à I'attribution de tous droits forestiers dont I'attribution de concessions forestières et la création d'aires protégées; et
II) reconnaître les droits d'usage des ressources naturelles. Le Code et ses mesures d'application sont cependant relativement nouveaux, incomplets et non encore totalement appliqués. Le processus de création d'un programme de Développement des Pygmées offrira I'occasion de renforcer la mise en application du Code et de ses mesures d'application, et permettra au gouvernement de réaffirmer son engagement pour I'implication et la participation des Pygmées.
Les Pygmées, les cahiers des charges et Ie zonage
On pourra, pour terminer cette analyse du Code, souligner une fois de plus I'importance des processus de zonage comme préalable absolu avant toute attribution de nouvelles concessions forestières (d'où la nécessite de prolonger Ie moratoire). Car, les Pygmées, grâce au Code, voient leur activité génératrice de principale, la chasse, placée sous haute surveillance partout, et leur activité principale de substitution, I'agriculture, interdite dans les concessions et, si I'on n'y prend garde, dans les aires protégées. II convient donc que tout processus de zonage prenne en compte les intérêts des Pygmées, et établit pour eux des réserves de chasse et de colonisation agricole. Ceci a été bien précisé par Ie CPPA du PNFCO : des délégués représentatifs des Pygmées doivent participer au zonage à tous les niveaux, afin de défendre les intérêts de leurs communautés. Ici se pose un sérieux problème de capacité. Car qui est habilité à représenter les Pygmées dans ce type de processus? Le renforcement des capacités est ici un préalable indispensable, ou I'appui par les ONG. Mais dans l’état de faiblesse institutionnelle où ils se trouvent les Pygmées risquent fort de se faire abuser dans les négociations que comporteront obligatoirement les processus de zonage comme ceux d’élaboration des cahiers des charges, sans parler de leur mise en oeuvre.
L'autre crainte induite par Ie Code Forestier et souligné par Ie CPPA porte sur les cahiers des charges, c'est-à-dire sur les investissements sociaux que les compagnies forestières doivent effectuer pour les communautés locales. II est important de s'assurer que les Pygmées en bénéficient et que donc leur signature, à travers celles de leurs représentants, soit présentée comme indispensable à la validation d'un cahier des charges.
État des lieux de I'économie des Pygmées.
Qu'ils soient nomades, semi-nomades ou sédentaires, I'économie des Pygmées est partout confrontée à des difficultés de même type :
• Leur main d'oeuvre est payée à viI prix et souvent Ie travail leur est imposé sans être rémunéré.
Dans les meilleurs des cas ils touchent la moitié de ce que toucherait un ouvrier bantou. Au mieux ils peuvent prétendre à des revenus de l'ordre de 20 dollars par ménage et par mois.
• Les ressources naturelles sur lesquelles leur économie est basée sont soumises à des pressions qui font fuir Ie gibier et réduisent la disponibilité des produits de cueillette et de ramassage : I'agriculture sur jachère brûlis qui pénétre toujours plus en profondeur des routes, I'exploitation forestière, qui leur interdit de cultiver et leur délivre (Code Forestier) un droit de chasse de ce fait inutile, la mine artisanale, les prélèvements toujours plus grands et souvent abusifs de la chasse et de la pêche, à laquelle ils contribuent eux-mêmes pour satisfaire la demande grandissante en viande de brousse (celle des foyers miniers, des chantiers de coupe et des villes et cités). Par leur main-d'oeuvre ils participent eux-mêmes à l'augmentation de ces pressions.
• Leur possibilité d’accéder aux opportunités d'exploitation de la forêt (I'exploitation forestière artisanale, la mine) est limitée par leur manque de capital. Incapables d'obtenir des droits d'exploitation officiels et/ou coutumiers (procédures administratives trop compliquées pour les permis miniers artisanaux, objections des chefs de terre bantoue), et incapables d'investir dans les équipements requis, ils sont employés aux tâches les plus rudes et le plus mal payées (bûcherons, creuseurs).
• Autour des Parcs Nationaux, ils sont transformés en braconniers ou en mendiants et subissent toutes sortes de tracasseries et, pris dans des situations de concurrence avec les Bantous eux-mêmes démunis, ils perdent tout accès à la terre.
• lis maîtrisent mal l'alternative agricole et, eux qui cultivent les champs des autres, ne possèdent généralement que de petits champs, que leur « maître» peut récolter à leur place, sans leur en demander I'autorisation.
• Les terres ne leur sont pas toujours accessibles : elles ne manquent pas vraiment dans la zone forestière proprement dite (la cuvette Centrale et ses franges). Ailleurs, dans les périphéries même éloignées des villes et citées, dans les montagnes des Kivu et dans les savanes du Katanga, partout où la densité humaine dépasse les 50 habitants au km2, ils sont les deniers servis.
À lire également : les Pygmées de la RDC survivent et meurent méprisés de tous
La santé des Pygmées
La situation sanitaire des Pygmées est très mal documentée. L'impression qui se dégage du tableau de synthèse des enquêtes de terrain fournit cependant quelque lumière à ce sujet :
• les Pygmées n'ont pas accès aux soins de santé primaire et en sont réduits à la médecine traditionnelle.
• ils sont à cet égard beaucoup plus mal lotis que les Bantous, dont I'accès au service de santé publique et aux soins de santé primaire est lui-même déjà mauvais, en particulier en zone forestière.
• Toutes les maladies les affectent plus que les autres, notamment les parasitoses tropicales, les maladies sexuellement transmissibles, la tuberculose, les maladies infectieuses enfantines, les maladies respiratoires, et leurs femmes subissent une mortalité élevée à l'accouchement.
Tout cela est en partie la conséquence de leur mode de vie : hygiène déplorable, consommation d'eau non potable, promiscuité, habitat enfumé et sommaire. Mais il faut également incriminer comme principale cause de leurs conditions de santé, I'exclusion du système de santé officiel dont ils sont les victimes : ils sont bien moins informés que les Bantous sur les maladies et leurs mode de transmission, ils échappent aux campagnes de vaccination, ils n'ont pas accès aux infrastructures de santé ni aux médicaments.
Les causes de cet état des lieux sont multiples :
• leur enclavement, qui rend particulièrement coûteux leur encadrement sanitaire :
• la prégnance et la force de leurs habitudes culturelles et comportementales, qui pour tous les aspects de la vie, parmi lesquels figure la maladie, sont liées à des croyances et à des rites;
• parmi ces habitudes comportementales figurent Ie mariage précoce, la consommation d'alcool, le manque d’hygiène, I'accouchement au campement ;
• la malnutrition associée à des régimes alimentaires pauvres et monotones pour les sédentaires ;
• leur médecine traditionnelle ancestrale, appuyée sur une pharmacopée très riche. Ces connaissances traditionnelles des Pygmées faisaient autrefois leurs forces y compris vis-à-vis des bantous, qui y recourraient. Elles ont leurs limites.
• leur pauvreté monétaire, qui ne leur permet pas de payer les soins ni les médicaments;
• leur méfiance voire leur peur vis-à-vis des agents bantous du système de santé et réciproquement ;
• l'attitude méprisante et discriminatoire de ceux-ci (on les écartera des distributions de moustiquaires par exemple, ou de la programmation des vaccinations, en prétextant qu'ils les fuient, on les chassera des centres de sante ... ) ;
• les abus sexuels dont sont victimes les femmes Pygmées, amplifiés par la guerre, cause aggravante de la diffusion des maladies sexuellement transmissibles dans les communautés Pygmées.
L'aboutissement de ce faible accès aux SSP est une mortalité infantile élevée, notamment à l'accouchement comme il a été dit et une espérance de vie inférieure à Celle des Bantous. On ne dispose pas de chiffres ni d’études scientifiques sur ces indicateurs, mais I'opinion générale des Bantous comme des Pygmées ainsi que des professionnels de santé sont qu'ils sont nettement plus mauvais pour les Pygmées. L'une des priorités du programme de Développement des Pygmée sera I'amélioration de leurs conditions de santé.
Les Pygmées et l'éducation
Scolarisation des enfants Pygmées : École de vie à Wamba dans la province du Haut-Uele
L'état des lieux dressé par les enquêtes est tout aussi négatif que celui de la santé : les Pygmées ne reçoivent dans leur majorité d’éducation que celle qui leur est transmise par la communauté.
Les taux d’analphabétisme sont partout supérieurs à 80 % et ceux des femmes avoisinent les 100%. Les taux de scolarisation des enfants sont très faibles et particulièrement dans Ie secondaire, où ils sont quasi nuls. Pour prendre la mesure de ces chiffres, il faut se souvenir que la plupart des communautés Pygmées sont en réalité sédentaires, et vivent auprès des villages bantous, dans leur proximité et souvent depuis plus de quinze ans. Or. les Bantous ont des taux de scolarisation en général voisins de ou supérieurs à 50% dans Ie primaire. Les Pygmées n'ont pas accès à l’école publique au même titre que les Bantous, pour la grande majorité de ceux qui vivent prés des villages bantous. Dans leurs campements ou dans leurs villages propres un peu éloignés, les infrastructures scolaires sont inexistantes et quand elles existent, dans un état lamentable, les maîtres ne sont pas payés et autant dire que pour ces communautés, il n'y a pas d’éducation possible. L'indicateur scolaire est donc au rouge pour les Pygmées.
II existe des raisons multiples à cette situation. La scolarité est payante en RDC. En complément des minimes salaires payés par l’état si les écoles sont « conventionnées » (reconnues par I'état à travers des conventions ad hoc) , et si les maîtres sont « mécanisés» (ils sont alors payés par l'éducation Nationale. Une école peut fonctionner avec la moitié des maîtres ainsi payés par I'état, I'autre non) les parents sont invités à payer des frais scolaires, dont le montant est jugé élevé par toutes les communautés, et pose partout problème, avec des phénomènes généralisés de déscolarisation en cours d’année pour cause de non-paiement du minerval et des frais scolaires, les maîtres les chassant alors des écoles.
Les faibles revenus des Pygmées sont une raison majeure à leur niveau d’alphabétisation et de scolarisation. Le gouvernement désire rendre I'éducation primaire obligatoire et gratuite, au bénéfice de tous les citoyens congolais.
Quand une telle politique sera mise en oeuvre, il conviendra de s'assurer qu'elle est effectivement appliquée au bénéfice des pygmées et de prendre en compte les autres aspects qui s'opposent à I'accès des pygmées à l'éducation.
Peuples autochtones Pygmées du village de Biganiro qui fréquentent l'école primaire MUTAHO en territoire de Nyiragongo, Province du Nord-Kivu, à l'EST de la RD Congo.
Dans les écoles publiques et privées, l'attitude des maîtres à I'égard des enfants Pygmées comme celle des enfants bantous est celle du rejet, du dénigrement (parce qu'ils n'ont pas d’uniforme, ils sont sales, ils n'ont ni cahier ni crayon) et ceci les « décourage, les complexe». L'une des enquêtes mentionne que ce complexe d'infériorité est même intériorisée par certaines communautés. Le caractère erratique de leur présence à I'école n'arrange pas les choses: il leur fait accumuler les retards scolaires et ne les pousse pas à la réussite, comme I'influence du faible niveau scolaire de leur milieu familial et communautaire où I'on n'est pas alphabétisé, où I'on ne parle pas la langue d'i'enseignement, Ie français, et où I'on est toujours prêt à partir plusieurs jours où semaines en forêt pour toutes sortes de raisons vitales. La guerre, les mariages précoces, I'alcoolisme et I'addiction au chanvre (des parents mais aussi des enfants, très précocement) sont également des facteurs aggravants de ce processus de déscolarisation. Cette situation est un frein majeur au progrès des communautés en matière de leadership, de capacité relationnelle avec I'administration et leur environnement, d’accès à I'éducation primaire.
Accès à la justice et à la sécurité
Si l'on en croit les enquêtes, la situation est encore particulièrement mauvaise: les Pygmées sont les victimes de tous les abus, conséquence du mépris dont ils sont les victimes mais aussi de «l’intérêt cupide et pervers » qu'ont les Bantous à les assujettir. Leur travail est souvent forcé, le viol à l’égard de leurs femmes et pratique courante, on vole les récoltes de leurs propres champs, on s'empare de leur butin de chasse et de cueillette ... Tout ceci est « coutumier», et en ce sens, dans I'ordre des choses. Tenter pour Ie pygmée de s'y opposer relève de la rébellion et renvoi au tribunal coutumier des Bantous, devant lequel les Pygmées sont déférés les jugements est toujours en défaveur des Pygmées et les sanctions sont souvent cruelles. En profiter pour le Bantou, notamment les « maîtres), où les forces de I'ordre, sont « normales,), et le contraire est incompréhensible. Inverser ces schémas mentaux et ces comportements sont complexes mais supposent un préalable principal bien identifié par les enquêtes et les ONG d'encadrement : la reconnaissance par les Bantous et I'affirmation forte par l’État des droits de l'homme des Pygmées. Pour nombre de Bantous les Pygmées ne sont pas des hommes comme les autres, et ceci est le fond de la justification des abus de toutes sortes qu'ils subissent!. Cette croyance en I'altérité radicale des Pygmées vient de loin mais I'on peut se demander si sa réminiscence actuelle n'a pas de fondement plus solide que l'intérêt, celui de pouvoir disposer d'une main-d'oeuvre bon marché.
Même les agents du système de justice paraissent avoir largement intériorisé ces croyances et attitudes qui effectivement excluent la plupart des Pygmées d'un accès au droit et à la justice.
Sauvegarde du patrimoine culturel des Pygmées
La plupart des Pygmées du Congo sont fortement acculturés. Le plus puissant vecteur de cette acculturation est la religion chrétienne, dont les pasteurs missionnaires et surtout congolais, à travers des églises du réveil, exercent une pression très forte sur le cœur de la culture pygmée, la croyance animiste.
Pour la plupart des observateurs extérieurs. I'adhésion à la fois chrétienne est encore pour bon nombre d'entre eux un vernis de surface, sous lequel perdurent la foi dans les ancêtres et I'esprit de la forêt. On peut s’interroger sur la capacité de cet ensemble cohérent de croyances à résister bien longtemps. Elles ont largement disparu chez les Bantous, bien que I'on signale I'importance de la protection des Bantous pour la réussite des rites et des oracles Pygmées. Les Bantous exercent une forte pression sur les Pygmées pour qu'ils deviennent vraiment « leurs frères en Christ» et le fait d'y résister est perçu comme un sujet de mépris, de retard, d’archaïsme.
Chez les nomades, notamment chez les plus éloignés et dispersé d'entre eux, dans le Sankuru par exemple, il est signalé et probable que la religion chrétienne n'a que très faiblement pénétré. Pourtant, même chez les sédentaires, les pratiques animistes demeurent vivaces. Contrairement à presque tous les peuples congolais non Pygmées, les rituels animistes sont largement respectés, au cours desquels les croyances communautaires ancestrales se transmettent, de la circoncision à I'initiation, en passant par les rites de naissance et de mariage, ou ceux liés à la chasse, à I'appel du gibier, etc.
C'est chez les nomades également que la connaissance traditionnelle du milieu naturel est la plus poussée et la mieux conservée. II est aussi probable que la pauvreté (!) de tous les Pygmées, qui les amène à ne se soigner qu'avec la pharmacopée traditionnelle, est un gage de survivance de ses connaissances, reconnues par les Bantous. Mais jusqu’à quand ? Qu'en sera-t-il bientôt et qu'en est-il déjà chez les sédentaires des pratiques musicales si élabores, si distinctives des Pygmées et si méconnues des Bantous "?
C'est toujours chez les nomades que les techniques traditionnelles de chasse sont les plus vivantes et pour cause, tandis que chez les sédentaires complets que sont devenus les Pygmées du pourtour du Parc des Virunga, ou ceux de Kalemie, la chasse n'est plus pratiquée qu’occasionnellement et ses techniques se perdent. En revanche, dans ces milieux sédentaires, les techniques artisanales de poterie, de tressage des nattes et de sparterie se développent et les Pygmées sont alors reconnus pour la qualité de leur travail et les enquêtes recommandent qu’elles fassent I'objet de mesures d'appui, permettant aux Pygmées d'en tirer de meilleurs profits (organisation de la production, aide à la commercialisation).
Les relations entre les Pygmées et les bantous
Rappelons qu'en RDC les voisins ne sont pas seulement bantous mais également soudanais bantouistes (dans le Nord) et nilotiques pour une partie. dans les montagnes. L'enquête (annexe 19) ne distingue pas de comportements particuliers de chacune de ces origines ethniques vis-à-vis des Pygmées. Dans le texte tout entier de la pressente étude, le terme « bantou » désigne donc I'ensemble des « voisins» et en grande majorité, il s'agit effectivement en RDC, de peuples bantous aux bantouistes.
La littérature sur I'essence des relations entre les Pygmées et les Bantous est résumée dans le texte que nous citons du CPPA du PNFOCO. Ce texte s'efforce de balancer les aspects positifs et négatifs de cette relation, en I'ancrant dans une vision historique de lONG terme basée sur la complémentarité.
Riche et diversifiée, I'histoire des relations entre les « Pygmées » et les Bantous s'est structurée au départ autour des échanges mutuellement bénéfiques pour les deux groupes de populations. Mais, ces relations ont une nouvelle orientation, notamment avec la sédentarisation progressive des populations « Pygmées » et, aujourd'hui. on peut dire qu'une véritable ambivalence caractérise les relations entre les « Pygmées,) et les Bantous. Elles sont maintenant fondées sur une dualité de valeurs, de sens et de logique : une logique d'admiration et de mépris. Les « Pygmées » admirent les Bantous et acceptent d’être protégés par des familles Bantoues. Certaines familles « Pygmées » considèrent la vie auprès des Bantous comme une sécurité, une garantie de protection à l'égard d'autres Bantous et d'autres « Pygmées ». À cela s'ajoute la possibilité de recevoir de la nourriture et des habits. En retour, les Bantous admirent les « Pygmées », en particulier, comme excellents danseurs. Ils sont invités à tous les grands événements pour étaler leurs talents. À ce niveau, I'admiration est réciproque et chaque groupe essaie de profiter de l'action ou du travail de l'autre.
On est dans un modelé de relation entre un peuple agriculteur sédentaire et un peuple chasseur-cueilleur mobile en voie de sédentarisation. La relation n'est pas seulement fondée sur le conflit et la confrontation, comme le disent la plupart des organisations des droits humains, des anthropologues et des acteurs du développement ; mais aussi sur l’échange et la complémentarité.
Cette dimension de la relation est une composante essentielle d'i'histoire et de la culture « Pygmée ». Elle se présente même comme un mode de vie et un moyen de survie pour cette population. Le « pygmée » utilise cette dimension de la relation avec les Bantous pour obtenir des ressources économiques et sociales nécessaires à sa vie et sa survie quotidienne. Cette structure de relation existait et fonctionnait bien avant la sédentarisation des « Pygmées». Bien avant le développement de la sédentarisation actuelle, les «Pygmées» et les Bantous entretenaient des relations d’échange et de troc: le gibier, I'ivoire et les produits de la forêt collectes par les « Pygmées » étaient échanges contre des habits, de l'alcool et des féculents. L'usure du temps et les changements intervenus dans les modes de vie des deux groupes n'ont pas fait disparaître cette logique de coopération. Dans certaines localités, cette relation a conduit à une certaine convivialité et à une fraternité entre des familles « Pygmées» et Bantous, les discours de reconnaissance de l'humanité des « Pygmées» et d'admiration de leur intelligence et de leurs qualités de chasseur et de tradi-thérapeute sont multipliés dans ces localités qui se sont plus au moins accommodées au peuple de la forêt.
Le bureau du comité locale de cohabitation pacifique pygmées-bantous au Maï Ndombe
Mais, cette trajectoire de relation basée sur la coopération et la complémentarité cohabite avec le mépris et le dénigrement, «L'esclavage» et la domination des «Pygmées». Le mépris et le dénigrement, «l'esclavage» et la domination des «Pygmées» sont fondés sur des préjugés et des complexes entre eux et la volonté de puissance Bantoue. Les préjugés et les complexes déteignent encore sur la grande partie des relations entre les « Pygmées » et les Bantous. Les Bantous développent un complexe de « supériorité naturelle » à l’égard des « Pygmées ». Ce complexe sous-tend les préjugés défavorables développés à leur endroit : chosification des « Pygmées », assimilation aux animaux, mépris et déconsidération.
Cette image balancée, mais qui pointe exactement les aspects négatifs entre les deux communautés, n'est pas celle qui se dégage de L'enquête. Pour elle, en effet, les Bantous sont avec les Pygmées dans une relation de domination dure, sociale, politique et culturelle. Cette domination prend des formes multiples parmi lesquelles :
• elle emprunte les expressions mémés de I'esclavage : on parle de «mes Pygmées », on s'identifie comme leur« maître» et I'on est reconnu comme tel;
• les ressources naturelles qu'il exploite ne lui appartiennent pas, il en est I'usufruitier contre paiement d'un tribut et on en dispose sans le consulter.
• bien qu'il existe traditionnellement des tabous très forts qui interdisent la relation sexuelle entre les ressortissants des deux communautés, ces tabous sont pratiquement levés ou en voie
de l'être dans la plupart des provinces et notamment dans les lieux de sédentarisation. Leur succède trop souvent la relation sexuelle forcée dès le plus jeune âge, entre les hommes bantous et les femmes et filles Pygmées.
• L'archétype du pygmée comporte des aspects majoritairement négatifs : le pygmée est peureux, menteur, sale, voleur, etc. et des aspects positifs : il peut être un excellent travailleur, propre à effectuer les tâches les plus rudes, mais gratuitement ou à bon compte - et il possède une connaissance supérieure du milieu naturel et ses chants et danses sont apprécié, au point qu'on I'invite dans les cérémonies, de même que son artisanat. Mais on se garde de manger avec lui, comme s'il était frappé d’impureté et il est de fait et profondément dans I'esprit des Bantous.
• sa culture propre est en train de s’éroder face aux coups de boutoir des modelés de la société bantoue : religion, mode de vie, habitat, comportements. Les Bantous, comme tant de sociétés dominantes vis-à-vis de leurs minorités, ne supportent pas au fond la différence des Pygmées.
Tout ce qui liait autrefois les deux cultures: l'interrelation des rites et des croyances, la dépendance de savoir sur la pharmacopée, I'échange de produits agricoles contre produits de chasse, tous ses liens sont en train de se distendre. Le christianisme, le développement des soins de santé primaire, la monétarisation forte de l'économie des Bantous, tout cela concourt à la perte de lien et de sens commun. Ceci dans un contexte où du côté pygmée le modelé bantou est valorisé : on « respecte » les Bantous et au fond, on veut devenir comme eux, dans une large mesure, toutes les enquêtes le disent, bien qu'elles soulignent aussi des résistances très fortes mais qui traduisent peut-être aussi le poids de la nécessité : il n'est pas aise pour les Pygmées de ressembler si vite en tout et pour tout, aux Bantous; leurs schémas culturels propres les tirent peut-être encore contre leur gré vers la différence.
• l’émancipation officielle des Pygmées conférée par la constitution ils sont des citoyens à part entiers - est peut-être un élément dynamique dans cette relation, qui, dans certains territoires et secteurs, va accélérer la prise de responsabilité locale des Pygmées. Pour l'instant, les élections ont surtout donné lieu aux manipulations et au clientélisme des politiciens bantous. Mais I'on observe un peu partout I'émergence de leaders Pygmées, d'abord au niveau des localités, mais le mouvement devrait se développer. C'est dans les territoires et secteurs où leur populations est en proportion élevée, supérieurs à 30%, qu'il faut s'attendre à de fortes évolutions: les trois territoires de l'Équateur et du Maï Ndombe, (Ingende, Bikoro et Kiri), Mambasa dans la Province Orientale, et, dans le Tanganyika Nyunzu, Kalemie et Manono.
Source : Programme de Développement des Pygmées (Document de la Banque mondiale, RAPPORT No 51108–ZR)
À lire également : Les enfants Pygmées et les enfants bantous font la paix à l'école
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À lire également : Pourquoi les Pygmées sont-ils plus petits que nous ?
DES ÉCOLES POUR LES PYGMÉES DU MAI-NDOMBE
Détail de l'ouvrage
[RD-Congo]
Contribution des missionnaires scheutistes
Joseph Belepe
Le projet CAB (Centres d'Alphabétisation pour Batwa) initié par les Missionnaires C.I.C.M, à Penzwa, s'est avéré être un soulagement et un espoir de développement pour les enfants autochtones pygmées, analphabètes et sans ressource. L'Abbé Joseph Belepe offre dans cet ouvrage un hommage posthume aux Missionnaires qui ont entrepris le travail patient d'une évangélisation pour instruire les Batwa sur leurs droits spécifiques, créer des écoles pour leurs enfants,...
- format : 135 x 215 cm
ISBN : 978-2-343-02204-8 • janvier 2014 • 210 pages
EAN13 : 9782343022048
EAN PDF : 9782336335605
LE PYGMÉE CONGOLAIS EXPOSÉ DANS UN ZOO AMÉRICAIN
Sur les traces d'Ota Benga
Ngimbi Kalumvueziko
Études africaines
ANTHROPOLOGIE, ETHNOLOGIE, CIVILISATIONHISTOIRE AFRIQUE SUBSAHARIENNE République Démocratique du Congo
En 1906, un être humain avait été exposé au zoo de New-York, enfermé dans une cage avec des singes. Il s'appelait Ota Benga, un Pygmée, et venait de la région du Kasaï, au centre de la RDC. L'histoire d'Ota Benga couvre les pages les plus honteuses de l'époque contemporaine de l'histoire de l'humanité. Ce livre expose cette histoire par devoir de mémoire historique, et pour en appeler au respect et à la dignité humaine. Il se veut aussi être un plaidoyer pour la protection des Pygmées.
Batwa bazali ba Congolais ya pamba te (Les pygmées ne sont pas des sous-hommes)
Date de dernière mise à jour : lundi, 31 décembre 2018
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