Devoir de mémoire : Patrice Emery Lumumba l'inoubliable

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Patrice Emery Lumumba (né le  à Onalua, Congo belge, et mort assassiné le près du village de Mwadingusha au Katanga) est un homme d'État, premier Premier ministre de la République démocratique du Congo de juin à septembre 1960. Il est, avec Joseph Kasa-Vubu, l'une des principales figures de l'indépendance du Congo belge.

 

 

 

Patrice Lumumba

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Patrice Lumumba est considéré en République démocratique du Congo comme le premier « héros national » du pays.

 

 

Études et vie active

Patrice Émery Lumumba est né à Onalua (territoire de Katako-Kombe au Sankuru, Congo belge, dans l'actuelle République démocratique du Congo). Il fréquente l'école catholique des missionnaires puis, élève brillant, une école protestante tenue par des Suédois. Jusqu’en 1954 (année de la fondation d'un réseau d'enseignement laïque et de la première université), la Belgique coloniale n’a que peu développé le système d’éducation, entièrement confié aux missions religieuses. L'école ne donne qu’une éducation rudimentaire et vise plus à former des ouvriers que des clercs, mais Lumumba, autodidacte, se plonge dans des manuels d’histoire.

Il travaille comme employé de bureau dans une société minière de la province du Sud-Kivu jusqu’en 1945, puis comme journaliste à Léopoldville (aujourd'hui Kinshasa) et Stanleyville (Kisangani), période pendant laquelle il écrit dans divers journaux.

En septembre 1954, il reçoit sa carte d'« immatriculé », réservée par l'administration belge à quelques éléments remarqués du pays (200 immatriculations sur les 13 millions d'habitants de l'époque).

Il découvre, en travaillant pour la société minière, que les matières premières de son pays jouent un rôle capital dans l’économie mondiale, mais aussi que les sociétés multinationales ne font rien pour mêler des cadres congolais à la gestion de ces richesses. Il milite alors pour un Congo uni, se distinguant en cela des autres figures indépendantistes dont les partis constitués davantage sur des bases ethniques sont favorables au fédéralisme. L'historien congolais Isidore Ndaywel è Nziem précise : « Lumumba, à cause de son identité de Tetela, avait son électorat « naturel » dispersé dans l'ensemble du pays, ce qui l'obligeait à jouer une carte nationaliste unitaire »

Il ne plaide pas pour une indépendance immédiate, d'autant plus qu'il a pris conscience que les frontières du Congo belge et des colonies françaises, anglaises et portugaise voisines sont arbitraires, fixées par les puissances coloniales, ce qui posera un jour la question de répartir les richesses entre les futurs pays africains indépendants. En 1955, il crée une association « APIC » (Association du personnel indigène de la colonie) et aura l’occasion de s’entretenir avec le roi Baudouin en voyage au Congo, sur la situation sociale des Congolais.

Le ministre belge en charge à l'époque de la politique coloniale, Auguste Buisseret, veut faire évoluer le Congo et, notamment, développer un enseignement public. Lumumba adhère au Parti libéral, parti de ce ministre, et y attire des notables congolais. En 1956, il répand alors une lettre-circulaire parmi les membres de l'association des évolués de Stanleyville dont il est le président et dans laquelle il affirme : « Tous les Belges qui s'attachent à nos intérêts ont droit à notre reconnaissance… Nous n'avons pas le droit de saper le travail des continuateurs de l'œuvre géniale de Léopold II. » Et, en compagnie de plusieurs notables congolais, il se rend en Belgique sur invitation du Premier ministre.

C'est à cette époque que Patrice Lumumba écrit un livre sous le titre le Congo, terre d'avenir, est-il menacé ? Dans cet ouvrage il plaide pour une évolution pacifique du système colonial belge dont il reste partisan. Emporté par l'évolution rapide des événements qui vont mener à l'indépendance, Lumumba ne prend pas le temps de publier ce livre (il paraît à Bruxelles après sa mort).

 

 

 

 

Le combat pour l'indépendance

 

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En 1956, il est jugé pour avoir détourné des fonds des comptes de chèques postaux de Stanleyville et condamné à un emprisonnement d'un an. Il vit son incarcération comme une injustice puisque, n'étant pas toujours payé, il considère n'avoir fait que prélever son dû. Libéré par anticipation, il reprend ses activités politiques et devient directeur des ventes d'une brasserie. En cette même année, il est président de l'Association des évolués de Stanleyville. C'est précisément à cette époque que le gouvernement belge prend quelques mesures de libéralisation : syndicats et partis politiques vont être autorisés en vue des élections municipales qui doivent avoir lieu en 1957. Les partis politiques congolais sont parrainés par ceux de Belgique et Lumumba, classé pro-belge par ses discours et ses rapports avec les libéraux belges, est inclus dans l’amicale libérale.

En 1958, à l'occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, première du genre après la guerre et qui a un grand retentissement dans le monde, des Congolais sont invités en Belgique, dont Patrice Lumumba. Mécontent de l'image paternaliste peu flatteuse du peuple congolais présentée par l'exposition, Lumumba se détache des libéraux et, avec quelques compagnons politiques, noue des contacts avec les cercles anti-colonialistes de Bruxelles. Dès son retour au Congo, il crée le Mouvement national congolais (MNC), à Léopoldville le 5 octobre 1958.

En décembre 1958, il est présent à la conférence d'Accra, qui constitue pour lui un tournant politique essentiel. Il y rencontre, entre autres, l'Antillo-Algérien Frantz Fanon, le Ghanéen Kwame Nkrumah et le Camerounais Félix-Roland Moumié, qui ont notamment en commun d'insister sur les effets délétères du régionalisme, de l'ethnisme et du tribalisme qui selon eux minent l'unité nationale et facilitent la pénétration du néocolonialisme. À l'issue de la conférence, Lumumba, désormais fermement indépendantiste, est nommé membre permanent du comité de coordination.

De retour au Congo, il organise une réunion pour rendre compte de cette conférence et il y revendique l'indépendance devant plus de 10 000 personnes. Il décrit l'objectif du MNC en évoquant « la liquidation du régime colonialiste et de l'exploitation de l’homme par l'homme ».

En 1959, la répression s'abat sur les mouvements nationalistes. En janvier l'interdiction d'un rassemblement de l'ABAKO (association indépendantiste) fait officiellement 42 morts selon les autorités coloniales, mais plusieurs centaines selon certaines estimations. L'ABAKO est dissoute et son dirigeant, Joseph Kasa-Vubu, déporté en Belgique. En octobre, lors du congrès national du MNC à Stanleyville, les gendarmes tirent sur la foule faisant 30 morts et des centaines de blessés. Lumumba est arrêté quelques jours plus tard, jugé en janvier 1960 et condamné à 6 mois de prison le 21 janvier.

Débarrassées de Lumumba, qu'elles considéraient comme le chef de la tendance radicale des indépendantistes, les autorités belges organisent des réunions avec les indépendantistes. Une table ronde réunissant les principaux représentants de l'opinion congolaise a lieu à Bruxelles, mais les délégués congolais refusent unanimement de siéger sans Lumumba. Celui-ci est alors libéré en toute hâte le 26 janvier pour y participer. Alors qu'il espérait profiter des tendances contradictoires d'un ensemble hétéroclite, le gouvernement belge se trouve confronté à un front uni des représentants congolais et, à la surprise de ceux-ci, accorde immédiatement et « dans la plus totale improvisation » au Congo l'indépendance, qui est fixée au 30 juin 1960.

Des élections générales, les premières dans l'histoire du Congo encore belge, ont lieu en mai 1960, que remportent largement le Mouvement national congolais (MNC) de Patrice Lumumba. Le dirigeant de l'ABAKO Joseph Kasa-vubu, dans un souci d'unité nationale, est nommé président de la République et avalise aussitôt la nomination de Lumumba comme Premier ministre, ainsi que le prescrit la nouvelle constitution qui attribue ce poste au candidat du parti ayant remporté le plus de voix.

Le 30 juin, lors de la cérémonie d'accession à l'indépendance du pays, Lumumba — qui a définitivement largué les libéraux et qui s'est entouré de conseillers étrangers de gauche — prononce un discours virulent dénonçant les abus de la politique coloniale belge depuis 1885. Il prend le contre-pied de la politique modérée de ses débuts telle qu'on peut la découvrir dans son livre Le Congo, terre d'avenir est-il menacé ?, écrit en 1956, où il ne revendiquait pour le Congo qu'un simple statut d’autonomie. Au lieu de s'adresser au roi des Belges présent à la cérémonie, et qui venait de prononcer un discours paternaliste convenu avec le président Kasa-vubu, Lumumba commence son allocution par une salutation « aux Congolais et Congolaises, aux combattants de l'indépendance. » Son discours, qui doit lui permettre de l'emporter sur Kasa-vubu dans l'opinion des Congolais politisés[réf. nécessaire], proclame vivement que l'indépendance, qu'il souhaite associée à l'unité africaine, marque la fin de l'exploitation et de la discrimination et le début d'une ère nouvelle de paix, de justice sociale et de libertés. Le roi des Belges se sent offensé alors qu'il se considère comme le père de l'indépendance congolaise ayant été l'auteur, en janvier 1959, d'un discours radiophonique par lequel il est le premier Belge à annoncer officiellement qu'il fallait mener le Congo belge à l'indépendance « sans vaine précipitation et sans atermoiement funeste ». Aussi, Baudouin veut-il se retirer et regagner Bruxelles. Mais le Premier ministre belge Gaston Eyskens parvient à l'en dissuader et, le soir même, lors d'un banquet réunissant hommes politiques congolais et belges, Patrice Lumumba s'efforce de préciser ses paroles prononçant un discours qui se veut lénifiant dans lequel il évoque un avenir de coopération belgo-congolaise.

 

Une brève carrière politique
 
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En 1960, deux ans après le Ghana, le Congo accueille à son tour une conférence panafricaine. Confronté à la sécession du Katanga (vaste province au sud du pays) soutenue par la Belgique, Lumumba dénonce le fédéralisme comme une manœuvre néocolonialiste : « Sous le camouflage du mot fédéralisme, on veut opposer les populations du Congo [...]. Ce que nous voyons aujourd'hui, c'est que ceux qui préconisent le fédéralisme, préconisent en réalité le séparatisme. Ce qui se passe au Katanga, ce sont quelques colons qui disent : Ce pays devient indépendant et toutes ses richesses vont servir à cette grande nation, la nation des Nègres. Non, il faut le Katanga État indépendant, de telle manière que demain c'est le grand capitalisme qui va dominer les Africains ».

Mais les effets du premier discours de Lumumba, retransmis par la radio, se font rapidement sentir dans la population congolaise. Les paroles en sont interprétées comme anti-belges, alors que les fonctionnaires belges restent présents à tous les échelons de l'administration congolaise et que, dans l'armée, le cadre d'officiers reste également belge en attendant la formation des premières promotions d'officiers congolais. Cette situation provoque, dans quelques casernes, une révolte qui gagne des populations civiles, surtout dans la capitale Léopoldville. Des officiers et aussi des cadres belges de l'administration sont chassés, malmenés et quelques-uns sont tués. Des émeutes visent les entreprises des Blancs, des pillages ont lieu, des femmes européennes sont violées. Dès lors, une grande majorité de cadres européens du gouvernement et des entreprises prennent la fuite avec leurs familles[réf. nécessaire].

Lumumba en profite pour évincer les officiers belges et décrète l'africanisation de l'armée, tout en doublant la solde des soldats. La Belgique, jugeant qu'on ne peut plus avoir confiance dans le gouvernement congolais et dans son armée pour rétablir la sécurité, répond par l'envoi de troupes pour protéger ses ressortissants à Léopoldville, la capitale située dans le bas-Congo, mais aussi dans d'autres régions. C'est notamment le cas au Katanga (riche région minière, dominée par la puissante entreprise de l'Union minière du Haut Katanga), où 9 000 soldats belges viennent soutenir la sécession de cette province, proclamée le 11 juillet 1960 par Moïse Kapenda Tshombé. En tout, 11 000 soldats belges sont acheminés au Congo en dix jours, précédés par les troupes spéciales des paras-commandos. Cette intervention militaire surprend à l'étranger, et encore plus en Afrique, par l'ampleur des moyens mis en œuvre et par la rapidité de ce déploiement militaire. C'est que la Belgique, membre de l'OTAN, dispose, en Allemagne, d'une zone militaire suréquipée s'étendant de la frontière belge au rideau de fer. L'état-major belge dispose, de ce fait, d'une panoplie de ressources militaires, en partie d'origine américaine, qui lui permettent de déployer avions, transports de troupes et même des navires de la marine de guerre qui vont bombarder des positions congolaises dans l'estuaire du fleuve Congo. Tout cela avec l'accord de l'OTAN qui autorise, en pleine guerre froide, que soit dégarni le front belge d'Allemagne.

C'est un véritable conflit qui menace d'éclater, ce qui provoque l'internationalisation de l'affaire congolaise avec, à l'ONU, une condamnation par l'Union soviétique et des pays du tiers monde qui veulent soutenir Lumumba et ses partisans. L'ONU ordonne à la Belgique de retirer ses troupes, mais, après plusieurs résolutions contradictoires, rejette l'option militaire et qualifie le conflit au Katanga de « conflit intérieur ». Le 12 août, la Belgique signe un accord avec Tshombé, reconnaissant de facto l'indépendance du Katanga. Alors que Lumumba décide de réagir en envoyant des troupes reprendre la région, l'ONU revient sur sa position initiale et impose militairement un cessez-le-feu, empêchant l'entrée des troupes congolaises. Dans un télégramme en date du 26 aout, le directeur de la CIA Allen Dulles indique à ses agents à Léopoldville au sujet de Lumumba : « Nous avons décidé que son éloignement est notre objectif le plus important et que, dans les circonstances actuelles, il mérite grande priorité dans notre action secrète »8.

Devant la « trahison » de l'ONU, Lumumba en appelle à la solidarité africaine et réaffirme son intention de résister : « Tous ont compris que si le Congo meurt, toute l'Afrique bascule dans la nuit de la défaite et de la servitude. Voilà encore une fois la preuve vivante de l'Unité africaine. Voilà la preuve concrète de cette unité sans laquelle nous ne pourrions vivre face aux appétits monstrueux de l'impérialisme. […] Entre l'esclavage et la liberté, il n'y a pas de compromis ». Le 4 septembre 1960, le président Joseph Kasa-Vubu annonce à la radio la révocation de Lumumba ainsi que des ministres nationalistes, alors qu'il n'en a constitutionnellement pas le droit ; il le remplace le lendemain matin par Joseph Iléo. Toutefois, Lumumba déclare qu’il restera en fonction ; le Conseil des ministres et le Parlement lui votent une motion de maintien et, à son tour, Lumumba révoque le président Kasa-Vubu, sous l'accusation de haute-trahison. De plus, il appelle à Léopoldville une partie des troupes de l'Armée nationale congolaise (ANC) stationnées à Stanleyville et au Kasaï.

Cependant, un coup d'État (soutenu par la CIA), éclate à Léopoldville par lequel Joseph Désiré Mobutu prend le pouvoir. Le nouveau régime reçoit le soutien de Kasa-Vubu et de l'ONU. Ex-militaire, mais aussi ancien journaliste dans la presse congolaise pro-coloniale, Mobutu a repris du service dans l'armée congolaise avec le grade de colonel. Il crée immédiatement le Collège des Commissaires généraux composé de Noirs compétents dans divers domaines, transports, économie, politique, etc. chargés de gérer au plus pressé une situation chaotique. Dans le même temps, le 10 octobre, Mobutu assigne à résidence Lumumba, Ileo et leurs ministres. Mais Lumumba fait passer en secret un mot d'ordre demandant à ses amis politiques de le rejoindre à Stanleyville, où ils établissent un gouvernement clandestin dirigé par Antoine Gizenga. Le 27 novembre, Lumumba s'échappe avec sa famille de la résidence Tilkens, à Kalina, et tente de gagner Stanleyville avec une petite escorte à bord de sa Chevrolet. Son évasion n'est découverte que trois jours après. Grâce à cette avance, persuadé d'avoir réussi à échapper à ses ennemis, il harangue ses partisans sur son passage, ce qui lui fait perdre du temps et permet au major congolais Gilbert Mpongo (en), officier de liaison du service de renseignements, de le retrouver pour essayer de l'arrêter. Après un premier échec à Port-Francqui le 1er décembre, Mpongo réussit et Lumumba est arrêté à Lodi, dans le district de la Sankuru. Il est ensuite ramené à Mweka, où il est embarqué à bord d'un avion vers Léopoldville, d'où il est transféré au camp militaire Hardy de Thysville. Il se trouve alors sous la garde des hommes de Louis Bobozo (en), un militaire congolais, ancien de l'offensive belge de 1941 contre les Italiens d'Abyssinie, qui a la confiance de ceux qui croient pouvoir ramener le calme.


L'assassinat

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Tout d'abord, le transfert de Lumumba et de plusieurs de ses partisans au fort de Shinkakasa, à Boma, est envisagé. Mais, à la date du 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et deux de ses partisans, Maurice Mpolo et Joseph Okito (en), sont conduits par avion à Élisabethville, au Katanga, et livrés aux autorités locales. Lumumba, Mpolo et Okito seront conduits sous escorte militaire dans une petite maison, où ils seront ligotés et humiliés par des responsables katangais, dont Moïse Tshombé, Munongo, Kimba, Kibwe, Kitenge, mais aussi les Belges Gat et Vercheure. Ils seront ensuite fusillés le soir même, par des soldats sous le commandement d’un officier belge. En 2003, le documentaire télévisé CIA guerres secrètes explique que Mobutu a fait dissoudre le corps de son rival dans l'acide, après l'avoir fait assassiner. Il est en outre acquis que les États-Unis avaient tenté de faire assassiner Lumumba, mais le plan avait échoué ; l'opération avait été ordonnée par Allen Dulles, qui aurait mal interprété la volonté du président Dwight Eisenhower.

En 2000, le sociologue belge Ludo De Witte (en) publie, chez Karthala, L'Assassinat de Lumumba, dans lequel il met en cause les responsables belges, précisant que ce sont des Belges « qui ont dirigé toute l’opération du transfert de Lumumba au Katanga, jusqu’à sa disparition et celle de son corps ». La Belgique, de même que l'ONU, n'avait pas reconnu le Katanga comme État indépendant, mais certains officiers belges étaient encore en fonction. Le lendemain, une opération est menée par des agents secrets belges pour faire disparaître dans l'acide les restes des victimes découpées auparavant en morceaux. Plusieurs des partisans de Lumumba seront exécutés dans les jours qui vont suivre, avec la participation de militaires ou mercenaires belges. Tshombé lance alors la rumeur selon laquelle Lumumba aurait été assassiné par des villageois. Ceci déclenche une insurrection parmi la population paysanne, qui prend les armes sous la direction de Pierre Mulele, ancien ministre de l’Éducation, au cri de « À Lumumba » ou « Mulele Mai » les paysans conquièrent près de 70 % du Congo avant d’être écrasés par l’armée de Mobutu, soutenue par la Belgique et des mercenaires sud-africains.

Les faits selon la commission d'enquête belge
En 2001, la commission d'enquête belge sur l’événement présente ainsi les événements :

Arrêté à Port-Francqui le 1er décembre 1960, Lumumba est placé en détention à Thysville.

Les 12 et 13 janvier 1961, une mutinerie militaire éclate dans la ville, pour des raisons financières. C'est « la panique à Léopoldville. « On » craint que la libération de Lumumba et son retour soient imminents […]. Le Collège des Commissaires demande à Kasa-Vubu de transférer Lumumba « dans un endroit plus sûr ». […] Au nom du Collège des Commissaires [congolais], Kandolo insiste auprès du président Tshombe pour que Lumumba soit transféré au Katanga »17. L'ambassadeur belge au Congo, Dupret, en informe son gouvernement, et conseille : « il vous apparaîtra sans doute indiqué appuyer opération envisagée et insister auprès autorités katangaises ».

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À cette date, le gouvernement congolais et le gouvernement katangais sont encore en négociation, et se sentent tous les deux menacés par Lumumba et ses partisans. Le gouvernement katangais est ainsi en proie à des attaques de troupes lumumbistes dans le Nord-Katanga. Une action commune contre Lumumba est donc dans leur intérêt commun.

Le gouvernement congolais livre finalement son prisonnier au gouvernement katangais de Moïse Tshombe, le 17 janvier 1961. Il meurt le même soir, entre 21 h 40 et 21 h 43, d'après le rapport d'enquête belge.

Tshombe refuse d'assumer le décès de Lumumba, affirmant d'une part qu'il ne savait rien du transfert de Lumumba vers le Katanga, et d'autre part que son prisonnier est mort lors d'une tentative d'évasion.

Concernant la première affirmation, la commission d'enquête belge de 2001 est formelle « il y a trois déclarations du 18 janvier qui contredisent la version de Tshombe». Pour elle, Tshombe a bien donné son accord au transfert de Lumumba sur son territoire. Elle cite en particulier une déclaration officielle katangaise confirmant l'accord du gouvernement sécessionniste.

Concernant la seconde affirmation de Moïse Tshombe sur son absence d'implication dans la mort de Lumumba, la commission d'enquête indique d'abord « il apparaît que la reconstitution détaillée et illustrée des faits de ce 17 janvier est aléatoire ». Mais elle considère que plusieurs faits sont assez précis. À 16 h 50, l'avion de Lumumba atterrit. De 17 h 20 à 20 h 30, Lumumba et ses deux compagnons sont enfermés à la « maison Brouwez », « où il est certain que les prisonniers ont subi des mauvais traitements, de la part de leurs gardiens, mais aussi de la part de ministres katangais ». Il est possible « que le président katangais [ait] participé aux sévices, même si aucune source ne le prouve. […] Il semble hors de question qu'il n'ait pas vu les prisonniers dans la maison Brouwez, au moins lors du départ des prisonniers vers le lieu d'exécution ». La décision par Tshombe de l'exécution de Lumumba est donc certaine pour la commission, mais quatre représentants belges, qui soutiennent la sécession katangaise, y participent aussi : « le commissaire de police Frans Verscheure, le capitaine Julien Gat, le lieutenant Michels et le brigadier Son ». « Vers 21 h 15-21 h 30, Lumumba [et] ses compagnons arrivent sur le lieu de leur exécution. Ils vont être tués par balle, en présence du président Tshombe et de plusieurs de ses ministres. […] Lumumba […] meurt en dernier.»

La commission d'enquête note une forte implication anti-Lumumba du gouvernement belge, soutenant la sécession katangaise et agissant pour la déposition de l'ancien Premier ministre. Le roi Baudoin lui-même intervient (avant la mort de Patrice Lumumba), y compris en écrivant au président Kennedy, pour s'opposer à toute libération de Lumumba. De même, des Belges ont participé à l'exécution de Lumumba. L'implication belge dans la chute, puis la mort de l'ancien Premier ministre est donc forte. Mais pour la commission, la décision de tuer Lumumba vient de façon directe de Moïse Tshombe et de son gouvernement.

 

But1 Patrice Emery Lumumba : Lieu de son assassinat le 17 janvier 1961 

 

 


Postérité

Timbre soviétique de 1961.

Le général Mobutu Sese Seko consacre Patrice Lumumba héros national en 1966. Le retour d'Égypte de sa femme Pauline et de ses enfants est considéré comme un événement national. Le jour de sa mort, le 17 janvier, est un jour férié au Congo-Kinshasa.

C'est pour le punir de l'assassinat de Lumumba que Moïse Tshombe est détenu par l'Algérie entre juin 1967, date du détournement de son avion sur Alger par un agent mobutiste, et sa mort aux causes mal définies (officiellement, un arrêt cardiaque), en juin 1969.

À Moscou, l'université russe de l'Amitié des Peuples est renommée de son nom de 1961 à 1992.

À Bruxelles, le conseil municipal de Bruxelles-Ville vote le 23 avril 2018 la création d’une place Patrice-Lumumba, devant être officiellement inaugurée le 30 juin, date du 58e anniversaire de l’indépendance de la République démocratique du Congo23.

L'action des anciens colonisateurs en pleine guerre froide
Le rôle des puissances occidentales et celui des États-Unis en particulier a été fortement évoqué dans la mort de Lumumba. Ils craignaient une dérive du Congo vers l'URSS. En effet, Lumumba a fait appel aux Soviétiques lors de la sécession du Katanga, car l'ONU ne répondait pas à ses demandes d'aide militaire pour mettre fin à la guerre civile.

Les archives de la CIA déclassifiées depuis le 21 juin 2007 indiquent que la CIA a monté un plan d'assassinat de Lumumba11,24 :

« En novembre 1962, Monsieur (classé) a informé M. Lyman Kirpatrick qu'il avait, à un moment, reçu la consigne de M. Richard Bissel de porter la responsabilité d'un projet incluant l'assassinat de Patrice Lumumba, alors Premier ministre de la République du Congo. Selon (classé) la méthode devait consister en l'empoisonnement, puisqu'il a mentionné avoir reçu l'ordre de rencontrer le docteur Sidney Gottlieb afin de se procurer le mode d'administration. »

Ce plan était connu de la commission Church. Elle affirmait que le poison choisi pour éliminer Lumumba ne lui avait jamais été administré. Elle affirmait également qu'il n'y avait aucune preuve que les États-Unis aient été impliqués dans la mort de Lumumba.

Les États-Unis de Dwight Eisenhower voulaient éliminer Lumumba — pas forcément physiquement — pour éviter un basculement du géant africain dans le communisme et la Belgique voyait en lui et ses thèses d’indépendance économique une menace pour ses intérêts économiques notamment dans le secteur minier. Ces deux pays ont soutenu l’effort de guerre de Mobutu contre les Maï-Maï. Les mercenaires belges ont organisé l’opération Omegang exécutée en liaison avec une intervention des parachutistes belges pour écraser la résistance Maï-Maï au Kivu.

Si le meurtre de Lumumba paraît avoir été élucidé, c'est sous l’impulsion de François Lumumba qui a estimé en savoir assez pour porter plainte contre X sur la base des affirmations du sociologue belge Ludo De Witte. Le gouvernement belge a d'ailleurs reconnu, en 2002, une responsabilité dans les événements qui avaient conduit à la mort de Lumumba : À la lumière des critères appliqués aujourd'hui, certains membres du gouvernement d'alors et certains acteurs belges de l'époque portent une part irréfutable de responsabilité dans les événements qui ont conduit à la mort de Patrice Lumumba. Le Gouvernement estime dès lors qu'il est indiqué de présenter à la famille de Patrice Lumumba et au peuple congolais ses profonds et sincères regrets et ses excuses pour la douleur qui leur a été infligée de par cette apathie et cette froide neutralité ». Le 23 juin 2011, la famille de Patrice Lumumba a déposé plainte, à Bruxelles, contre une dizaine de Belges qu’elle considère comme impliqués dans l’assassinat27.


Sa famille


Patrice Lumumba était marié et père d'au moins six enfants avec Pauline Opanga Lumumba (née en 193728 – morte le 23 décembre 2014). Elle est la mère des six enfants de Patrice Lumumba et ne s'est jamais remariée, après la mort de celui-ci le 17 janvier 1961 : François, Patrice junior, Juliana, Roland, Christine (décédée en 1960) et Guy (né en 1961 après la mort de son père). Avant son emprisonnement, Lumumba s'est arrangé pour que son épouse légitime et les enfants, dont quatre issus de cette union plus François, puissent quitter le pays. Ils sont allés en Égypte où François a passé le reste de son enfance — étudiant au lycée français du Caire (lycée Bab El Louk) — avant d'aller en Hongrie poursuivre ses études. Il est revenu au Congo dans les années 1990, au début de la rébellion contre Mobutu, et a créé un petit mouvement politique lumumbiste. Bien que son mouvement demeure peu puissant, il reste impliqué dans la politique congolaise et tente de défendre les idées de son père. Juliana a occupé quelques portefeuilles ministériels sous Laurent-Désiré Kabila et s'investit au développement de l'éducation en RDC. Guy a été candidat malheureux lors de l'élection présidentielle qui s'est déroulée en 2006 au Congo. Depuis son apparition sur la scène politique, il entend poursuivre le défi de la relève au sein de la famille biologique et politique de Patrice Lumumba.

Lumumba dans la culture populaire

 

Cinéma

Juju Factory (2007), film de Balufu Bakupa-Kanyinda, RDCongo-Belgique, www.jujufactory.com.
Come Back, Lumumba (1991), du cinéaste estonien Aare Tilk.
Lumumba, la mort d’un prophète (1991) et Lumumba, retour au Congo (2000) du cinéaste haïtien Raoul Peck.
Lumumba (1999), du cinéaste Raoul Peck (film franco-germano-belge). Durée : 1 h 55.
Une mort de style colonial (Patrice Lumumba), film documentaire, 2008.


Vidéothèque

CIA : Projet MK-Ultra (documentaire de 26 min 14 s. Lumumba à partir de 19 min 46 s), présente la CIA et l’État belge comme commanditaires du meurtre de Lumumba.
Littérature
Rosa Amelia Plumelle-Uribe, Kongo, les mains coupées, Paris, Éd. Anibwé, 2010.
Laurent Demoulin, Ulysse Lumumba. Quatre variations sur un thème historique toujours brûlant, Mons, Éditions Talus d'approche (coll. Libre choix, 11) (ISBN 2-87246-081-0), 2000.
Jean Métellus, Lumumba le Grand, long poème en hommage à Patrice Lumumba dans le recueil Voix nègres, voix rebelles, Éd. Le temps des cerises, 2000.
Barbara Kingsolver, Les yeux dans les arbres, Paris, Éd. du Seuil, 1999.
Jean-Louis Lippert, Mamiwata, Éditions Talus d'approche, Mons, 1994 (ISBN 978-2872460199).
Jean-Louis Lippert, L'affaire du Satan de Stan, Éditions Talus d'approche, Mons, 2000 (ISBN 978-2872460731).


Musique

Dorothy Masuka, Lumumba (1961) - la chanson entraînera l'exil de son auteure
Bunny & Skitter, Lumumbo
Grand Kallé, chante Lumumba
Spencer Davis Group, Waltz for Lumumba
Rico Rodriguez, Lumumba
Pyroman et G.Kill, Affaire Non Classée (1999), sur l'album Le Jour PI
Nas, My country (2001), sur l'album Stillmatic
Ärsenik, P***** de poésie (2002), sur l'album Quelque chose a survécu
Youssoupha, Youssoupha Est Mort (2005), sur l'album Eternel Recommencement
Yuri Buenaventura, Patrice Lumumba (2005), sur l'album Salsa Dura
Maître Gims, 22h45 (2007), sur le street-album Le Renouveau
Monsieur R et Keny Arkana, De Buenos aires à Kinshasa (2007), sur l'album Le Che, Une Braise Qui Brûle Encore
Ekoué, Nord Sud Est Ouest (2008), sur l'album Nord Sud Est Ouest
Lalcko, Lumumba (2008), sur l'album Diamants de Conflits
Médine, Portrait chinois (2008), sur l'album Arabian Panther
Vincent Courtois et Ze Jam Afane, L'arbre Lumumba (2008), sur l'album Homme Avion
Ali, Opérationnel (2010) sur l'album Le Rassemblement
Lumumba RG [archive], Encore combien de temps 
Vicky Longomba (en), Vive Patrice Lumumba
Patrice Bart-Williams, Jah Jah Deh Deh
Violeta Parra, Rodríguez y Recabarren (aussi connue sous le titre Un río de sangre) sur l'album posthume Canciones reencontradas en París (1971)
Tiken Jah Fakoly, Foly sur l'album L'Africain (2007)
Teddy L, petit-fils de Patrice Lumumba, & Ange Nawasadio, Patrice Lumumba (2015)
Assoh Babylas, Lumumba sur l'album Taximan (2014)
Théâtre
Aimé Césaire auteur de la pièce de théâtre Une saison au Congo, Éd. Seuil, 2001 (éd. orig., 1966).
Jean Leroy, Les Funérailles de Monsieur Lumumba, Éd. du Cerisier en 2007.

 

Joseph Kabasele Tshamala "Grand Kallé" chante Lumumba héros  

 

Voir aussi
Bibliographie
Essais  :

Patrice Lumumba, Le Congo terre d'avenir est-il menacé ?, Office de publicité, Bruxelles, 1961.

 

 


Biographies 

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De Vos. P., Vie et mort de Lumumba, Paris, Calmann-Levy, 1961.
Revue Europe no 393, Patrice Lumumba, janvier 1962.
Hélène Tournaire et Robert Bouteaud, Le livre noir du Congo, Librairie académique Perrin, 1963.
Jean-Paul Sartre, La Pensée politique de Patrice Lumumba, paru d'abord dans Présence africaine (no 47, juillet-septembre 1963); puis comme préface de Jean Van Lierde, La pensée politique de Patrice Lumumba, textes et documents recueillis et présentés par Jean Van Lierde, Paris-Bruxelles, Éd. Présence africaine, 1963 ; repris dans Sartre, Situations V. Colonialisme et néo-colonialisme, Gallimard, 1964.
Jules Gérard-Libois, Jean Heinen, Belgique - Congo 1960. Le 30 juin pourquoi. Lumumba comment. Le portefeuille pour qui, Éditions De Boeck Supérieur, 1993.
Jean Van Lierde, Patrice Lumumba. La dimension d'un tribun nonviolent, Bruxelles, MIR-IRG, 1988.
J. Benot, La mort de Lumumba, Paris, 1989.
J. Brassine et J. Kestergat, Qui a tué Patrice Lumumba ? Paris-Louvain, Duculot, 1991 (théorie pro-belge).
Jean Tshonda Omasombo, Benoît Verhaegen, « Patrice Lumumba, jeunesse et apprentissage politique 1925-1956 », Paris, L'Harmattan, Cahiers africains, no 33-34, 1998.
Ludo De Witte, L'assassinat de Lumumba, Paris, Karthala, 2000.
Colette Braeckman, Lumumba, un crime d’État, Éd. Aden, 2002.
Jean Tshonda Omasombo, Benoît Verhaegen, « Patrice Lumumba, acteur politique. De la prison aux portes du pouvoir, juillet 1956-février 1960 », Paris, L'Harmattan, Cahiers africains, no 68-70, 2005.
Yvonnick Denoël, Le livre noir de la CIA, Nouveau monde éditions, 2007 (ISBN 2290017159).


Autres écrits :

Kyoni Kya Mulundu, Le Katanga et Lumumba : ou Les naïvetés unitaristes postcoloniales, Éditions, Edilivre, 2015.
Vos, Luc de Gerard, Emmanuel Gerard-Libols, Jules Raxhon, Les secrets de l'affaire Lumumba, Éd. Racine, 2010.
Thomas Kanza, Ascension et chute de Patrice Lumumba, Éditions Présence africaine, 2017 (ISBN 2873863412 et 9782873863418).
Ses discours :

Patrice Lumumba. Recueil de textes introduit par Georges Nzongola-Ntalaja, Éditions du CETIM, Genève, 96 pages, 2013, [2] [archive].
Congo, My Country, sl, Éditions Praeger, Coll. Books That Matter, 1962.
Jean Van Lierde, La pensée politique de Patrice Lumumba, textes et documents recueillis et présentés par Jean Van Lierde, Paris-Bruxelles, Éd. Présence africaine, 1963, préface de J.-P. Sartre.
Jean Van Lierde, Lumumba Speaks: The Speeches and Writings of Patrice Lumumba, 1958-1961, Boston, Little Brown and Company, 1972, traduit par Helen R. Lane.


 

 

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Discours

 

30 juin 1960 : Le discours foudroyant de Lumumba le jour de l'indépendance du Congo-Belge

 

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Patrice Émery Lumumba s'exprimait à l'occasion de l'indépendance congolaise. À Léopoldville, le Premier ministre évoquait, devant un roi des Belges médusé, la lutte pour l'émancipation. Retrouvez son discours en intégralité.

 

« Combattants de l’indépendance aujourd’hui victorieux, Je vous salue au nom du gouvernement congolais.
À vous tous, mes amis qui avez lutté sans relâche à nos côtés, je vous demande de faire de ce 30 juin 1960 une date illustre que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, une date dont vous enseignerez avec fierté la signification à vos enfants, pour que ceux-ci à leur tour fassent connaître à leurs fils et à leurs petits-fils l’histoire glorieuse de notre lutte pour la liberté.

Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal. Nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.

C’est une lutte qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable pour mettre fin à l’humiliant esclavage, qui nous était imposé par la force.

Ce que fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste, nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire.

Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres.

Nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des nègres.

Qui oubliera qu’à un noir on disait ‘Tu’, non certes comme à un ami, mais parce que le ‘Vous’ honorable était réservé aux seuls blancs !

Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort.

Nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres.

Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort elle-même.

Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les blancs et des paillotes croulantes pour les noirs ; qu’un Noir n’était admis ni dans les cinémas, ni dans les restaurants, ni dans les magasins dits ‘européens’ ; qu’un Noir voyageait à même la coque des péniches au pied du blanc dans sa cabine de luxe.

Qui oubliera, enfin, les fusillades où périrent tant de nos frères, ou les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’une justice d’oppression et d’exploitation

 

 

 

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[Exposé de Patrice Lumumba, Congrès pour la Liberté et la Culture», Université d'Ibadan. 22 mars 1959.

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Texte extrait du livre "La pensée politique de Patrice Lumumba" éditions Présence Africaine 1963 ]

 
Je remercie le «Congrès pour la Liberté et la Culture» et l'Université d'Ibadan pour l'aimable invitation qu'ils ont bien voulu m'adresser pour assister à cette Conférence Internationale où l'on discute du sort de notre chère Afrique. C'est une satisfaction pour moi de rencontrer ici plusieurs Ministres Africains, des hommes de lettres, des syndicalistes, des journalistes et des personnalités internationales, qui s'intéressent aux problèmes de l'Afrique. 

C'est par ces contacts d'homme à homme, par des rencontres de ce genre que les élites africaines pourront se connaître et se rapprocher afin de réaliser cette union qui est indispensable pour la consolidation de l'unité africaine. 

En effet, l'unité africaine tant souhaitée aujourd'hui par tous ceux qui se soucient de l'avenir de ce continent, ne sera possible et ne pourra se réaliser que si les hommes politiques et les dirigeants de nos pays respectifs font preuve d'un esprit de solidarité, de concorde et de collaboration fraternelle dans la poursuite du bien commun de nos populations. 

C'est pourquoi l'union de tous les patriotes est indispensable, surtout pendant cette période de lutte et de libération. Les aspirations des peuples colonisés et assujettis sont les mêmes; leur sort est également le même. D'autre part, les buts poursuivis par les mouvements nationalistes, dans n'importe quel territoire africain, sont aussi les mêmes. Ces buts, c'est la libération de l'Afrique du joug colonialiste.

Puisque nos objectifs sont les mêmes, nous atteindrons facilement et plus rapidement ceux-ci dans l'union plutôt que dans la division. 

Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyées les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué -et elles contribuent encore -au suicide de l'Afrique. 

Comment sortir de cette impasse '? 

Pour moi, il n'y a qu'une voie. Cette voie, c'est le rassemblement de tous les Africains au sein des mouvements populaires ou des partis unifiés.

Toutes les tendances peuvent coexister au sein de ces partis de regroupement national et chacun aura son mot à dire tant dans la discussion des problèmes qui se posent au pays, qu'à la direction des affaires publiques. 

Une véritable démocratie fonctionnera à l'intérieur de ces partis et chacun aura la satisfaction d'exprimer librement ses opinions. 

Plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l'oppression, à la corruption et aux manoeuvres de division auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du « diviser pour régner» . 

Ce souhait d'avoir dans nos jeunes pays des mouvements ou des partis unifiés ne doit pas être interprété comme une tendance au monopole politique ou à une certaine dictature. Nous sommes nous-mêmes contre le despotisme et la dictature. 

Je veux attirer l'attention de tous qu'il est hautement sage de déjouer, dès le début, les manoeuvres possibles de ceux qui voudraient profiter de nos rivalités politiques apparentes pour nous opposer les uns aux autres et retarder ainsi notre libération du régime colonialiste. 

L'expérience démontre que dans nos territoires africains, l'opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie, n'est pas souvent inspirée par le souci du bien général; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, si pas l'unique mobile. 

Lorsque nous aurons acquis l'indépendance de nos pays et que nos institutions démocratiques seront stabilisées, c'est à ce moment là seulement que pourrait se justifier l'existence d'un régime politique pluraliste. 

L'existence d'une opposition intelligente, dynamique et constructive est indispensable afin d'équilibrer la vie politique et administrative du gouvernement au pouvoir. Mais ce moment ne semble pas encore venu et ce serait desservir le pays que de diviser aujourd'hui nos efforts. 

Tous nos compatriotes doivent savoir qu'ils ne serviront pas l'intérêt général du pays dans des divisions ou en favorisant celles-ci, ni non plus dans la balkanisation de nos pays en de petits états faibles. 

Une fois le territoire national balkanisé, il serait difficile de réinstaurer l'unité nationale. 

Préconiser l'unité africaine et détruire les bases mêmes de cette unité, n'est pas souhaiter l'unité africaine 

Dans la lutte que nous menons pacifiquement aujourd'hui pour la conquête de notre indépendance, nous n'entendons pas chasser les Européens de ce continent ni nous accaparer de leurs biens ou les brimer. Nous ne sommes pas des pirates. 

Nous avons au contraire, le respect des personnes et le sens du bien d'autrui. Notre seule détermination -et nous voudrions que l'on nous comprenne -est d'extirper le colonialisme et l'impérialisme de l' Afrique. Nous avons longtemps souffert et nous voulons respirer aujourd'hui l'air de la liberté. Le Créateur nous a donné cette portion de la terre qu'est le continent africain; elle nous appartient et nous en sommes les seuls maîtres. C'est notre droit de faire de ce continent un continent de la justice, du droit et de la paix. 

L'Afrique toute entière est irrésistiblement engagée dans une lutte sans merci contre le colonialisme et l'impérialisme. Nous voulons dire adieu à ce régime d'assujetissement et d'abâtardissement qui nous a fait tant de tort. Un peuple qui en opprime un autre n'est pas un peuple civilisé et chrétien. 

L'Occident doit libérer l' Afrique le plus rapidement possible. L'Occident doit faire aujourd'hui son examen de conscience et reconnaître à chaque territoire colonisé son droit à la liberté et à la dignité. 

Si les gouvernements colonisateurs comprennent à temps nos aspirations, alors nous pactiserons avec eux, mais s'ils s'obstinent à considérer l' Afrique comme leur possession, nous serons obligés de considérer les colonisateurs comme ennemis de notre émancipation. Dans ces conditions, nous leur retirerons avec regret notre amitié. 

Je me fais le devoir de remercier ici publiquement tous les Européens qui n'ont ménagé aucun effort pour aider nos populations à s'élever. L'humanité tout entière leur saura gré pour la magnifique oeuvre d'humanisation et d'émancipation qu'ils sont en train de réaliser dans certaines parties de l' Afrique. 

Nous ne voulons pas nous séparer de l'Occident, car nous savons bien qu'aucun peuple au monde ne peut se suffire à lui même. Nous sommes partisans de l'amitié entre les races, mais l'Occident doit répondre à notre appel Les occidentaux doivent comprendre que l'amitié n'est pas possible dans les rapports de sujétion et de subordination. 

Les troubles qui éclatent actuellement dans certains territoires africains et qui éclateront encore ne prendront fin que si les puissances administratives mettent fin au régime colonial. C'est la seule voie possible vers une paix et une amitié réelles entre les peuples africains et européens. 

Nous avons impérieusement besoin de l'apport financier , technique et scientifique de l'Occident en vue du rapide développement économique et de la stabilisation de nos sociétés. 

Mais les capitaux dont nos pays ont besoin doivent s'investir sous forme d'entraide entre les nations. Les gouvernements nationaux donneront toutes les garanties voulues à ces capitaux étrangers. 

Les techniciens occidentaux auxquels nous faisons un pressant appel viendront en Afrique non pour nous dominer mais bien pour servir et aider nos pays. Les Européens doivent savoir et se pénétrer de cette idée que le mouvement de libération que nous menons aujourd'hui à travers toute l'Afrique, n'est pas dirigé contre eux, ni contre leurs biens, ni contre leur personne, mais simplement et uniquement, contre le régime d'exploitation et d'asservissement que nous ne voulons plus supporter. S'ils acceptent de mettre immédiatement fin à ce régime instauré par leurs prédécesseurs, nous vivrons avec eux en amis, en frères. 

Un double effort doit être fait pour hâter l'industrialisation de nos régions et le développement économique du pays. Nous adressons un appel aux pays amis afin qu'ils nous envoient beaucoup de capitaux et de techniciens. 

Le sort des travailleurs noirs doit aussi être sensiblement amélioré. Les salaires dont ils jouissent actuellement sont nettement insuffisants. Le paupérisme dans lequel vivent les classes laborieuses est à la base de beaucoup de conflits sociaux que l'on rencontre actuellement dans nos pays. A ce sujet, les syndicats ont un grand rôle à jouer, rôle de défenseurs et d'éducateurs. Il ne suffit pas seulement de revendiquer l'augmentation des salaires, mais il est aussi d'un grand intérêt d'éduquer les travailleurs afin qu'ils prennent conscience de leurs obligations professionnelles, civiques et sociales, et qu'ils aient également une juste notion de leurs droits. 

Sur le plan culturel, les nouveaux états africains doivent faire un sérieux effort pour développer la culture africaine. Nous avons une culture propre, des valeurs morales et artistiques inestimables, un code de savoir-vivre et des modes de vie propres. Toutes ces beautés africaines doivent être développées et préservées avec jalousie. Nous prendrons dans la civilisation occidentale ce qui est bon et beau et rejetterons ce qui ne nous convient pas. Cet amalgame de civilisation africaine et européenne donnera à l'Afrique une civilisation d'un type nouveau, une civilisation authentique correspondant aux réalités africaines. 

Des efforts sont aussi à faire pour la libération psychologique des populations. On constate chez beaucoup d'intellectuels, un certain conformisme dont on connaît les origines. 

Ce conformisme provient des pressions morales et des mesures de représailles qu'on a souvent exercées sur les intellectuels noirs. Il suffisait de dire la vérité pour que l'on fut vite taxé de révolutionnaire dangereux, xénophobe, meneur, élément à surveiller, etc. 

Ces manoeuvres d'intimidation et de corruption morale doivent prendre fin. Il nous faut de la véritable littérature et une presse libre dégageant l'opinion du peuple et non plus ces brochures de propagande et une presse muselée. 

J'espère que le « Congrès pour la Liberté de la Culture nous aidera dans ce sens. Nous tendons une main fraternelle à l'Occident. qu'il nous donne aujourd'hui la preuve du principe de l'égalité et de l'amitié des races que ses fils nous ont toujours enseigné sur les bancs de l'école, principe inscrit en grands caractères dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Les Africains doivent jouir, au même titre que tous les autres citoyens de la famille humaine, des libertés fondamentales inscrites dans cette Déclaration et des droits proclamés dans la Charte des Nations Unies. 

La période des monopoles des races est révolue. 

La solidarité africaine doit se concrétiser aujourd'hui dans les faits et dans les actes. Nous devons former un bloc pour prouver au monde notre fraternité. Pour ce faire, je suggère que les gouvernements déjà indépendants apportent toute leur aide et appui aux pays non encore autochtones. 

Pour favoriser les échanges culturels et le rapprochement entre les pays d'expression française et ceux d'expression anglaise, il faudrait rendre l'enseignement du français et de l'anglais obligatoire dans toutes les écoles d'Afrique. La connaissance de ces deux langues supprimera les difficultés de communication auxquelles se heurtent les Africains d'expression anglaise et ceux d'expression française lorsqu'ils se rencontrent. 

C'est là un facteur important d'interpénétration. 

Les barrières territoriales doivent aussi être supprimées dans le sens d'une libre circulation des Africains à l'intérieur des états africains. 

Des bourses d'études seraient également à prévoir en faveur d'étudiants des territoires dépendants. 

Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour rendre publiquement hommage au Dr Kwamé Nkrumah et à M. Sékou Touré d'avoir réussi à libérer nos compatriotes du Ghana et de la Guinée. 

L' Afrique ne sera vraiment libre et indépendante tant qu'une partie quelconque de ce continent restera sous la domination étrangère. 

Je conclus mon intervention par ce vibrant appel : Africains, levons-nous ! 

Africains, unissons-nous ! 

Africains, marchons main dans la main avec ceux qui veulent nous aider pour faire de ce beau continent un continent de la liberté et de la justice. 

Source: « Textes et Documents », no 123, Ministère des Affaires Étrangères, Bruxelles. 

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Patrice Emery Lumumba (Premier ministre) – [à gauche] ... Le 14 septembre 1960 et le colonel-major Joseph-Désiré Mobutu (Chef de l'armée nationale Congolaise ANC)

 

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Patrice Emery Lumumba et Joseph-Désiré Mobutu

 

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Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo, Joseph Kasa-Vubu, président du Congo et Baudouin Ier, roi des Belges, le 30 juin 1960. © DR

 

Date de dernière mise à jour : samedi, 19 janvier 2019

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