Le tourisme est le premier secteur économique de l’économie mondiale, avant le secteur pétrolier, avant l’industrie automobile. Il est également un gros pourvoyeur d’emploi, avec 74 millions d’emplois directs et 250 millions indirects dans le monde.
898 millions de touristes en 2007 (croissance de 6.5 % par an entre 1950 et 2007) 1,1 milliards de touristes en 2010 selon OMT, et 1,6 milliards en 2020 : le tourisme ne connaît pas la crise. Les recettes du tourisme international s’élèvent à 733 milliards € en 2006, soit 2 milliards € par jour!
Et en RD Congo?
Réflexion sur le type de tourisme à développer, les moyens à mettre en œuvre et les dérives à éviter.
Réflexion sur le type de tourisme à développer, les moyens à mettre en œuvre et les dérives à éviter.
Il y a une attente énorme de la part de la population qui n’a que trop souffert durant ces dernières décennies : décolonisation bâclée, dictature et mal gouvernance, corruption à tous les niveaux, pillages, guerres, et forcément récession économique… Vu de l’extérieur, le Congo n’était plus qu’un nom de pays, presque un «non pays», synonyme de désintérêt international, de désinvestissements, de déglingue. Dans la presse on ne parlait que de problèmes… Évoquer le tourisme dans ces conditions, relevait de l’utopie complète…
Pourtant, grand comme 80 fois la Belgique et 4 fois la France, 2345000 km², la RDC a des atouts majeurs pour séduire. Dans les années 70 et 80 encore, des visiteurs venaient visiter les parcs et arpenter les plus beaux paysages. Mais aujourd’hui plus rien…
Aujourd’hui, la RD Congo reste certainement l’un des pays le plus diversifiés et plus beaux du monde, c’est vrai, mais des paysages extraordinaires il y en a aussi ailleurs. De même que des chutes d’une beauté à couper le souffle, une faune endémique, des grottes profondes, une flore remarquable et des rivières sauvages… Et tant que ces atouts ne sont pas mis en valeur, organisés, accessibles et sécurisés, le tourisme congolais restera longtemps encore une illusion et les touristes continueront de se rendre partout sauf au Congo.
Pour qu’il y ait tourisme, il faut que quatre paramètres essentiels soient réunis :
• le goût de l’exotisme, de la découverte d’autres cultures ;
• de l’argent disponible pour des activités non essentielles ;
• du temps libre;
• des infrastructures et des moyens de communication sécurisants et facilitant le voyage et le séjour.
Quel type de tourisme développer ?
Il faut éviter de vouloir développer au Congo un tourisme inadéquat, c’est-à-dire en porte à faux par rapport à ses réalités et aux besoins de la population aujourd’hui.
La RDC, on le sait, est fragilisée par une longue période d’instabilité économique et sociale. Son administration est défaillante, les infrastructures laissées à l’abandon, les routes en piteux état, etc.
Et dans un contexte touristique international extrêmement concurrentiel, il est impensable, et d’ailleurs non souhaitable, d’envisager un tourisme de masse; un tourisme qui risquerait de détruire plutôt que de construire en ignorant des vrais besoins de la population. En revanche, la RDC devrait pouvoir se positionner sur le marché international du tourisme comme destination africaine courue et originale. À condition de vouloir créer un tourisme adapté qui préserve autant l’héritage naturel lié à l’environnement que l’héritage culturel lié à l’identité et à la dignité des personnes.
Plus qu’une fin en soi, le tourisme doit être un moyen pour les Congolais de se réapproprier leur pays d’une part, et se relier avec l’extérieur d’autre part. Ce doit être aussi un alibi pour dynamiser des connections transversales vers les autres secteurs indispensables à la remise sur pied du pays (éducation, santé, agriculture, économie, industrie, culture, transport, environnement, urbanisation…).
Pour savoir si le tourisme est réellement utile au développement du pays et s’il apporte une valeur ajoutée à la population, certaines questions sont à se poser.
Le tourisme contribue-t-il à :
• assurer une gestion de l’environnement de manière durable;
• renforcer la formation de la population et lui procurer des emplois stables et rémunérateurs ;
• moderniser les infrastructures et les services (routes, hôtellerie, transport, eau et électricité, voirie…);
• permettre au pays de commencer à s’affranchir des aides extérieures et des importations agro-alimentaires ;
• développer une agriculture adaptée et capable de nourrir non seulement les visiteurs et les touristes mais aussi les Congolais eux-mêmes ;
• obliger l’État à prendre ses responsabilités, notamment en aménagement et entretien des infrastructures de transport;
• maintenir la paix et la sécurité;
• permettre de faire la promotion du pays à donner une image valorisante vers l’extérieur;
L’agriculture, la voie royale
Puisque certaines formes de tourismes ne sont pas envisageables aujourd’hui au Congo (et d’autres carrément pas souhaitables), sur quels secteurs pouvons-nous nous appuyer? En dehors des villes, l’axe majeur sur lequel le tourisme pourrait se greffer c’est certainement l’agriculture, qui occupe déjà près de 2/3 de la population.
Il ne faut pas trop prendre en compte les modèles existant dans le monde, mais surtout, partir des réalités de la RDC et innover. Et la réalité de la RDC est que le potentiel de développement agricole (y compris la pêche) est gigantesque et paradoxalement peu développé aujourd’hui. C’est donc le secteur à développer prioritairement pour le bienêtre de la population et le maintien de celleci dans les campagnes (éviter l’exode rural massif) et pour la préservation de la nature. L’agriculture au Congo est potentiellement capable de nourrir toute l’Afrique. Tous les ingrédients sont là. Il «suffit» juste de faire de ce vœu une volonté politique. Mais une volonté politique qui concerne l’ensemble de la population. Et c’est d’ailleurs ce qui est en train se mettre en place, tant à l’échelon national que provincial.
Pas simple sans doute, mais quel défi pour ce 21e siècle!!
Il s’agit donc de définir des axes de développement du tourisme dans une perspective de durabilité, de respect de l’environnement et en partenariat avec les populations locales. Il faut toutefois que cela ne nécessite dans un premier temps en tout cas, de gigantesques investissements financiers (dont ni l’État ni les privés congolais ne disposent) de la part de groupes agro-industriels étrangers qui auront tôt fait de confisquer la terre et les profits comme c’est déjà le cas dans de nombreux pays pauvres. Respecter cette charte relève une fois encore de la responsabilité politique. Les investissements prioritaires doivent être consentis pour le secteur agricole mais servir les autres secteurs dont celui du tourisme.
Dans cette perspective il est indispensable de préciser le rôle de l’État central, et des entités décentralisées d’une part, et celui du secteur privé, de la société civile et des bailleurs de fonds d’autre part.
Eco tourisme
L’«Eco tourisme» est une déclinaison du tourisme qui devient depuis quelques années très prisé par les touristes occidentaux. Cette forme de tourisme est particulièrement adaptée aux pays dotés de grands espaces naturels. De plus il ne nécessite pas obligatoirement d’infrastructures hyper modernes et énergétivores. Voilà des caractéristiques intéressantes dans un pays où le taux d’électrification n’atteint pas 8% et où la distribution d’eau n’est opérationnelle que dans certains quartiers des grandes villes …
Bien pratiqué, l’écotourisme est un tourisme complémentaire et non substitutif aux activités traditionnelles (élevage, pêche, agriculture). Il peut se développer au sein du monde paysan de manière communautaire avec une juste répartition des tâches et des bénéfices. C’est un tourisme qui combine rentabilité économique et durabilité sociale et environnementale. Il est capable de valoriser les moyens disponibles et il maintient la propriété de la terre aux paysans.
Les pistes à suivre pour l’application de l’écotourisme peut rejoindre les «4 trésors» congolais : l’eau – les forêts – la terre – l’humain. Chaque trésor ou thème est inter relié avec les autres et organisé pour intégrer le tourisme. .
L’écotourisme permet de:
• commercialiser localement les denrées agricoles, la viande d’élevage et de brousse et le poisson;
• aménager des aires de logement en dur, sous huttes ou emplacements de tentes ;
• proposer le couvert;
• (ré)aménager les sites à voir;
• créer des activités touristiques avec accompagnement des touristes ; • créer des aires de chasse et de pêche;
• favoriser les rencontres et échanges ;
• baliser des circuits de randonnées ou de trekking ;
• fabriquer et commercialiser des objets artisanaux ;
• proposer des services de chauffeur, guide, piroguier…
• organiser des services de location de matériel, de vélos, de bateaux…
• assurer la maintenance des pistes qui servent tant à la circulation des produits agricoles qu’à celles des personnes ;
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Agriculture touristique
« L’agriculture touristique nous semble une piste intéressante et totalement adaptée à la RDC. Il s’agit d’une autre déclinaison de l’écotourisme, plus proche encore du secteur agricole.
« Le Congo doit développer son agriculture, c’est le secteur qui est aujourd’hui le plus susceptible de relancer le pays, d’enrayer l’exode rural, de nourrir la population et aussi de rééquilibrer la balance commerciale avec des exportations.
En Europe (et plus encore aux USA), l’agriculture est de plus en plus aux mains de quelques géants de l’agro-industriel. Et ces dernières années, de plus en plus d’agriculteurs ont été obligés d’abandonner le métier, parce que les investissements nécessaires devenaient trop importants. Dès lors pourquoi ne pas imaginer une association internationale qui permettrait à des agriculteurs européens mis sur la touche mais connaissant bien le métier, de contribuer à la relance de l’agriculture en partenariat avec les Congolais ? Tout en se gardant du temps pour circuler et voir du pays. Ces « touristes agricoles » forts de leur expertise appuieraient les organisations paysannes locales dans le cadre d’un schéma prédéfini avec les autorités provinciales et les partenaires techniques et financiers impliqués dans la développement. En échange, le gîte, le couvert et des échanges fructueux ».
Les «CARG» (Conseil agricole, rural et de gestion)
Avec la décentralisation et la mise en place du nouveau code agricole, des associations locales sont créées ou renforcées pour être sur le terrain. Le but de ces groupes est d’informer et motiver la population rurale à produire mieux en adoptant des techniques et des habitudes plus rentables et respectueuses de l’environnement. Dans l’ensemble du pays, au niveau des secteurs et territoires, se sont créés les CARG, des structures de concertation associant les différents acteurs du monde rural, l’exécutif et le législatif provincial, l’administration, le secteur privé, les associations et les syndicats paysans, les universités et centres de recherche, les congrégations religieuses. Chaque CARG est constitué de 1/3 de représentant de l’État et 2/3 de la Société Civile.
Comment mettre en adéquation la filière agriculture et la filière tourisme tout en respectant un certain mode de vie traditionnel à la population et en lui assurant des possibilités de gains complémentaires à ceux que lui apporte l’agriculture?
L’agriculture reste majoritairement une activité qui s’appuie sur une diversité de pratiques coutumières et rituelles et largement exercées par les femmes.
Il y a donc un important travail d’information et ensuite de formation à apporter aux représentants du monde paysan (collectivités, syndicats).
Les CARG constituent sans doute l’outil idéal pour transmettre cette information et tracer le cadre du développement de l’écotourisme et de l’agritourisme.
Conclusion
S’il reste beaucoup à faire en matière de tourisme, on se rend compte que ce n’est pas non plus insurmontable. Au Congolais, il y a une opportunité exceptionnelle de saisir la chance de (re-)développer son tourisme sans devoir sacrifier l’environnement et le facteur humain. Mais il est temps, car si les balises d’un tourisme responsable ne sont pas rapidement tracées, le risque est de se voir « confisquer » le secteur par les industriels du tourisme; avec un objectif de rentabilité maximale sans prendre en compte d’autres préoccupations. Plusieurs pays pauvres ont fait les frais de cette «confiscation» et s’en mordent les doigts.
Au Congo, pour le secteur du tourisme comme dans pour les autres secteurs, il va falloir innover, imaginer, être audacieux, afin d’apporter des solutions réellement adaptées aux problèmes, plutôt que d’emprunter des solutions usées et inadaptées venues d’ailleurs.
Philippe Wyvekens • Alain Huart
Tourisme autrement Asbl
Petit futé