Le 23/03/2018
En Afrique centrale, la chasse coutumière est une pratique courante. La venaison fait partie intégrante du régime alimentaire des populations rurales et urbaines, où elle participe au mode de vie et à la sécurité alimentaire. C’est également une source de revenus pour les ménages ruraux grâce à la commercialisation de la viande, au niveau local ou dans les grands centres urbains (Abernethy et al. 2013). Toutefois, dans de nombreuses régions, la pratique de la chasse est si forte qu’elle menace la faune sauvage plus fortement que la déforestation (Wilkie et Lee 2004). Cette activité peut entraîner l’extinction locale des espèces animales sauvages les plus vulnérables et la perturbation des processus écologiques et de la diversité biologique. En 1992, Redford utilisait le terme de «empty forests» (forêts vides) pour désigner ce phénomène (Nasi, Taber et van Vliet 2011).
Des restrictions des pratiques cynégétiques ont été instaurées dans la législation et la réglementation des pays du bassin du Congo, mais leur application est souvent inexistante. En République démocratique du Congo (RDC), la chasse doit être pratiquée avec un permis et elle n’est acceptée que pour permettre la subsistance des populations rurales et non pour alimenter une activité de commerce (selon la lettre de la loi). Cependant, tous les chasseurs vendent une partie de leurs prises, ce qui rend l’application des textes particulièrement difficile. Des règles spécifiques existent pour les espèces partiellement ou totalement protégées ainsi que dans les aires protégées, mais les moyens et la volonté politique manquent pour faire appliquer ces règles. La persistance du faible contrôle des pratiques de chasse villageoise – c’est-à-dire les pratiques qui ne s’intègrent pas dans les circuits internationaux de braconnage – en Afrique centrale s’avère d’autant plus étonnante qu’il existe aujourd’hui un vaste consensus sur l’importance alimentaire, sociale et culturelle de cette source de protéines et sur la dégradation forte des populations de nombreuses espèces animales (Fa et al. 2003).
La RDC a été divisée en deux zones représentant l’ensemble de la zone forestière du pays :
• Zone 1 : Kongo central, ex Bandundu, Équateur et Kasaï constituent la partie ouest du pays. Les envois de viande se font vers Kinshasa, avec plusieurs centres de consommation dans les zones périurbaines (Oshwe, Kikwit, etc.).
• Zone 2: Province Orientale, Maniema, Kivu, à l’est du pays constituent une zone forestière importante, avec des centres de consommation urbaine tels que Kisangani ou Bunia, plus proches des espaces forestiers.
Au total, le nombre de chasseurs en RDC est estimé de manière analogue, en se basant sur les projections disponibles auprès de l’Institut National des Statistiques (INS) et des chiffres de la Banque mondiale qui évaluent la population totale du pays à 74,8 millions d’habitants, dont 68 % en zone rurale.
Afin de prendre en compte tous les types de chasseurs (fréquents et occasionnels), on estime à 20 % le nombre de chasseurs sur l’ensemble de la population d’hommes adultes en zone rurale, soit presque 1 500 000 chasseurs en RDC. Le revenu des chasseurs peut être très variable en fonction du temps consacré à cette activité: certains chasseurs passent une majorité de leur temps en forêt tandis que d’autres ne chassent que ponctuellement. Les techniques utilisées et les espèces chassées influencent également le revenu des chasseurs.
En RDC, Abernethy et al. (2010) évaluent que le revenu d’un chasseur régulier oscille entre 8 $ et 120 $ par mois dans la zone de Salonga. Brousolle (2014) fait une enquête sur trois mois dans la zone de Kisangani et trouve un revenu mensuel entre 200 et 600 $ pour des chasseurs à temps plein. Lescuyer et al. (2015) estiment le revenu mensuel à 13 $ pour tous les profils de chasseurs. En recoupant avec les entretiens semi-directifs, on estime en moyenne le revenu des chasseurs à 22 $ par mois. On parvient alors à un montant annuel des ventes de gibier en zone rurale de 393 millions de dollars.
Bénéfice financier net en zone rurale Trois types de coûts sont associés au prélèvement et à la commercialisation du gibier en zone rurale:
1. Les coûts d’accès à la ressource :
Ils sont supposés inexistants dans notre étude. En effet, ils se composent de paiements aux autorités dites coutumières afin d’accéder à la forêt, et de paiements aux autorités administratives permettant d’exercer l’activité. Les chasseurs sont censés payer un permis de chasse et ceux qui possèdent un fusil doivent en complément posséder un certificat d’enregistrement des armes. Cependant, extrêmement peu de chasseurs règlent ces dépenses formelles. Il existe des coûts informels, notamment lorsqu’un propriétaire coutumier de la terre demande un paiement aux chasseurs pour accéder à son territoire. Mais ces coûts sont difficilement évaluables, et ne seront donc pas pris en compte dans cette étude.
2. Le coût des équipements:
Ces coûts sont différents selon les techniques de chasse. L’utilisation des pièges à câble ne nécessite pas un investissement très important puisque l’achat d’une bobine de fil de fer coûte entre 5 et 10 $ et permet d’installer entre 70 et 80 pièges. Un seul rouleau peut servir pendant une longue période, et il est possible de le réutiliser dans certains cas. Le piégeage étant pratiqué toute l’année, et se combinant à plusieurs autres activités, on prend en compte le coût en fonction du nombre de rouleaux utilisés par an.
En RD Congo, le prix du rouleau de câble standard est évalué à 4 $. Afin de traduire le coût d’utilisation des câbles, on considère qu’un chasseur achète entre un à quatre rouleaux par an selon les zones. La chasse au fusil nécessite un investissement préalable plus important. Tout d’abord, il faut avoir un fusil. Celui-ci peut s’acquérir via l’achat de fusils manufacturés ou artisanaux et la location auprès des commanditaires.
En RDC, le prix d’achat d’un fusil est estimé à 120 $ et la location à la journée est de 1,3 $ (soit le coût moyen d’une cartouche). Afin de faciliter le calcul, on ramène l’achat d’un fusil (amorti sur une période de 20 ans) et la location à un coût journalier. La proportion entre l’achat et la location est modulée en fonction des études effectuées sur le terrain par WCS et WWF. Le coût le plus important auquel fait face un chasseur est celui des cartouches. Les entretiens auprès des 12 chasseurs révèlent une utilisation allant de 10 à 25 cartouches pour sept jours de chasse, soit une fréquence entre 1,4 et 3,5 par jour. Une cartouche coûte 1,3 $. L’étude de la FAO estime la consommation de cartouches à 173,7 sur trois mois, soit 2 cartouches par jour de chasse, une moyenne qu’on applique aux deux zones (Broussolle 2014). 3. Les salaires: l’hypothèse prise est que les chasseurs travaillent à leur compte et ne se versent pas de salaire. Un chasseur peut partir entre 2 et 6 jours en forêt. Il a souvent besoin de l’aide d’une personne pour porter le gibier. Ce porteur obtient alors une part des gibiers rapportés ou encore une part du revenu de la vente. Les entretiens révèlent que les porteurs sont rémunérés à un tarif de 0,30 $/kg. Étant donné que certains chasseurs préfèrent partir seuls, ou ne payent pas de porteurs, car le portage peut être effectué par un enfant, on n’applique le coût du portage qu’à la moitié des chasseurs estimés. On multiplie alors ce chiffre par la quantité moyenne de gibier chassé par chasseurs. Tous ces coûts de fonctionnement ont été ramenés à une dépense journalière ou annuelle par chasseur afin de faciliter les calculs. Cela a également permis de moduler les coûts en fonction des caractéristiques propres aux zones définies.
En RDC, un chasseur passe environ 6 jours par mois à chasser durant toute l’année, soit 72 jours de chasse en moyenne par an (Broussolle 2014). Avec cette estimation du calendrier sur l’année, le calcul des coûts est adapté en fonction des zones plus ou moins forestières.
À Kindu, près du parc national de Lomami, ¼ seulement des chasseurs utilisent le fusil, tandis que 76 % utilisent seulement les pièges (Hart 2009). Ainsi, pour les zones utilisant plus souvent le fusil, on comptabilisera les dépenses journalières sur plus de jours par chasseur que pour les zones utilisant préférentiellement les pièges.
Enfin, il est nécessaire d’estimer la quantité de gibier commercialisée par les chasseurs, puisque certains coûts sont calculés sur la base du volume de viande produite. Ce calcul est effectué grâce aux premières estimations faites sur le chiffre d’affaires brut, soit 393 millions de dollars US par an en RDC.
Le prix de vente en zone rurale est estimé grâce aux études de marché. Abernethy (2010) évalue à environ 1,2 $/kg le prix de la viande et Brousolle (2014) estime le prix d’un céphalophe entre 0,75 et 1 $/kg, soit une moyenne de 0,97 $/kg.
En recoupant les chiffres d’affaires estimés et les prix au kilo obtenus, on obtient une quantité vendue annuelle de 400 000 tonnes. Ces chiffres ramenés au nombre de chasseurs permettent d’estimer la viande vendue par an et par chasseur à 267 kg (pour 1,5 million de chasseurs). Au total, les coûts annuels de fonctionnement sont de 172 $/personne. Avec un bénéfice financier de 259 $, on obtient un bénéfice par chasseur de 87 $. Le bénéfice financier net annuel de la chasse en zone rurale est donc d’environ 170 millions de dollars en RDC.
Évaluation des bénéfices financiers en zone urbaine
Bénéfice financier brut en zone urbaine
Estimation des bénéfices financiers en zone rurale en RDC
Les estimations effectuées en RD Congo en zone rurale oscillent autour de 40 g/pers./jour (De Merode et al. 2004; Semeki et al. 2014; Hart 2009). Ce ratio de consommation est divisé par deux pour les enfants. On obtient alors une moyenne annuelle de 100 000 tonnes de viande de brousse consommées à Kinshasa et 10 000 tonnes à Kisangani. Ces deux villes représentent 45,5 % du tissu urbain, ainsi pour l’ensemble de la zone urbaine, on estime les ventes de viande à 183 400 tonnes par an. Ce volume représente un peu moins que la moitié des ventes de gibiers réalisées par les chasseurs en zone rurale: une partie majoritaire du gibier vendu en zone rurale alimente en réalité les foyers ruraux ou les résidents de petites villes (voir photo ci-dessus), ce qui s’explique notamment par la densité humaine relativement élevée (pour le bassin du Congo) en zone forestière.
3 Estimation des bénéfices financiers en zone urbaine en RDC et au Congo
Publié par? l'Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)