Le 17/12/2019
EXPOSE DES MOTIFS
La crise des valeurs traditionnelles compte parmi les principaux maux qui, non seulement, minent l’unité et la cohésion nationales, mais aussi hypothèquent le développement intégral, harmonieux et durable de la République Démocratique du Congo.
Face à cette situation, la Constitution du 18 février 2006 reconnaît, en son article 207, l’autorité coutumière comme socle des valeurs traditionnelles.
La présente Loi est donc la mise en œuvre de cette exigence constitutionnelle. Elle vient s’ajouter à l’arsenal juridique sur l’organisation territoriale, administrative et politique en République Démocratique du Congo qui confère au chef coutumier, en plus des responsabilités coutumières, des charges administratives.
Elle prend en effet en compte les valeurs traditionnelles immuables et saines dans une société fondée sur le droit écrit, la démocratie, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme. Elle vise notamment à :
- affirmer le rôle protecteur du chef coutumier en ce qui concerne l’identité culturelle ainsi que les valeurs traditionnelles morales ;
- réaffirmer le caractère apolitique du chef coutumier ;
- réaffirmer l’implication du chef coutumier dans la sauvegarde de l’unité et de la cohésion nationales ;
- réserver aux seules structures reconnues par la coutume le droit et le pouvoir de désigner le chef coutumier ;
- confirmer le droit des pouvoirs publics de reconnaitre ou de prendre acte de la désignation du chef coutumier ;
- reconnaitre à l’autorité coutumière le droit d’être consulté par les pouvoirs publics ;
- ouvrir la possibilité de mise en place de commissions consultatives locales, provinciales et nationales pour le règlement des conflits coutumiers ;
- définir les voies de recours pour le chef coutumier lésé par les décisions et actes des autorités administratives hiérarchiques.
Par ailleurs, elle détermine les obligations du chef coutumier.
Dans cette perspective, un régime disciplinaire lui est appliqué.
La présente loi s’articule autour de six chapitres ci-après :
CHAPITRE Ier : Des dispositions générales
CHAPITRE II : De l’exercice de l’autorité coutumière
CHAPITRE III : Des droits, des obligations, du statut judiciaire et des incompatibilités
CHAPITRE IV : Du régime disciplinaire et des voies de recours
CHAPITRE V : Des conflits de pouvoir coutumier
CHAPITRE VI : Des dispositions finales Telle est l’économie générale de la présente loi
LOI N° 15/015 DU 25 AOUT 2015 FIXANT LE STATUT DES CHEFS COUTUMIERS
L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté ;
Le Président de la République promulgue la Loi dont la teneur suit :
CHAPITRE Ier: DES DISPOSITIONS GENERALES
Section 1ère : De l’objet et du champ d’application
Article 1er
La présente Loi fixe le statut des chefs coutumiers.
Elle s’applique au :
1. chef de chefferie ;
2. chef de groupement ;
3. chef de village, désigné conformément à la coutume locale.
Est chef coutumier, toute personne désignée conformément à la coutume locale, reconnue par les pouvoirs publics et chargée de diriger une entité coutumière.
Section 2 : Des définitions
Article 2
Au sens de la présente Loi, il faut entendre par :
1. autorité coutumière : pouvoir reconnu au chef coutumier et fonctionnant conformément à la coutume locale ou la personne revêtue de ce pouvoir ;
2. coutume locale : ensemble des usages, des pratiques et des valeurs qui, par l’effet de la répétition et revêtus d’une publicité, s’imposent, à un moment donné, dans une communauté, comme règles obligatoires ;
3. empêchement définit : toute situation qui, de manière définitive, rend impossible la poursuite de l’exercice des fonctions de chef coutumier ;
4. intronisation : ensemble de cérémonies et rites coutumiers exécutés conformément à la coutume locale après la désignation du nouveau chef en vue de son installation ;
5. pouvoir coutumier ; ensemble des mécanismes d’administration d’une communauté fondés sur les us et coutumes ;
6. terre des communautés locales : les terres occupées par les communautés locales qui y habitent, cultivent ou exploitent d’une manière quelconque, individuellement ou collectivement, conformément aux coutumes ou aux usages locaux.
CHAPITRE II : DE L’EXERCICE DE L’AUTORITE COUTUMIERE
Section 1ere : De la juridiction de l’autorité coutumière
Article 3
L’autorité coutumière s’exerce au sein des entités territoriales suivantes :
1. la chefferie ;
2. le groupement ;
3. le village, organisé sur base de la coutume locale.
Article 4
Le chef coutumier réside, selon le cas, au chef-lieu de la chefferie, du groupement ou dans son village.
Section 2 : Des conditions d’exercice des fonctions de Chef Coutumier
Article 5
Nul ne peut exercer les fonctions de chef coutumier s’il ne remplit les conditions suivantes :
1. être de nationalité congolaise ;
2. être âgé d’au moins 18 ans ;
3. être ayant droit à la succession ;
4. être de bonne moralité ;
5. n’avoir pas fait l’objet d’une condamnation irrévocable à une peine privative de liberté pour infraction intentionnelle ;
6. avoir un niveau minimum de formation scolaire.
Article 6
L’exercice des attributions de chef coutumier est subordonné à :
1. l’existence d’une entité territoriale reconnue ;
2. la présence d’une population ;
3. l’intronisation conformément à la coutume locale ;
4. l’investiture et la reconnaissance par les autorités publiques compétentes.
Article 7
Le pouvoir du chef coutumier prend fin dans les cas ci-après :
1. décès ;
2. abdication ;
3. empêchement définitif ;
4. déchéance conformément à la coutume locale.
Dans ce cas, l’intérim et le remplacement du chef sont organisés conformément aux dispositions pertinentes de la section 5 du présent chapitre.
Section 3 : De l’organisation de l’autorité coutumière
Article 8
L’autorité coutumière est exercée par le chef coutumier. Celui-ci est assisté, le cas échéant, par des structures de consultation ou de concertation selon la coutume locale.
Les chefs coutumiers peuvent créer des organisations civiles les regroupant dans le respect de la législation en vigueur.
Article 9
Les chefs coutumiers peuvent être consultés, à tout moment, par les autorités publiques sur toute question relative à l’exercice du pouvoir coutumier.
Section 4 : De la mission du chef coutumier
Article 10
Sans préjudice des prérogatives définies dans la Loi organique n° 08/016 du 07 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces et de la Loi organique n° 10/011 du 18 mai 2010 portant fixation des subdivisions territoriales à l’intérieur des provinces, le chef coutumier assure la pérennité des coutumes et la bonne marche de sa juridiction. A ce titre, il exerce les attributions spécifiques suivantes :
1. veiller à la cohésion, à la solidarité et à la justice sociale dans sa juridiction ;
2. sauvegarder et faire respecter les valeurs traditionnelles morales, le patrimoine culturel, les vestiges ancestraux dont les sites et lieux coutumiers sacrés ;
3. veiller, conformément à la Loi, à la protection des espaces fonciers qui relèvent des terres des communautés locales ;
4. promouvoir les relations de bon voisinage avec les entités voisines. Section
5 : De l’intérim et de la succession du Chef Coutumier
Article 11
Outre les cas prévus à l’article 7 de la présente Loi, l’intérim du chef coutumier intervient dans l’une des circonstances ci-après :
1. l’absence prolongée de son entité ;
2. la suspension de ses fonctions conformément au régime disciplinaire ;
3. l’exercice d’une fonction incompatible.
Article 12
Sans préjudice des dispositions des Lois mentionnées à l’article 10 de la présente Loi, en cas de vacance, l’intérim est assuré, s’il échet, conformément à la coutume locale.
L’intérim prend fin à la cessation de la circonstance qui l’a justifié.
Article 13
En cas de vacance de pouvoir dans une entité coutumière, l’agent administratif le plus gradé de l’entité avise, par écrit, selon le cas :
1. le gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie ;
2. le chef de chefferie ou de secteur pour le groupement ;
3. Ll chef de groupement pour le village.
Article 14
En cas de vacance, le gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie, le chef de chefferie ou de secteur pour le groupement, le chef de groupement pour le village, le bourgmestre pour le groupement incorporé, selon le cas, se rend sur le lieu et dresse le procès-verbal de constat de vacance de pouvoir coutumier.
Article 15
Si le successeur est connu, l’autorité visée à l’article précédent autorise l’installation.
Article 16
Dans le cas où le successeur n’est pas connu, l’autorité visée à l’article 14 de la présente Loi organise l’intérim et ouvre la voie à la succession. L’intérim du chef défunt est assuré, en tant qu’autorité coutumière, conformément à la coutume locale et tant qu’autorité administrative, conformément à la législation particulière en la matière.
Article 17
Pour pourvoir à la vacance, l’autorité visée à l’article 14 de la présente Loi se rend sur le lieu et dresse les procès-verbaux ci-après :
1. d’authenticité de l’arbre généalogique ;
2. d’audition des membres de la lignée du prétendant ayant droit à la succession ;
3. de témoignage, selon le cas, des chefs de groupement, des chefs de village et des notables voisins ;
4. de proclamation du chef désigné conformément à la coutume locale. Cette autorité établit un rapport auquel sont joints tous les procèsverbaux et le transmet à l’autorité compétente pour installation, investiture et reconnaissance.
CHAPITRE III : DES DROITS, DES OBLIGATIONS, DU STATUT JUDICIAIRE ET DES INCOMPATIBILITES
Section 1ere : Des droits
Article 18
Le chef coutumier a droit à des égards et au respect dus à sa dignité et à son rang.
Article 19
Le chef coutumier a droit à une rémunération décente, aux frais de représentation et autres dus aux animateurs des entités territoriales.
Article 20
Le chef coutumier bénéficie, en outre, des avantages suivants :
1. les frais à l’occasion des cérémonies officielles ou de son installation par l’administration ;
2. les soins de santé et les frais funéraires pour lui, son conjoint et ses enfants à charge ;
3. le transfèrement par les pouvoirs publics, en cas de décès en dehors de sa juridiction, de sa dépouille mortelle au chef-lieu de son entité.
Article 21
Le chef coutumier a droit à la protection sociale et à un passeport de service pour les missions officielles.
Article 22
Le chef coutumier reçoit, lors de son investiture, un brevet, un drapeau et un insigne comportant les armoiries de la République.
Section 2 : Des obligations
Article 23
Le chef coutumier affiche en tout temps et en toute circonstance un comportement digne.
Article 24
Les chefs coutumiers se doivent respect mutuel.
Toutefois, le chef coutumier d’une entité inférieure doit obéissance et déférence à celui d’une entité supérieure.
Article 25
Le chef coutumier est apolitique. Il ne prend part à aucune activité dirigée contre les autorités publiques. Sous peine des sanctions disciplinaires, il peut assister, comme observateur, aux activités des partis politiques organisées dans sa juridiction.
Article 26
Le chef coutumier règle les conflits coutumiers qui surgissent entre différentes communautés de son entité et en informe sa tutelle ou sa hiérarchie.
Article 27
Le chef coutumier informe, selon le cas, l’autorité de tutelle ou hiérarchique lorsqu’il s’absente de sa juridiction pour une période inférieure à trente jours. En cas d’absence de plus de trente jours, une autorisation préalable est requise.
Sans préjudice des formalités requises, la sortie du territoire national du chef coutumier est soumise à l’autorisation du Gouverneur de province.
Section 3 : Du statut judiciaire
Article 28
Les poursuites et l’arrestation contre le chef de chefferie sont soumises au régime des articles 10 et 13 du code de procédure pénale. Sans préjudice des pouvoirs reconnus aux officiers de police judiciaire, et sauf infraction flagrante, les chefs coutumiers autres que le chef de chefferie, ne peuvent faire objet d’arrestation que sur mandat du ministère public.
Section 4 : Des incompatibilités Article 29 Sans préjudice des dispositions de l’article 108 point 6 de la Constitution, la fonction de chef coutumier est incompatible avec celle de : 1. membre des forces armées ou de la police nationale ; 2. agent de carrière des services publics de l’Etat ; 3. magistrat ; 4. membre d’un parti politique ; 5. membre du Bureau d’un organe délibérant ; 6. membre du collège exécutif d’une entité territoriale décentralisée ; 7. un employé permanent. Les dispositions du point 6 ci-dessus ne s’appliquent pas au chef de chefferie, s’agissant du collège exécutif de la chefferie.
CHAPITRE IV : DU REGIME DISCIPLINAIRE ET DES VOIES DE RECOUS
Article 30
Le régime disciplinaire applicable au chef coutumier est fixé, selon le cas, par la Loi ou par la coutume locale.
Article 31
Tout manquement du chef coutumier aux devoirs de son état, à l’honneur et à la dignité de ses fonctions constitue une faute disciplinaire passible, selon le cas, des sanctions prévues par la Loi ou par la coutume locale.
Article 32
Le chef coutumier reconnu coupable de faute administrative dans l’exercice de ses fonctions, encourt, selon la gravité des faits, l’une des sanctions disciplinaires suivantes :
1. le blâme ;
2. la retenue du 1/3 du traitement pour une durée ne dépassant pas un mois ;
3. la privation de traitement pour une durée ne dépassant pas trois mois ;
4. la déchéance. Dans ce cas, la procédure disciplinaire applicable est mutatis mutandis celle applicable aux agents de carrière des services publics de l’Etat.
La déchéance est prononcée, selon le cas, par le ministre de la République ayant les affaires coutumières dans ses attributions pour le chef de groupement, par le gouverneur de province pour le chef de chefferie et par l’administrateur du territoire ou le bourgmestre pour le chef de village.
Le chef coutumier frappé d’une condamnation irrévocable à une peine privative de liberté supérieure à trois mois pour infraction intentionnelle est déchu d’office de ses fonctions.
Article 33
L’exercice illicite des fonctions ou prérogatives de chef coutumier est réprimé conformément au droit commun.
Article 34
Les recours contre les sanctions encourues par le chef coutumier en matière coutumière sont organisés conformément à la coutume locale. Les recours contre les sanctions administratives sont exercés conformément à la procédure applicable aux agents de carrière des services publics de l’Etat.
CHAPITRE V : DES CONFLITS DE POUVOIR COUTUMIER
Article 35
Les conflits de pouvoir coutumier surviennent en cas notamment de :
1. désignation du chef coutumier, même à titre intérimaire ;
2. usurpation du pouvoir ;
3. contestation des limites des entités coutumières ;
4. contestation des terres des communautés locales ;
5. revendication de création de nouvelles entités coutumières ;
6. soumission d’une entité coutumière à celle dont la coutume n’est pas la sienne.
Article 36
En cas de conflit né à l’occasion de l’exercice du pouvoir coutumier, le gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie, le chef de chefferie ou de secteur ou leurs délégués pour le groupement et le village s’impliquent de manière à contribuer à son règlement par voie de conciliation, de médiation ou d’arbitrage.
Il peut être créé au niveau du secteur ou de la chefferie, de la province et du ministère de la République ayant les affaires coutumières dans ses attributions une commission consultative de règlement des conflits coutumiers.
CHAPITRE VI : DES DISPOSITIONS FINALES
Article 37
La présente loi entre en vigueur à la date de sa promulgation.
Fait à Kinshasa, le 25 août 2015 Joseph KABILA KABANGE