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Ethnie Mbala (Bambala), peuple de la République démocratique du Congo
Les Mbala (peuple Bambala )
Le 15/04/2019
Quelques données sur l'histoire et la vie traditionnelle du peuple Mbala
D'un point de vue démographique, les Mbala sont plus nombreux que les autres ethnies et occupent de plus grands espaces dans la région du Kwango-Kwilu
Dans ce chapitre, nous explorons d'abord les différentes significations et les dérivés du terme mbala, puis nous nous penchons sur les origines du peuple Mbala et sur les migrations qui ont peu à peu conduit ce peuple vers les régions qui constituent aujourd'hui le Congo-Kinshasa. Enfin, nous décrivons l'organisation sociale traditionnelle des Mbala, leur vie sociale et culturelle, ainsi que les croyances qui animaient ce peuple avant l'arrivée des Blancs.
1.1 Des données historiques sur les origines, les migrations et l'installation du peuple Mbala au Congo
Pour retracer l'histoire de ce peuple, nous nous appuyons sur deux sources principales, soit la tradition orale et les écrits et recherches disponibles sur le sujet.
Certains auteurs, comme Rémi de Beaucorps (1941), Émile Torday et Thomas A. Joyce (1922), pensent qu'il est difficile d'établir les origines du peuple Mbala du Kwango-Kwilu. Cela est probablement dû au fait qu'ils n'avaient pas foi en la tradition orale qui leur avait été transmise par ce peuple lors de leurs premières enquêtes.
1.1.1 Que signifie le terme Mbala?
La première mention du vocable mbala provient de la tradition orale qui nous en donne diverses significations. Premièrement, le teme mbala sert a designer le raphia, un palmier poussant abondamment en Afrique équatoriale. Les lointains
ancêtres des Mbala se spécialisaient dans la fabrication de tissus partir de la fibre du rnbala (aussi appelé nkuka). C'est de cette spécialisation que proviendrait le nom du peuple mbala.
Le terme mbala sert également à designer une ethnie regroupant plusieurs tribus installées au Congo-Brazzaville et au Gabon.
On trouve une autre utilisation du mot mbala dans le nom Kongo-Mbala qui désigne le royaume fondé par les Mbala après qu'ils se soient separé des Bakongo du royaume de Kongo. Le pouvoir du souverain de ce royaume s'étendait depuis l'Angola, au San Salvador, jusqu'au Kwango, au Congo.
Histoire
1.1.2 Des origines à l'arrivée des blancs en 1482
Les origines les plus lointaines des Mbala remontent d'avant 1482, c'est-à-dire avant I'arrivée des premiers explorateurs portugais et avant l'inculturation du peuple kongo, car les similitudes incontestables prouvent que les Mbala ont leur origine vers le Kongo central et l'Angola, alors royaume de Kongo.
Le séjour des Mbala au royaume Kongo daterait d'avant le XVè siècle, bien avant l'arrivé des Européens. Au sujet des Kongo, Kilandamoko K. Mengi qui a étudié le processus d'évangélisation de ce peuple dont il fait lui-même partie,affirme qu'ils venaient du nord de i'Afrique et qu'ils avaient effectue plusieurs étapes migratoires vers l'an 2 000 avant Jésus-Christ, avant de s'installer dans la région qu'ils occupent actuellement. (Mengi, 1981 : 19.) Le parcours migratoire des Bakongo a fait que ce peuple est aujourd'hui reparti dans quatre zones, soit au Congo-Brazzaville, au Congo-Kinshasa et en Angola.
Comme les Bakongo et les peuples bantous en général, les Bambala ont connu eux aussi, selon la tradition orale, de nombreuses migrations à travers l'Afrique, avant d'arriver au Kwango-Kwilu. Les affirmations de Mengi au sujet des Kongo tendent à appuyer les récits de la tradition concernant les déplacements des Mbala. II faut noter qu'on trouve parmi les Kongo, comme parmi les Mbala, des indigènes appartenant aux différentes tribus qui habitaient, bien avant eux, les régions qu'ils ont
visitées au cours de leurs migrations'!
Comme on peut le remarquer, les Mbala ont subi de nombreuses influences culturelles au cours des siècles. II faut signaler que, pendant tout ce temps, les coutumes et les mœurs du peuple kongo se mélangeaient avec celles des peuples dont ils partageaient le territoire.
Torday et Joyce affirment :
La direction suivant laquelle les Bambala sont supposés être venus, nous induit à admettre comme possibles certaines connexions avec les tribus de l'Angola.
En effet, les ressemblances dont parlent ces deux auteurs sont nombreuses.
Nous n'en mentionnerons que quelques-unes. Ainsi, la langue kikongo, qui est une des quatre langues nationales d la RD Congo, est la langue officielle utilisée au Kongo central et partout au Kwango-Kwilu. Jusqu'en 1950, avant la reforme introduite par
la Belgique dans l'enseignement primaire et secondaire, les cours étaient donnés en kikongo. La langue est un des facteurs incontestables d’unité culturelle entre le peuple Mbala et les Bakongo. Ainsi, comme au Congo-Kinshasa, on trouve au Congo-Brazzaville une région appelée Kwilu. Dans le Kongo central, comme au Kwango, on a donné le nom de Kwilu à une rivière.
Rivière Kwilu
Le système de gouvernement traditionnel, que nous décrirons plus loin, est le même chez les Angolais, les Bakongo et les Mbala. II en va de même pour la filiation matrilinéaire qu'on retrouve chez les Mbala tout comme chez les Kongo. On peut également remarquer des ressemblances frappantes dans les traditions entourant le mariage. Chez les Kongo comme chez les Mbala, le mariage constitue un lien entre quatre clans, soit les clans maternel et paternel de la jeune femme et du jeune homme à marier. Les deux peuples suivent la même procédure dans les engagements matrimoniaux, qu'il s'agisse de la demande en mariage, des fiançailles, de la dot ou de la fête au cours de laquelle est célébrée un mariage. Les liens familiaux et leur définition sont aussi les mêmes chez les deux peuples.
Sur le plan religieux, il y a des similitudes irréfutables entre les deux peuples, qu'ils habitent en Angola, au Congo-Brazzaville, au Gabon ou au Congo-Kinshasa. L'emploi du vocable Nzambi pour designer Dieu, par exemple, et la façon dont ils l'invoquent depuis le temps de leurs ancêtres dans les cérémonies rattachées au versement de la dot, au mariage et pour différents aspects de la vie familiale et collective. La façon dont ces peuples célèbrent le culte des ancêtres est également tout à fait semblable.
Un autre exemple peut être tiré des pratiques alimentaires. Depuis le temps de leurs ancêtres jusqu'au milieu des années 1950, les Mbala et les Bakongo utilisaient le sel appelé mongu ou mung qu'ils ramassaient dans le sable au bord de la mer. Ce sel est différent du mukindu qui est une potasse extraite des plantes aquatiques que les Mbala appellent mukedi encore en usage aujourd'hui. Une autre potasse, qui ressemble au vinaigre fabriqué en Occident, est utilisée par ces peuples pour la cuisson des aliments. Elle permet de conserver des aliments pendant plusieurs heures ou même plusieurs jours sans qu'il y ait apparition de moisissures.
De la même façon, certaines pratiques superstitieuses existent tant en Angola que chez les Bambala du Congo-Kinshasa, comme l'épreuve du poison pour découvrir l'influence maligne considérée comme responsable de toutes les morts naturelles. Le poison est le même chez tous ces peuples. II s'agit du nkasa, ou mputu en kimbala, qui est l'écorce d'un arbre sacré et utilise uniquement à cette fin. L'innocence ou la culpabilité d'une personne accusée d'une faute ou d'un crime est établie de la même manière partout.
Édouard Mendiaux rapporte l'existence d'une monnaie indigène qui avait cours dans toute la région encore habitée aujourd'hui par les Mbala et les Kongo, de l'Angola jusqu'au Kwango-Kwilu. (Mendiau, 1961 : 38-39.)
Beaucorps offre le témoignage suivant qu'il a recueilli des Bambala eux-memes :
Bien avant I'arrivée des Blancs, les Bambala habitaient sur les rives d'un vaste lac nommé Tipi-Tipi ou Tibi-tibi ou encore Zia,
terme mbala qui désigne le lac. Ce lac était situé au-delà et loin de la rivière Kwango. C'est de ce lac que venait la monnaie en
forme de coquillage appelée nzimbu, laquelle monnaie constituait l'instrument d’échanges, de trocs sur le marché.
Toutes les eaux des rivières de la région du Kwango et du Kongo central se jetaient dans le fleuve Congo que les Kongo et
les Mbala appelaient Nzadi, nom utilisé jusqu'ici par les Kongo et les Mbala pour designer une rivière ou un fleuve.
Ce fleuve se déverse à son tour dans le grand lac. {Océan} (Beaucorps, 1 941 : 7-8.)
Michel Plancquaeit, dans son article "Les Jaga et les Bayaka du Kwango", confirme les propos de Beaucorps. (Plancquaeit, 1932 : 12.) Selon cet auteur et d'après les informations que nous avons nous-mêmes recueillies lors de notre enquête, c'était sur les rivages de l'Atlantique que se trouvaient ces petits coquillages utilises comme monnaie d'échange. Jusqu'en 1950, les nzimbu étaient encore en usage, chez certaines familles, pour des pratiques telles que la dot ou d'autres échanges, malgré l'introduction de la monnaie belge par les colonisateurs. Mendiaux rapporte les mêmes faits sur l'existence de cette monnaie indigène qui avait cours dans toute la région kongo, depuis l'Angola jusqu'au Kwango-Kwilu (Mendiaux, 1961 : 38-39.) D'après Jean Cuvelier, la valeur de cette monnaie en coquillages a varié selon les époques et les civilisations, par suite de l'introduction de monnaies étrangères. (Cuvelier, cité par Mendiaux, 1961 : 38-39.)
1.1.3 L'impact des efforts de colonisation européenne sur les migrations des MbaIa
Plancquaert, qui a fait des recherches sur la société des Jaga et des Bayaka, identifie d'abord une période d'exploration à l'est des royaumes de Kongo et d'Angola, entre 1482 et 1750. (Plancquaert, 1932 : 12.) C'est à cette époque que le Kwango sera connu, par suite de la découverte de l'embouchure du fleuve Congo par le Portugais Diego Cao, appelé aussi Diego Cam. Au moment de cette découverte, des royaumes politiquement et administrativement autonomes les uns des autres existaient déjà dans cette vaste région : l'Angola, le Pende, le Kuba, le Luba, le Mongo et le Kongo dont les Mbala faisaient alors partie. Mengi (1981) indique la répartition de ces royaumes.
Au XVè siècle, les Mbala ont été obligés de quitter le royaume de Kongo et d'émigrer vers le Kwango, car ils étaient poursuivis par les Milao, c'est-à-dire par les Blancs esclavagistes. De plus, leur territoire était envahi par les Bayaka qui étaient venus faire la guerre aux Bakongo. Sans l'intervention des Portugais en faveur de ces derniers, il est à peu près certain que les Bayaka auraient pris possession du royaume de Kongo. Cette version de l'histoire est tirée de la tradition orale, mais elle a été confirmée par les recherches de Plancquaert qui a décrit les circonstances de l'arrivée des Portugais dans le royaume de Kongo, entre 1553 et 1640. L'auteur s'appuie sur le récit d'un explorateur portugais :
Enfin, la relation de Pigafetta (explorateur portugais) contient l'histoire de l'invasion des Jaga, ces terribles envahisseurs qui vers 1588 mirent le royaume de Kongo à deux doigts de sa perte. (Planquaert, 1 932 : 20-21 .)
Apres cette première période d'exploration de cette partie de l'Afrique, les Blancs, commerçants et missionnaires, regagnèrent pour la plupart l'Europe. Ce n'est qu'a la fin du XIXè siècle que les explorations au Kwango-Kwilu du missionnaire Écossai David Livingstone et du journaliste américain Henri Stanley suscitèrent l'intérêt du roi de Belgique Léopold II. Ce dernier envoya alors Stanley au Congo où l'explorateur conclut 450 traites commerciaux avec des chefs indigènes. C'est a la suite de la mission du journaliste américain que fut convoquée la conférence de Berlin en 1885, au cours de laquelle la souveraineté sur l'État indépendant du Congo fut accordée au roi de Belgique. Le Congo devenait ainsi la propriété privée du roi Léopold II. (Mendiaux, 1961 : 120.)
En 1907, l'opinion publique belge, scandalisé par les mauvais traitements infligés aux Congolais, prit son tour en main les destinées du Congo. Nous pensons que c'est pendant cette période coloniale que les Bambala, qui avaient quitté le territoire des Bakongo quelques siècles auparavant, ont dû chercher à s'installer sur les rives de la rivière Kwango. C'est aussi à cette même époque que la région occupée par les Bayaka fut découverte en grande partie par les commerçants portugais qui y entraient par l'Angola.
Ce qui nous permet d'établir deux explications des mouvements migratoires des Mbala. Premièrement, si les Mbala ont quitté précipitamment la région des Bakongo, c'est probablement à cause des esclavagistes portugais et des mauvais traitements que leur faisaient subir les colonisateurs belges. Cette seconde explication confirmerait l'émigration des Mbala vers le Kwango : les Bambala auraient décidé d'habiter chez les Bayaka pour des raisons de sécurité, ces derniers étant des guerriers plus puissants que les Bakongo. Ces éléments sont, selon nous, pour expliquer le départ soudain des Bambala du royaume de Kongo.
Selon des Bambala de Masi-Manimba, résidant au bord des rivières Lukula et de la Luie, et d'autres du village de Kumbi près de la ville de Kikwit au Kwango-Kwilu, leur ancien village était situé sur le Haut-Kwango et portait le nom de Lunda. Poursuivis par les esclavagistes, ils avaient dû fuir ce village. Ces mêmes Bambala rapportent également que, quittant le Kwango, les Mbala émigrèrent vers la rivière Nsai dont les limites est-ouest se situent entre le Kwango et le Kwilu, comme on le voit aujourd'hui dans les divisions administratives. C'est à partir des rives de la rivière Nsai que les Mbala se dirigèrent plus tard vers les régions qu'ils habitent actuellement.
Nous pouvons alors proposer deux explications au départ précipité des Mbala du Kwango qui s'engageaient ainsi dans une seconde migration. La première explication résiderait dans le fait que les Bayaka, qui avaient accueilli les Mbala sur leurs
terres, cherchaient cependant les exploiter et les obligeaient à travailler pour eux.
Cette domination presque esclavagiste des Bayaka sur les Mbala amena ces derniers à quitter le Kwango et à s'installer sur l'autre rive de la rivière Nsaî, dans le village de Gianza-Gombe qui existe encore aujourd'hui. C'est en s'installant dans ce village que les Mbala ont marqué la fin de cette période de migration, avant de se diriger vers le Kwilu, dans une autre étape de leurs longs déplacements. La seconde explication de la fuite des Mbala du Kwango serait la présence terrifiante, dans cette région, des Blancs, porteurs d'armes puissantes, qui achetaient des esclaves auprès des différents chefs indigènes.
On comprend alors pourquoi on trouve encore aujourd'hui quelques villages mbala au Kwango, un rappel de leur séjour en territoire Yaka. Toutefois, tous les Mbala et les ethnies qui leur sont apparentées ont occupé depuis lors les terres qui longent les rivières Wamba et Bakali dans la région du Kwango actuel, le long des rivières Nsaï, de la Luie et Lukula dans la partie ouest de la région du Kwilu. Ils avaient trouvé là un refuge contre les Bayaka et les chasseurs d'esclaves de Kasange, de Kasongo-Lunda et de Popokabaka. Victimes des continuelles attaques des Bayaka, ils ont ainsi été poussés à s'engager dans une nouvelle étape de leur migration, eux qui étaient déjà des fugitifs. Ces événements se seraient déroulés entre le XVIIè et le XVIIIè siècle.
Découragé, les Mbala se regroupèrent et, abandonnant une fois encore leur brousse et leurs forêts, ils poursuivirent leur route vers le nord-est, c'est-à-dire vers la rivière Kwilu, reprenant l'exode qu'ils avaient commencé quelque cent ans plus tôt.
Cette nouvelle migration se fit progressivement et sur une assez longue période. C'est à partir du XVIIè siècle que de nombreuses familles mbala se divisèrent, les unes allant vers le nord ou le sud, les autres poursuivant vers l'ouest, alors que d'autres encore allaient vers l'est, s'installant ainsi dans de nombreux endroits. C'est pour cette raison qu'on peut trouver de nos jours des familles mbala dans différents villages, depuis la rivière Kwango jusqu’à la rivière Kwilu, sur une distance de presque 240 kilomètres.
Pour sa part, Joseph de Pierpont (1932) soutient que les Bambala se sont établis leurs emplacements actuels quelque cent ou cent cinquante ans plus tôt. II s'appuie sur les propos qu'il aurait lui-même recueillis auprès des plus vieux Bambala qu'il a pu
rencontrer, en 1915.
Concluons cette partie en disant que la venue des Portugais dans cette région de l'Afrique a eu un impact sur les mouvements migratoires des Mbala à partir du royaume de Kongo ou des terres des Bayaka au Kwango. Comme nous le venons
plus loin, l'arrivée des missionnaires européens a également joue un rôle important au Kwango-Kwilu vers le XVIIIè siècle.
1.2 L'organisation des structures traditionnelles de la société Mbala.
Le peuple mbala est divisé en groupements comprenant chacun un certain nombre de clans et de familles. Le schéma 1 illustre comment était constitué le gouvernement traditionnel chez les Mbala à l'époque coloniale et jusque dans les années 1950.
1.2.1 Le groupement
Chaque groupement porte encore aujourd'hui le nom de son chef, qui est le nom laissé par ses ancêtres. Le groupement était un ensemble de villages placés sous I'autorité d'un chef unique, le nombre de villages variant selon le territoire dont l'étendue et les limites avaient été déterminées par les ancêtres et confirmés par l'administration coloniale.
Schéma : 1 Gouvernement traditionnel chez les Mbala
Le chef de groupement, ou grand chef, était appelé fumu-munengu, c'est-à-dire "celui qui porte l'anneau du pouvoir". II avait autorité et pouvoir sur plusieurs villages et sur tous les individus qui y résidaient. Tous les chefs de village lui étaient soumis. II recevait le rapport de chaque chef de village sur la vie des clans et des familles. C'est lui qui déterminait les périodes de chasse et de pêche. II veillait également sur les récoltes et s'assurait que chaque village disposait de réserves en cas de pénurie. Le fumu-munengu tenait des consultations et visitait son peuple pour l'encourager. II se déplaçait ainsi de village en village pour juger de certaines affaires de grande importance comme les meurtres ou les homicides involontaires, les suicides, les vols à main armée ou les incendies criminels. Ces actes étaient très rares chez les Mbala, mais quand ils étaient commis, ils exigeaient réparation. L'autorité du chef de groupement était inviolable et ses jugements étaient sans appel.
Le pouvoir traditionnel était un pouvoir héréditaire qui ne prenait fin qu'à la mort de son détenteur. La succession, au sens traditionnel du terme, concernait surtout le chef de groupement et le chef de village. À la mort du chef, celui qui le remplaçait était le fils aîné de la sœur aînée du chef décédé. À défaut d'un tel héritier, c'était le frère cadet du chef qui prenait le pouvoir.
Lors de l'intronisation du nouveau chef et avant de le revêtir des insignes de sa fonction (encadré 1), le candidat, entouré par les anciens et le nganga, devait monter sur le toit de la maison du chef défunt, pendant que les autres notables du groupement ou du village entouraient la maison. L'adjoint du chef décédé, le ngenzi, apportait pour I'occasion un coq vivant. Sur l'ordre du nganga, le ngenzi coupait la tête du coq, lui ouvrait la cage thoracique et en sortait le cœur encore battant pour le remettre au candidat à la succession. Pendant ce temps, cinq hommes armé de fusils attendaient impatiemment le moment ou, ayant avalé le cœur du coq, le nouveau chef lançait un cri imitant le chant du coq. Aussitôt, cinq coups de fusil retentissaient et tous se mettaient à crier et jubiler en l'honneur de cet homme jugé fort et capable de régner.
Le nouveau chef descendait alors du toit et était accueilli par tous les nganga et ngenzi présents. On le faisait ensuite entrer dans la maison du chef décédé, on lui donnait les instructions relatives à sa fonction et on le revêtait des insignes du chef.
Quand le chef sortait enfin de la maison, une grande fête commençait. On tuait plusieurs chèvres, on préparait de grandes quantités de nourriture, on mangeait, on buvait du vin de palme et on mâchait des noix de cola.
Encadré 1 : Les insignes du grand chef ou chef de groupement chez les Mbala
- Le vunga : un grand pagne rouge borde de blanc, porté autour des hanches. Ce pagne était formé de plis sur le devant et était soutenu par une ceinture. - Le mupunga : une queue de cheval accroché à un bâton que le chef tenait a la main en la balançant de droite à gauche lorsqu'il rendait un jugement, lorsqu'il s'adressait à son peuple ou quand il se promenait dans les villages qu'il visitait. Ce bâton avait une - Le mazu ma koyl: des dents de léopard glissées sur un fil et portés comme un collier. - Le munengu : un bracelet marqué de spirales. Le chef de groupement en portait trois au bras gauche et un au bras droit. - Le weni ou bweni : un objet fait à partir d'une corne d'antilope ou d'argile. On ne pouvait l'utiliser, le toucher ou le transporter qu'avec un profond respect. Sa disparition était une catastrophe pour le chef et ses sujets. C'était un objet sacre. On peut le comparer à l'Arche de l'Alliance de l'Ancien Testament quant à sa sacralité. - Le pemba: un objet taillé dans un bloc d'argile ou de kaolin blanc. Le pemba était transmis comme une bénédiction du père à ses enfants de génération en génération. |
Bonnet de raphia tressé orné de coquillages ne pouvant être porté que par un chef
1.2.2 Le village
?
Le village avait une certaine autonomie interne, mais son chef était politiquement et hiérarchiquement soumis au chef de groupement. Il devait régulièrement informer le grand chef de tout ce qui se passait dans son village.
Autrefois, les Mbala construisaient des petits villages à la dimension d'un clan.
Au début du XXè siècle, les villages étaient encore assez petits parce que souvent un homme, après s'être enrichi, quittait son village d'origine avec ses femmes. ses enfants, quelques parents et ses esclaves pour fonder un nouveau village dont il devenait le fumu-dimbu, c'est-à-dire le chef. Peu à peu, plutôt que de fonder de nouveaux villages, plusieurs clans en sont venus à cohabiter dans des villages de plus en plus grands.
Le chef était responsable de la vie et de la sécurité de tous les habitants de son village et il devait veiller sur la vie économique et sociale de ce petit territoire.
C'était lui qui devait assurer la protection du village contre tout danger et contre les forces maléfiques internes et externes. II s'occupait également des mesures d'hygiène, jugeait les infractions mineures et protégeait l'autonomie administrative et traditionnelle de son village.
Village Mokamo (territoire de Masimanimba)
1.2.3 Le clan
Selon N. De Cleene, "clan est a un groupe d'individus qui se considèrent comme descendants d'un ancêtre commun, soit par la lignée des hommes, soit par la lignée des femmes . (De Cleene, 1945 : 6). Dans la société matrilinéaire des Mbala,le clan, appelé guiganga en langue bambala, rassemblait les descendants utérins d'une même ancêtre. Le clan était ainsi compose des familles issues de cette ancêtre commune qu'on appelait khaa, c'est-à-dire grand-mère du clan.
Chaque clan avait un nom qui lui avait été transmis par les ancêtres, de génération en génération. Par exemple, le clan de Mulopo s'appelait Guiganda-gui-Mulopo.
II s'agissait du nom d'un ancêtre commun et non d'un sobriquet, d'un tabou ou d'une caractéristique de ses membres, comme on le voit chez d'autres peuples - qui avait été transmis, comme le voulait la tradition, par la mère tous ses enfants. Le clan avait un rôle particulier par rapport à l'autorité clanique, celui de produire des membres en grand nombre pour asseoir l'autorité du chef de clan.
Depuis le temps de leurs ancêtres, la vie du clan chez les Mbala a toujours exprimé des affinités étroites entre ses membres, une communauté de caractères et un esprit de corps. Cette relation était marquée par des expressions telles que munedu, qui veut dire aussi bien "notre enfant" que "enfant de notre clan, munedu yala, qui signifie "mon frère" ou "frère du clan ou de la famille", munedu mugashi, pour "ma sœur" ou "sœur du clan ou de la famille". Ce qui exprime encore mieux cette relation fraternelle, c'est le terme pangi'emi, qui veut dire "mon frère" ou "ma sœur", pour designer une personne au même titre que le frère ou la sœur utérins.
Le chef de clan -en général un homme mais occasionnellement une femme était appelé lemba, c'est-à-dire oncle, lorsqu'il dirigeait plusieurs sous-clans et un grand nombre de familles. Quand il ne dirigeait qu'un seul sous-clan et seulement quelques familles, le chef de clan était appelé fumu-giganda. Le chef de clan détenait i'autorité tant du côté maternel que du côté paternel. Tout le monde lui obéissait en raison de son pouvoir, de ses rapports avec les ancêtres et des fonctions que ces derniers lui avaient léguées. Son autorité et sa fierté dépendaient de la largeur des familles qu'il représentait. II subissait parfois les effets de la jalousie de familles ou de clans moins nombreux qui avaient perdu des membres par suite de diverses calamités, de maladies ou de guerres entre ethnies.
Le chef de clan était le grand-prêtre des familles. C’était lui qui recevait les offrandes adressées aux ancêtres. II rendait jugement dans les affaires de moindre gravité à l'intérieure du clan et faisait le rapport des événements concernant le clan au chef de village. II représentait les membres du clan auprès du chef de village ou du chef de groupement.
En tant que groupement de familles, indépendamment du nombre de ses membres, le clan conservait son autonomie, son chef, son nom, ses insignes et ses interdits. Les interdits du clan portaient le nom de mugugu et se rapportaient surtout à des animaux comme le gigungulu, le hibou ; le gumbi-gumbi, l’épervier ; le mbalambongu, lezard ; le ngondi, le crocodile ; le gigodi, la civette ; le nzuzi, le renard ; le gabulugu, la gazelle, etc. Ces interdits étaient imposés, dans la majorité des familles, aux femmes et aux enfants, chacun pour une raison précise. Ces prescriptions équivalaient à un totem et provenaient de croyances fétichistes qui associaient le pouvoir paternel du clan à certains oiseaux et animaux. Ils avaient été transmis par les ancêtres qui faisaient ainsi des recommandations et des mises en garde à leur descendance.
1.2.4 La famille
Depuis leur origines, les Mbala définissent l'institution familiale comme un lieu d'harmonie qui concerne I'ensemble du clan. La famille mbala comprend toutes les personnes vivant sous un même toit ou dans des maisons différentes, mais reliées par des liens d'alliance ou de consanguinité. C'est le lieu où doivent s’épanouir les mariages et les enfants qui en naissent, et c'est un milieu de formation et d’éducation par excellence. Le sens du mot famille, nzu dans la langue mbala, est si large que la famille fait plutôt l'effet d'un mini-clan.
Dans la société traditionnelle, c'était le père de la grande famille élargie qui en était le chef, le fumu-gizigu. II veillait sur l'éducation de ses enfants et sur leur intégration dans la famille et dans le clan. Le système matrilinéaire des Mbala ne diminuait nullement I'autorité du mari sur sa femme et du père sur ses enfants. Le chef de famille remplissait, au sein de la famille, les mêmes fonctions que le chef de clan, sauf qu'il n'avait pas le pouvoir de s'adresser aux ancêtres. Par exemple, c'était lui qui instruisait les enfants mâles en ce qui concernait l'initiation la circoncision. Chez les Mbala, tout garçon qui n'était pas circoncis était compté parmi les femmes et les enfants. Rattachée au pouvoir et à la capacité de l'homme dans la reproduction, la circoncision était une valeur importante pour ce peuple.
1.3 Quelques aspect de la vie sociale et culturelle des Mbala
En plus des structures traditionnelles de la société mbala, telles que décrites plus haut, il nous semble important de souligner les éléments les plus marquants de la tradition mbala, qui donnaient au contexte culturel et a la vie sociale de ce peuple son
caractère particulier. Nous verrons donc comment les Mbala exerçaient la justice et nous présenterons quelques pratiques reliées à leur vie économique et culturelle.
Village Mbala (district du Kwilu)
1.3.1 L'exercice de la justice dans la société traditionnel
Nous n'aurons pas tout dit sur le gouvernement traditionnel du peuple mbala si nous ne montrons pas comment s'exerçait la justice dans cette société africaine.
L'administration de la justice, ou milonga, variait selon la puissance du chef de chaque tribu. La où cette puissance était faible, c'était I'assemblée populaire qui, en réalité, tranchait les différents. Dans une tribu où le chef était très puissant. c'était lui seul qui décidait.
Les villages étaient sous le contrôle d'un représentant du chef de groupement nommé spécifiquement pour veiller à l'ordre public. L’assemblée des chefs de clans convoquée par le chef de village étal toute-puissante en ce qui concernait la justice.
Les travaux de cette assemblée pour résoudre un problème étaient longs et compliqués, car plusieurs choses se réglaient en faisant appel à des proverbes, à des dictons ou des énigmes. Lors d'un tribunal traditionnel, on prenait toutes les dispositions pour éviter les hostilités.
La plupart des crimes étaient des offenses entre villages. En cas de meurtre, le coupable devait payer une forte amende appelée masatu, soit 30 nzimbu (argent local) à laquelle on ajoutait une chèvre. Les conséquences d'un meurtre étaient grandes. Tous les villages ayant conclu ensemble une alliance réclamaient un masatu du coupable ou de sa famille si ce dernier était mort. Cet arrangement apportait la sécurité à tous les villages réunis par une alliance.
Le chef de groupement ou I'assemblée des chefs de villages s'occupaient aussi de cas moins graves. Ainsi les poltrons et les ivrognes étaient jugés par la communauté. De telles fautes pouvaient entraîner une amende ou autre punition, et attiraient le ridicule et le mépris sur ceux qui en étaient accusés.
II est à noter que les palabres visant à rendre la justice se passaient sous un arbre ancestral appelé musongi qui était planté au milieu du village. Cet arbre, un baobab, avait une quadruple fonction. II servait en premier lieu à juger toutes les offenses qui avaient été faites contre les habitants du village ou contre la famille. La deuxième fonction du musongi était de donner la connaissance du bien et du mal à ceux que le chef interpellait : sous un deuxième baobab planté sur sa parcelle de terre, le chef faisait venir ceux qu'il jugeait moins sages et les récidivistes. Le musongi avait aussi une fonction spirituelle et divinatoire : sur un ton mystérieux, le chef de la tribu s'entretenait avec les autres chefs qu'il avait rassemblé, de nuit, sous les branches de l'arbre, pour un échange mystique. Enfin, le musongi avait une fonction pratique. Dans ce sens, il était le signe de ta continuité de la famille et du clan. Le mariage dont les cérémonies entourant la dot se déroulaient sous cet arbre était supposé durer jusqu’à la mort d'un des époux.
Les nombreuses branches serrées de l'arbre qui s'étendent horizontalement sont un signe d'abondance et d'une nombreuse progéniture pour les membres d'un clan. À l'ombre des musongi, les gens se reposent tranquillement, ce qui est un indice
de paix. Le musongi peut pousser dans n'importe quelle terre, même désertique. II devient ainsi un vestige indestructible du passé qui indique, même après un siècle, l'emplacement d'un ancien village. C'est pour cela que les Mbala disent du musongi
qu'il est l'arbre des ancêtres, il est le signe de la permanence de la famille et du clan.
1.3.2 La vie économique traditionnelle
Ces coquillages-monnaie portaient en langue ki-kongo le nom de nzimbu
L'économie traditionnelle des Mbala était du même type que celle qu'on retrouvait un peu partout dans la région du Kwango-Kwilu. Probablement dû au fait qu'ils partageaient un passé commun, tous les peuples de cette région avaient les mêmes cultures de base qui ont été largement développées avec l'arrivée des Européens : le manioc, le maïs, le riz, les arachides, les ignames et les patates. À ces cultures plus importantes s'ajoutaient le café, le soya, les haricots, le tabac, la banane plantain, la banane sucrée et des arbres fruitiers de toutes sortes, des kolatiers, des saffoutiers, des poivriers et la canne sucre.
Les techniques agricoles variaient légèrement selon les cultures et le type de terrain : dans la savane, dans la forêt, sur des parcelles de terre autour du village ou encore sur l'emplacement d'un ancien village. La récolte se faisait sans grande hâte, et les produits étaient gardés dans des greniers. La vente des récoltes se faisait par le troc, chacun offrant des produits dont d'autres manquaient, pourvu que ces produits soient de même valeur. La monnaie d'échange était le nzimbu et le sel de mer.
Retour de chasseurs mbala à Kikongo Koy avec leur prise, un phacochère.
D'autres activités occupaient aussi la vie économique des Mbala, comme la poterie qui était réservée aux femmes et le tissage aux hommes. (Beaucorps, 1941 : Torday et Joyce, 1922.) Les Mbala pratiquaient également l'élevage, la cueillette, la chasse et la pêche. La cueillette était une occupation féminine, alors que la chasse était exclusivement du domaine des hommes. La pêche était pratiquée autant par les femmes que par les hommes. Le gibier et le poisson étaient apportés au village où les femmes étaient chargées de les préparer. Chaque membre du clan devait avoir sa part de gibier et de poisson. (Beaucorps, 1941 .) Notons que les Mbala aimaient beaucoup manger du poisson et de la viande, mais surtout des légumes comme les feuilles de manioc préparées dans la mwamba, avec de l'huile ou de la potasse.
On peut constater qu'avant I'arrivée des Européens le Kwango-Kwilu était une région riche en ressources diverses et que rien ne manquait pour assurer la survie de ses habitants. Mais les techniques agricoles et le système économique traditionnel
ont été bouleversés par les colonisateurs qui ont fait de la palmeraie la principale ressource commerciale de la région au détriment des autres cultures.
1.3.3 Quelques aspects de la culture traditionnelle
La vie culturelle des Mbala était très riche et colorée. C'est un peuple qui aimait jouer, danser et chanter. La culture des Mbala est fortement marquée par l'utilisation de proverbes et de dictons transmis de génération en génération par la tradition orale.
Nous décrirons ici quelques-uns des traits caractéristiques de cette culture.
Les jeux.
Les Mbala sont de grands amateurs de jeux de hasard, comme le wadl, qu'ils ont emprunté à d'autres peuples au cours de leurs longues migrations. Ils y consacrent tout leur temps libre. Ces jeux suscitent beaucoup d'enthousiasme sans
pour autant provoquer de querelles. Les Mbala jouent également très souvent au bwari, jeu qui consiste à tendre un bras vers l'adversaire ; si le bras droit du joueur croise le bras droit de l'autre, personne n'a gagné ; par contre, si son bras gauche croise le bras droit de l'adversaire, c'est ce dernier qui a gagné. Alors, celui qui a perdu est pris en otage dans le camp gagnant, et le jeu continue jusqu'à ce que I'un des camps perde les trois quarts de ses membres. Le même jeu est aussi pratiqué avec les jambes.
La musique et la danse.
Les Mbala sont aussi de très bons danseurs et chanteurs. On dit qu'un Mbala n'apprend pas à danser mais qu'il est né danseur.
Chez les Mbala, l'art musical est bien développé et leurs chants sont souvent dune grande beauté, c'est un peuple qui aime chanter en chœur, hommes et femmes reprenant des versets en alternance. Dans leurs recherches ethnographiques sur les
populations du Kwango-Kwilu, Torday et Joyce ont noté cet amour de la musique et de la danse chez les Mbala, mais ils ont aussi constaté leur esprit conservateur, car ils ne chantent que leurs propres chansons, jamais de chansons étrangères. Ces
chercheurs ont également remarqué la qualité des voix de ténor des hommes et de soprano des femmes. (Torday et Joyce, 1922 : 277.)
Les Mbala ont développé plusieurs instruments de musique qui accompagnent les différentes danses (Encadré 2). À l'époque traditionnelle, de grandes occasions, comme l'intronisation d'un chef, donnaient lieu à toutes sortes de célébrations et de danses. Les adultes dansaient le plus souvent au son d'un tambour appelé ngoma,
alors que les jeunes, filles et garçons, préféraient le rythme du pedengi. Les jeunes filles aimaient également danser le gisingu, les mains des unes sur les épaules des autres. Une jeune fille entonnait alors un chant auquel les autres répondaient.
Les proverbes et les dictons.
Dans la tradition rnbala, on a toujours utilisé le langage proverbial pour éduquer les enfants. Les Mbala croient en la sagesse que Dieu donne aux hommes. Leurs proverbes et dictons traduisent la sagesse accumulée par leurs ancêtres. Cette connaissance était transmise lors de palabres, surtout le soir, autour du feu, ou dans les expéditions de chasse en forêt, ou encore dans des cabanes construites dans la forêt où on s'arrêtait après la chasse ou le travail dans les champs. Les hommes s'y rassemblaient pour boire du vin de palme, autour d'un feu, alors que les femmes se hâtaient vers le village pour préparer le repas.
Nous avons recueilli plusieurs de ces proverbes et dictons lors de notre enquête dans la région de Masi-Manimba et de Bulungu, car nous estimons qu'ils ont beaucoup de valeur et de profondeur (Encadré 3). Comme nous l'avons dit plus haut, ils étaient largement utilisés dans l'application de la justice. Nous avons tenté de retracer le sens exact et le contenu éducatif de ces phrases proverbiales qui servent entre autres de guide pour le mariage et la vie de famille. Tous les jeunes, garçons et filles doivent apprendre ces proverbes par cœur avant de se marier afin de devenir sages et respectueux, et de développer le sens de l'hospitalité.
Encadré 2 : Les danses et les instruments de musique traditionnels des Mbala
Le kakolu : les danseurs font bouger leur hanches dans tous les sens, le tronc étant continuellement en mouvement. Cette danse est toujours accompagnée par un instrument appelé le ngoma, grand tambour de forme cylindrique, long de 1,5 m dont une extrémité est couverte d'une membrane de chèvre ou de mouton fixée au moyen de chevilles en bois sur les côtés. Le joueur place le tambour entre ses jambes, une corde retenant l'instrument au niveau des reins.
Pour des occasions spéciales comme des défilés ou pour l'enterrement d'un chef ou d'un membre de la famille, on utilise le puida, instrument de forme cylindrique dont une extrémité est fermée par une peau de mouton fixé à l'aide d'une corde et de chevilles de bois. Un trou est pratiqué au centre de la membrane par lequel on fait passer une baguette jusque dans la partie inférieure de l'instrument. Le joueur, au moyen d'un linge mouillé qu'il tient dans la main, fait glisser la baguette de haut en bas, ce qui produit un son semblable à celui de la contrebasse. Dans les années 1890, lors de l'arrivée des missionnaires, le puida était devenu l'instrument d'animation dans le culte protestant, alors que l’église catholique trouvait son usage blasphématoire et même diabolique. |
D'ailleurs, ce qui est énoncé dans ces proverbes représente symboliquement les réalités morales et spirituelles. La profondeur de I'esprit des ancêtres réside justement dans la capacité d'aller au-delà des apparences et des formules afin de pénétrer jusqu’à l'intime vérité de la chose, de la personne et du mystère. Transmis d'une génération à l'autre depuis les ancêtres les plus lointains, ces proverbes, dictons et mythes font encore partie intégrante de la vie des Mbala et du cadre dans lequel ils maintiennent le rapport entre chaque famille et ses ancêtres.
Encadré 3 : Quelques proverbes et dictons Mbala
"Dungu-lu-mugobu agashi mbadi" : " L'homme stérile est souvent menteur et accuse sa femme. (Donne à l'homme stérile deux femmes pour le mettre à l’épreuve.) "Mi miadi migadendela "Bracelets aux pieds s'entrechoquent." (Comment, entre amis et &poux. ne pourrait-il y avoir aucune friction?) "Gazila kakomu buda, mudu mugwenu gwasila" : " L'oiseau perché sur ton arc, un autre le tire." (Entre proches parents on ne s’épouse pas ; nul n'est juge en sa propre cause, même dans la vie des époux.) "Kudala kumbuda kulomba" : L'ancien qui te suit des yeux a quelque chose à te demander." (Préviens les désirs des anciens avant qu'ils ne les expriment.) "Udia muunzu, ndungi dulengi mulesidi" : Qui se cache dans sa maison pour manger, les jeunes gens lui ont enseigné. (Si les vieux sont égoïstes, les jeunes leur ont domé l'exemple.) "Kapangu gabwisi mba musingi mwisi" : "La hachette qui coupe le fruit du palmier jalouse le pilon qui, reste au village, se rassasie d'huile en pilant le fruit ou les noix de "Kombu yungu" : "La La chèvre est sotte." (Un sot se laissera tromper une fois, mais I'expérience l'instruit.) "Kombu giyungu ugonda ndaga" : "la chèvre sotte qui ne parle pas. (Au cours d'une palabre. celui qui ne parle pas est sage.) "Ndia Gibonzu udia mugashi" : "Mange les pépins de courge que mange le malade. (Sois ami des malheureux, tu auras des amis.) "Sedu-sedu mayi mwendu" : "Va lentement, lentement vers le village". (Lentement mais sûrement.) "Gisuga gi mba ye magasa, di qwalumuga ye magasa" : "Le régime de palmier qui tombe dans la brousse se retrouve sens dessus dessous."(Nos actions ont toutes sortes de conséquences.) |
1.4 Les croyances traditionnelles du peuple mbala
Pour mettre fin à ce chapitre descriptif concernant la vie traditionnelle du peuple mbala dans ses aspects historiques, sociaux et culturels, nous avons choisi d'examiner la dimension religieuse de cette culture, et cela pour deux raisons.
D'abord, parce que parler d'une culture sans considérer la vie religieuse de celle-ci serait en omettre une dimension essentielle et c'est notamment par I'incidence de la religion à tous les aspects de la vie d'un peuple que nous pouvons penser l'importance de la dimension religieuse d'une culture.
La vie religieuse des Mbala est caractérisée par des croyances fondamentales, par des attitudes religieuses signifiantes et par des procédés religieux qui se veulent efficaces. En ce qui concerne le peuple mbala, l'aspect religieux est dominant et les rapports entre la religion et la vie sociale se manifestent de plusieurs façons. Non seulement la religion est-elle au fondement de toute la vie sociale mbala, mais plus encore, c'est la religion, en tant qu'institution a l'intérieur même de la vie sociale, qui fixe le modèle de la structure sociale et qui détermine la hiérarchie et l'organisation de sous-groupes fonctions bien définies. Enfin, la religion codifie les actions des individus : le prêtre traditionnel, le guérisseur, le pécheur et le chasseur sont tous soumis au contrôle de la religion et adhérent à ses enseignements.
La seconde raison qui définit pourquoi la dimension religieuse est essentielle à notre démonstration est que l'institution matrimoniale, qui sera précisé ultérieurement, ne peut s'observer et se comprendre que dans son intégration à la dimension religieuse tout entière, c'est-à-dire dans son rapport au sacré.
Nous rechercherons dans les domaines du sacré de la culture mbala, les domaines que cette dernière rattache au divin à divers degré. Nous les présenterons en quatre points distincts. Le premier est la conception mbala de l'origine de
notre monde et de ce qu'il contient : Nzambi, Dieu créateur et de bonté. Le deuxième concerne les proto-ancêtres. Le troisième concerne les anciens et I'ensemble des lois fondamentales léguées à la postérité. Enfin, le dernier point tentera
d'éclairer la vision de la mort et de l'au-delà dans la culture mbala.
Notons que chaque point sera développé dans sa dimension religieuse en elle-même ainsi que dans son application concrète à la vie sociale. De plus, l'analyse ne sera pas exhaustive. En effet, une telle recherche dépasse les cadres et les objectifs de notre thèse. Même si, dans cette section, nous nous proposons d'identifier les éléments religieux propres aux Mbala, qui rendent compte de leur vision de l'existence et des comportements qu'ils adoptent, notre description ne retiendra que les éléments qui intéressent notre analyse ultérieure du mariage mbala et les esquissera en grandes lignes.
1 4.1 Le rapport à Nzambi, Dieu unique et tout-puissant
L'élément central de la religion traditionnelle des Mbala est la croyance en Dieu qu'ils appellent Nzambi, Nzambi Mpungu ou Mawesi. II n'est pas facile de formuler une définition exacte de ce que les Mbala entendent aujourd'hui par Dieu, étant donné que l'évangélisation missionnaire, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, a modifié plusieurs façons de le considérer. Toute personne qui a fréquenté le milieu mbala, ou qui est née dans cette société, peut facilement comprendre autant les anciennes formules traditionnelles difficiles à saisir en raison de tous les sous-entendus qu'elles contiennent, que les expressions du langage moderne qui tendent de s'y introduire. (De kir, 1975 : 13.)
Dans la croyance religieuse mbala, notre monde et tout ce qu'il contient trouvent leur origine dans une divinité unique appelée Nzambi Mpungu. Nzambi signifie le Créateur, l'origine de tout. Mpungu est le terme attribuable au fait qu'il est tout-puissant et invisible. II exerce une parfaite maîtrise sur tout ce qu'il a crée. II a tout crée par bonté et il est bon envers sa création en guidant avec sagesse la destinée de chaque être crée Voici pourquoi il est appelé aussi Mawesi, Dieu bonté, Dieu de bonté. Ces trois attributs de Dieu, à savoir l'unique, le tout-puissant créateur et la bonté, constituent la conception particulière mbala de la divinité.
De cette vision de Nzambi Mpungu ou Mawesi, découlent trois attitudes religieuses fondamentales des Mbala envers Dieu, créateur tout-puissant et de toute bonté. Ces attitudes ne sont pas des commandements formels de Dieu. Mais elles sont une reconnaissance de la part de I'homme ou, pour emprunter un terme au christianisme, elles sont une confession de la divinité de Dieu.
La première attitude est l'adoration par la reconnaissance de ces liens vitaux qui relient I'homme à Dieu. Les Mbala avaient un jour par semaine entièrement consacré à l'adoration, consacré à Dieu, le mugonzi. II est vrai que les Mbala n'avaient aucun lieu de culte divin d'organisé, comme un temple avec une liturgie, mais ils avaient des cérémonies d'adoration.
La deuxième attitude religieuse des Mbala envers Mawesi est un profond respect, un respect inconditionnel envers le nom de Dieu. Nzambi a donné toutes les possibilités pour que I'homme sur la terre vive. II était défendu d'affirmer qu'il y a un Dieu du mal et qu'il y a un Dieu du bien. La croyance religieuse mbala interdisait d'impliquer Dieu dans ce qu'il avait crée. C'est un mal grave que de ramener Nzambi à l'existence des humains. En plus, I'homme vivant n'était autorise ni à parler Nzambi ni à parler de Lui. On ne pouvait pas profaner ce nom par des propos grotesques ou qui rendent Dieu responsable des malheurs qui surviennent aux individus ou à la communauté. En effet, Dieu par définition est Mawesi, c'est-à-dire plénitude de bonté. II a tout crée par bonté, il ne peut donc se retourner contre sa créature. Ce serait se renier lui-même ou plutôt renier son œuvre de bonté et la raison d’être de la création. Aussi, ceux qui profaneraient le nom de Dieu risqueraient la peine capitale ! C'est pourquoi, pour prévenir tout malentendu sur le respect dû au nom de Dieu, personne n'était autorisée à discourir sur Nzambi, c'est-à-dire à développer une science dont Nzambi serait l'objet.
La troisième attitude religieuse des Mbala envers Nzambi Mpungu consiste en des prières et des invocations. II faut noter que la prière ne doit pas être confondue avec le culte d'adoration proprement dit. Dans les prières et les invocations, les Mbala s'adressent Nzambi en tant que Mpungu. Ce terme signifie ici la chance suprême. Une chance est source de bonheur, au sens étymologique du terme. Nzambi, qui a tout crée par bonté, est également à l'origine du bonheur, comme de tout ce qui existe, notamment de l'homme. il est une chance suprême, parce que cette chance unique n'a ni début ni fin, elle ne tarit pas comme source de bonheur. Aussi la prière mbala à Nzambi Mpungu est essentiellement une prière de demande de bénédiction : que sa bénédiction soit une chance de bonheur, de réussite pour qui l'invoque. Voilà pourquoi le Mbala, dans ses épreuves, a presque
toujours cette brève invocation : Ah Nzambi e, comme pour dire Seigneur, mon Dieu, sois ma chance. Sur terre, les Mbala adoraient Dieu, mais dans sa cour céleste, Nzambi Mpungu était entouré d'êtres géants et forts qui le servaient.
II y avait deux moments importants de la prière communautaire : au début du mois d'octobre lors de ta récolte et à la fin de la moisson pour remercier Nzambi qui a donne la semence et l'abondance. On offrait des prémices. II n'était pas rare, lorsqu'un Mbala faisait une prière individuelle, qu'il la fasse suivre d'un geste sacrificiel. Car il se disait : "Qui sait si ma prière peut apporter bonheur à tout le peuple et que ses résultats puissent influencer toute la société familiale. Ainsi, même dans leurs prières à Nzambi, les Mbala portaient, en plus de leurs propres intérêts, ceux de la communauté. Lorsqu'il s'agissait de cas de moindre importance, les Mbala adressaient leurs prières aux ancêtres. Mais, c'est de Nzambi, chance suprême qu'ils attendaient la réponse.
1.4.1.1 Nzambi Mpungu, l'Être suprême
Examinons brièvement l'usage du vocable Nzambi Mpungu dans la vie quotidienne des Mbala (encadré 4). Ce qui frappe d'abord, c'est l'usage fréquent du terne. De plus, I'usage est le même autant chez les Bakongo vivant sur les côtes de l'Atlantique qu'au Kwango-Kwilu. Dans sa thèse sur l'évangélisation du peuple kongo, Mengi affirme, en parlant de l'utilisation du terme : «Les Kongos sont un peuple croyant qui croit en un être suprême, "Nzambia mpungù"» (Mengi, 1981 : 26.)
Les Mbala se demandent parfois si leur conception de I'Être suprême n'a pas été influencée par l'évangélisation des Bakongo, les mêmes missionnaires ayant travaillé auprès des deux peuples. Nous traiterons plus loin de cet aspect, mais rappelons seulement pour l'instant que les deux régions étant voisines, elles peuvent avoir partagé une même religion. Comme pour les Bakongo, Nzambi est, pour les Mbala, le Créateur de toutes choses et il est responsable de tous les évenements qui se produisent sur la terre. Donc rien ne peut arriver de bien ou de mal sans que Nzambi ne le permette. Nzambi est la cause ultime de toutes choses, il est Mawesi, Dieu de bonté, omniprésent et tout-puissant.
Nzambi-Mpungu est un Dieu personnel. On peut l'invoquer individuellement.
Tout Mbala sait et croit que toute existence vient de Dieu, d'un Dieu qui dépasse I'homme en intelligence par sa puissance et par sa sagesse. Même les ancêtres lui sont soumis. La croyance des Mbala en Dieu est un trait d'union entre eux et leurs ancêtres. Nous parlerons plus loin des rapports que la société rnbala entretient avec les aïeux.
Comme Dieu a crée l'homme, il le reprend également. D'où le proverbe suivant : Nzambi-Mpungu ngalamba kadu, madongu hadu ! .,littéralement : "Dieu prépare sa boule de manioc, le condiment, c'est l'homme ! Cela ne veut pas dire que les Mbala prennent Dieu pour un mangeur d'hommes, loin de là. L'idée maîtresse de ce proverbe est que Dieu est souverain sur la vie de l'homme. II peut la reprendre quand il veut, comme il veut et où il veut et lui seul sait ce qu'il advient de I'homme après sa mort.
Encadré 4 : Nzambi-Mpungu dans la vie quotidienne des Mbala
Lorsqu'un instant de silence rompt le rythme d'une conversation ou qu'un vent léger passe dans le feuillage de l'arbre sous lequel ils se reposent, les Mbala disent : "Nzambi uhida", c'est Dieu qui passe). Dans un endroit où aucun village ne s'est établi, un bouquet de palmiers a poussé. Qui donc a pu planter ces palmiers? "Nzambi uguna", (c'est Dieu qui les a planté). Lorsqu'un homme meurt de vieillesse. c'est la mort que Dieu envoie : "Lufwa lu Nzambi", il meurt par la volonté de Dieu (par opposition à la mort par envoûtement).
Quand un Mbala veut affirmer la vérité de ses paroles, il passe l'index droit sur sa gorge en disant : "Nzambi! » |
Les Mbala rendent hommage au Créateur et au Maître souverain de toutes choses. Cela est pour eux tellement naturel qu'il n'existe aucun culte particulier pour traduire l'amour qu'ils ont pour lui. La place qu'ils accordent à Dieu est très élevée. Ils
disent d'ailleurs souvent, pour exprimer la suprématie de Dieu sur l'homme : "Nzambi fumu, longi mudu", ce qui veut dire que Dieu est le Seigneur, tandis que l'enseignant ou le pasteur est un homme. Autrement dit, l'homme peut se tromper, mais Dieu ne se trompe jamais. Ainsi, les Mbala placent Dieu au centre de la vie de la famille. Par exemple, lors d'un mariage, ils disent : "Makwela ma Nzambi ana a Nzambi", ce qui veut dire que le mariage est de Dieu et que les jeunes qui se marient appartiennent à Dieu.
Mais les Mbala pensent que Dieu se désintéresse actuellement du sort de l'homme qu'il a créé. C'est pourquoi leurs ancêtres auraient remplace la Providence par un fétiche appelé Mpungu, croyant ainsi obtenir les faveurs de Dieu. Dans la croyance traditionnelle, le Mpungu protège le village. Malgré l'évolution de la société mbala et les différentes mutations de la vie de famille, le nom Mpungu reste attache désormais à celui de Dieu pour marquer sa puissance souveraine.
II faut cependant préciser que l'emploi du nom de Nzambi Mpungu dans le langage magique peut prêter à confusion. Tout Mbala sait que le fétiche protecteur nomme Mpungu est une protection pour le clan, pour la famille et pour le mariage. Si vous demandez à un vieux Mumbala d'où vient le Mpungu, le fétiche, il vous dira qu'il vient de Nzambi Mpungu. Si vous lui demandez ensuite si Nzambi Mpungu est un fétiche ou si le fétiche est Nzambi Mpungu, il vous regardera I'air ébahi, ou il éclatera de rire en disant : "Nzambi Mpungu ena Nzambi, pungu ena pungu !" Ce qui veut dire : Dieu est Dieu, un fetiche est un fdtiche ! Cette distinction est importante, car il existe un médicament traditionnel, la racine d'un arbre, qu'on appelle mpungu, et il y a aussi un fétiche qu'on appelle Mpungu, les deux ayant une fonction guérisseuse. Ce qui est tout a fait clair, c'est que, pour les Mbala, il n'y a pas de confusion possible entre Dieu et le fétiche.
1.4.1.2 Nzambi Mpungu dans les mythes et tes fables.
On retrouve également fréquemment le nom de Nzambi Mpungu dans les mythes et les fables de la tradition mbala. Les ancêtres mbala s'y réfèrent comme à un conseiller, une source de sagesse. Nzambi Mpungu est considéré comme le Seigneur omniscient qui détient la solution au problèmes humains. Voici deux exemples de fables transmises par les ancêtres de génération en gradation.
Une mère accouche d'un enfant, mais l'enfant meurt. Dans sa douleur, elle se rend en pleurs chez Nzambi Mpungu qui lui donne cet ordre : "Tu as enterré ton enfant. Ne va pas voir sa tombe d'ici trois jours. Mais la mère, impatiente, ne peut attendre, son enfant, pense-t-elle, est peut-être ressuscite. Effectivement le petit enfant a repris vie, mais à cause de la désobéissance de sa mère, il meurt définitivement.
La leçon à tirer de cette fable est que l'origine de la mort est une punition d'une faute, d'une désobéissance à Dieu, à Nzambi Mpungu.
Un oiseau huppé, mbudigogu, et une tortue, mbati ou kafulu, se disputent. Le premier dit : Si ma case brûle, je m'envolerai et me sauverai, tandis que toi tu brûleras sur le sol. "Devant ce raisonnement indiscutable de l'oiseau beau parieur, la tortue se sent triste, car elle craint de mourir. Pour calmer ses soucis, elle s'en va trouver Nzambi Mpungu qui, l'ayant accueillie avec bienveillance, lui suggère : "Creuse un trou. Quand il y aura un feu, tu t'y cacheras".
Or, un jour, la case de I'oiseau prend feu. L'oiseau se brûle les ailes et tombe dans le brasier. La tortue se blottit dans son trou et en sort saine et sauve.
La morale de cette deuxième fable est que c'est dans la tranquillité et en mettant sa confiance en Nzambi Mpungu qu'on a la vie sauve. Nous poumons citer encore plusieurs autres fables, mais ces deux exemples montrent déjà que les Mbala considèrent Dieu comme la solution infaillible à tous leurs maux. C'est là la vraie leçon qu'on retire de ces fables.
1.4.1.3 Nzambi Mpungu et le culte des ancêtres.
Le nom de Nzambi Mpungu est également utilise dans le culte des ancêtres. Par exemple, à la mort d'un
Mbala, le plus âgé de la famille récitera les paroles suivantes, peu avant l'enterrement : «Nzambi mweni ugudidi, ugulombidi gidari, uguziya», ce qui veut dire : «Dieu seul t'a mangé, t'a réclamé ton impôt, t'a tué». Par ces paroles, le Mbala s'excuse auprès du mort, rendant Dieu seul responsable de son décès.
Dans un ouvrage, L. De Beir rapporte les propos suivants qu'il a lui-même recueillis chez les Mbala et les Yaka : «Les Mbala et les Yaka croient que ceux qui meurent retournent à leur origine, aux terres de leurs pères et de leurs ancêtres, "Gu udugidi gu gughindigila !", c'est-à-dire "D'où tu es venu, c'est là que tu retourneras». (De Beir, 1975 : 24.)
Aussi entendra-ton les paroles suivantes dans les mélopées récitées lors de convois funèbres : «Ndonga ndonga Nzambi adulesi rnwendu. Mbi Nzambi udendiga, yaya, g'idala ku dima lo.» Ce qui veut dire : «Un à un Dieu nous indique le sentier de la mort. Si Dieu m'appelle, je me rends cet appel, je ne regarde pas en arrière.
Autrement dit, lorsque la mort survient, on répond à l'appel de Dieu, sans hésiter.
1.4.2 Kha-nunu ye Ghombu : Ambuda tegu ou Le seigneur Nunu et Ghombu : proto-ancêtres
Les Mbala se sont interrogés sur leurs connaissances de Dieu et des origines du monde. Dieu est le créateur, mais quand et ou a-t-il crée ? La tradition religieuse mbala affirme ceci : ce n'est pas Dieu qui aurait révélé cela aux Mbala, mais deux
êtres humains envoyés par Dieu les auraient initiés. II s'agit des deux premiers ancêtres, Ambuda (anciens) tegu (premiers). En raison de leur place dans la hiérarchie généalogique et de leur mission fondamentale dans la vie des Mbala, on peut les designer par le terme proto-ancêtres. L'un s'appelait Kha-Nunu, un mâle, c'est-à-dire Seigneur (kha) d'âge respectable (nunu) et l'autre s'appelait Ghombu.
La tradition mbala ne dit rien de formel sur Ghombu, qu'elle suppose seulement être une femme. Ce sont eux qui ont demandé aux Mbala de s'occuper de tout ce que Nzambi a crée et leur a donné.
Kha-Nunu ye 0hombu avaient donc pour mission d'initier les Mbala à la connaissance de Dieu Nzambi Mpungu ye Mawesi, c'est lui qui a créé le monde et ce qu'il contient depuis des temps immémoriaux. Kha-Nunu ye Ghombu livrèrent aux Mbala les premiers éléments de la science (songo). Ces connaissances scientifiques portaient entre autres sur la religion, la forge, le tissage, l'astronomie, la chasse, la pêche, l'agriculture et la médecine. Kha-Nunu ye Ghombu initièrent également les Mbala à la vie sociale et politique.
Mais avant de disparaître, ils confièrent à la femme le mutaku ou le bracelet insigne d'investiture d'autorité de chef. Ils établirent ainsi les lois et les prescriptions pour l'investiture du chef. Une fois investi, le chef élu était désormais lié au pouvoir invisible de Nzambi.
Kha-Nunu ye Ghombu remirent également à la femme une mani, c'est-à-dire une pierre. Pour tout problème très grave qui se poserait et dont on ne trouverait pas de solution, réunis autour de mani, dans l'enclos du chef, les responsables de la communauté n'avaient qu'à communiquer avec les Ambuda tegu, qui communiqueraient avec Dieu. En effet, Nzambi seul peut prendre l'initiative de parler aux vivants par les ancêtres. II ne reçoit d'ordre d'aucun humain. Mais lui peut ordonner, et les Ambuda, aussi bien que les vivants dans ce monde, exécutent. Consulté, Nzambi donnerait la solution au chef par l'entremise des Ambuda. En raison de cette consultation autour de la pierre, les chefs investis étaient aussi appelés Mani à cause de mani dont ils avaient la garde.
Dans son palais, le chef mbala parlait avec Nzambi et les ancêtres pour recevoir d'eux des instructions nécessaires. II était le premier averti par les ancêtres chaque fois qu'un danger menaçait les habitants du village. II avait le pouvoir de
démasquer les esprits qui ne venaient ni de Nzambi ni des ancêtres. II les chassait en utilisant les akida protecteurs ou fétiches protecteurs des familles. Historiquement, selon la tradition, le kida serait une science des ancêtres, reçue de Nzambi Mpunqu et mise en pratique de leur vivant. Le recours aux akida visait à obtenir de Nzambi un accès au bonheur, à la paix, à la joie et à la sécurité.
Les Mbala rendent hommage à leur reine mère volée et retrouvée à Vienne (Autriche)
1.4.3 Le rapport aux ancêtres
Apres les Ambuda tegu vinrent les Ambuda. Ceux-ci furent les fondateurs des familles mbala telles qu'on les trouve dans l'actuelle mosaïque ethnique du Kwango-Kwilu : les Mbala, les Tsongo, les Hungana, les Pindi, les Ngongo, les Tsamba.
Les Mbala, comme les Bakongo et tous les peuples bantous d'Afrique, croient à l'existence d'un au-delà. C'est là, disent-ils, que vivent les ancêtres, les Ambuda tegu. Depuis les temps les plus reculés les Mbala croient fermement à la continuation de la vie. Wa Cikala Mulago apporte des précisions sur cette croyance : «Chez les Bantous (dont les Mbala font partie), les ancêtres sont doués d'une vie qui n'a pas de fin. Ils peuvent revenir sous forme de revenants dans les villages des vivants pour influencer la vie de ceux-ci en bien ou en mal. Les ancêtres sont invoqués par des prières et des supplications qu'on leur adresse et reçoivent l'honneur qui leur est dû.» (Mulago, 1 973 : 1 79.)
En effet, pour les Mbala, les ancêtres restent revêtus de leur corps et ils apparaissent parfois la nuit à leurs descendants, généralement pour leur manifester leur irritation et leur annoncer un malheur prochain. Le séjour de tous les ancêtres est
localisé sous la terre, mais pas nécessairement sous le village ou le domaine qu'ils ont habité de leur vivant. Peu importe où ils sont, ils vivent une vie éternelle dans des conditions particulières à chacun. Les ancêtres sont heureux de savoir que les membres de la famille ou du clan qu'ils ont laissés derrière eux se livrent aux occupations qui les absorbaient eux-mêmes jadis.
Les vivants s’intéressent aux ancêtres non par crainte qu'ils ne reviennent sous une forme ou l'autre, mais pour garantir la tranquillité dans la famille et le succès à la chasse et à la pêche, et pour obtenir une récolte abondante, car ce sont les ancêtres
qui plaident auprès de Dieu en faveur des vivants. Dans le rapport entre les Mbala et leurs ancêtres, les passions humaines se perpétuent. Les morts peuvent continuer d'entretenir de la rancune et de la haine envers les vivants, et ils peuvent même chercher vengeance. Selon la croyance mbala, les ancêtres déchargent parfois leur colère sur leurs descendants, d'où la crainte perpétuelle dans laquelle vivent les Mbala.
II nous faut ici préciser quatre aspects importants du système de relations qui existe entre les Mbala et leurs ancêtres : le pouvoir des ancêtres sur leurs descendants ; l'invocation qu'on adresse aux ancêtres ; les forces protectrices dont sont revêtus les ancêtres et qu'ils ont léguées aux vivants ; de même que la conjuration des forces maléfiques et le rôle des ancêtres considéré comme garant des lois fondamentales.
1.4.3.1 Le pouvoir des ancêtres.
Selon la tradition mbala, comme un peu partout en Afrique, les ancêtres sont les vivants par excellence. Ils détiennent un pouvoir surhumain. Leur existence influence la vie des membres de leur famille et de
leur clan qui sont encore sur terre. Par leur puissance occulte, ils connaissent d'avance les malheurs et les calamités qui risquent de toucher leurs descendants.
Leur pouvoir vient du fait que, après leur décès, leur famille et leur clan n'ont plus aucun contrôle sur eux. De plus, ils sont invisibles et la vie qu'ils mènent apparaît comme tout à fait mystérieuse. Lorsque les membres d'une famille ou d'un clan
délibèrent sur une question quelconque, ils sont là et écoutent tout ce qui se dit. En cas d'erreur ou d'injustice touchant leur famille, ils viennent en avertir les membres pendant leur sommeil.
Comme on l'a mentionne plus haut, ce sont eux qui interviennent auprès de Nzambi Mpungu en faveur de leur clan et qui reçoivent de lui les bénédictions dont les vivants ont tellement besoin. À cause de cette position privilégiée, leurs descendants dépendent d'eux. Les ancêtres sont capables de tout et même de provoquer des calamité, des maladies, des crises de toutes sortes. S'ils ne se sentent pas honorés par les membres de leur famille, ils annoncent des malheurs en s'introduisant dans leurs rêves et se mettent en colère, jusqu'à ce que les vivants les supplient et leur présentent des offrandes.
II faut préciser que tout défunt n'est pas appelé ancêtre, et encore moins «ancêtre puissant». C'est un rang qui est réservé soit à ceux qui viennent de mourir, les «a-peine-morts», soit aux ancêtres lointains dont la famille commence à perdre le souvenir parce qu'ils sont morts depuis très longtemps. Pour être compté parmi les ancêtres, il faut avoir été chef de famille, de clan ou de tribu, ou avoir fondé un lignage ou un clan, ou avoir été un «privilégié», comme l'a écrit Léopold Sedar Senghor. (Senghor cité dans Thomas et Luneau, 1980.) Tous les autres défunts sont considérés comme de «simples trépassés».
Les ancêtres sont invisibles, mais leur existence est perçue comme tout à fait réelle. Le fait même qu'ils soient invoqués et qu'ils reçoivent des sacrifices et des offrandes les rend sacrés. Dans le soutien de la vie des humains, ils viennent immédiatement après Dieu.
Les ancêtres font ainsi partie de la vie quotidienne de tout Mbala, et ils en sont un élément très important. D'une part, il y a les ancêtres «porte-bonheur» qui font du bien à la famille et au clan. Ils protègent le clan contre tout ce qui peut nuire à la vie de ses membres et contre la jalousie des clans voisins. D'autre part, il y a les ancêtres «porte-malheur». Ce sont ceux qui, de leur vivant, avaient des défauts et des vices, qui étaient connus pour leur irascibilité et leur esprit maussade, caractéristiques qu'ils ont d'ailleurs conservées dans I'au-delà. Les Mbala les qualifient d'hostiles, de méchants et de rancuniers. Leur pouvoir suscite de la méfiance et de la crainte chez les membres du clan.
la peur des ancêtres fait vivre les familles mbala dans un état d’inquiétude continuel. Les Mbala sont néanmoins assurés de survivre à cette impression constante grâce à l’encadrement et au soutien des autres membres de la famille et du
clan. Ils savent cependant qu'ils ont besoin d'une protection supplémentaire, d'où la nécessite d'invoquer les ancêtres et d'avoir recours à des forces protectrices particulières.
1.4.3.2 L'invocation aux ancêtres.
Quand nous parlons d'invocation, nous pensons celui qui supplie, place dans une position d'infériorité, et à celui à qui s'adresse une prière et qui occupe une position supérieure. Invoquer, du latin invocare, veut dire demander l'aide et le secours d'une puissance surnaturelle ou de quelqu'un de plus puissant que soi par des prières et des supplications. Quand les Mbala invoquent leurs ancêtres, ils se placent sous leur autorité, ils leur obéissent et se soumettent à eux. Cette invocation peut se faire par des offrandes ou des sacrifies. Certaines offrandes étaient autrefois déposés dans la tombe au moment de I'enterrement du défunt. Ces offrandes étaient appelées kigisu, c'est-à-dire objets de participation à l'enterrement. Les enfants ou des membres de la famille, absents au moment de l'enterrement, allaient plus tard offrir leurs offrandes.
D'autres offrandes prennent la forme de sacrifices, par l'immolation de victimes animales offertes aux morts et aux ancêtres. Cette très ancienne coutume a trois objectifs principaux : obtenir la guérison d'une maladie attribuée à la rancune des
ancêtres ou écarter les maléfices dont l'obsession poursuit un de leurs descendants jusque dans son sommeil; se protéger contre la vengeance des ancêtres d'un clan étranger jadis lésé par un membre de la famille et qui n'a pas obtenu réparation; obtenir des ancêtres un retour au succès, après que la chasse et la pêche se soient montrées infructueuses.
Les sacrifices peuvent être offerts par toute personne qui en sent le besoin à cause d'un problème survenant dans un domaine quelconque de sa vie privée ou familiale, et qui attribue cette difficulté à la colère ou au mécontentement d'un ancêtre.
Elle peut alors en faire part au plus âgé des chefs de famille ou de clan qui doit l'aider à se procurer la «victime» qui sera immolée devant la maison où habitait le défunt, ou sur sa tombe.
En ce qui concerne les éléments du sacrifice. tout dépend du problème et de son importance. Dans tous les cas, aucun objet inanimé (fruits, racines, gâteaux et autres) ne peut être offert en sacrifice, ce serait là une offense envers les ancêtres.
Une seule exception, le vin de palme pour les libations. De tout temps, c'est la poule et le coq, la chèvre, le bouc et le mouton qui ont été les objets des sacrifices. Dans la tradition mbala, il est interdit d'offrir un porc en sacrifice, car les Mbala croient que le cochon sert de moyen de transport nocturne aux mauvais sorciers. La façon d'offrir le sacrifice dépendra de ce que propose le sacrificateur et de I'objet du sacrifice. Les Mbala utilisent trois méthodes que nous décrirons brièvement.
*Dans un premier cas, dès que la décision d'offrir un sacrifice est prise par un membre de la famille ou du clan, le chef consulté procède au nettoyage de la tombe des ancêtres et déblaie le sentier qui y conduit. En immolant la victime, le chef invoquera l'ancêtre, l'invitant à accepter favorablement le sacrifice et à faire grâce de son pardon à celui qui est dans le besoin. Puis il creusera dans le sol un trou qui recevra l'objet du sacrifice. Prenant un peu d'une poudre appelée pemba, il soufflera sur le visage de celui qui offre le sacrifice en disant : «Gola, gola, sila!», ce qui veut dire «Force, force encore pour toi !»
Alors toute la famille pourra délabrer dans la joie. Cette pratique est appelée gimenga, le sacrifice du sang. Si après quelques jours le résultat attendu n'apparaît pas, la famille aura recours à un devin Nganga-ngombu qui révélera les causes de l'échec. Sur son conseil, on immolera plusieurs chèvres. Cette procédure est appelée musigu.
*On utilisera une autre méthode s'il s'agit d'offrir un sacrifice à plusieurs ancêtres, ou si I'ancêtre est décédé depuis très longtemps et que sa tombe est introuvable. On fera alors un simulacre de tombe en un lieu quelconque du cimetière du clan où les victimes seront offertes et enterrées.
*Une troisième procédure sera utilisée si le but du sacrifice est d'apaiser la colère d'un ancêtre d'un clan distant, si un membre de la famille l'a vu surgir en songe de son séjour souterrain et s'il vient la nuit par les chemins de brousse.
Alors il faut lui couper la route. Dans ce cas, le sacrifice sera déposé au croisement des chemins dans une case en terre dressée à cet effet. Ce sacrifice est aussi appelé musigu, c'est-a-dire ordonnance.
1.4.3.3 Les forces protectrices et les forces maléfique.
Nous avons montre que les Mbala croient que les ancêtres connaissent d'avance tout ce qui peut arriver au sein de leur famille et de leur clan. Aussi y a-t-il chez chaque clan des procédés pour éloigner les maléfices qui peuvent toucher ses membres. Dans toutes les sociétés bantoues, les forces protectrices constituent d'abord une mesure de sécurité pour la famille, puis elles forment une barrière contre les fauteurs de troubles.
Selon la tradition mbala, elles servaient a concilier les intérêt divergents des membres du clan. L'autorité clanique mbala, sûre de I'appui de Nzambi Mpungu et de celui des ancêtres, a pour rôle de provenir et de guérir les dissentiments et de faire régner la paix entre les individus formant la famille et le clan. Les chefs de famille et de clan, chez les Mbala, sont les protecteurs et les chefs sur la terre. Les membres du clan vivent entre deux forces qui s'opposent, l'une destructrice et l'autre protectrice.
Comme on le voit souvent en Afrique, le peuple mbala forme une société dont les membres se sentent livrés à leur sort, aux prises avec des puissances occultes et perfides, ces êtres exécrables qu'ils appellent alogi, les sorciers. Ce sont les auteurs des mulingu, les maléfices. Curieusement. les alogi ne sont pas des génies invisibles, ni des esprits, ce sont au contraire des personnes bien vivantes, généralement caractérisées par la douceur et le silence. Elles écoutent beaucoup et parlent peu. Ce sont des personnes ressemblant extérieurement à toutes les autres et vivant la même vie, mais elles sont revêtues d'un terrible pouvoir et animées d'une ferme volonté de nuire leurs semblables. Devant une telle force, si redoutable et qui inspire la peur, chaque clan mbala doit s'armer.
Par opposition à ces sorciers nuisibles, chaque clan a aussi un sorcier protecteur, le mulogi, dont le rôle est de défendre ses membres contre n'importe quelle attaque et de repousser ses ennemis. Cette force protectrice est appelée mudingu.
II existe une autre catégorie de forces protectrices. Ce sont les akida, les fétiches produits par la magie noire. Mengi a bien défini la magie noire et la magie blanche telles qu'elles sont pratiquées chez les Bakongo et il a identifié quatre catégories de fétiches ainsi que leurs fonctions respectives. (Mengi, 1981 : 36-37.) On retrouve ces mêmes pratiques chez les Mbala (EncadA 5).
Encadré 5 : Les quatre catégories de fétiches utilisés chez les Mbala
Les fétiches du clan : les akida a giganda ont la fonction de protéger la famille et de lui assurer la fécondité. Une statuette laissée par les ancêtres est gardée dans un coin obscur de la maison pour assurer une abondante progéniture. Les fétiches du sorcier : ils ont la forme de statuettes de bois. Leur rôle est d'aider le sorcier ou le féticheur a faire du mal à sa victime ou à tuer la personne visée. II suffit de faire passer un clou ou une pointe quelconque à travers la statuette pour faire mourir la victime, ou de casser un membre de la statuette pour rendre la personne infirme. Les fétiches amulettes : il s'agit de différents produits (cendre, piment, etc.) qu'on place dans un petit sachet en tissu attache à une ficelle. Le membre de la famille qui se sent menacé porte le sachet fixé au niveau des hanches pour se protéger contre ses ennemis, contre la foudre, les maladies dangereuses ou les sorciers malfaiteurs, ou encore lors d'un voyage. Les fétiches médicaments : ce sont des médicaments naturels faits de plantes, de feuilles ou de terre rouge argileuse. Ce sont des remèdes à valeur thérapeutique. |
Nous pouvons dire que le rapport des Mbala à leurs ancêtres est un signe du lien entre le monde des vivants et celui de I'au-delà. Nous paraphrasons ici les propos de Makantu Mavumilusa repris par Mengi sur le rôle que jouent les ancêtres : quand tout va bien, les vivants n'ont aucunement besoin de s'adresser aux ancêtres. Ils les laissent tranquilles, mais quand les choses tournent mal, les vivants se posent beaucoup de questions sur les raisons de leur malchance (Mengi, 1981 : 32.) Cela concerne tous les domaines de la vie quotidienne des Africains.
Nous avons parlé de la puissance des ancêtres et de la crainte qu'ont les Mbala devant les forces malfaisantes. Ces éléments contribuent à bâtir à I'intérieur du clan un esprit de solidarité afin d'assurer la sécurité de la famille et la fécondité du couple. Le respect de Nzambi Mpungu et des ancêtres est aussi pour les Mbala un gage de succès dans tout ce qu'ils entreprennent, car ce qui intéresse surtout ce peuple, c'est de vivre et de réussir dans tout ce qu'il fait. Le Mbala ayant un fort esprit de communauté, il est difficile de l'éloigner de son milieu, de sa famille et de son clan.
Entre la richesse monétaire et les hommes, un Mbala choisirait sans hésiter les hommes, car c'est une richesse pour lui que d'appartenir à un clan qui compte beaucoup de membres et d'avoir une famille nombreuse.
1.4.3.4 Le rôle des ancêtres : être garant des lois fondamentales.
Les Ambuda devaient régir leurs communauté respectives selon les directives reçues des Ambuda tegu, pour que les familles mbala se perpétuent et vivent dans le bonheur. Les directives établies par les Ambuda tegu et remises au Ambuda pour la régulation de la vie sociale et individuelle des Mbala constituent ce qu'on appelle Misigu mi Ambuda. En français ce terme peut se traduire par «traditions». Cela évoque le conservatisme et les obstacles liés aux progrès ainsi que ceux liés à la modernisation. Nous proposons de rendre compte de Misigu mi Ambuda par l'expression la loi fondamentale ou plus concrètement par les lois fondamentales hérités des ancêtres.
Les lois fondamentales avaient pour fonction d'assurer la stabilité et les acquis sociaux propices à l'épanouissement des familles mbala. Comme ces lois avaient, en fin de compte, Nzambi pour origine, les Mbala rappelaient volontiers :
«Misigu mi Ambuda, miena, mi Nzambi, geba !». Ce qui veut dire, «les lois des ancêtres sont de Nzambi, donc prenez garde !. Cette mise en garde ne renvoie pas au fondamentalisme juridique. De fait, devant des situations nouvelles. le chef et les notables consultaient les Ambuda qui connaissaient bien la volonté de Nzambi et l'esprit des lois fondamentales. La réponse de Nzambi par les Arnbuda était transmise par la voix de nganga, c'est-à-dire le voyant des réalités invisibles ou mystérieuses. C'est ainsi que lors de l'investiture ou des funérailles du chef, on immolait des humains très proches des parents aimés ou des esclaves. Cette tradition fut abolie puisqu'elle parut inhumaine et qu'elle constituait une source de division dans les familles.
Un rituel courant pour consulter Nzambi ye Ambuda sur la conformité avec les Misigu mi Ambuda d'une disposition nouvelle à prendre était le sacrifice. Ce dernier était exigé pour certaines circonstances, notamment la mort successive dans le clan, des maladies graves et incurables, une chasse et ou une pêche improductives, une récolte peu abondante, des troubles provoqués par quelqu'un de la famille, troubles susceptibles d'avoir causé la mort d'un de ses membres.
Pour les Mbala, les sacrifices passaient nécessairement par les ancêtres. En effet, Nzambi étant le tout autre et sans compromission avec les affaires humaines, les vivants risqueraient de lui offrir directement des sacrifices impies et non conformes à sa volonté En cas d'abus, Nzambi détourerait alors son regard de leurs familles. D'autre part, les éléments du sacrifice provenant de Dieu, ce sont plutôt les ancêtres qui en auraient besoin pour se nourrir. À leur tour, les Ambuda tegu exprimaient la joie lorsqu'ils voyaient que les membres de la famille vivants s'occupaient d'eux, prenant soin d'eux et honorant Nzambi par leur sacrifice. De plus, si le sacrifice était mauvais, les Ambuda tegu pouvaient réagir avant de l'offrir à Nzambi et corriger la situation sacrificielle.
Les Ambuda tegu avaient te pouvoir de refuser le sacrifice mal fait. Ils venaient en avertit par le rêve ou par quelques calamités permises que Nzambi n’agréai pas leurs sacrifices. En effet, si les ancêtres reçoivent les sacrifices, c'est surtout pour maintenir les liens familiaux entre eux et les membres de la famille vivants sur terre d'une part, entre les vivants et Nzambi d'autre part. Les Mbala pensent que ce qu'ils sacrifient à Nzambi, ils le font aussi aux ancêtres qui sont prêt de lui. Aussi les ancêtres veillent-ils à ce que les vivants offrent de bons sacrifices à Nzambi.
Les Misigu mi Ambuda étaient une institution inviolable et intangible. C'était en référence à elle qu'on légiférait. On entrait en communication avec les Ambuda des origines, les plus anciens qui, eux, occupaient un rang supérieur aux autres et étaient plus proches de Nzambi. Ces Ambuda faisaient à Nzambi des représentations sur ces nouvelles lois pour en obtenir l'approbation. Une fois approuvées par Nzambi, les nouvelles lois non circonstancielles devenaient intemporelles et partie intégrante des Misigu mi Ambuda. Elles sont, dès lors, appliquées a toute la communauté. Ainsi, la puissance se manifeste-t-elle non seulement parce qu'ils ont occupé sur terre des positions privilégiées, mais surtout parce qu'ils sont des législateurs et des juges. De fait, toutes les lois claniques proviennent d'eux et sont appliquées par les vivants de génération en génération. Par exemple, aucun mariage ne peut être célébrer sans se conformer aux paroles des Ambuda tegu et sans se référer à leurs règlements. De même, toute activité quotidienne est soumise à leur approbation. Les Mbala ont donc alors toutes les raisons d'invoquer leurs ancêtres.
Outre ce ministère Législatif, les Ambuda avaient aussi une fonction pédagogique. Ce sont eux qui, par le chef élu, enseignaient aux vivants que Nzambi était un Nzambi «uluzolu», c'est-à-dire un Dieu amour. Aussi avait-il fait toutes choses magnifiques et en avait-il cornblé les Mbala. Ces derniers étaient invités à raconter à leurs enfants des histoires édifiantes à propos de leurs traditions et de Misigu mi Ambuda, leur expliquer qui est Nzambi, où il est, de même que son importance pour la vie de la communauté et des particuliers.
Sur le plan de la politique intérieure, les Misigu mi Ambuda prévoyaient la mise en place des gouvernements élus dont Nzambi était toujours le chef suprême.
Un critère particulier pour être élu était d'être un homme fort, sage et sérieux. Le chef élu portait alors un mutaku au poignet droit, c'était le bracelet signe de sa légitimité conformément aux Misigu mi Ambuda et de ses liens avec Nzambi ainsi qu'avec les Ambuda. II pouvait dès lors gouverner la société mbala. Quant aux sujets, eux, ils devaient pourvoir aux besoins du chef élu, et, en revanche, celui-ci était appelé à les écouter. Ainsi, dans certains cas majeurs, les sujets mbala pouvaient ils soumettre au chef démocratiquement élu des propositions ou des suggestions, comme lors du choix des candidats pour l'équipe gouvernementale.
1.4.4 Mafwa ye Galunga ou la mort et l'au-delà.
Les Mbala accueillent dans de grandes réjouissances la naissance d'un enfant qui représente, à leurs yeux, la vie et la croissance de la communauté. Toute naissance, qu'elle soit survenue dans le cadre d'une union régulière ou non, est tenue pour don de Dieu et des Ambuda. Si l'enfant, par surcroît, a beaucoup de ressemblance avec un aïeul, d'aucuns voient en lui un ancêtre qui revient à la vie de ce monde, au milieu des siens. Quoi qu'il en soit, à sa naissance, I'enfant est accueilli par des cérémonies de bénédictions selon les Misigu mi Ambuda, par les autres membres de la communauté avec des kukuma mwana, qui sont des souhaits de chance heureuse pour la vie, une longue vie comblée avec les siens et au milieu des siens.
Mais au bout de toute vie, qu'elle ait été heureuse ou malheureuse, il y a la mort, lufwa. Ce décès est ressenti par chaque membre de la communauté avec une dimension plurielle. II est alors dit mafwa, dont la première expression est le deuil. À ce sens, s'ajoute le sens communautaire qui fait de tout décès d'un membre une mort de la communauté, un amoindrissement de la vie collective. Selon les Mbala.
la mort naturelle n'existe pas. Elle vient toujours de quelqu'un vivant dans ce monde-ci ou dans l'au-delà. Alors les Mbala s'interrogent sur l'auteur de ce mafwa.
Parmi les auteurs présumés, il y a d'abord Nzambi, ensuite les Ambuda, puis viennent les membres de la famille par envoûtement ou sortilège, les ennemis intérieurs et extérieurs de la famille et surtout les alogi ou sorciers.
Dans un premier temps, les Mbala affirment que la mort a pour principal auteur Dieu lui-même. C'est lui qui a crée l'homme et c'est lui qui le reprend quand il veut, comme il veut et où il veut. Lorsque les Mbala se trouvent devant une dépouille mortelle, ils chantent tout autour du corps en cercle. Ce chant funèbre qui puise ses images dans la banalité de la vie quotidienne n'accuse nullement Nzambi.
Mais il veut confesser par un langage et des gestes symboliques que Nzambi est souverain. Aussi, lui devons-nous entière soumission. Mais, en fin de compte, si ce sont les alogi ou d'autres ennemis qui ont causé ce décès, dans un esprit de
conciliation et de préservation de l'unité da la communauté, les Mbala rapportent à l'occasion à Nzambi l'origine du décès survenu. En effet, Nzambi est plus fort que les alogi qui ne peuvent tuer qu'avec sa permission. Les sorciers sont ses soldats.
Souvent, ce qu'ils disent en langage imagé n'est pas ce qu'ils veulent réellement exprimer. Tout occulte une vérité, qu'ils appellent giswegi ou secret. Voici maintenant cette lamentation funèbre.?
Dans un deuxième temps, les Mbala enquêtent sur la cause immédiate de la mort chez les Ambuda et chez les autres vivants. S'il s'agit des Ambuda ou de certains vivants, on examine s'il n'y a pas lieu de procéder à des rituels propitiatoires pour manquements aux Misigu mi Ambuda. S'il s'agit d'une situation autre, on entreprend la palabre pour résoudre la question.
En plus du phénomène lui-rnême, la mort, selon les Mbala, est un voyage pour l'au-delà, le galunga ou le séjour des morts. Le galunga est le lieu de rétribution pour le genre de vie mené sur terre. II n'y a pas de mesure d'indulgence une fois dans le galunga. Tout se règle ici bas. Toutefois, les morts peuvent réclamer aux vivants certaines réparations pour des injustices qu'ils avaient subies de leur vivant ou pour le non-accomplissement des Misigu mi Ambuda à leur mort. Ce voyage est bon et rempli de chance si la personne s'est bien conduite sur terre. Par contre, lorsque la personne n'a pas mené une bonne vie, le galunga ne lui ménagera aucune chance.
Le galunga compte trois niveaux. Au plus bas niveau, demeurent ceux dont la conduite a été mauvaise lors de leur séjour terrestre. Dans ce galunga, les rnorts sont privés de tout, en particulier, de l'opportunité de voir la chance suprême, Nzambi Mpungu. Dans leur rage et leur jalousie, les habitants du bas galunga cherchent continuellement à nuire aux vivants qui, eux, ont encore la chance de reformer leur vie, de voir et d'être pour toujours avec Nzambi Mpungu, la chance suprême.
Au deuxième niveau du galunga habitent les Ambuda et les morts qui ont mené une bonne vie avec leurs familles et leur communauté. Le galunga de ce deuxième niveau n'est pas un lieu de joie ni non plus de tristesse, mais un lieu d'attente pour voir et être toujours avec Nzambi Mpungu, chance suprême de joie et de bonheur, lui le Mawesi. Durant cette période d'attente, les habitants du deuxième galunga sont à l'abri de tout danger et de toute calamité provenant d'en haut ou d'ici bas. Ce n'est qu'au bout de mille ans d'attente dans ce galunga de deuxième niveau qu'ils auront ensuite accès à Nzambi.
Enfin, il y a le troisième galunga qui est le séjour propre à Nzambi Mpungu, le lieu de la chance suprême, du bonheur et de la joie. Nzambi y est avec les Ambuda tegu et II accueille les autres Ambuda et défunts émigrés du deuxième galunga.
Référence
Mulopo-nzam Bakombo, le dialogue inter-religieux : pour une théologie de la reconstruction appliquée au mariage Mbala du Kwango-Kwilu (Congo) 488 pages
Le chanteur Noël Ngiama Makanda dit Werrason (ethnie Mbala)
Date de dernière mise à jour : vendredi, 19 avril 2019
Commentaires
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1 Muluba Le mercredi, 10 février 2021
Merci beaucoup pour ce long texte tellement constructif, j’ai appris énormément en vous lisant ! -
2 Mulolo Le mercredi, 06 janvier 2021
Merci pour ce texte très instructif -
3 SAMAL Le dimanche, 28 juin 2020
Werrason n'est pas de l'ethnie Mbala -
4 Kimolo Madufuana Le jeudi, 30 mai 2019
tres explicite sur l'histoire du peuple MBALA. très enrichissante.
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