L'histoire que nous raconte le crâne de Lusinga Lwa Ng'ombe
Le 20/04/2018
Refusant de se soumettre, un puissant chef tabwa eut la tête tranchée et son crâne fut ramené en Belgique. Il s’y trouve toujours. Conservé par un musée mais à l’abri des regards, comme dans une oubliette.
Une enquête publiée dans l'hebdomadaire Paris Match Belgique et sur le site spécialement dédié www.lusingatabwa.com, le 22 mars 2018.
Dans une boîte qui se trouve à l’Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique repose le crâne de Lusinga lwa Ng'ombe. Le 4 décembre 1884, ce puissant chef tabwa qui vivait dans la région du lac Tanganyika fut décapité lors d’une expédition punitive commanditée par Emile Storms. Ce militaire belge, autrefois décoré, aujourd’hui oublié, dirigeait la 4ème expédition de l’Association Internationale Africaine. Il faisait tuer les chefs rebelles et il se constituait une collection de crânes pour impressionner ses ennemis. À la fin de son séjour en Afrique, Storms ramena le crâne de Lusinga mais aussi ceux de deux autres chefs locaux (Mpampa et Marilou). Alors qu’ils sont toujours conservés en Belgique, ces restes humains invitent à un travail de mémoire sur des crimes qui ont été commis au nom de la « civilisation » dans les premiers temps de la colonisation. Ils questionnent aussi notre présent. Peut-on se contenter d'une muette solution de « stockage » dans un musée ? La Belgique ne doit-elle tout mettre en œuvre pour rendre possible le retour de ces restes humains en Afrique? Le « butin » de Storms fut aussi constitué de plusieurs statuettes qui font partie des "trésors" du Musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren...
« Je fais apporter la tête de Lusinga au milieu du cercle. Je dis : ‘Voilà l’homme que vous craigniez hier. Cet homme est mort parce qu’il a toujours cherché à détruire la contrée et parce qu’il a menti à l’homme blanc.’ ». Le 9 décembre 1884, lorsqu’il écrit ces lignes dans son journal, le lieutenant Emile Storms est au faîte de sa puissance. Installé depuis un peu plus de deux ans dans la région du lac Tanganyika, ce militaire belge est alors le commandant de la 4ème expédition de l’Association Internationale Africaine (AIA), une organisation créée à l’initiative du Roi Léopold II pour « explorer » l’immense territoire qui deviendra bientôt le Congo belge.
L’AIA affichait des ambitions « civilisatrices » et « antiesclavagistes » mais il ne s’agissait de rien d’autre que d’une entreprise de conquête s’inscrivant dans la course que plusieurs puissances européennes se livraient alors pour coloniser l’Afrique centrale. Le plan d’action était simple. Sur le terrain, planter le drapeau bleu avec une étoile dorée de l’AIA dans un maximum de territoires, y « soumettre » les populations locales ; dans les sphères diplomatiques, préparer le moment où cette occupation de fait serait « officialisée » par les chefs d’Etats européens. Ce qui fut fait lors de la Conférence de Berlin qui, le 26 février 1885, livra le Congo au Roi Léopold II.
Au même titre qu’Henry Morton Stanley, Emile Storms a été l’un des maillons de cette entreprise proto-coloniale mais, bien qu’un monument le célèbre, square de Meeûs à Bruxelles, son histoire est largement méconnue dans son pays natal. Le parcours de cet homme qui brandissait la tête coupée d’un chef local dont il avait fait disparaître les villages en une journée de terreur – quelques 60 morts et 125 prisonniers dont on ne sait rien de ce qu’ils devinrent- apporte pourtant un éclairage signifiant sur une période importante de l’histoire de la Belgique et du Congo.
Le crâne du chef Lusinga est actuellement conservé dans une bôite qui se trouve à l'Institut Royal des Sciences naturelles de Belgique.
http://www.michelbouffioux.be/lusinga