Le roi Hitler de Belgique, le boucher du Congo : Histoire macabre de la colonisation belge au Congo 1876-1910 (1ère partie L'exploitation du caoutchouc, un crime colonial oublié )
Le caoutchouc
Connaissez-vous la sale histoire du pneumatique ? Au 19e siècle, des millions de Congolais ont été massacrés pour exploiter l’hévéa, l’arbre à caoutchouc. Massacres de masse, tortures et châtiments corporels, asservissement, villages rasés, rien ne fut épargné aux indigènes qui cherchaient à se soustraire au travail forcé, ne récoltaient pas assez de caoutchouc ou ne rapportaient pas suffisamment de pointes d’ivoire.
La punition la plus répandue était la section de la main. Si les villages ne rendaient pas la quantité de caoutchouc dont on avait besoin, on prenait les hommes mâles adultes et on leur coupait la main. La deuxième fois, on leur coupait l'autre main. Si la famille continuait à ne pas donner le caoutchouc, on tuait.
Les récoltes de caoutchouc débutèrent à partir de 1893 et ce jusqu’en 1912. Le système consistait à la mise en place d’auxiliaires et de sentinelles, originaires de la région, dans les villages pour forcer les populations à récolter le caoutchouc. Ceux-ci étaient souvent la cible de représailles, de la part des villageois qui devaient récolter le latex et l’amener aux postes de l’état ou des sociétés, sous forme de boules voire de lanières. Certains villages en étaient exemptés mais devaient par contre assurer la sustentation de leurs bourreaux. Il régnait un véritable chaos dans certains districts comme celui du Kasaï où la famine et le trafic d’esclaves étaient à leur comble. De nombreuses femmes étaient prises en otages et mouraient parfois d’inanition comme cela était provoqué notamment par Matthys en 1899 dans le district Bangala.
La compagnie concessionnaire Abir faisait remplir pour chaque otage des formulaires stipulant le nom de l’otage, le lieu d’origine de celui-ci ainsi que la date. Un exemple de méthodes utilisées par l’agent d’état, le lieutenant de l’armée belge Léon Fievez dans l’Équateur en 1894 en réaction au refus de coopération de la part des Congolais :
"Devant leur mauvaise volonté manifeste, je leur fais la guerre. Un exemple a suffi, cent têtes tranchées et depuis lors les vivres abondent dans la station. Mon but est en somme humanitaire. J’ai supprimé cent existences, mais cela permet à cinq cents autres de vivre".
La terreur du caoutchouc allait être spécialement sanglante dans la région du Lac Tumba (Equateur). Le même Fievez allait ensuite exiger des mains coupées comme preuve du nombre de cartouches utilisées. L’un de ses "exploits" allait être soulevé par le député belge Lorand à la Chambre après avoir été relaté dans le journal allemand Kolnische Zeitung: un jour, cet agent d’état compta plus de 1300 mains coupées….Dans le Times du 18 novembre 1895, un missionnaire protestant relatait les méthodes
barbares de l’administration congolaise. Fievez comparut en octobre et novembre 1899 à Boma pour cas de violences à Bangala en 1898 et d’exécutions dans l’Ubangi en 1899. Il fut acquitté.
(photo: missionnaires britanniques en compagnied'hommes tenant les mains coupées de Bolenge et Lingomo, victimes des milices de l'Abir en 1904. ©Anti-Slavery International)
L’exploitation de la province de l’Équateur par les belges
Pesée des récoltes de caoutchouc à Basankusu par un agent ABIR.
L’ exploitation du caoutchouc sauvage38 durant l’EIC et encore quelques années après fut une tragédie qui coûta la vie à de nombreux Congolais. Désignée sous la dénomination de « caoutchouc rouge », elle est de mieux en mieux connue aujourd’hui (Vangroenweghe 1986 ; Verhaegen 1987 : 3 et suivantes). Elle est d’abord la conséquence du régime économique instauré au cœur du Congo. Les violences furent « structurelles » dans les territoires tant concédés à des sociétés commerciales que dans ceux gérés directement par l’«État congolais ». Les massacres, les exécutions et les tortures ne visaient pas d’abord des délinquants de droit commun ou des insurgés, mais « les auteurs de délits économiques », c’est-à-dire les villageois ne récoltant pas suffisamment de caoutchouc ou ne livrant pas assez de vivres. La responsabilité était jugée comme étant collective : le chef et tout le village. Les femmes, les enfants et les vieillards étaient pris en otage (Verhaegen 1987 : 4-6).
Ce chapitre porte sur la méthode brutale dont les agents de la Société anonyme belge pour le Haut Congo (SAB) et de la Société de la Lulonga exploitèrent les concessions que l’EIC leur avait octroyées. C’est sous ce jour que se révèle l’affaire Bakanja, béatifié le 24 avril 1994 à Rome, dans le contexte historique de la colonisation. Cet originaire d’Ingende, devenu un évangélisé catholique, mourut dans des conditions affreuses, malgré une présence missionnaire – des trappistes et des prêtres de Mill Hill – dans cette partie de l’Équateur. Bakanja fut victime, d’une part, d’un agent européen et, d’autre part, d’un système oppressif de domination. Il y a donc, ici, lieu de sortir du cadre généralement limité et trop enclin à faire croire qu’il n’aurait été que la victime d’une foi catholique intrépide.
Les Sociétés belge de l'État indépendant du Congo (1888-1892)
Le 10 octobre 1888, la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie (CCCI), surnommée la Douairière de la rue Bréderode, créa une filiale : la Société anonyme belge pour le commerce du Haut-Congo, la SAB en sigle. Son siège social fut installé à Léopoldville. Son capital de départ était de 1 200 000 FB, soit 162 millions, en valeur des années 1990. L’assemblée générale porta le capital à 3 000 000 FB, le 31 janvier 1890 et à 5 050 000 FB, le 16 avril 1892.
L’objectif de la société était d’établir le long du fleuve Congo des comptoirs pour la récolte et le transit de l’ivoire et du caoutchouc à lianes. Dans ce but, elle reprit l’organisation commerciale de la Sanford Exploring Expedition, la SEE, fondée en 1886 par Henry Sanford, ministre plénipotentiaire (ambassadeur) des États-Unis à Bruxelles et ami personnel de Léopold II.
Sur cette photo, Nsala, du district de Wala, regardant les membres coupés de sa fille Boali, victimes des milices de l'Abir. Celle-ci venait d'être massacrée et démembrée par les forces impériales belges après que le village de Nsala a échoué à répondre aux quotas de caoutchouc exigés par l'envahisseur. (©Anti-Slavery International).
Voici quelques lignes assez descriptives écrites par l’officier danois Knud Jespersen et qui concerne la période 1898-1899 qu’il passa à Bala-Londji : " d’après les règles de l’époque, chaque cartouche manquante doit être justifiée par une main humaine. Il est vrai que beaucoup d’entre elles proviennent de cadavres de guerriers tombés au combat, mais il y a également des mains d’enfants, de femmes et de vieillards.
Cela est prouvé par les invalides encore en vie…
...Il [il parle de lui a la 3ème personne] trouve des agglomérations presque totalement abandonnées.
Les fugitifs se groupent à l’intérieur des forêts…les soldats et leurs aides les y poursuivent pour les massacrer…ce qui expliquent que les fugitifs pénètrent très profondément en forêt. Les soldats et leurs aides parviennent cependant à expédier des pirogues chargées de butin et de prisonniers adolescents et jeunes femmes, dans le but de les vendre ou de les faire travailler pour eux dans leurs villages d’origine…
…Le lendemain des ambassadeurs viennent se soumettre en promettant de travailler pour l’état. Jespersen leur rend alors les femmes et les enfants prisonniers, malgré les protestations violentes des soldats et contrairement à la pratique courante de cette époque [ils étaient souvent payés en femme ou en enfant]. En effet habituellement les indigènes ne travaillaient qu’en vue de la restitution de leurs femmes, une femme par hotte de caoutchouc…une expédition punitive contre le village de pêcheurs de Ventri pour n’avoir pas livré la quantité imposée de poissons…le sergent Fariala est envoyé avec 10 soldats pour punir les récalcitrants. L’attaque nocturne anéantit l’agglomération et le lendemain l’expédition rapporte une hotte de mains coupées…"
Plusieurs cas de révoltes et de résistances ont entravé le travail morbide de ces milices qui n’hésitaient pas à entreprendre des représailles insensées. Quelques extraits du journal du sous officier Louis Leclercq en 1895 qui participa à des représailles dans l’Aruwimi suite à une révolte en novembre 1894: "10 avril : Six indigènes tués. Village livré aux flammes…La tête de la colonne est attaquée par un parti d’indigènes…deux morts et quatre blessés mortellement…17 avril : Parti avec 80 hommes pour le village Baourou. Une quinzaine de personnes tuées…25 avril: …Arrivée à Iteke.Brûlé le village ainsi que Yambi aval…..arrivée à Yambi amont…Brûlé le village.
26 avril : Arrivée à Llongo aval à 6h20. Brûlé le village et tué un indigéne. Arrivé à Llongo amont à 9 h 00. Arrivé à Yambumba à 11h40. Je fais brûler le village…après quelques instants d’une fusillade bien nourrie, les indigènes prennent la fuite en laissant treize des leurs sur le terrain. Je fais mettre le feu aux cases. [Ensuite, il parle de villages incendiés les 27,28 et 29 avril]…1er juin : Attaque du poste de Mahonga [Bahanga ?] par les indigènes. Le poste a mis les noirs en fuite et leur a tué plus de 50 hommes. Les têtes des 18 principaux tués et le corps du grand chef d’Ilondo ont été apportés le lendemain par le chef du poste à Basoko. [note : fait suite le récit de nombreux villages incendiés, de nombreuses têtes coupées et donc de nombreux morts. Ces représailles prirent fin le 12 août].
Alphonse Jacques, ancien chef de la force antiesclavagiste belge sur le lac Tanganyika, sera nommé baron et général. Entre temps il dirigea la récolte du caoutchouc de 1895 à 1898 dans le district du Lac Léopold
Georges Lorand lira à la Chambre le 28 février 1906 une des lettres écrites par Jacques à son chef de poste Leyder Mathieu :
"Monsieur le chef de poste,
…Ces gens d’Inongo…..sont venus couper les lianes à caoutchouc à Ibali [note : les lianes ne devaient
pas être coupées mais incisées]. Nous devons taper sur eux jusqu’à soumission absolue ou extinction complète…Prévenez encore une toute dernière fois les gens d’Inongo et mettez au plus tôt votre projet à exécution de les accompagner dans le bois, ou bien rendez-vous au village avec une bonne trique.
Au premier chimbèque adressez-vous au propriétaire: Voilà un panier tu vas le remplir de caoutchouc.Allez, file dans le bois et tout de suite, et si dans 8 jours tu n’es pas revenu avec 5 kg, je flambe ton chimbèque ! et vous flambez,-comme vous l’avez promis. La trique servira à chasser dans les bois ceux qui ne veulent pas quitter le village. En brûlant [les cases] une à une , je crois que vous ne serez pas obligé d’aller jusqu’au bout avant d’être obéi.
PS: Prévenez-les que s’ils coupent encore une liane, je les exterminerai tous jusqu’au dernier."
Les privilèges : le droit de police et le droit de perception d’impôts
Engerinckx, le directeur en Afrique de l’Abir, envoya, le 19 mars 1894, au gouverneur général, une lettre confirmant (cela avait déjà été raconté dans sa lettre du 20 février) la nouvelle du «petit accident » arrivé à Baringa, où il s’était rendu au début du mois de février. Il allait y construire une nouvelle factorerie. Le terrain nécessaire à l’installation était défriché. De retour à Waka, où la factorerie était restée sans gérant, le poste fut laissé dans les mains d’un capita avec douze fusils.
« […] le soir même du jour de mon départ, ce poste fut attaqué ; trois hommes furent tués et malheureusement, 5 fusils restèrent entre les mains des indigènes. Comme l’installation de la police armée sous ma direction n’est pas encore résolue, je n’ai pu agir moi-même. J’en ai informé le chef de poste de Basankussu [sic] qui s’est rendu immédiatement sur les lieux et a infligé une punition sévère aux indigènes, sans, toutefois, parvenir à se faire restituer les 5 fusils. Étant en relation avec un chef, ami des Baringa, j’ai envoyé celui-ci à la recherche des armes et j’apprends par les indigènes qu’à l’heure actuelle on les lui a rendues. Je profite de cette occasion pour vous faire remarquer, Monsieur le Gouverneur, la nécessité de pouvoir agir moi-même directement dans des circonstances analogues, ce que je ne saurais faire sans autorisation pour ne pas courir le risque de me voir dresser procès-verbal “pour avoir empiété sur les droits du chef de poste de Basankussu”, ce dont on m’a déjà menacé lors d’un petit accident sans aucune importance » (Archives MRAC Lettre de Engerinckx à Théophile Wahis, 19 mars 1894).
Ce fut donc le directeur de l’Abir en Afrique qui demanda au gouvernement local un certain droit de police, que Théophile Wahis lui accorda. Celui-ci envoya, à ce propos, la lettre ci-après au commissaire de district de l’Équateur :
« […] La première de ces questions, qui concerne Basankussu, sera résolue en confiant la mission politique dans ce poste à un agent de la société et ainsi, l’agent de l’État actuellement chef de poste pourra plus utilement vous seconder dans une autre région du district. Veuillez donc, à titre provisoire, supprimer le poste de l’État à Basankussu.
Le directeur de l’ABIR sera également chargé, à titre d’essai, de la police de toute la région concédée, mais sous votre direction. Les mesures proposées par M. Engerinckx concernant les délits ou crimes commis dans les factoreries seront également adoptées à titre d’essai. Veuillez donner connaissance de ce qui précède au directeur de l’ABIR en même temps que des instructions lui permettant de remplir convenablement sa mission politique.
Si des abus se produisaient, vous m’en rendriez immédiatement compte, je modifierais le système qui sera mis à l’essai ou même je le supprimerais complètement pour en revenir à ce qui existait antérieurement. Je vous prie toutefois de remarquer tous les avantages qu’il y aurait à donner aux agents de l’ABIR des fonctions qui nous permettent de supprimer un certain nombre d’agents de l’État. On peut espérer de plus que les conflits seront moins nombreux quand les agents commerciaux relèveront directement de votre autorité et n’auront plus à recevoir des ordres d’un chef de poste qui peut être inexpérimenté, mal comprendre luimême les instructions et provoquer des réclamations très fondées.
Un inconvénient que je vois au système qui va être mis à l’essai, c’est que vous aurez à vous déplacer assez fréquemment pour inspecter la région et veiller à ce qu’aucun abus ne s’y produise et je sais que le temps dont vous disposez est déjà fort restreint […] » (Archives MRAC Lettre de Théophile Wahis au commissaire de district, 5 juin 1894).
Mais l’État congolais n’avait pas investi dans la Justice. Il commença par organiser la justice répressive dès janvier 1886, publia un code pénal, un code de procédure pénale et, dans le courant de la même année, un code de procédure civile et des lois régissant les matières civiles usuelles. En 1889, une Cour suprême, sous le nom de Conseil supérieur, fut instituée à Bruxelles. Jusqu’en 1906, il n’existait qu’un tribunal de première instance pour tout le Congo et un tribunal d’appel; l’un et l’autre étaient itinérants. Divers tribunaux territoriaux à compétence exclusivement répressive existaient également. Au courant de la même année 1906, le nombre des tribunaux de première instance fut porté à quatre, celui des tribunaux territoriaux à douze (Leynen1944).
Après la reprise de l’EIC par la Belgique, un second tribunal d’appel fut créé à Élisabethville en 1910, ayant le Katanga comme ressort. Ce ne fut qu’en 1913 que des tribunaux de police furent institués et l’administrateur territorial devint le juge. Les tribunaux du parquet, dont le juge était le magistrat du parquet près le tribunal de première instance, furent créés la même année (Leynen 1944).
La vie des agents commerciaux : violences, alcool, ménagères…
Le père Edmond Boelaert a fait des recherches sur les débuts de la SAB à l’Équateur et a pu identifier quelques-uns des premiers agents. Dans un article très intéressant, il dit d’un certain Arthur Boulanger, qui n’a pas conquis une place dans la Biographie coloniale belge, que des missionnaires protestants ont adressé une lettre au Commissaire du district à Bangala, pour protester contre les cruautés de ce Boulanger envers les indigènes (Boelaert 1988 : 53).
En réalité, peu d’écrits portent sur la vie quotidienne des agents commerciaux. Quelques récits, cependant, apportent un éclairage, comme celui d’Eugène Verbèque (1867-1903), embarqué pour le Congo comme agent commercial de la SAB, le 6 mai 1893. Verbèque travailla d’abord à Nzonkadi, au Kasaï. Dans son journal, il raconta comment, en septembre 1894, il punit, dans cette station, deux instigateurs d’un cambriolage dans ses magasins :
« Il y a un mois environ, j’ai dû punir 2 hommes de mon personnel. Comme la chose était grave, je me suis vu forcé de frapper un exemple, afin que de pareils faits ne se produisent plus, ce qui pourrait devenir un danger pour ma sécurité. Ces 2 hommes étant en expédition pour achat de caoutchouc, ils avaient leurs fusils et une trentaine de francs de marchandises que je leur avais confiés. L’un des deux, se jugeant assez riche, est revenu à la factorerie une nuit, et a entraîné 5 hommes avec lui pour fuir.
Connaissant parfaitement la contrée dans ses moindres replis, je les ai fait traquer par les indigènes en promettant une forte récompense. Mon cuisinier, qui m’est très dévoué, s’est également mis à leur poursuite, et deux jours après tous étaient repris et ramenés à la factorerie. Je suis rentré en possession de mes fusils, mais les marchandises étaient perdues. Je me suis contenté d’infliger une forte amende aux 5 qui se sont laissés entraîner.
Quant aux deux instigateurs du complot, malgré ma répugnance pour la bastonnade, il fallait, comme je l’ai dit, faire un exemple. Je leur ai fait distribuer à chacun neuf cents coups de chicotte (lanière d’hippopotame). Le sang coulait. Malgré leurs cris et leurs supplications, je n’ai fait cesser que lorsqu’ils étaient sur le point de perdre connaissance […] » (Archives MRAC Verbèque 1894).
La bastonnade ne s’arrêta pas là. Deux lignes de son récit furent couvertes avec du papier blanc collé sur la note. En tenant la page à la lumière, on lit : « Ils sont morts le lendemain. Tant pis. Chacun 900 !!! […] je recommencerai. » Ce passage gênera Eugène Verbèque. Le 20 février 1895, il écrivait :
« Je viens de réfléchir que mon dernier journal parle de certaines punitions que j’ai dû infliger ici, et dont la lecture pourrait faire jeter de hauts cris à des gens encore assez arriérés que pour prendre cette race de nègres en pitié. Inutile de le recommander, n’est-ce pas, que si tu communiques copie de mon journal à autrui, de déguiser amoindrir la chose à sa façon, ou de ne pas copier le fait du tout. Je t’écris réellement ce qui se passe ici, en bien comme en mal. À toi à juger si d’autres doivent le savoir » (Archives MRAC Lettre d’Eugène Verbèque, 20 février 1895)
Toujours concernant la punition infligée aux voleurs, Eugène Verbèque écrivit ce qui suit :
« […] Je me suis contenté d’infliger une forte amende aux 5 qui se sont laissés entraîner. Quant aux deux instigateurs, malgré ma répugnance pour la bastonnade, je leur ai fait distribuer un certain nombre de coups de chicotte. Je suis seul ici, et ne dois pas me laisser aller à un moment de faiblesse. Il faut montrer de l’énergie avec ces lâches moricauds. Aussi, ils se tiennent bien maintenant, mon service marche, et ils redoutent mes colères. Et je te prie de croire qu’elles sont terribles, quand je m’y mets […] » (Archives MRAC Verbèque s.d.).
Eugène Verbèque se voulait pourtant un homme raisonnable. Il ne manqua pas d’être critique à l’égard des Européens qui y allaient trop fort. Dans une lettre du 20 mai 1896, il raconta à sa famille la situation dans laquelle il se trouvait dans cette station. Il exprima son mépris pour son prédécesseur :
« Je possède pour la défense de la factorerie 22 bons fusils Albini avec baïonnettes et 500 cartouches. De ce côté, je suis donc tranquille […] Les postes qui existaient dans la contrée ont dû être levés, à cause de palabres avec les indigènes. Des hommes du personnel ont été tués à différentes reprises (28 en tout je crois). Ce monsieur Roux est tout le temps en désaccord avec les Noirs. C’est un grincheux. J’ai moi-même de la peine à m’entendre avec lui. J’attends qu’il soit parti. Je suis persuadé qu’après quelques voyages, toutes ces palabres seront aplanies, et que la tranquillité régnera de part et d’autre […] » (Archives MRAC Lettre d’Eugène Verbèque, 20 mai 1896).
Eugène Verbèque n’éprouvait pas de sympathie pour M. Roux, son prédécesseur, qui était français. Dans d’autres lettres, il le traitait d’imbécile, car ce monsieur se querellait continuellement avec des villageois. Le terme de «palabres » utilisé dans son récit est un euphémisme, parce qu’il s’agissait, en fait, de « guerres ». Quelques mois plus tard, Eugène Verbèque proposait à nouveau un récit invraisemblable : deux indigènes d’un village voisin avaient tiré sur un de ses hommes pour voler une chèvre. Voici son récit :
« Immédiatement, je monte dans ma pirogue et je me rends à ce village où j’arrive en 10 minutes. Je laisse mes hommes dans la forêt, et j’entre dans le village accompagné seulement de mon contremaître. À mon approche, tout le monde s’est enfui. Il ne restait que 2 femmes. Je leur dis que si le chef ne vient pas me parler immédiatement, je mets le feu à toutes les cases. L’une va porter mon message ; je retiens l’autre comme otage. Au bout d’un quart d’heure, il apparaît avec deux indigènes, armés de tout un paquet de flèches empoisonnées. J’invite le chef à s’asseoir et à détendre les arcs. Puis je commence la palabre pour ma chèvre. Ce serait trop long à décrire. Cela a duré une heure. J’ai usé de beaucoup de patience. Mes conditions étaient de me livrer le voleur ou de me donner une pirogue en paiement du larcin. Finalement, je me suis impatienté, et c’est sur un ton de colère que je lui ai dit qu’à défaut de me satisfaire endéans les 5 minutes, je m’emparais de sa personne pour le livrer à l’État. L’affaire a été terminée de suite, et je suis parti en emportant une grande pirogue. Le soir même, ils ont tenté de me la reprendre. Mais mon factionnaire était sur ses gardes. Il a tiré dans le tas; et ils ont disparu. Je n’ai plus rien entendu depuis lors […] » (ibid.)
Eugène Verbèque ne pensait pas du tout faire appel à l’un ou l’autre juge de tribunal.
Fernand Harroy (1870-1958) (Harroy 1968 ; Salmon 1978) se comporta de la même façon qu’Eugène Verbèque. Lorsqu’il arriva à Inkongo, la SAB lui avait réservé une petite maisonnette en torchis: quatre murs de terre, un toit de chaume, un sol en terre battue où traînaient quelques nattes indigènes. Elle mesurait trois mètres sur trois, n’avait pas de fenêtre, mais seulement une porte branlante. Le lit était fait de quatre sticks figés en terre, réunis par des planches latérales sous lesquelles s’entrelaçaient, en guise de sommier, des lianes indigènes. Un semblant de matelas bourré de feuilles de bananier le recouvrait (Salmon 1978 : 455).
Fernand Harroy fut pourtant bien accueilli par Jules Ganty, le gérant du poste. Celui-ci venait de perdre ses deux adjoints. Un certain Lemmens avait été tué par des indigènes dans la région des Lulua et la Force publique y était allée mener une «promenade militaire ». Après avoir constitué une caravane, Fernand Harroy arriva à Chibango, où il trouva du ndundu, ou caoutchouc, en abondance. Logé dans une petite hutte, il fit construire à côté un petit hangar pour abriter ses marchandises et son caoutchouc. Il fit aussi creuser, tout près, un très grand trou, pour y jeter des marchandises et le caoutchouc, en cas d’incendie. Il se plaignit pendant plusieurs mois de son chop-box trimestriel: il manquait de beurre, de farine, de vin, du sucre, etc.
À lire : Monographie de la province de l'Equateur (Troisième partie) : Domination européenne, organisation politique et administrative
Source
Équateur Au cœur de la cuvette congolaise
CoBelCo - Histoire colonisation belge du Congo 1876-1910.d-205