Covid-19 Italie : faudra-t-il choisir qui sauver et qui laisser mourir ?

Par Le lundi, 30 mars 2020 0

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Anesthésiste-réanimateur en Lombardie, région italienne confinée pour cause de contagion au coronavirus, le docteur Christian Salaroli explique que les médecins doivent aujourd'hui choisir qui soigner "en fonction de l'âge et de l'état de santé, comme dans les situations de  guerre".

Covid-19 Italie : la sélection des malades divise le corps médical italien

 

 

 

Le 29/03/2020

 

 

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Si les services de santé se trouvaient débordés par l’épidémie de Covid-19, il faudrait établir des protocoles pour déterminer qui soigner en priorité. Sur quels critères ? Avec quelles conséquences ?

Pour la majorité des gens, l’infection par le coronavirus n’aura pas de conséquence majeure. Mais pour une petite fraction des personnes contaminées, ce sera une question de vie ou de mort. Si les chiffres de l’épidémie continuent d’augmenter, le petit pourcentage de malades qui auront un besoin vital d’assistance médicale pourrait bien saturer les services de réanimation des hôpitaux. Que faire alors ?

Cette question, on se la pose déjà en Lombardie (Italie), où la problématique du triage de catastrophe s’est imposée dans le débat public italien avec la diffusion par la Société italienne d’anesthésie, analgésie, réanimation et soins intensifs d’un document comportant des « recommandations d’éthique clinique pour l’admission ou le refus d’admission en soins intensifs dans les conditions exceptionnelles d’un déséquilibre entre les besoins et les ressources disponibles », et la publication de témoignages de médecins partageant les dilemmes où les plonge, au chevet des patients, la situation de crise.

Ce qui relevait d’un scénario de film-catastrophe est, de l’autre côté des Alpes, discuté par les médias comme une hypothèse éthique dont le débat public doit s’emparer en toute responsabilité. Mais de quoi parle-t-on ?

 

Refuser la tentation d’un usage compassionnel des ressources ?

Le « triage », tout le monde en connaît la forme ordinaire, celle de la priorisation de liste d’attente à l’accueil des urgences hospitalières : en temps normal, les cas les plus graves ont priorité, les autres peuvent attendre. Ce qui est rationné, c’est le temps, la rapidité de prise en charge, mais chaque victime, qu’elle soit jeune ou dans la force de l’âge, soutien de famille ou célibataire, chef d’entreprise ou SDF, reçoit les ressources médicales les plus adaptées à ses besoins, à égalité de valeur des vies.

Mais si les services sont débordés, et que la pénurie de matériel médical ou de personnel qualifié s’installe, la tentation d’un usage compassionnel des ressources disponibles doit alors être refusée : quand il n’y en a pas pour tout le monde, il faut garder en tête qu’on sert d’abord l’intérêt collectif, et chercher à sauver le plus de vies possibles, plutôt que les victimes les plus gravement atteintes.

 

Le principe du « premier arrivé premier servi » ne vaut plus : s’il ne reste qu’un respirateur artificiel, l’attribuer au premier patient amené en état de détresse respiratoire, si ses chances d’en tirer profit sont faibles, signifierait une condamnation inéquitable pour tous ceux qui pourraient venir derrière avec une espérance de vie moins mauvaise. Sans parler bien sûr de tous les autres patients, non concernés par l’épidémie, mais que l’engorgement des hôpitaux mettrait plus en danger encore.

L’impératif utilitariste de maximisation du nombre de vies sauvées peut alors inverser les logiques de priorisation, en faisant rebasculer les cas « trop graves », ceux dont les chances de survie sont jugées faibles, dans la catégorie des morituri – ceux qui vont mourir, et qu’on renonce à tenter de sauver.

 

Sur quels critères se baser ?

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En situation de pénurie, le triage d’urgence collective bascule donc dans une logique de catastrophe, où les enjeux de justice distributive passent sur le devant de la scène au détriment des seuls critères médicaux. Le document de la société d’anesthésie réanimation italienne insiste ainsi, pour accorder ou refuser l’accès en réanimation, sur deux critères, l’espérance de vie et l’âge des malades. Trop âgés, trop malades par ailleurs, on s’abstiendra de mettre sous assistance respiratoire, pour réserver les ressources médicales à ceux qui ont de meilleures chances d’en profiter.

 

Les recommandations de la société d’anesthésie visant à trier les patients ont choqué l’ordre des médecins, pourtant dépourvu d’alternative.

« Nous devons choisir qui intuber, entre un patient de 40 ans et un de 60 ans qui risquent tous les deux de mourir. C’est atroce et nous en pleurons, mais nous ne disposons pas d’appareils de ventilation artificielle en nombre suffisant. » Cette déclaration en forme d’aveu d’un réanimateur de Lombardie a choqué le monde entier par sa brutalité. Et pourtant, elle ne fait que refléter une réalité terrible, à savoir que l’Italie n’était pas préparée à faire face à l’épidémie de Covid 19.

 

Par Frédérique Leichter-Flack, Université Paris Nanterre

 

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