Monographie de la province de l'Equateur

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La province de l'Équateur est depuis 2015 une province de la république démocratique du Congo à la suite de l'éclatement de la province historique de l'Équateur. Les principaux centres urbains sont Lukolela, Bikoro, Basankusu, Bolomba, Bomongo, Irebu, Makanza et la ville de Mbandaka.
La province est relativement plate, traversée par le fleuve Congo du Nord-Est au Sud-Ouest. Avec une altitude moyenne de 340 m, le Lac Tumba est son point le plus bas, à 320 m d’altitude. L’embouchure de l’Ubangi sur le fleuve est située dans la région ouest de la province.

La région est couverte d’une forêt ombrophile sempervirente de densité importante et d’une grande diversité d’arbres.


 

 

 

 Présentation de la province de l’Équateur

 

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L’actuelle province de l’Équateur n’est pas celle dont le président Mobutu était originaire. Jusqu’en 2014, son espace portait le statut de district du même nom dans la « grande » province de l’Équateur héritée de la période coloniale. Elle intègre la ville de Mbandaka, à la fois son chef-lieu et l’ancienne capitale de la «Grande Équateur ».

 

 

SOMMAIRE

 

*PREMIÈRE PARTIE : L’ÉQUATEUR PHYSIQUE 

- Chapitre 1. Géographie et hydrographie (Les territoires de la province et la ville de Mbandaka, Chef-lieu)
- Chapitre 2. Géologie
- Chapitre 3. Végétation
- Chapitre 4. Faune 

 

* DEUXIÈME PARTIE : LES HOMMES 

- Chapitre 1 : Peuples  
- Chapitre 2 : Parlers  
- Chapitre 3 :  Art et artisanat
- Chapitre 4 : Musiques et danses
- Chapitre 5 : Présence missionnaire

 

*TROISIÈME PARTIE : DOMINATION EUROPÉENNE, ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE 

- Chapitre 1 : La violence dans la conquête européenne
- Chapitre 2 : L’exploitation de l’Équateur par les sociétés concessionnaires et l’affaire Isidore Bakanja
- Chapitre 3 : Mise en place et évolution de l’organisation politico-administrative
- Chapitre 4 : Composition administrative

 

*QUATRIÈME PARTIE : L’ÉQUATEUR POST-INDÉPENDANCE

- Chapitre 1 : L’opposition Mongo-Ngombe conduit à l’éclatement de la province de l’Équateur
- Chapitre 2. La Cuvette centrale : une province ethnique Mongo
- Chapitre 3 : L’Équateur sous la Deuxième République du général Mobutu : 1966-1997
- Chapitre : Mobutu face aux originaires de l’Équateur
- Chapitre 5 : Le district de l’Équateur sous le régime des Kabila, père et fils

 

*CINQUIÈME PARTIE : SITUATION SOCIO-ÉCONOMIQUE 

- Chapitre 1 : Structuration des voies de communication et du commerce autour du réseau hydrographique
- Chapitre : Activités économiques paysannes
- Chapitre 3 : Activités économiques industrielles
Chapitre 4 : Conflit d’intérêts et impact des activités économiques

 

*LA DÉMOGRAPHIE ET LES INFRASTRUCTURES SOCIALES 

- Chapitre 5 : Quelques éléments pour une étude démographique
- Chapitre 6 : Le secteur de la santé
- Chapitre 7 : Survol des infrastructures éducatives
 

 

 

 

Origine du nom de la province de l'Équateur

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La province de l’Équateur tire son nom de sa position géographique. En effet, il est situé à cheval sur l’équateur, qui passe par Mbandaka.

Cette appellation d’«Équateur» date du début de la colonisation. C’est en 1883 qu’Henry Morton Stanley, chef de l’Association internationale du Congo, et ses deux compagnons, Camille Coquilhat et Alphonse Vangele, fondèrent, à Wangata, en aval du confluent du fleuve Congo et de la rivière Ruki, une station de l’État. Cette station fut appelée «Equator Station» ou «Station de l’Équateur » (Stanley 1885; Coquilhat 1888). Elle devint, plus tard, Équateurville, puis Coquilhatville, à partir de 1891 (Histoire ancienne de Mbandaka 1985). Le noyau de la ville fut ensuite déplacé vers le confluent de la Ruki, mais l’extension ultérieure intégra de nouveau le site de Wangata. 1. Mise en place et évolution de la composition territoriale de l’Équateur, de l’EIC à 1933

 

 L’organisation des espaces

Le nom «Équateur » fut attribué à l’un des onze premiers districts créés en 1888, son chef-lieu étant la station de l’Équateur. Ce vaste district couvrait les bassins de la Lulonga et de la Ruki. Il était limité au nord par le district de l’Ubangi-Uele, à l’est par le district des Stanley Falls, au sud par le district du Kasaï et à l’ouest par le fleuve Congo (BO septembre 1888 : 244-247).

La nouvelle division du pays en 15 districts intervint en 1895. Le district de l’Équateur conservait pratiquement les mêmes limites. Il était désormais borné au nord par le district des Bangala, à l’est par le district de l’Aruwimi, au sud par les districts du Kasaï, du lac Léopold II et du Stanley Pool, à l’ouest par le fleuve Congo (BO 17 juillet 1895 : 233-239).

En 1910, deux ans après la reprise du Congo par la Belgique, le Congo fut divisé en 12 districts, dont celui de l’Équateur. Il fut alors entouré, au nord, par le district des Bangala, à l’est, par le district de l’Aruwimi, au sud, par les districts du Kasaï, du Lac Léopold II et du Moyen-Congo, à l’ouest, par le fleuve Congo et l’Ubangi jusqu’au confluent de la Ngiri (BO 23 mars 1910 : 249-257).   

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Avenue Royal dans la ville de Mbandaka

L’actuelle province de l’Équateur n’est pas celle dont le président Mobutu était originaire. Jusqu’en 2014, son espace portait le statut de district du même nom dans la « grande » province de l’Équateur héritée de la période coloniale. Elle intègre la ville de Mbandaka, à la fois son chef-lieu et l’ancienne capitale de la «Grande Équateur ».

 

 

Première partie : l’Équateur physique

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Note relative à l’orthographe des noms locaux

Divers noms de peuples, lieux, rivières… sont orthographiés de différentes manières, liées à l’origine des auteurs qui les ont utilisés. Dans cet ouvrage, les auteurs s’efforcent de privilégier l’orthographe la plus proche possible de celle utilisée par les populations concernées, en indiquant à chaque première occurrence du mot les autres orthographes possibles. Carte administrative de l’Équateur.

Ainsi: Nous préférons à « lac Tumba », l’orthographe officielle actuelle, celle de « lac Ntomba », nom du peuple de la région dans laquelle celui-ci se situe. Djamba, un peuple riverain du territoire de Bomomgo, s’écrit plutôt Zamba ou Dzamba par les autochtones eux-mêmes. Losakani, un peuple du territoire de Lukolela, s’écrit aussi Lusankany ou Losankani selon les sources. Nkundo, nom d’un clan mongo, s’écrit parfois Nkundu dans les textes de divers auteurs, ce qui est une erreur. Bamanya s’écrit aussi Bamania. C’est le cas aussi pour Lusanganya écrit Lusangania.

 

 

Chapitre  1 : Géographie et hydrographie

 

La province de l’Équateur se situe entièrement dans la cuvette congolaise. Il est traversé du nord au sud par le fleuve Congo. Celui-ci reçoit, sur la rive droite, les rivières Mongala et Ubangi, dont le principal affluent est la Ngiri. Sur la rive gauche, le fleuve reçoit les rivières Lulonga, Ikelemba et Ruki.

La province de l’Équateur peut être qualifié de pays du fleuve et des rivières, qui constituent les principales voies de transport et de contacts. Une grande partie du territoire est marécageuse et largement inondée pendant l’année. Des territoires entiers comme Bomongo, Mankanza et Lukolela manquent d’infrastructures routières. Il en est de même pour de larges parties des territoires de Bolomba et de Basankusu. Au sud-ouest, se trouve un lac résiduel, le lac Ntomba (nom déformé et écrit Tumba, cf. infra) et, à l’ouest, la vaste vallée herbeuse de la Ngiri, dans laquelle se situe le lac Mabale ou lac Libanda.

 

1. Situation géographique

 

L’Équateur est borné :

– Au nord par le district du Sud-Ubangi (territoires de Kungu et de Budjala) et par le district de la Mongala (territoire de Bongandanga) ;

– À l’ouest par la République du Congo;

– Au sud par la province de Mai-Ndombe et des Plateaux (les territoires de Kiri, de Yumbi et de Bolobo) ;

– À l’est par la province de la Tshuapa (les territoires de Befale, de Boende et de Monkoto).

 

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Source: loi organique n° 15-006 du 25 mars 2015 portant fixation des limites des provinces et celle de la ville de Kinshasa.

 

La province de l’Équateur a pour chef-lieu la ville de Mbandaka et comporte sept territoires administratifs : Basankusu, Bolomba, Bomongo, Bikoro, Ingende, Lukolela et Mankanza.

 

1.1 Ville de Mbandaka

Taille estimée de la population 1187 837 hab.
 

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Une vue du bâtiment administratif du gouvernorat de la province de l’Équateur. (Photo © Isaac Bakuku, 2012.)?

 

 

Histoire

Sous la colonisation à l'époque de Léopold II, la ville , simple poste, est dirigée par le Belge Camille Coquilhat (1863-1891), dont elle porte le nom jusqu'en 1966, lorsque le président Mobutu décide de la débaptiser.
En 1883, Stanley s'arrête à six kilomètres au sud, à Wangata, alors qu'il remonte le Fleuve en direction de Kisangani, et baptise ce hameau "Équateur" et les Belges y créent leur premier poste. En 1891, ils abandonnent Wangata au profit de Mbandaka. Depuis, le chef-lieu de l'Équateur est composé de deux communes, Wangata et Mbandaka qui ne cessent de grandir.
Le plan d'urbanisme de la ville est dicté par la position du fleuve, de ses bras et affluents. C'est à Mbandaka que le jeune Joseph Désiré Mobutu a fait une partie de sa scolarité.

 

Origine et sens du nom «Mbandaka »

Gustaaf Hulstaert et Francis Bontinck ont recherché la signification du nom «Mbandaka ». Pour le premier, il s’agit d’un nom historique, qui renvoie à celui des autochtones. Il écrit :

«Le cas de Mbandaka n’est pas obvie. Toutefois, on pourrait proposer la dérivation du radical verbal band (“empêcher, garrotter”). Ce pourrait être en rapport avec l’état de Bonkita […]. Cette hypothèse est donc valable. Cependant, on aimerait avoir une confirmation dans le chef des trois homonymes […]. (Hulstaert 1990: 78-82).

Quant à Francis Bontinck, il opte pour la graphie «Bandaka», gardant ainsi l’orthographe de Camille Coquilhat, qui fonda la station de l’Équateur. Il écrit:

«Comme l’ancienne bandaka se trouvait au confluent de la Ruki avec le fleuve, le premier élément du nom, banda (Mbanda) se réfère à cette fourche ; quant au deuxième élément, ka, on peut y avoir le titre nka que l’on rencontre aussi sur le chenal, à la localité Mambukutunka, à décomposer en Ma-Mbutu-Nka, dans lequel nka a le sens honorifique d’aïeul, ancêtre (cf. kaka : aïeux en kikongo). Bandaka signifierait donc : (le village au) confluent du notable, l’aïeul (ka, nka pour le distinguer d’autres villages situés aussi dans le voisinage du confluent Ruki-fleuve) » (Bontinck 1995 : 30).

Stanislas Lufungula juge l’explication de F. Bontinck et, surtout, l’étymologie qu’il propose, trop forcées. Il affirme que dans le pays mongo, le nom «Mbandaka » se retrouve en maints endroits. Gustaaf Hulstaert en dénombre trois, en plus de celui de la ville.

«Un petit groupe en face de Bokote, chez les Mbole, porte aussi le nom de Mbandaka. Il en est de même d’un village des Ekota, non loin d’une plantation d’hévéa dans les parages de Boende. Enfin, une des sous-tribus de Boyela de la haute Jwapa (Tshuapa) s’appelle aussi Mbandaka » (Lufungula 2013: 40).

D’autres auteurs, Lonkama Ekonyo et Honoré Vinck, identifièrent un autre groupe appelé Mbandaka vivant à proximité de Bokakata, dans un petit village de Bobangi avoisinant Bolongo w’Enkoto. (Boelaert, Lonkama, Vinck 1996 : 20). Pour ces cinq sites qui portent le même nom «Mbandaka », il s’agit de communautés différentes n’ayant aucun lien direct de parenté : 1° au confluent Congo-Ruki; 2° chez les Ekota ea Ngele ; 3° au sud de la Tshuapa (Jwafa) ; 4° Au nord-ouest de Boende ; 5° dans les environs de Bokakata, non loin de Basankusu. Gustaaf Hulstaert conclut même que les Mbandaka de la boucle fleuve Congo-Ruki « ignoraient totalement leurs homonymes. Ce qui est sûr, d’autre part, c’est que chacun des […] groupes était et est parfaitement inculturé dans le milieu environnant » (Hulstaert 1990 : 36).

 

À l’origine des habitants du site Mbandaka

Mbandaka, un tout petit espace géographique, était habité par les autochtones, dont le nom fut transféré à l’entité administrative créée. Mais ceux-ci comptaient de nombreux voisins qui, eux aussi, finirent par intégrer l’agglomération.

Stanislas Lufungula répartit les peuples à l’origine de Mbandaka en deux groupes: les Riverains et les Terriens. Il précise assez vite que les Riverains rassemblent divers groupuscules portants différents noms (cf. ci-dessous). Les Terriens, eux, sont les Ngel’ea tando (ngele : en aval; tando : rivière). Il s’agit des Mongo établis en aval de la rivière Jwafa (Tshuapa), qui ne sont donc pas, au sens premier, un sous-groupe mongo, par comparaison à d’autres, les Mongo ea lolo, situés en amont. Une autre classification, de moins en moins de mise, consiste à appeler «Mongo» le groupe septentrional et «Nkundo» la section méridionale. Ce sont ces derniers, auxquels s’ajoutent les Riverains, qui passent pour être les autochtones du site de la ville de Mbandaka ; pourtant, les Terriens avaient investi le plus grand espace de cette même contrée (Lufungula 2013 : 33).

 

 

Données géographiques de la ville de Mbandaka
 


a) Les limites territoriales
Au Nord : La rive gauche de la rivière Ruki; depuis son point de jonction avec la rive gauche du Fleuve Congo jusqu’au confluent Ruki rivière Isondjo.

À l’Est : La rivière Isondjo jusqu’à la source.
Au Sud : La rivière Mpandja depuis son confluent à la rive gauche du Fleuve Congo jusqu’à son intersection avec l’axe de la route de l’intérêt national Mbandaka- Bikoro; de ce point de la route d’intérêt local vers le Village Boyera. De ce Village, un sentier jusqu’à sa rencontre avec le lac Mpaku.

À l’Ouest : De ce point, la rive gauche du Fleuve Congo jusqu’à son point de jonction avec la rive gauche de la Ruki.

b) Les coordonnées géographiques
Latitude: 0°4 et longitude : 18°20


c) Altitude : 370m

d) Superficie : 1778 Km2 dont la commune de Wangata 1318 km2 et la commune de Mbandaka 460 km2.

type de climat : Equatoriale

Alternance des saisons

À Mbandaka, il y a absence presque totale de variétés des saisons selon des géographes. Tout au long de l’année, des mesures climatiques restent plus au constantes. Lorsqu’il faut approfondir la notion de la saison à Mbandaka, le climat équatorial présente certaines nuances qu’on peut appeler vulgairement « saison » au cours de l’année, réparti en quatre périodes ci-après:

NGANDA : qui va de mi-décembre jusqu’à la fin du moi de février. Cette période se caractérise par la baise du niveau du Fleuve de quelques mètres et une absence de pluie durant ce laps de temps, la pêche est favorable et abondante.

IKULU : commence vers le mois de mars, période pendant laquelle les pluies sont généralement modérées. On la reconnait par la manifestation des timides pluies au mois de mars et par leur forte augmentation au début d’avril.

TULI : Durant une partie du mois de Juin, jusqu’au mois d’août, les pluies se raréfient.

BONGOI : De mi-août à mi-décembre, période pendant laquelle les pluies sont fréquentes et abondantes. 

Variation de température 25° moyenne annuelle.

Pluviométrie : en générale, les pluies abondantes toute l’année.

b) la nature du sol : il est Kaolin (argile épaisse et quelque peu pâteuse) de coloration toujours rouge résultant de la déshydratation de l’oxyde de fer. 

c) Relief du sol : la Ville de Mbandaka qui est située dans la cuvette centrale ne présente aucune dénivellation. Elle est couverte des terrains sédimentaires non plissés et par la forêt équatoriale.

d) Le sous-sol : dans son sous-sol, à part les matériaux de construction tels que moellon, limonite, gravier, caillasse et sable, il n’y a d’autres matières.

e) Kilométrage des routes vitales : 
- Intérêt national : 32 km, soit de la résidence du gouverneur jusqu’à Bongonde drapeau.
- Intérêt Local : De la résidence du Gouverneur jusqu’à la mission Catholique de Bamanya, 10 km, du croisement des avenues Mobutu et Lumumba jusqu’à Benonga dans le quartier Djombo, 16 km.

f) le végétation dominantes : elle est dense et Luxuriante.

 


 Hydrographie :

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La Ville de mbandaka se situe sur le long du Fleuve Congo de l’affluent Ruki. Des rivières de Boloko et de Ikelemba dans la commune de Mbandaka. Elle est traversée en certains endroits par des ruisseaux périodiques drainant l’eau des pluies vers le Fleuve . On citera : Botema Bofankele qui prend sa source à la Ruki traverse l’avenue Bonsomi et se jette sur le Fleuve au port Bralima. Bokolobo ndombe qui part de l’église protestante sur l’avenue Révolution pour se jeter à Socozelo; Lokombo qui commence à partir de Nkonda pour terminer au port Boteku à Bongandjo. Il en est aussi de la rivière Itolo qui a sa source au Village Boloko et débouche à Bongonde; enfin, le ruisseau Bosofa séparant le territoire de Bikoro à la commune de Wangata. 

 

Données Culturelles 

 La population : 
- Ethnies et tribus dominantes : Mbandaka étant le chef lieu de la Province de l’équateur, presque toutes les éthnies sont représentées à savoir : MONGO, BANGALA, BATSWA, NGOMBE, NGWANDI, NGWAKA;

- Les tribus dominantes de la Ville cosmopolite de Mbandaka sont : les Ngel’eantando, Mbolo, Ngombe, Ekonda, Libinza, Lokele, Mbuza, Mongando, Bokatola et Batswa; 

Quant à la population étrangère, elle est venue de tous les continents : Africain; Européen, Américain et Asiatique.
Les principaux clans sont : Boloki, Eleku, Boyera et Wangata dont le nom commun Ngel’eantando qui signifie « l’aval du fleuve ». 

Il existe un centre d’écoute conviviale pour les adolescents dans la commune de wangata, il est de même des écoles privées des enfants sourd-muet dans la commune de Mbandaka, il y a lieu de noter que la Ville n’a aucune école analphabétisme.

Parmi toutes les bibliothèques existantes à Mbandaka, la plus réputée est la bibliothèque dénommée » EQUATORIAT «Elle est le bijou de l’Equateur, du pays et du monde où on reçoit presque tous renseignements historiques de la Province de l'Equateur. Que les autorités tant nationale que provinciale songent à ce bijou. Donc, c’est là où loge l’histoire de l’Equateur.

En fait, les opérateurs économiques de l’Equateur ou du pays ne se donnent pas pour exercer le commerce de librairie. Néanmoins, certains commerçants essayent d’étaler quelques ouvrages dans des marchés.

Ensuite, les 4 écrivains reconnus dans le service de Culture et arts déposent leurs activités à la Division Provinciale de la culture et Arts.

Langues parlées dans cette ville

Les langues parlées dans la Ville en dehors de Français sont :

- Le Mongo 30% 
- Les Batswa 20% 
- Lingala 40%
- Autres 10%


Les principales activités économiques 

Le commerce des produits manufacturés et les prestations de service à savoir : Agence de transport des fonds et frets.

Principaux produits agricoles 
Les cultures vivrières : Manioc, Maïs, Riz, Patate douce, Bananier, Arachide, Canne à sucre, Ananas, Haricot et Niébé,
Les cultures pérennes : Caféier, Cacoayer, Palmier à Huile, Papayer; Manguier, Safoutier et avocatier.

Principaux produits non agricoles 
Chenilles
Fumbwa
huile de palme

Principales sources d’énergie 
- énergie électrique;
- torche;
- panneau solaire;
- groupe électrogène;
- bois de chauffage.

 


Situation sanitaire
 

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Nombre d’hôpitaux 5
Nombre de centre de santé 55

 

Éducation

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Enseignement primaire et secondaire

Écoles primaires 216
Écoles secondaires 90
Actuellement, la Ville de Mbandaka compte assez d’écoles primaires et secondaires. 

Enseignement supérieur et universitaire 

 
Universités 2
Instituts supérieurs 7

 


Accessibilité de la ville   

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Routes Oui
Voies aériennes Oui
Biefs navigables Oui
Train Non
De par sa position, la Ville de Mbandaka est placée dans la cuvette centrale. Ce n’est pas un hasard que cette Ville fut considérée comme réserve du roi Léopold II où regorge d’espèces d’arbres à Eala; à Mbandaka, il y a des lieux touristiques qui donnent la beauté attrayante et attirent les étrangers de visiter. Sur le plan zoologique, un vieux crocodile vit dans son sein. 

Réseaux de communication
Africel Non
Airtel Oui
Orange Oui
Tigo Oui
Vodacom Oui
Tous les quatre réseaux cités ci-haut, permettent la communication entre à Ville de Mbandaka et certains territoire au niveau de la province. 

 


Attraits touristiques

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Parcs Oui
Jardins botaniques Oui
Jardin zoologiques Oui
Chutes d’eaux Non
Sites touristiques Oui
Sites sacrés Non
Dans la Ville, tous les sites touristiques tels que : le monument de martyr de l’indépéndance érigé dans l’enceinte de la commune de Wangata en 1960, 
- la résidence du Gouverneur de province : un arbre nature depuis 1883; 
- Jardin zoologique à Eala à 7 km de la Ville de Mbandaka. 

Espèces phares de la faune
crocodile
singe
serpent
sanglier
pangolin
tortue

Espèces phares de la flore
wenge
sapelie
sipo
bubinga

Source : Cellule d'Analyses des Indicateurs de Développement (CAID)

 

 

Les Territoires

 

1.2. Territoire de Basankusu.

 

Le territoire de Basankusu a une superficie de 21 239 km². Il est borné :

– au nord: par le district de la Mongala (territoire de Bongandanga) ;

– à l’ouest: par le territoire de Mankanza ;

– au sud: par le territoire de Bolomba ;

– à l’est: par le territoire de Befale dans le district de la Tshuapa. Le territoire de Basankusu a été séparé de celui de Bolomba par l’ordonnance n° 31/181 du 13 avril 1955 fixant le nombre et les limites des territoires du district de l’Équateur, ce qui entraîna des modifications géographiques entre les deux territoires.

 

1.3. Territoire de Bolomba

 

D’une superficie de 24 598 km², il est limité :

– au nord: par le territoire de Mankanza et une partie du district de la Mongala (territoire de Bongandanga) ;

– à l’est: par le territoire de Basankusu et le district de la Tshuapa (avec le territoire de Befale) ;

– au sud: par le territoire d’Ingende et le district de la Tshuapa (territoire de Boende) ;

– à l’ouest: par le fleuve Congo le séparant du territoire de Bomongo.

 

1.4. Territoire de Bomongo

 

D’une superficie de 10 736 km², il est borné :

– au nord: par les territoires de Kungu et de Budjala (district du Sud-Ubangi) ;

– à l’ouest: par la rivière Ubangi (séparant Bomongo de la République du Congo/Brazzaville) ;

– à l’est: par le territoire de Mankanza et le fleuve Congo;

– au sud et au sud-ouest: par le territoire de Lukolela et la ville de Mbandaka sur le fleuve. Il est à noter que le 6 octobre 1976, Bomongo se sépara du territoire de Mankanza (qui était jusque-là un secteur).

 

1.5. Territoire de Bikoro

 

Il a une superficie de 13 842 km². Il est borné :

– au nord: par la ville urbaine de Mbandaka ;

– à l’est: par les territoires d’Ingende et de Kiri du district du Mai-Ndombe ;

– à l’ouest: par le territoire de Lukolela ;

– au sud: par le territoire d’Inongo, dans le district du Mai-Ndombe.

 

1.6. Territoire d’Ingende

Il a une superficie de 17 328 km². Il est borné :

– au nord: par le territoire de Bolomba ;

– à l’est: par les territoires de Boende et Monkoto (province de la Tshuapa) ;

– au sud: par le territoire de Kiri (province du Mai-Ndombe) ;

– à l’ouest: par le territoire de Bikoro.

 

1.7. Territoire de Lukolela

Il a été créé par l’ordonnance-loi présidentielle n° 76/297 du 6 octobre 1976 qui le détacha du territoire de Bikoro qui l’englobait. Il a une superficie de 8608 km² et il est borné :

– au nord: par le territoire de Bomongo;

– à l’ouest: par le fleuve Congo le séparant de la République du Congo/Brazzaville, précisément le département de la Likouala ; – au sud: par les territoires Yumbi et Inongo (districts des Plateaux et de Mai-Ndombe) ;

– à l’est: par le territoire de Bikoro.

 

1.8. Territoire de Mankanza

Il a une superficie de 7 091 km². Le territoire de Mankanza est délimité :

– au nord, par le territoire de Budjala ;

– à l’ouest, par le territoire de Bomongo;

– à l’est, par les territoires de Bolomba et de Bongandanga ;

– au sud, par le territoire de Bomongo.

 

 

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2. Relief et climat de la province de l'Équateur

 

En pleine Cuvette centrale congolaise, l’Équateur se situe à 340 m d’altitude moyenne. Dans sa partie ouest, plus précisément dans le territoire de Bomongo, l’altitude se relève progressivement du sud au nord. La crête de partage des eaux de la rivière Ubangi et du fleuve Congo va jusqu’à atteindre le plateau ubanguien dans le Sud-Ubangi.

Le territoire de Bomongo est, dans son ensemble, une région basse et marécageuse, surtout dans le versant de la rivière Ngiri, où l’altitude moyenne est de 200 m. Ce bas relief se relève progressivement de la crête de partage des eaux de la Ngiri-Ubangi, jusqu’à atteindre plus de 360  m. Dans ce territoire, deux régions sont distinctes: une région marécageuse largement inondée dans le versant de la rivière Ubangi. Le long de la rivière Ngiri domine la savane herbeuse avec des îlots.

Le territoire de Bikoro occupe la partie la plus déprimée de la Cuvette centrale congolaise où l’on trouve de vastes zones marécageuses. Cette cuvette est une vaste plaine de plus d’1 000 000 km². Son fond est occupé par le lac Ntomba, d’une superficie de 500 km².

L’altitude moyenne de la ville de Mbandaka est comprise entre 340 et 355 m. Le niveau le plus bas se situe dans les quartiers Bosomba, Bombuanza et la partie de Soconzelo, où l’on observe des inondations fréquentes.

Surtout dans sa partie située au sud du fleuve Congo, le district de l’Équateur est dominé par des pluies abondantes et une constante humidité. Les précipitations varient entre 1800 et 2000 mm par an. Sur les 365 (ou 366) jours de l’année, 140 à 160 sont des journées pluvieuses. Les précipitations maximales se situent en avril et en octobre et les précipitations minimales en janvier et en juillet (Kama 1971). Van Der Straeten fait remarquer: «En règle générale, il pleut tous les mois de l’année, seuls deux ou trois mois sont relativement secs, tandis que les degrés hydrométriques sont relativement élevés et les brouillards nocturnes et matinaux sont fréquents » (Van Der Straeten 1945 : 16). Le ministère de l’Agriculture et du Développement rural fait le même constat: « la lame d’eau annuelle est de l’ordre de 1600 et 1700 mm. Le régime pluviométrique annuel accuse une double périodicité. Le mois d’août, le plus pluvieux, enregistre plus de 200 mm d’eau. Le maximum secondaire se situe en mai, tandis que le minimum secondaire apparaît en juin. Les valeurs supérieures à 2000 mm sont enregistrées à Befori » (Département de l’Agriculture et du Développement rural 1983 ).

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Tableau climatique de la ville de Mbandaka

La région ne connaît pas de réelle saison sèche au vrai sens du mot. Il pleut presque toute l’année, mais la pluviosité se distingue cependant par deux périodes: celle de la baisse des eaux due à la diminution des précipitations et celle de la montée des eaux due à l’augmentation des précipitations. Ces deux périodes s’alternent et chacune d’elle porte des appellations spécifiques dans la région, les activités agricoles s’exerçant par rapport à la période concernée. Les périodes à forte pluviosité sont: « Ikuulu et Bongoy » pour les Mbole et «Eula ou Ehela » chez les Mongo de la haute Tshuapa ; les périodes à faible pluviosité sont appelées «Nganda et Tuli ».

Nganda : c’est la période dite de la saison sèche. Les eaux sont très basses en janvier, février et mars. Durant cette période les pluies sont moins abondantes. La pêche est l’activité principale de cette saison. C’est aussi le meilleur moment pour le défrichement des champs.

Bongoy : nganda se termine par les premières pluies de bongoy. Lorsqu’on parle de bongoy, on sous-entend la montée des eaux occasionnée par une forte pluviosité. La durée de cette saison, comme l’a fait remarquer Gustaaf Hulstaert, est de trois mois, c’est-à-dire qu’elle va des mois de mars-avril aux mois de mai et juin. Cette durée varie d’une année à l’autre (Hulstaert 1957).

Tuli : c’est la période de la petite saison sèche où les eaux sont très basses. Cette période va du mois de juin au mois d’août. Tuli est accompagnée de beaucoup de nuages. Elle apporte beaucoup de vents et une fraîcheur relativement grande (Hulstaert 1957). Les précipitations sont faibles. La pêche reste l’activité principale ainsi que les défrichements des champs.

Ikuulu: cette période se situe juste après la tuli. Elle est accompagnée de précipitations abondantes. Elle commence à partir du mois de septembre pour prendre fin au mois de décembre. Durant cette période les hautes eaux inondent les rivières. Cette période est celle des semis et l’activité est orientée surtout vers la cueillette des chenilles, des champignons et des fruits sauvages.

Chez les Mpama de Lukolela, les mêmes saisons sont identifiées comme suit :

– Muko : période des pluies, entre septembre et novembre.

– Ekongo ekiki: période de la petite saison sèche, de décembre à février.

– Mwanga ou Ekongo enene : période des petites pluies, de mars à avril.

– Ndjobolo : période des grandes pluies, au mois de mai.

– Ulengu; période du début de la saison sèche, de juin à la mi-juillet.

– Eso : période de la grande saison sèche, de mi-juillet à la fin août.

 

 

3. Hydrographie de la province de l'Équateur

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Carte orographique et hydrographique de l’Équateur.

L’Équateur est traversé par le fleuve Congo, qui constitue son artère vitale du point de vue des transports. Son réseau hydrographique compte quatre grands bassins:

– le bassin de la Lulonga1 [Lolongo est son nom d’origine]. Il est constitué principalement en amont par la rivière Maringa2 , appelée Luo dans le territoire de Djolu. C’est de la jonction des rivières Maringa et Lopori au port de Basankusu que naît la rivière Lulonga ;

– le bassin d’Ikelemba : il n’a pas de grands affluents; – le bassin de la Ruki. Il est constitué principalement, en amont, par les rivières:

a) Tshuapa (une déformation du mot jwafa ou lwafa en parler local, qui veut dire « rivière »), qui reçoit les eaux des rivières Loambia, Omboko, Luka, Lua, Luando, Lotai, Lua, Luando, Loile ea Kungu, Loile, Lokina, Lofome, Tumbenga, Loka, Mokombe, Lukendu, Laafa, Bota, Bokambi, Ntela, Booku, Loombo, etc. ;

b) Lomela (qui reçoit les eaux des rivières Luai, Luki, Wini, Bomute, Banaasa, Milenge, Besomia, Ilongo la Lokoo, Imeku, Bolua, Lifaki I et II, Oku, Luai, Nte, Djera, Bakea, Bobe, etc.) et Salonga (qui reçoit les eaux des rivières Luai, Lokali, Bofaïso, Bosomo, Beale, Djeile, Longo, Longe, Luendu, etc.), qui se jettent toutes deux dans la Busira (appellation d’origine : Bonsela). Busira est le nom que prend la rivière Tshuapa lorsqu’elle reçoit les eaux de la rivière Lomela. Celle-ci et la Momboyo (alimentée par les rivières Luile et Loilaka) viennent se jeter dans la Ruki, cette grande eau noire. Le nom «Ruki» est une déformation de Mai ma Boloki («Eau des Boloki»), groupe riverain qui occupait l’embouchure au moment de la pénétration européenne. H.M. Stanley, le premier Blanc à être entré en contact avec eux, avait noté Muhindu et Uluki, mais les autres Blancs ont consacré la graphie Ruki;

– le bassin de l’Ubangi: il s’agit d’une longue rivière née de la jonction à Yakoma des rivières Uele et Mbomu. Mais l’Ubangi est en réalité constitué de plusieurs bassins:

a) celui de l’Ubangi septentrional, à l’extrême nord, avec comme principales rivières la Bembe, la Songo, la Liki et la Yengi dans la partie occidentale, la Mondjo et la Lumba dans la partie orientale ;

b) celui des deux Lua et des affluents de l’Ubangi, au centre nord principalement alimenté par la Lua-Dekere, la Lua-Vindu et leurs affluents;

c) celui de la Ngiri (de son nom Loyi) qui se situe au sud. Du côté du Congo/ Brazzaville et de la RCA, se trouvent les rivières Lobai, Sanga-Likouala, etc.

La région située à l’ouest du méridien 20° 30’ est uniquement drainée par des rivières tributaires du fleuve Congo et de l’Ubangi. Les collecteurs présentent une disposition en éventail centrée sur le plateau de Lombo.

Les grands exutoires sont: le fleuve Congo, l’Ubangi, la Ngiri, la Lulonga, l’Ikelemba et la Ruki, auxquels s’ajoute, pour l’hydrographie, le lac Ntomba.

Toutes les rivières appartiennent au bassin du fleuve Congo. Les principales sont:

– rive droite : l’Ubangi, le seul grand affluent avec la Ngiri qui est son affluent de gauche ;

– rive gauche :

– la rivière Lulonga avec ses affluents de droite, la Montoku et l’Itantandu et ses affluents de gauche, les rivières Lodjwa, Bosumba et Eluku,

– la rivière Ikelemba qui n’a de grands affluents ni à gauche ni à droite,

– la rivière Ruki avec pour affluents, la Busira et la Lolonga à droite et, à gauche, les rivières Lokolo, Lofua, Duile, Duali et Lolina.

D’une façon générale, le régime de ces rivières en leurs parties centre et nord est extrêmement irrégulier. Après les pluies, notamment après les gros orages, les débits diminuent assez rapidement. Par ailleurs, bon nombre de «marigots » tarissent plus ou moins vite pendant la saison sèche. Le lit vif luimême est alors à sec et il ne subsiste pas de débit important. Mais au sud du district, sur le domaine des formations mésozoïques, les collecteurs ont, même en saison sèche, un débit permanent très abondant, lié à la porosité et à la perméabilité des formations encaissantes qui en font de bonnes roches-réservoirs. Les zones déprimées sont souvent marécageuses; certains flats marécageux atteignent plusieurs centaines de mètres, voire plusieurs kilomètres, de largeur.

Ci-après, nous examinons la situation dans la ville de Mbandaka et dans les territoires.

 

3.1. Dans la ville de Mbandaka

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Fleuve Congo dans la ville de Mbandaka

La ville de Mbandaka est bâtie au confluent de la Ruki et du fleuve Congo. Son sol est échancré par de nombreux marais, marécages et ruisseaux dont l’épaisseur est souvent tributaire des eaux de pluie.

D’après Gustaaf Hulstaert, les noms des marais et des ruisseaux de Mbandaka sont: Bonkele, un grand ruisseau qui part de l’amont de Wangata ; Isambe, dont la source se situe dans le marais Balongo b’anto, un grand marécage entre Ifeko et Wangata ; Isondage, un autre marécage entre Ifeko et Wangata w’ibonga ; Botemaofankele, nom que portent divers ruisseaux débordant au moment des crues provoquées par les eaux de pluie diluvienne.

 

3.2. Dans le territoire de Basankusu

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Port de Basankusu (par John Sidle).

L’hydrographie du territoire de Basankusu est constituée par les principaux affluents de gauche et de droite de la rivière Lulonga dont les eaux proviennent de plusieurs sources. Le centre de Basankusu est situé au confluent de la Maringa et de la Lopori qui, en se réunissant, forment la rivière Lulonga. Les principaux cours d’eau qui baignent le territoire de Basankusu sont les suivants :

– l’Ikelemba, qui coule d’est en ouest le long de la limite sud du territoire, en traversant le territoire de Bolomba pour se jeter dans le fleuve Congo à plus ou moins 5 km de Mbandaka ;

– la Lopori, qui coule du nord vers l’ouest, forme un confluent avec la Maringa qui, elle, coule du sud vers l’est;

– la Lulonga, qui coule depuis le confluent de la Maringa et de la Lopori pour se jeter à Lolanga, localité située à plus de 70  km en amont de Mbandaka ;

– les autres petites rivières qui alimentent l’affluent Lulonga sont: l’Iyokokala, la Bosomba, la Lokooto, la Bontoku, la Bontongo, la Banyete, la Nsoolo, la Lodjwa, la Bonoko, etc.

 

3.3. Dans le territoire de Bolomba

Le territoire de Bolomba bénéficie d’un réseau hydrographique riche, alimenté par les rivières Lulonga, Ikelemba et Ruki (partie de Busira).

L’Ikelemba, qui se jette dans le fleuve Congo à moins de 5 km de Mbandaka, constitue la voie la plus rapide pour relier Mbandaka à Bolomba. Trois cours d’eau de moindre importance pénètrent l’intérieur du territoire : Boboku, Batoo et Bosomba. La grande étendue marécageuse de Mosondo abrite de petits ruisseaux.

 

3.4. Dans le territoire de Bomongo

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Coucher de soleil sur la rivière Ubangi à Bomongo

Plusieurs cours d’eau traversent le territoire de Bomongo : le fleuve Congo à l’est, l’Ubangi à l’ouest et surtout la Ngiri (Loy, de son nom d’origine), à qui sa position centrale confère le statut d’artère principale. Ces trois grands cours d’eau sont traversés par des chenaux reliant différentes rivières :

– le chenal de Libembe, reliant l’Ubangi à la Ngiri;

– le chenal de Lobengo, reliant la Ngiri au fleuve Congo;

– les chenaux de Boboke, d’Ebeka, de Mpee, de Bondjo, de Vala, de Bomongo, de Bolebo, reliant la Ngiri et l’intérieur des terres fermes ou marécageuses du territoire de Bomongo. Pendant la saison sèche, ces chenaux ne sont pas utilisables par les piroguiers.

Il est à noter que la rivière Mpoka subit l’influence positive du fleuve Congo, de l’Ubangi et de la Ngiri, comme en témoigne la présence des nombreux poissons dans cette rivière.

 

3.5. Dans le territoire de Bikoro

L’hydrographie du territoire de Bikoro est dominée par le lac Ntomba (765 km² de superficie), dans sa partie ouest. À la sortie du lac, en direction du territoire de Lukolela (Irebu), se trouvent d’importants cours d’eau qui, le plus souvent, transforment la région en d’immenses marécages (Lolo, Lolambo, Bituka, Boloko) et le (petit) lac Mpaku, relié à la rivière Ruki.

 

3.6. Dans le territoire d’Ingende

L’hydrographie du territoire d’Igende est dominée par la présence de la rivière Ruki, qui se jette dans le fleuve Congo, presque en amont de la « résidence des gouverneurs » à Mbandaka. La Ruki est alimentée par deux rivières principales, la Momboyo et la Busira. Ingende, chef-lieu du territoire, est bâtie au confluent de la Momboyo et de la Busira.

 

3.7. Dans le territoire de Lukolela

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fleuve Congo à Lukolela

Une vue aérienne du territoire de Lukolela montre un ensemble d’îlots boisés séparés par de nombreuses rivières convergeant toutes vers le fleuve Congo. Ce dernier constitue la grande voie d’eau pour la circulation des personnes et des biens dans le territoire de Lukolela dont le centre est justement situé au bord du fleuve. Dans la partie ouest du territoire, depuis le secteur Losakani jusqu’à la limite avec le territoire de Yumbi (district des Plateaux), le fleuve totalise près de 217  km de rive. S’y trouvent aussi quelques rivières telles que la Ntsangasi chez les Banunu, seule rivière dont les sources sont multiples. Elle est riche en poissons et reptiles aquatiques.

Les ruisseaux les plus importants qui alimentent la Ntsangasi sont :

– l’Etuku, qui provient du fond de la forêt de Nkondi, passe l’étang de Simba et sort par Mpimo, en amont de Lokolo-Mpika ;

– le Mbonga, qui traverse toute la forêt marécageuse de Pokolo à Bosengeli;

– le Lobilo, dont la source se trouve perdue dans la forêt équatoriale. Il baigne les alentours de Mpoka du secteur Mpama et se déverse dans la Ntsangasi en amont de Nkolo-Lingamba. D’autres rivières importantes du territoire de Lukolela sont:

– la Yembe (Mobila) chez les Lusankany ;

– la Manga (Moliba), constituant la limite entre les secteurs Mpama et Lusankany ;

– les rivières Maberu (Moliba), Ndonga, Luba, Etuka, Molambi, chez les Mpama.

 

3.8. Dans le territoire de Mankanza

Le territoire de Mankanza se situe sur la rive droite du fleuve Congo. C’est le domaine de la pêche pour les peuples bangala riverains du territoire de Mankanza appelés «Gens d’eau».

Au nord, le territoire de Mankanza est borné par la rivière Ngiri. Les différents lieux du territoire ne sont pas coupés les uns des autres, car dans la grande forêt entre le Congo et la Ngiri, des ruisseaux relient les villages entre eux, tout comme plusieurs chenaux relient la Ngiri au fleuve Congo. Citons quelquesuns des chenaux reliant le fleuve Congo à la Ngiri:

– le chenal des Mbondji: situé en amont de Bomana sur la Ngiri, il relie la Ngiri au fleuve Congo. Chez les Mbondji, ce chenal est connu sous le nom de «Moluka mua Ndobo », car il rejoint le fleuve Congo à Ndobo. Ensablé, il n’est plus utilisé aujourd’hui;

– le chenal de Bosilela : il traverse les Mabale et aboutit au fleuve Congo à Boboka «Moluka mwa Mabale » ;

– les chenaux de Bokwala et de Mabale : un peu au nord de Bosesela, ils aboutissent au fleuve, en aval de Mankanza (les deux chenaux se croisent et aboutissent tous deux à Boboka) ;

– les chenaux de Bodjenga et de Mbenga, en amont du territoire de Mankanza (Moluka mwa Bonkula). On peut partir de plusieurs points sur la Ngiri: Mpongo, Monia, etc., on aboutit au même endroit.

D’autres chenaux relient la Ngiri à la Moeko et à la Mongala :

– le chenal de Ndobo, dans le territoire de Budjala ;

– le chenal de Lobengo : il relie Ekondo sur la rivière Ngiri à Lobengo sur le fleuve Congo en face de Lobaka. Il est employé par les habitants de la moyenne Ngiri; 

le chenal de Bondoko qui aboutit à Losengo. Il est emprunté par les habitants de la Haute-Ngiri;

– le chenal de Ngoy : un peu en aval de Bonginda. On peut partir de plusieurs points sur la Ngiri: Mobusi, Mpongo, Monia, etc. Il n’est plus praticable aujourd’hui.

Ces chenaux jouent un rôle important dans le transport local. Ils permettent aux populations de la haute et de la moyenne Ngiri de ne plus devoir descendre la Ngiri jusqu’à la crête de partage des eaux Ubangi-Congo, puis de remonter le fleuve.

 

 

4. Sols de la province de l'Équateur

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Carte du sol de l’Équateur.

La région est caractérisée par la présence de grandes termitières fossiles de plusieurs mètres de hauteur et de diamètre, plus abondantes et plus grandes dans les zones basses. Le district de l’Équateur appartiendrait au domaine tropical humide, d’après Franz Bultot (Bultot 1971). Situé à cheval sur l’équateur, il connaît un climat équatorial caractérisé par la chaleur et l’humidité. La température moyenne est de 27 °C. Il existe deux saisons principales: celle des eaux hautes (août-décembre) et celle des eaux basses (janvier-avril). Entre les deux, il y a une alternance de la petite saison des eaux hautes (mai-mi-juin) et de la petite saison des eaux basses (mi-juin-juillet). C’est au rythme de ces saisons que les habitants exercent leurs activités productives: la pêche, la chasse et l’agriculture.

La province de l’Équateur se caractérise par des sols tropicaux récents dans la partie la plus déprimée de la Cuvette centrale et le long de la vallée du fleuve Congo et ses affluents.

 

4.1. Ville de Mbandaka

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Une vue de la ville de Mbandaka dans la province de l'Équateur 

La ville de Mbandaka est bâtie sur un sol sabloargileux. La population, qui pratique une agriculture itinérante, fait le labour ou utilise les jachères (Bongonde, Djombo, Inganda, Iyonda, Bolenge, Wedji-Secli, Ikengo, etc.). Depuis peu, Mbandaka est ravitaillée en produits agricoles grâce aux différents îlots environnant la ville (Maïta, Nkasa, Mangasese…). Ces îlots, y compris la terre ferme de la rive droite du fleuve (Ngunda Lokombe et Bakanga), fournissent à la ville de la canne à sucre, du manioc, des feuilles de manioc (mpondu, etc.) grâce aux limons déposés par les eaux du fleuve pendant les périodes de crues.

 

4.2. Territoire de Basankusu

Le sol du territoire de Basankusu contient du sable limo-argileux. Il est favorable à la production alimentaire et à la création de grandes plantations de palmiers à huile.

 

4.3. Territoire de Bolomba

Le sol du territoire de Bolomba est celui rencontré partout dans la Cuvette centrale. Le profil est toujours humide et le sol est protégé par un dense couvert végétal et un épais manteau de matière organique. Il a une faible teneur en humus et est pauvre en bases et en éléments fertiles. Le couvert reste stratifié. Cette pauvreté du sol oblige la population à user de la jachère et de la pratique des plates-bandes afin de rentabiliser les cultures.

 

4.4. Territoire de Bomongo

Le sol du territoire de Bomongo est, dans son ensemble, marécageux, sauf dans la partie ouest de la bordure de la rivière, où l’on trouve des terres fermes. Pour rendre le sol fertile, la population utilise la jachère et l’agriculture itinérante. Dans les îlots de la Ngiri, la fertilisation du sol est rendue possible grâce aux limons qu’apportent les eaux de la Ngiri pendant la période des crues.

 

4.5. Territoire d’Ingende

Le sol du territoire est humide et sablo-argileux. C’est un sol favorable à la fructification du palmier élaeis. C’est ce qui justifie la présence d’une grande plantation de palmiers élaeis à Boteka. Cette plantation est la propriété de la PLC (Plantation Lever au Congo).

 

4.6. Territoire de Bikoro

Le sol du territoire de Bikoro est de type sablo-argileux. Il est propice à l’agriculture sur brûlis dans les secteurs des Ekonda et des Elanga. Il est parfois marécageux dans le secteur Lac.

 

4.7. Territoire de Lukolela

Les terrains du territoire de Lukolela situés le long du fleuve Congo sont constitués de terres d’alluvion argileuses parsemées, ici et là, de blocs de limonite sans formation de tufs imperméables. Mais le sous-sol composé d’argile blanche plastique devient imperméable.

Quoique perméable, la première couche du sol est excessivement compacte et, en conséquence, se fendille pendant la saison sèche. Mais pendant la saison des pluies, l’eau s’accumule sur la couche perméable. Le sol du territoire de Lukolela est entouré de marécages dans le secteur Losakani et de peu de terres fermes dans le secteur Mpama. L’humidité du sol favorise la poussée de la culture des cacaoyers. Dans les îlots du fleuve Congo, le sol est inondé pendant les périodes de crues, favorisant le développement des cultures telles que la canne à sucre, le manioc, la patate douce, etc. La fertilisation du sol est favorisée par les limons déposés par les eaux du fleuve.

 

4.8. Territoire de Mankanza

Le sol du territoire de Mankanza est marécageux, dans son ensemble, toutefois il existe un peu de terre ferme où les habitants font leurs champs. Mais les grandes étendues de la région sont couvertes de terrains humides ou inondés :

– les sols récents occupent de faibles superficies et apparaissent mal sur la carte. Ce sont, en général, les plus fertiles, par une occupation végétale et un épais manteau de matière organique ;

– les sols hydromorphes, qu’on trouve le long des rives du fleuve.

 

Références

Bultot, F. 1971. Atlas climatique du bassin congolais. Bruxelles:

ARSOM. Département de l’Agriculture et du Développement rural. 1983 (février). Région de l’Équateur. Étude régionale pour la planification agricole. Kinshasa : Service d’études et planification.

Hulstaert, G. 1957. Dictionnaire lomongo. Tervuren: MRAC.

Kama, F. 1971. Géographie 3e secondaire. Paris: Hatier.

Van Der Straeten, E. 1945. L’Agriculture et les industries agricoles au Congo belge. Bruxelles: L. Cuypers.

Vinck, H. 1990. Mbandaka hier et aujourd’hui. Éléments d’historiographie locale. Collection «Études Æquatoria », vol. 10. Bamania : Centre Æquatoria ».

 

 

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Chapitre 2 : Géologie

Par Damien Delvaux de Fenffe (MRAC), Vital Cilolo Mukonkole et Maurice Luamba Mabiala (CRGM)

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Carte géologique de la province de l’Équateur.

La province de l’Équateur correspond à la partie centrale du bassin du Congo, aussi appelé Cuvette centrale. La géologie de surface, à l’affleurement, est constituée de roches relativement jeunes (Crétacé récent), ne représentant que la partie superficielle d’une séquence sédimentaire qui peut atteindre jusqu’à 14 km d’épaisseur.

 

1. Géologie de surface

La géologie de surface du district de l’Équateur a été identifiée grâce aux travaux de reconnaissance effectués sur le terrain par les géologues dont A. Lohest, Sekirsky, J. Benoît et A. Lombard et synthétisés par L. Cahen en 1954 et par A. Lepersonne en 1977 dans la carte géologique du Congo au 1/2 000 000.

La succession des couches de surface dans le district de l’Équateur se présente, de la base au sommet, de la manière ci-après: le Crétacé supérieur, une croûte ferrugineuse latéritique, des alluvions anciennes du Pléistocène-Pliocène (PP), et des alluvions récentes de l’Holocène (Ho).

Le Crétacé supérieur affleure sur une petite portion du district. Il correspond à la fin du remplissage sédimentaire de la Cuvette centrale et de grès tendres, déposés dans un milieu tropical humide avec de vastes marécages, lacs peu profonds et rivières.

Au cours du Tertiaire, la Cuvette passe à un stade d’érosion, suite à une surélévation générale du continent africain depuis la fin du Crétacé, bien que la partie centrale du bassin du Congo reste déprimée par rapport à sa périphérie, acquérant ainsi sa forme en cuvette.

Une importante surface de planation se développa probablement pendant le Miocène moyen avec la précipitation d’une cuirasse latéritique ferrugineuse épaisse de plusieurs mètres, formant des falaises de 10 à 20 mètres de haut, le long des rives du fleuve Congo jusque Mankanza (ex-Nouvelle Anvers), ainsi que du lac Ntomba et de la Busira. Elle correspond à l’une des périodes mal datées de latérisation connues dans l’ensemble de l’Afrique centrale et de l’Est. Plus en amont du fleuve, au niveau de Yangambi, De Heizemin (1957) montre que les terrasses du fleuve sont composées d’une succession de lentilles et bancs alluvionnaires de gravier de quartz, sable grossier ou graveleux, et niveaux de matériel graveleux limonitique ; de dépôts pisolitiques indurés, liés à au moins deux périodes de planation.

Le Pléistocène-Pliocène (PP) est constitué d’alluvions anciennes présentes en terrasse le long du fleuve, composées de gravier de quartz, sable grossier ou graveleux, des grès limonitiques et des blocs épars de roches silicifiées du type « grès polymorphes ». Ces dernières sont des résidus de roches plus anciennes d’âge Paléogène, qui formaient initialement une croûte silicifiée recouvrant les sédiments du Crétacé.

Les alluvions récentes présentes dans les zones basses et inondables le long du fleuve et ses affluents sont d’âge Holocène (Ho). Elles correspondent à des terrasses fluviatiles avec graviers, sables et résidus latéritiques ainsi que des boues argileuses. On y trouve aussi des sables blancs bien classés formés de quartz pur dans les terrasses alluviales et les plages du lac Ntomba.

Les ressources accessibles en surface sont limitées à de la tourbe, du lignite et des argiles kaolineuses:

– à Basankusu, un gisement de tourbe fut signalé par A. Lombard dans les années 1960. Cette tourbe est sableuse gris noir, légère et non fibreuse;

- un gisement de lignite fut découvert à Ikelemba, dans des alluvions, fin 1931 par Benoît Bolomba, à l’embouchure de la petite rivière Kamu, entre les villages Bosandju et Boso-Ekombo;

– à Mbandaka, on rencontre les argiles kaolineuses lie-de-vin prélevées au contact immédiat du substratum; cette argile de bonne qualité sert à la fabrication des briques cuites. Elle se retrouve également au niveau du lac Ntomba.

 

2. La Cuvette centrale

Le bassin du Congo est une grande dépression au centre du continent africain, d’une superficie d’environ 800000 km². Il couvre une grande partie de la République démocratique du Congo, depuis Kinshasa jusqu’à Kisangani, englobant l’Équateur, une partie des deux Kasaï et le Maniema. Les termes de «bassin du Congo» et de «Cuvette centrale » sont apparus presque simultanément (Cornet 1894). Dès 1885, A. Wauters (in Cornet 1894) reconnaît que le fleuve Congo et ses affluents forment un bassin hydrologique en forme de cuvette. Cette approche géographique est confirmée par E. Dupont en 1889 (Dupont 1889) qui, le premier, en retient la signification géologique. Ce dernier définit le bassin du Congo comme une entité géologique comprenant toutes les formations sédimentaires non métamorphiques qui recouvrent un socle cristallin et le différencie du bassin hydrologique. Il en identifia rapidement les potentialités en matière de ressources en hydrocarbures (Cornet 1911). Le terme de «bassin du Congo» devint internationalement reconnu grâce au mémoire de A.C. Veatch (1935). Par la suite, les deux termes furent utilisés avec des significations variables par différents auteurs intéressés à la question, dont les principaux sont L. Cahen (1954), Évrard (1957), J. Lepersonne (1977), J. Chorowicz et al. (1990), M.C. Daly et al. (1992), Kadima et al. (2011).

L’exploration de ce bassin en général, et en particulier dans le district de l’Équateur, est rendue difficile par la présence de la forêt équatoriale et les difficultés d’accès. Alors que les principales caractéristiques de la géologie de surface et la présence de roches-mères de pétrole pouvant générer du pétrole et du gaz ont été rapidement reconnues (Cornet 1911 ; Passau 1923), la structure profonde de la Cuvette centrale reste encore imparfaitement mesurée. Les géologues débattent toujours sur les potentialités en hydrocarbures de ce bassin. Certains y voyant la présence de réserves importantes, mais jusqu’à présent aucun sondage n’a révélé de ressources et aucun indice de surface n’a pu être confirmé (Delvaux & Fernandez 2015). Les enjeux et défis liés à l’exploration pétrolière de la Cuvette centrale ainsi que des autres bassins de la RDC sont analysés par F. Misser (2013).

La première campagne d’exploration a été menée entre 1952 et 1956 par le Syndicat pour l’étude géologique et minière de la cuvette congolaise (REMINA), avec des recherches géologiques de surface systématiques, des mesures gravimétriques et magnétiques, des profils sismiques de réflexion (131  km) et de réfraction (600 km) et deux forages stratigraphiques (Samba et Dekese) entièrement carottés respectivement jusqu’à 2038 et 1856 mètres de profondeur (Évrard 1957). Les résultats ont montré que le bassin de la Cuvette centrale est plus profond qu’estimé initialement. Ils ont également permis de déterminer la succession des couches sédimentaires sur les 2000 premiers mètres du bassin. Une seconde campagne a été menée par le consortium Esso-Texaco. Elle a repris les explorations en menant l’acquisition de 2900 km de nouveaux profils sismiques, réflexion couvrant l’ensemble du bassin et forant deux sondages d’exploration (Mbandaka et Gilson), respectivement jusqu’à 4350 et 4536 m de profondeur, sans rencontrer le socle. Les profils sismiques calibrés avec les forages ont permis d’obtenir une meilleure idée de la structure du bassin, qui présente une profondeur moyenne de 4 à 5 km, avec des fossés allant de 10 à 14 km de profondeur. Une dernière campagne d’exploration a été menée en 1984 par la Japan National Oil Corporation (JNOC) dans la région de Kisangani, le long du cours supérieur du fleuve Congo (encore appelé Lualaba).

Malgré ces efforts, aucun indice sérieux d’hydrocarbure n’a pu être trouvé ni en profondeur, dans les sondages, ni en surface, à l’affleurement. Plus récemment, OilSearch/Pioneer en 2007 et HRT Petroleum en 2008, en collaboration avec la COHYDRO (Congolaise des Hydrocarbures), ont effectué des travaux faisant la synthèse des données existantes pour en définir des objectifs d’exploration à développer. Plusieurs venues d’hydrocarbures en surface ont été rapportées et interprétées par certains comme indiquant la présence de réserves de pétrole dans le sous-sol, mais une contre-expertise menée par Central Oil & Gas pour la COMICO a montré que ces indices sont d’origine anthropique, correspondant à diverses pollutions en hydrocarbures (diesel et bitume de calfeutrage des bateaux)

 

Références

Cahen, L. 1954. Géologie du Congo belge. Liège : Vaillant-Caramanne, 577 p.

Chorowicz, J., Le Fournier, J. & Makazu, M.M. 1990. «La Cuvette centrale du Zaïre : un bassin initié au Protérozoïque supérieur. Contribution de l’analyse du réseau hydrographique ». C. R. Acad. Sci. Paris 311(II) : 349-356.

Cornet, J. 1894. «Les formations post-primaires du bassin du Congo». Annales de la Société géologique de Belgique 21 (1893-1894) : 251-258.

Cornet, J. 1911. « Sur la possibilité de l’existence de gisements de pétrole au Congo». Annales de la Société géologique de Belgique. Publ. rel. Congo belge, 38 (1910-1911) : 9-15.

Daly, M.C., Lawrence, S.R., Diemu-Thiband,  K. & Matouana,  B. 1992. «Tectonic evolution of the Cuvette Centrale, Zaire ». J. Geol. Soc. Lond. 149 : 539-546.

De Heizemin, J. 1957. «Les formations sédimentaires de l’Aruwimi et la Série de Yangambi ». Bulletin de la Société belge de géologie 66 (1) : 98-104.

Delvaux, D. & Fernandez, M. 2015. «Petroleum potential of the Congo Basin». In de Wit, M., Guillochau, F. & de Wit, M.C.J. (éd.), The Geology and Resource Potential of the Congo Basin. Heidelberg : Springer (Series «Regional Geology Reviews », chap. 18, pp. 371-391).

Dupont, E. 1889. «Lettres sur le Congo. Récit d’un voyage scientifique entre l’embouchure du Fleuve et le confluent du Kasaï ». Paris: C. Reinwald (éd.), 724 p. Summary Report Bulletin de la Société belge de géologie 3 (1889) : 398-403.

Évrard, P. 1957. Les recherches géophysiques et géologiques et les travaux de sondage dans la Cuvette congolaise. Bruxelles: Académie royale des Sciences coloniales («Mémoires de la classe des sciences techniques », [N.S.] VII [1]).

Kadima, E., Delvaux, D., Sebagenzi, S.N., Tack, L. & Kabeya, M. 2011. « Structure and geological history of the Congo Basin: An integrated interpretation of gravity, magnetic and reflection seismic data ». Basin Research 23(5): 499-527.

Lepersonne,  J. 1977. « Structure géologique du bassin intérieur du Zaïre ». Bulletin de l’Académie royale de Belgique, Cl. Sci., 5e série, 63 (12) : 941-965.

Misser, F. 2013. «Enjeux et défis d’une province pétrolière en devenir ». In Marysse, S. & Omasonbo, J. (éd.), Conjonctures congolaises 2012. Politique, secteur minier et gestion des ressources naturelles en RD Congo. Tervuren-Paris: Musée royal de l’Afrique centrale-L’Harmattan (coll. «Cahiers africains » 82), pp. 147-177. ISBN: 978-2-343-00465-5.

Passau, G. 1923. «La géologie du bassin des schistes bitumineux de Stanleyville (Congo belge) ». Annales de la Société géologique de Belgique, Publ. rel. Congo belge 19 (1921-1922), C91-243.

Veatch, A.C. 1935. «Evolution of the Congo Basin». Geological. Society of America. Mem. 3, 184 p.

 

 

 

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Chapitre 3 : Végétation

par Joëlle De Weerdt, Benjamin Toirambe, Astrid Verhegghen, Pierre Defourny, Hans Beeckman

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Situé au cœur même de la Cuvette centrale, l’Équateur est couvert par près de 45% de forêts denses humides (44,88%, Tableau 3.1) comprenant les forêts ombrophiles sempervirentes, les forêts semi-caducifoliées et les forêts secondaires. Il est dominé par un réseau hydrographique dense entouré de forêts sur sols hydromorphes (47,15%), qui elles-mêmes sont entourées d’une manière régulière par des complexes agricoles. Les savanes (herbeuses et arbustives) sont présentes à l’extrême sud-ouest de la province, principalement à Lukolela et à Bikoro. La végétation marécageuse, quant à elle, se trouve de part et d’autre du fleuve Congo, à Bomongo et également au niveau du lac Ntomba. 

Ces différents types de végétation s’expliquent par la variabilité climatique rencontrée dans le district caractérisée par des précipitations annuelles allant de 1 600 mm à 1 850 mm.

Il s’agit d’un climat de type équatorial où la saison sèche est quasi inexistante, hormis une légère diminution des pluies en janvier et février. Ceci s’observe partout en Équateur, sauf dans une zone au sud du lac Ntomba, au niveau de Lukolela (voir graphique ombrothermique du sud-ouest à Bikoro, page 40) où l’on observe une courte saison sèche d’une durée de deux mois (juin-juillet). La transition vers cette courte période, caractérisée par une diminution de précipitations, s’observe clairement sur les graphiques ombrothermiques du nord-ouest et du sud-ouest du district. La température moyenne annuelle oscille autour de 25 °C.

 

Tableau 3.1. Répartition des principaux types de végétation dans le district de l’Équateur et au niveau national

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Sources: Vancutsem 2009, Verhegghen et al. 2010.

 

1. Forêt dense humide

De manière générale, les forêts denses humides sont caractérisées par un peuplement continu d’arbres dont la hauteur varie entre 10 et 50 m. Par conséquent, les cimes s’étagent généralement en plusieurs strates. La densité de la canopée empêche le développement important d’une strate arbustive et herbacée et favorise davantage les épiphytes, plantes qui poussent en prenant appui sur d’autres plantes (ex. : orchidées, fougères, etc.). Peu de graminées y poussent, mais plus souvent des sous-arbrisseaux ou plantes suffrutescentes) et quelques rares plantes herbacées à grandes feuilles.

En fonction des espèces ligneuses présentes, se distingue d’une part la forêt dense humide sempervirente, dont la majorité des arbres restent feuillés toute l’année et, d’autre part, la forêt dense humide semi-décidue (qui peut représenter jusqu’à 70% des forêts denses humides), dont une forte proportion d’arbres restent défeuillés une partie de l’année. La forêt semi-décidue est floristiquement plus riche que la forêt sempervirente et la densité de sa canopée permet le développement d’un sous-étage arbustif continu. Les forêts secondaires, définies comme la régénération d’une forêt après une intervention anthropique, font également partie de la forêt dense humide.

Les forêts denses humides sont présentes autour des forêts sur sols hydromorphes, lesquelles bordent le réseau hydrographique. Les forêts denses humides recouvrent 44,88% du district.

 

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2. Forêts denses sur sols hydromorphes

 

De manière générale, les forêts sur sols hydromorphes sont situées le long du réseau hydrographique. Elles résultent de la présence de sols mal drainés et de fréquentes inondations. Plusieurs types de forêts peuvent être distingués en fonction de la qualité du milieu ou de la durée des inondations. Les forêts denses sur sols hydromorphes peuvent, dans les meilleures conditions, atteindre 45  m de hauteur. Leur strate supérieure, c’est-à-dire les arbres, est plus ouverte et plus régulière que celle des forêts sempervirentes de terre ferme. Ces formations possèdent une flore endémique diversifiée, quoi qu’assez pauvre d’une manière générale : Uapaca spp. Guibourtia demeusei, Hallea spp. et les palmiers du genre Raphia.

 

 

3. Savanes

 

De manière générale, la savane boisée est une formation végétale entre la savane herbeuse et la forêt claire. Le recouvrement des ligneux est compris entre 25 et 60%, semblable à la forêt claire, mais diffère de cette dernière par des arbres dont la hauteur est plus faible. La savane arborée se caractérise par une faible densité d’arbres (inférieure à 40%) et dont la taille est supérieure à 7  m; cette strate ligneuse surmonte une strate herbacée dynamique. La savane arbustive est composée d’un tapis dense de graminées sur lequel se développent des arbustes de hauteur inférieure à 7  m et de densité faible. La savane herbeuse, quant à elle, est composée uniquement d’un tapis dense de grandes herbes graminéennes.

Sur l’origine des savanes (herbeuse, arbustive, arborée ou boisée), trois scénarios sont possibles. Aucun n’est exclusif, ni exhaustif, mais ils peuvent servir de repère :

– origine naturelle : ces savanes (principalement graminéennes) se sont installées dans des milieux qui ne pouvaient pas accueillir une végétation forestière abondante, en raison de la pauvreté du sol ou de conditions climatiques limitantes;

– origine relictuelle : ces savanes seraient apparues durant une période plus sèche et se seraient maintenues grâce à l’action des feux. Le passage fréquent du feu empêche son évolution vers une savane arborée puis une savane boisée et à terme une forêt claire ;

– origine secondaire : ces savanes succèdent à des formations arborescentes. Cette secondarité, qui provient de la dégradation de la forêt, est principalement anthropique (agriculture, feu, etc.). Certaines de ces savanes secondaires sont très vieilles, ce qui est confirmé par le fait que les animaux se sont adaptés à cet environnement, notamment les grands herbivores (girafe, antilope, etc.).

La province de l’Équateur contient aussi des Esobe, terme local de la Cuvette centrale congolaise qui désigne la graminée Hyparrhenia diplandra. Ce terme indique par extension les plaines herbeuses généralement entourées par des formations forestières de terre ferme ou de marécages. L’Esobe sec est une formation aux herbes hautes et aux arbres très espacés et bas; l’Esobe humide est une formation herbeuse à proximité d’une source d’eau comme des mares, des endroits inondés, marécageux, etc.

L’Esobe de formation de prairie basse à Bulbostylis laniceps, Panicum parvifolium, Xyris sp. et Lycopodium carolinianum est la plus répandue. Un autre type d’Esobe est une formation buissonnante à Stipularia africana, Jardinea gabonensis, Dissotis sp., Syrtosperma senegalense et Clappertonia ficifolia.

 

4. Complexe agricole en zone forestière

Dans le district de l’Équateur, de manière générale, le complexe agricole en zone forestière est constitué d’un mélange de jachères forestières, de jardins de case, de cultures vivrières (manioc, maïs, arachides, bananes, etc.) et de plantations villageoises qui ont remplacé progressivement la forêt dense humide. Il correspond aux zones de forte activité anthropique.

Les complexes agricoles forment 6,52% de la superficie totale du district. Les complexes sont plus étendus à l’est du lac Ntomba et le long du réseau hydrographique, près de grands centres comme Mbandaka, Bolomba et Ingende. Une petite partie des complexes s’étend au nord-ouest de la province.

 

Liste non exhaustive des espèces endémiques de la République démocratique du Congo dont l’aire de répartition fait partie de l’Équateur :

Acacia lujae
Allanblackia kisonghi
Allanblackia marienii
Angylocalyx boutiqueanus
Annickia ambigua
Baphia incerta
Baphia marceliana
Begonia horticola
Beilschmiedia variabilis
Bersama abyssinica
Campylospermum engama
Chytranthus mortehanii
Cissus pynaertii
Cnestis corniculata
Cnestis sapinii

 

 

Biodiversité et endémisme

La biodiversité ainsi que le taux d’endémisme sont des considérations supplémentaires dans la gestion de la flore locale. L’endémisme indique qu’une région a une composition floristique unique et parfois même rare. Notons qu’une bonne gestion des complexes agricoles est impérative afin d’éviter leur expansion en vue de la préservation de différents types de végétation et de la biodiversité floristique qui caractérise le district.

 

Références

Bailey, R.G. 1986. «The Zaire River system». In Davies & Walker (éd.), The Ecology of River Systems. Dordrecht, Boston & Lancaster: Junk Publishers, pp. 201-214.
Bonobo Food Items. 2009. «Food availability and bonobo distribution in the Lake Ntomba swampy forests, Democratic Republic of Congo». The Open Conservation Biology Journal (3) : 14-23.
Deuse, P. 1960. Étude écologique et phytosociologique de la végétation des Esobe de la région Est du lac Ntomba (Congo belge). Bruxelles: ARSOM («Mémoires de la classe des sciences naturelles et médicales », [N.S.], XI [3]).
Évrard, C. 1968. Recherches écologiques sur le peuplement forestier des sols hydromorphes de la Cuvette centrale congolaise.
Bruxelles: Office national de la recherche scientifique et du développement-Ministère belge de l’Éducation nationale et de la Culture (« Série scientifique », n° 110).
Inogwabini, Bila-Isia, Matungila,  B., Mbende,  L., Abokome,  M. & Miezi,  V. 2007. «Chapter 13 : The bonobos of the Lake Ntomba – Lake Maindombe hinterland: threats and conservation opportunities ». In Thompson, J. & Furuichi,
T. (éd.), The Bonobos: Behavior, Ecology, and Conservation. New York : Springer.
Inogwabini, Bila-Isia & Zanga Lingopa. 2006. Les inventaires des poissons dans le lac Ntomba, Congo et Ngiri: une étude comparative mettant en évidence une diminution du potentiel au lac Ntomba, République démocratique du Congo.
Rapport soumis au WWF US, Washington DC et USAID-CARPE, Kinshasa, République démocratique du Congo.

 

 

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Chapitre 4 : Faune

par Mark Hanssens

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Àpartir de différentes sources, une liste des espèces a été constituée pour les quatre groupes de vertébrés: poissons, amphibiens et reptiles, oiseaux, mammifères (voir les détails ci-dessous). Il est important de tenir compte du fait que ces listes sont basées sur nos connaissances actuelles, qu’elles reposent sur les collections et les observations de terrain réalisées à ce jour et sont, dès lors, incomplètes. Un bref aperçu de l’origine des collections au MRAC montre, en outre, que le nombre de stations zoologiques où des spécimens ont été collectés dans le district de l’Équateur (comme c’est le cas pour beaucoup d’autres régions du Congo, particulièrement dans les zones forestières, qui sont généralement moins accessibles) reste très limité. D’autre part, il faut également tenir compte du fait que ces collections sont «historiques » et qu’en conséquence, elles ne donnent pas nécessairement une image fidèle de la composition de la faune aujourd’hui. Les premières collections du MRAC datent de la fin du XIXe   siècle. Il est donc possible que des espèces qui apparaissaient autrefois à un endroit déterminé n’y soient plus présentes actuellement. Les causes de la disparition d’espèces sont liées à la pression croissante des populations humaines. Cette influence de l’homme peut prendre différentes formes. Sous l’effet de la chasse ou de la perte de leur habitat (déboisement, assèchement des marais, etc.), des populations peuvent disparaître et des espèces peuvent même, dans des conditions extrêmes, s’éteindre totalement.

La diversité des animaux est généralement mieux surveillée et documentée dans les parcs nationaux et les réserves. La réserve naturelle Ntomba-Ledina fut créée par arrêté ministériel n°  053/Cab/Min/ECNEF/2006 du 7  décembre  2006. Sa superficie est de 75 000 ha.

 

1. Écologie et biogéographie

 

La plupart des animaux sont attachés à un habitat ou à un biotope spécifique. Parmi les animaux terrestres, l’on ne trouve certaines espèces que dans les forêts tropicales humides (comme l’okapi ou le paon du Congo), tandis que d’autres sont adaptées à la savane ou à la montagne. De même, parmi les animaux aquatiques, certaines espèces marquent clairement leur préférence pour un habitat bien déterminé. Il convient donc d’en tenir compte en examinant les listes d’espèces.

 

2. Diversité

 

2.1. Poissons

En ce qui concerne les poissons, les listes d’espèces sont entièrement basées sur une série de cartes de distribution portant sur l’ensemble des poissons d’eau douce du Congo (ces cartes de distribution ont été réalisées au sein du laboratoire d’ichtyologie du MRAC). Ces cartes ont été établies et mises à jour à partir des données de distribution de la FishBase (Froese & Pauly 2009) et de données tirées de la littérature. La plupart des espèces de la liste ont été recueillies à l’intérieur des frontières du district. Par ailleurs, un certain nombre d’espèces collectées en dehors du district ont également été ajoutées à la liste. Ces espèces sont soit largement répandues dans la région, soit ont été enregistrées non loin des frontières de l’Équateur, dans des affluents débouchant dans les fleuves à l’intérieur du district. La présence de ces espèces à l’intérieur de l’Équateur même est par conséquent hautement probable.

Le lac Ntomba se trouve à l’intérieur du district de l’Équateur. Diverses études sur la faune des poissons du lac Ntomba et ses environs ont été faites par des chercheurs du MRAC (Poll 1942) ou de l’IRSAC6 (Marlier 1958 ; Matthes 1964).

En ce qui concerne les poissons, la faune est dominée, au Congo – et donc aussi dans le district de l’Équateur –, par une série d’ordres ou de familles. L’ordre des Characiformes est l’un des plus riches en termes d’espèces dans le bassin du Congo et est dominé par les familles des Alestiidae et des Distichodontidae. Le genre Hydrocynus (poisson-tigre) fait partie de la famille des Alestiidae. Le poissontigre est le plus grand poisson prédateur du bassin du Congo. Il se caractérise par un corps fuselé et par une large bouche faite de dents acérées et fortement développées.

La famille des Cyprinidés ou carpes (dans l’ordre des Cypriniformes) comprend plusieurs genres. Deux d’entre eux comportent de nombreuses espèces: le genre Barbus qui regroupe principalement les petits barbeaux, et le genre Labeo dans lequel figure une série d’espèces de plus grande taille. Bien que ces deux genres regroupent de très nombreuses espèces, celles-ci sont souvent fort semblables et donc difficiles à identifier.

La famille des Mormyridés ou poissons-éléphants (dans l’ordre des Ostéoglossiformes) comprend une série d’espèces caractérisées, entre autres, par la présence d’un organe électrique. Cet organe se trouve à la base de la queue et peut émettre des impulsions électriques. La tête de ces poissons est dotée de récepteurs avec lesquels ils peuvent capter ces impulsions électriques. Celles-ci leur permettent de s’orienter et de détecter leur proie (ce système est donc comparable au système d’écholocalisation des chauves-souris) et servent aussi à la communication entre individus de la même espèce. La forme des impulsions est différente pour chaque espèce, si bien que ces animaux sont capables de faire la distinction entre des impulsions émises par des membres de leur espèce (partenaires potentiels) et des individus appartenant à une autre espèce.

L’ordre des Siluriformes (poissons-chats) comprend différentes familles qui présentent une grande variété sur les plans morphologique et écologique. Les poissons-chats se caractérisent, entre autres, par l’absence d’écailles sur le corps et la présence de barbillons – parfois très longs – au niveau de la bouche et du menton. Le genre Clarias (famille des Clariidae) a une importance commerciale considérable. Différentes espèces sont fréquemment utilisées en aquaculture, eu égard au fait qu’elles présentent une grande tolérance par rapport à leur environnement et peuvent être élevées en grand nombre.

Comme les poissons-chats, les espèces de la famille des Cichlidae (dans l’ordre des Perciformes) présentent une grande variété morphologique et écologique. La plupart d’entre elles sont fortement adaptées à un habitat spécifique (type de sol ou de végétation particulier, rapides…). Dans cette famille, les soins apportés à la progéniture sont très développés et très variés. Il y a les pondeurs sur substrat, qui déposent leurs œufs sur le sol ou sur de la végétation et qui continuent par la suite à protéger leurs œufs ainsi que les jeunes enfants. Il y a ensuite les incubateurs buccaux spécialisés: les femelles, dans certains cas, les mâles dans d’autres, ou encore les individus des deux sexes, conservent les œufs et les nouveaunés dans la bouche afin de les protéger contre la prédation. La perche du Nil (Oreochromis niloticus et les espèces apparentées) est très importante économiquement. Ces espèces sont souvent utilisées en aquaculture et sont ainsi bien souvent introduites dans des régions où elles n’étaient pas présentes à l’origine. L’Oreochromis niloticus qui, excepté au lac Tanganyika, n’est pas présent dans le bassin du Congo, a été introduit en de nombreux endroits où il entre en compétition avec les Cichlidae d’origine, qu’il finit bien souvent par évincer.

 

2.2. Amphibiens et reptiles

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La liste des amphibiens et reptiles a été constituée à partir des données des collections présentes au MRAC. Seules les espèces capturées dans le district y ont été reprises.

Les connaissances taxinomiques relatives aux grenouilles (amphibiens) sont problématiques. Étant donné que les spécimens conservés dans les collections sont souvent très similaires sur le plan morphologique et qu’aucune information n’est disponible quant aux cris et aux motifs de couleur, bon nombre de ces spécimens sont difficiles à identifier. Pour mettre au point la classification de ce groupe, il est indispensable de recueillir des informations sur le terrain concernant les motifs colorés et leur variabilité à l’intérieur d’une espèce. En outre, il convient aussi de se documenter sur le cri du mâle et de déterminer quels individus s’accouplent entre eux.

Les amphibiens (parmi lesquels les grenouilles) ont souvent un cycle de vie qui comporte deux phases distinctes. Les enfants (têtards chez les grenouilles) sont entièrement aquatiques, tandis que les individus adultes se meuvent aussi bien dans l’eau que sur terre. De nombreuses grenouilles arboricoles vivent même l’entièreté de leur vie hors de l’eau. Les grenouilles ayant une peau fortement perméable (la respiration se fait principalement par la peau), elles constituent d’importants bio-indicateurs. En cas de pollution du milieu aquatique, elles sont souvent les premières espèces à disparaître. Sous l’effet de la pollution et de l’infection fongique croissante, de nombreuses espèces sont menacées au niveau mondial, si bien que nombre d’entre elles figurent sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)7 .

La province de l’Équateur se trouve dans l’aire de distribution des trois espèces de crocodiles connues en Afrique. Il s’agit du crocodile du Nil, qui avait une distribution originale presque panafricaine, et deux espèces beaucoup plus rares, le faux gavial d’Afrique ou crocodile à nuque cuirassée et le crocodile nain.

 

 

• Crocodile du Nil

Le crocodile du Nil, Crocodylus niloticus, qui était, à l’origine, présent dans tout le bassin congolais, a disparu de certaines rivières ou régions, sous la pression humaine. Néanmoins, cette espèce, répandue dans presque toute l’Afrique, n’est pas menacée, et son statut UICN est « risque faible/préoccupation mineure ». Le crocodile du Nil est de grande taille (taille maximale de 6 à 7  m). Il s’agit d’une espèce prédatrice qui se nourrit principalement de poissons (les jeunes se nourrissent principalement d’insectes, de grenouilles et de têtards). Mais, ce qui fait du crocodile du Nil une espèce redoutée, c’est qu’il est capable d’attaquer des animaux au bord de l’eau. Pour un grand crocodile, l’homme n’est ainsi qu’une proie potentielle parmi d’autres. Il a été observé que des crocodiles sont capables de sauter hors de l’eau jusqu’à une hauteur d’à peu près deux tiers de leur longueur. Une fois leur proie capturée, celle-ci est submergée jusqu’à ce qu’elle se noie, ou déchiquetée à l’aide de leurs fortes mâchoires. La proie est dévorée et peut être avalée sous l’eau. Avec sa grande distribution et son importante population, le crocodile du Nil a le statut «préoccupation mineure » (Demey & Louette 2001) sur la liste rouge de l’UICN. Néanmoins, il est menacé dans certaines régions.

 

• Faux gavial d’Afrique

Le faux gavial d’Afrique (Crocodylus cataphractus) est une espèce de taille moyenne (taille maximale d’environ 3 m), caractérisée par un museau long et étroit. Cette espèce se nourrit principalement de poissons ou, quand l’opportunité se présente, d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens. Contrairement au crocodile du Nil, c’est une espèce timide et farouche, qui fuit les hommes. Elle ne pratique pas la technique de chasse par embuscade, et ne représente aucun danger pour l’homme. La connaissance relative à cette espèce est très pauvre. Son statut sur la liste rouge de l’UICN est «données insuffisantes ».

 

• Crocodile nain

Le crocodile nain, Osteolaemus tetraspis, est une espèce de taille relativement petite (longueur environ 2  m), avec une tête, un corps et une queue fortement cuirassés. Cette espèce est très peu connue. Elle semble préférer les rivières qui coulent mollement, et éviter les rivières majeures. Sa présence a été constatée dans des régions de forêts ou de savanes. Cette espèce, principalement nocturne, se nourrit de crabes, de grenouilles et de poissons. Le statut du crocodile nain sur la liste rouge de l’UICN est « vulnérable » (Demey & Louette 2001), mais il serait nécessaire de consacrer davantage de recherche à ce crocodile.

 

2.3. Oiseaux

 

Pour la composition de la liste des espèces d’oiseaux, différentes sources ont été utilisées. Une partie de la liste des espèces est basée sur les spécimens de la collection du MRAC qui ont été recueillis dans le district. La liste a été complétée sur base de la liste d’espèces des régions importantes pour la conservation d’oiseaux (Demey & Louette 2001). La nomenclature pour les oiseaux respecte celle qui est présentée dans Avibase et Birdlife International (Lepage 2011).

Le site de Ngiri (code CD003 sur la liste des « Important Bird Areas » [IBA9 )]), dans la province de l’Équateur, est considéré comme une zone importante pour la conservation des oiseaux. Ce site couvre une grande aire de forêts marécageuses, avec de nombreuses rivières, entre l’Ubangi à l’ouest et le fleuve Congo à l’est. De nombreux oiseaux aquatiques se reproduisent à Ngiri, en particulier le héron pourpré, le cormoran africain et l’anhinga d’Afrique. Ngiri est le seul site au Congo où l’on trouve le souimange du Congo. Les espèces clés sont le héron pourpré et le guêpier gris-rose.

 

• Héron pourpré

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Dominique MIGLIANI ©

Le héron pourpré (Ardea purpurea) est une espèce migratoire avec une très grande distribution (le paléarctique ouest [Europe, Moyen-Orient et Afrique du Nord], l’Afrique et l’Asie tropicale). Les différentes populations se reproduisent à différents moments de l’année ; les populations africaines, pendant la saison des pluies. Cet oiseau se reproduit en colonies, relativement petites, en Afrique (2-3 jusqu’à 50 paires par colonie). Il habite des terres marécageuses, avec une préférence pour les roseaux denses. Il se nourrit de poissons, de salamandres, de grenouilles, d’insectes, de crustacés, de mollusques et même de petits mammifères, d’oiseaux et de reptiles. Avec sa vaste aire de distribution et son importante population, son statut UICN est «préoccupation mineure ».

 

• Cormoran africain

Le cormoran africain (Phalacrocorax africanus) a également une énorme aire de distribution, qui couvre presque toute l’Afrique subsaharienne, à l’exception des zones trop arides. Il est principalement sédentaire, mais peut migrer partiellement en fonction du niveau de l’inondation. La reproduction est associée à la saison des pluies et au niveau des inondations. Elle se fait généralement en association avec d’autres oiseaux aquatiques, à raison de 1 à 5 paires de cormorans dans des colonies mixtes. Il préfère les eaux protégées. Il se nourrit principalement de poissons et de proies relativement lentes (particulièrement Cichlidés). Son statut UICN est «préoccupation mineure ».

 

• Souimange du Congo

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Si le site de Ngiri est le seul endroit, en RDC, où se rencontre le souimange du Congo (Nectarinia congensis), son aire de distribution est néanmoins vaste. Peu d’information sur l’écologie de cette espèce est disponible. Même si sa population totale est estimée en déclin, son statut UICN est «préoccupation mineure », du fait que cette espèce reste commune dans son aire de distribution.

 

• Guêpier gris-rose Le guêpier gris-rose (Merops malimbicus) a une grande distribution, couvrant une importante partie des zones de forêts d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Comme pour le souimange du Congo, peu d’information sur l’écologie de cette espèce est disponible. La taille totale de sa population n’a pas été correctement estimée, mais est suffisamment large pour que son statut UICN reste «préoccupation mineure ».

 

 

2.4. Mammifères

 

La composition des listes de mammifères pour la région de l’Équateur est également basée sur différentes sources. Une première liste a été constituée à partir de la banque de données des mammifères du MRAC. Ensuite, une série d’espèces ont été ajoutées sur la base des faunes mammaliennes (Kingdon 1997 ; Kingdon 2006).

 

• Chimpanzé

 

Le chimpanzé, Pan troglodytes (qui, comparativement aux gorilles, présente une distribution relativement étendue dans les forêts humides d’Afrique centrale et occidentale). Selon la liste rouge de l’UICN, le statut du chimpanzé est « en danger », étant donné la tendance décroissante de sa population. Son habitat de prédilection est constitué de forêts pluvieuses et de forêts-galeries, pénétrant la savane, ainsi que de forêts de plaine et de montagne. Son alimentation se compose pour moitié de fruits, à côté de feuilles, de brindilles et d’écorces. En outre, il consomme parfois certains insectes (comme les termites), ainsi que de petits mammifères. Les chimpanzés forment des communautés sociales de 15 à 20 individus. La taille des communautés dépend de la présence de nourriture.

Jusqu’en 1927, une seule espèce de chimpanzé était connue. En étudiant du matériel crânien des collections du MRAC, Harold Coolidge avait d’abord observé que certains crânes, qui étaient identifiés comme ceux de chimpanzés juvéniles, représentaient des spécimens adultes (les sutures crâniennes de ces crânes étaient complètement fusionnées). Schwarz, un autre spécialiste des primates africains, savait déjà que les chimpanzés étaient différents d’une rive à l’autre du fleuve Congo. Quand il visita le Musée, quelques semaines après Coolidge, Henri Schouteden, le directeur de l’institution, l’informa des observations faites par Coolidge. Schwarz fit alors une brève description des bonobos ou chimpanzés nains, basée sur un crâne et une peau que le Musée avait acquis en 1927. Les deux espèces de chimpanzés sont distribuées sur les rives opposées du fleuve Congo. L’on trouve le bonobo (espèce endémique de la RDC) uniquement au sud (rive gauche) du fleuve, tandis que plusieurs populations de chimpanzés sont distribuées de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale et, en RDC, exclusivement dans les forêts au nord (rive droite) du fleuve.

 

• Bonobo

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chimpanzé nain Le bonobo (Pan paniscus) est une espèce endémique en RDC, que l’on ne trouve qu’au sud (ou sur la rive gauche) du fleuve Congo. Aujourd’hui deux populations sont présentes dans le pays. Une première population, relativement grande et saine, se trouve dans la cuvette centrale du bassin congolais, entre le fleuve Congo, le Lualaba et les rivières Équateur/Sankuru. Une deuxième petite population se trouve sur la rive sud-ouest du lac Tanganyika en RDC. Il est possible que cette population montagneuse constitue une espèce distincte.

Le braconnage reste une des menaces les plus importantes pour la survie des bonobos. Il peut avoir un impact négatif à long terme, en raison de la longueur de leur maturation, de la lenteur de leur reproduction et du fait qu’ils constituent des communautés sociales cohésives. Des estimations de leur importance numérique dans le district de l’Équateur sont inexistantes. Sur la liste rouge de l’UICN, le bonobo est considéré, depuis 1996, comme espèce « en danger ».

 

 

But1 1 À lire : Le Sanctuaire Lola ya bonobo 8367f8c92b1d1fcc4e6dd7787692de01 1 2

 

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• Éléphant d’Afrique

L’éléphant (Loxodonta africana) est toujours présent dans le district de l’Équateur. Deux sous-espèces de l’éléphant d’Afrique sont reconnues, l’éléphant de savane (Loxodonta africana aficana) et l’éléphant de forêt (Loxodonta africana cyclotis). L’éléphant de forêt se distingue de l’éléphant de savane, entre autres, par sa taille moyenne plus petite, ses oreilles plus petites et ses défenses plus petites et plus étroites. Le statut UICN de l’éléphant africain est « vulnérable », mais sa population totale est croissante. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour l’éléphant en RDC, où, en raison des périodes d’instabilité politique récentes et du braconnage, sa population a diminué.

 

• Hippopotame

 

L’hippopotame (Hippopotamus amphius) est une espèce qui dépend entièrement de la présence d’eau, et dont la distribution historique couvrait presque tous les bassins hydrologiques d’Afrique. Aujourd’hui, l’hippopotame a disparu d’une grande partie de l’Afrique du Sud et du bassin du Nil, où on le trouve seulement dans les zones marécageuses du haut Nil. Sa distribution se réduit toujours actuellement. Son statut sur la liste rouge de l’UICN est « vulnérable ».

 

• Chat doré africain

 

Le chat doré africain (Felis aurata) est une espèce typique des forêts humides africaines, distribuée dans le bassin central congolais et dans les forêts humides de la côte de l’Afrique de l’Ouest. C’est un chat assez puissant, avec un museau court et de petites oreilles noires. Sa coloration et ses marquages sont très variables. Le dos et les flancs sont uniformes, rouges, jaunes ou gris fumé. Le ventre et l’intérieur des pattes sont tachetés. Il se nourrit de petits mammifères et d’oiseaux. Comme sa population est estimée en déclin, son statut sur la liste rouge de l’UICN est «quasi menacé ». Selon ces estimations, sa population a décliné de 20% au cours des quinze dernières années. La perte d’habitat, la chasse et le déclin du nombre de proies disponibles (ce qui est particulièrement le cas en RDC) y ont fortement contribué.

 

• Pangolin à écailles tricuspides

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Le pangolin à écailles tricuspides ou pangolin à petites écailles (Phataginus tricuspis) est présent dans le district de l’Équateur. Les pangolins se nourrissent de fourmis et de termites, leur corps et leur queue, longue et musclée, sont couverts d’écailles (des extrusions cornées de l’épiderme). Le pangolin à écailles tricuspides est la plus petite espèce connue en Afrique ; il atteint une longueur totale d’environ un mètre et pèse jusqu’à trois kilos. La population du pangolin diminue. Son statut sur la liste rouge de l’UICN est «quasi menacé ».

 

• Pangolin à longue queue

Le pangolin à longue queue (Uromanis tetradactyla) est une petite espèce arboricole. Comme son nom l’indique, il possède une très longue queue, dont les faces et les dessous sont noirs. Il est actif pendant la journée, mais comme il est très méfiant, il est très difficile à repérer. Il reste toujours près d’un point d’eau, et dort dans les arbres creux ou les nids d’insectes qu’il a creusés. Il se nourrit des fourmis des arbres. Son statut sur la liste rouge de l’UICN est «préoccupation mineure », en raison de sa grande population, de sa large distribution et de sa nature méfiante.

 

• Pangolin géant

Le pangolin géant (Smutsia gigantea) est la plus grande espèce de pangolins. Il a un corps puissant, couvert de grandes écailles brunes dont la forme et la texture changent avec l’âge. Lorsqu’il marche, ses pattes arrière laissent des empreintes rappelant celles de petits éléphants, tandis que ses pattes avant reposent sur ses poignets, et que ses longues griffes sont repliées vers l’arrière. Il habite les forêts et les forêts mosaïques et se nourrit principalement de termites et de fourmis. Son statut UICN est «quasi menacé », sa population ayant subi un déclin d’environ 20 à 25% au cours des quinze dernières années, particulièrement en raison du braconnage. Si sa population totale est en déclin, dans certaines zones elle est considérée comme stable.

 

• Léopard

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Le léopard, Panthera pardus, a une distribution qui couvre presque toute l’Afrique subsaharienne. On le trouve principalement sur des terrains accidentés et possédant une épaisse végétation. Sa nourriture consiste principalement en mammifères moyens et grands, parfois en oiseaux et en arthropodes. Contrairement au lion, le léopard est un animal entièrement solitaire, sauf pendant la période de reproduction, où les femelles supportent la présence du mâle pour une courte période. Comme il peut hisser ses proies dans les arbres, il évite celles qui sont plus grosses que lui. Le léopard est une espèce très menacée ; son statut UICN est «presque menacé d’extinction», avec une tendance à la décroissance de la population. Chez plusieurs peuples bantous, et particulièrement en RDC, le léopard était considéré comme un animal rusé, puissant et résistant. Le président Mobutu portait une toque faite de peau de léopard. On disait même, dans l’opinion, que certains attributs du léopard le rendaient puissant. Le léopard fait partie des armoiries de la République démocratique du Congo.

 

But1 1 À lire : Histoire, traditions, mythologie, emblème et symbole du léopard en République démocratique du Congo. 8367f8c92b1d1fcc4e6dd7787692de01 1 2

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• Buffle d’Afrique

Le buffle d’Afrique (Syncerus caffer) est un des plus grands bovins d’Afrique. De grandes différences existent entre le buffle de forêt (S. c. nanus) (présent dans le Parc national de la Salonga), et le buffle de savane (S. c. caffer et autres sous-espèces). Entre ces extrêmes existent des types intermédiaires et mixtes.

Le buffle de forêt est plus petit (poids maximal 320 kg), avec des cornes plus réduites et moins courbées (adaptations qui lui permettent de se déplacer plus facilement dans la forêt). Le buffle de savane est nettement plus grand (poids jusqu’à 850  kg), avec des cornes beaucoup plus fortes, grandes et courbées. Dans la forêt, on trouve les buffles dans des clairières herbeuses (dont la croissance végétale est souvent limitée par les pâturages des buffles euxmêmes), cours d’eau ou bassins inondés. Dans la savane, ils préfèrent les forêts et vallées. Le buffle de forêt forme des groupes d’une douzaine d’individus composés de femelles, de jeunes et d’un ou plusieurs mâles. Les autres mâles sont généralement solitaires ou en petits groupes. La population totale du buffle d’Afrique diminue, mais comme il en est de nombreux qui survivent sur une aire de distribution très vaste, son statut sur la liste rouge de l’UICN est «préoccupation mineure ».

 

• Bongo

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Le bongo (Tragelaphus euryceros) est un boviné de taille moyenne habitant les forêts humides d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. Il a un corps allongé, musclé, de couleur rousse, marqué de 10 à 16 rayures blanches sur les flancs. Les mâles deviennent plus lourds et sombres avec l’âge. Les deux sexes portent des cornes en spirale. Il habite de préférence les repousses de verdures, où il se nourrit du feuillage, de plantes herbacées, de graminées et de lianes.

 

• Sitatunga

Le Sitatunga (ou guib d’eau, Tragelaphus spekei) est un bovin ébouriffé, relativement haut sur pattes, caractérisé par sa posture aux pattes écartées et ses longs sabots évasés. Les mâles sont brun foncé, avec 8 à 10 rayures dorsales; ils portent des cornes épaisses et carénées. Les femelles sont plus petites, rousses et sans cornes. Ils habitent la végétation buissonnante en bordure des cours d’eau de forêt, se nourrissent d’arbustes, de plantes herbacées et de graminées.

 

Références

Birdlife International. 2011. Species Factsheet. http://birdlife.org

Demey, R. & Louette, M. 2001. «Democratic Republic of Congo». In Fishpool, L.D.C. & Evans, M.I. (éd.), Important Bird Areas in Africa and Associated Islands: Priority Sites for Conservation. Newbury & Cambridge, UK: Pisces Publications & BirdLife International («Birdlife Conservation Series », n° 11), pp. 199-218.

Froese, R. & Pauly, D. (éd.). 2009 (octobre). FishBase. World Wide Web electronic publication. www.fishbase.org, version (10/2009).

Kingdon, J. 1997. The Kingdon Field Guide to African Mammals. San Diego (USA) : Academic Press («Natural World»), 465 p.

Kingdon, J. 2006. Guide des mammifères d’Afrique. Paris: Delachaux et Niestlé SA, 272 p.

Lepage, D. 2011. Avibase. Publication sur Internet. http://avibase.bsc-eoc.org

Marlier, G. 1958. «Recherches hydrobiologiques au lac Tumba (Congo belge, province de l’Équateur) ». Hydrobiologia 10 : 352-385.

Matthes, H. 1964. Les poissons du lac Tumba et de la région d’Ikela. Étude systématique et écologique, coll. « Annales du MRAC », vol. 126 , p. 204.

Poll, M. 1942. «Les poissons du lac Tumba, Congo belge ». Bulletin du Musée royal d’histoire naturelle de Belgique 18 (36) : 1-25.

 

 

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Deuxième partie : les hommes

 

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Chapitre I : Peuples

La province de l’Équateur étant le pays de l’eau et de la forêt, la rareté de terres suffisamment élevées pour accueillir de nombreux habitants expliquerait la faible densité de la population et sa concentration dans les meilleurs sites, le long du fleuve et des rivières et sur les terres fermes. Elle expliquerait également l’intensité des mouvements migratoires, à la recherche de bonnes terres, de même que la nécessité d’aménager les terres impropres à une habitation qu’elle fût provisoire ou définitive.

La province de l’Équateur est occupé actuellement par deux grands groupes de populations: les Riverains, comprenant divers petits groupes, et les Terriens, comptant les Mongo et les Ngombe. Ajoutons-y un troisième groupe, plus petit, celui des chasseurs cueilleurs (Pygmées), connus sous les appellations de «Balumbe», «Batswa» ou «Bambenga». L’ordre d’occupation de la région reste difficile à préciser, mais l’hypothèse la plus probable est que les premiers occupants furent les Riverains.

 

1. Mise en place des Riverains

Pays de rivières et de terres largement inondées, le district de l’Équateur est occupé depuis le dernier pluvial10 (–10000 à –3000) par des populations de pêcheurs appartenant à la grande civilisation aquatique de l’Afrique centrale et orientale (Ki-Zerbo 1980). Les traces les plus anciennes de cette civilisation aquatique sont attestées par la découverte de  l’horizon Imbonga, sur la Momboyo, datant de –2500 (Mumbanza 1995). Ces hommes occupaient donc le pays avant l’arrivée des Bantous. Ils étaient éparpillés le long du fleuve et dans tous les bassins des principales rivières: Ubangi, Mongala, Lulonga et Ruki. Ils vivaient de la cueillette, de la pêche et de la chasse aquatique. Ils étaient les seuls à pouvoir se mouvoir dans les marais, grâce à la maîtrise de la navigation. Pendant ce temps, les Pygmées ou les chasseurs-cueilleurs occupaient les régions périphériques de la cuvette où ils étaient fixés depuis plusieurs millénaires. D’ailleurs, c’est de ces groupes de chasseurs-cueilleurs que furent issus les nouveaux pêcheurs, à l’époque des grandes inondations.

L’occupation effective de la mer intérieure qui se desséchait progressivement coïncide avec les migrations des Bantous qui ont absorbé une grande partie des anciennes populations. Cette occupation s’étend sur des milliers d’années et est impossible à retracer, même dans les grandes lignes. Durant toutes ces années, de petits groupes partis des rives de l’Ubangi ont sillonné et occupé les terres jusque dans le bassin de la rivière Kasaï (Mumbanza 1980 : 37-46). Pour des raisons écologiques, économiques, politiques et sociales, les Riverains occidentaux se sont dirigés dans tous les sens en empruntant toutes les voies navigables. Les traditions récoltées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle n’ont retenu que les mouvements remontant au XVIe ou au XVIIe siècle.

Les principaux groupes riverains actuels sont tous des Bantous. Ils seraient partis d’un autre pays de rivières, de l’entre Ubangi-Sangha. Les raisons profondes de ces migrations pourraient être plus économiques que politiques. Mais les perturbations politiques existant plus au nord, notamment au sud du Cameroun et en République centrafricaine, entre les XVe et XVIe siècles ne sont pas totalement à exclure (Deschamps 1970).

Par vagues successives, les Bobangi, les Banunu, les Mpama et les Losakani ont débouché sur la rivière Ubangi et ont occupé son confluent avec le fleuve Congo, avant de se répandre sur les deux rives du Congo, jusqu’à l’embouchure du Kasaï. Les Bobangi reconnaissent Botoke comme propriétaire du fleuve ; il a probablement été à la tête des premiers groupes de migrants. Les groupes habitant le territoire de Lukolela, les Mpama et les Lusakani, auraient, selon d’autres versions, séjourné dans la région des Mbonzi, entre la Ngiri et le fleuve Congo. Après avoir vécu à Mankanza, ils se seraient dirigés vers Mbandaka, où ils auraient fondé Ikengo, puis Irebu, avant de se fixer à Lukolela. Tous ces groupes apparentés aux Bobangi sont majoritairement apparentés aux peuples voisins de la République du Congo (Brazzaville). Ils étaient probablement dans cette région autour des années 160013. À noter que les Bobangi qui habitaient le village du même nom près de l’embouchure de l’Ubangi ont donné leur identité à la rivière. La rivière Ubangi n’est rien d’autre que Mai ma Bobangi. Ajoutons qu’avant l’arrivée des Bobangi et des groupes apparentés cités plus haut, notamment les Mpama, le territoire de Lukolela était occupé par les Sengele, qui quittèrent le pays sans s’opposer aux Mpama, qu’ils redoutaient.

Pendant que les Bobangi et leurs parents se dirigeaient vers le sud, d’autres branches remontaient le fleuve pour occuper les deux rives et pénétrer dans la région des affluents de la rive gauche, la Ruki, l’Ikelemba et la Lulonga. Tel est le cas des Riverains de la basse Ruki, les Baenga, voisins des Boloki, et des Eleku de la Lulonga, qui sont revenus sur leurs anciens emplacements, sous la double poussée des Mongo et des Ngombe, au moment où ces deux principaux groupes de populations se disputaient le bassin de la Lulonga et de l’Ikelemba, au début du XIXe siècle.

Alors que le fleuve et les affluents de gauche offraient des voies pour l’occupation du Sud et du Centre de la cuvette, la vallée de la Ngiri fournissait une autre ouverture vers le nord d’abord, jusqu’aux marais de la Haute-Ngiri, vers le fleuve ensuite, en empruntant les chenaux de l’entre Ngiri-Congo. Ainsi, les ancêtres des Djando, des Mwe, des Ndolo, des Ewaku, des Limbinza, des Mbonzi et des Baloi ont occupé à tour de rôle les îles et les rives de la Basse et de la Moyenne-Ngiri, avant que certains ne s’enfoncent dans les marais de la Haute-Ngiri ou dans les forêts des deux rives, à la recherche de terres résistant aux inondations.

En se repoussant les uns les autres, les Tandu et les Ndolo, les Djandu et les Mwe ainsi que les Ewaku se fixèrent dans les marais de la Haute-Ngiri, à la limite des terres fermes. Cette région constitue une frontière migratoire que les peuples riverains ne pouvaient franchir, étant donné leur mode de vie. Les peuples de la terre ferme avaient, quant à eux, des problèmes pour descendre dans les marais, n’ayant pas connaissance de la navigation (Mumbanza 1980 : 37-46).

Le village Limbinza de la Moyenne-Ngiri, dont le nom a été étendu aux autres groupements parlant la même langue, aurait été fondé par un certain Mokelembembe. On dit en effet: «Limbinza li nkoto nkoto li Mokelembembe » («Limbinza, dans les plaines herbeuses, appartient à Mokelembembe »). Plusieurs autres villages limbinza, comme Bobaka, Bongoyi, Liketa, ont été fondés par les hommes ayant quitté les établissements portant les mêmes noms dans la Basse-Ngiri.

L’habitat des Limbinza et des Baloi (à l’exception de quelques grands villages de la Basse-Ngiri) est assez caractéristique. Chaque village avait, au départ, deux sites: l’un situé sur le bord de la forêt (lit majeur de la rivière), l’autre utilisé comme campement, situé sur le lit mineur. Ainsi, pendant la saison des eaux hautes, les populations occupaient les bords de la forêt, et pendant les eaux basses, elles se retiraient sur la plaine herbeuse. Les campements ont fini par devenir des villages permanents, et ce pour deux raisons. D’une part, grâce aux techniques de fortification des villages, les campements furent solidifiés et élargis. D’autre part, cette position au milieu de la plaine herbeuse les mettait quelque peu à l’abri des attaques des peuples de la forêt, surtout des Dzamba et des Likoka-Ntanda (Mumbanza 1980 : 30). Dans les villages des Limbinza, se cultivent surtout les bananiers, mais les bonnes terres des Baloi, comme à Mobena et Ngondo, conviennent aussi à la culture du manioc.

Parmi les groupes qui avaient envahi assez tôt la forêt de la rive gauche de la Ngiri figuraient les Mbonzi et les Ndobo. Le territoire des Mbonzi, aujourd’hui quasi inoccupé, s’étendait depuis Mobena, dans la basse Ngiri, jusqu’à Bosilela, dans la moyenne-Ngiri. Certains groupes Mbonzi revinrent vers la Ngiri et, l’ayant traversée, occupèrent la rive droite, grâce aux multiples chenaux qui relient la Ngiri à la crête des eaux Ubangi-Ngiri. Ils ont donné naissance aux Lobala et Likoka-Ntanda.

L’histoire a retenu quelques meneurs d’hommes qui ont fondé les principaux clans chez les Lobala. Les Lobala de Mokame ont quitté Mabale sous la férule d’Intumba ; ceux d’Ikwangwala, près de Mokolo, étaient dirigés par Mwanandungu. Les Ntanda de Nkoko (actuel Botaba), partis probablement de Zoko, ont été conduits par Mwango, pendant que leurs voisins de Bokwe avaient pour chef Intumbe. Les autres Ntanda de Nkungu (Bolebo), partis de Mabale, suivaient Lobele.

Ces migrations étaient généralement pacifiques, car elles étaient dictées par la recherche de terres suffisamment hautes pour garantir la culture du manioc. Les principaux chenaux suivis par ces hommes étaient le chenal de Djombo, conduisant chez les Lobala III et les Mbonzi, le chenal de Bokondo (Stanley 1885 ; Coquilhat 1888), en amont de Nkolo, conduisant vers la même région, le chenal d’Elango, conduisant à Nkoko et à Bokwe, le chenal de Bolebo, conduisant à Nkungu et à Bokala, le chenal de Bokondo (Hulstaert 1986), conduisant à Bangangala et à Bokondo, le chenal d’Iwondo, conduisant à Iwondo et Ikobo, le chenal de Bodjinga, conduisant à Bodjinga et à Botungu. Les Likoka-Ntanda avaient suffisamment de terres pour cultiver le manioc et le bananier. Ils exploitaient également le palmier elæis pour la production d’huile et de vin de palme.

Les Dzamba sont probablement partis eux aussi du territoire Mbonzi, dans la forêt de la rive gauche de la Ngiri, ou des rives mêmes de la rivière Loyi, après avoir traversé l’Ubangi, car les Dzamba ressemblent aux Mbonzo (Bondjo) restés sur la rive droite. Mais la formation des clans des groupements Makutu, Bonsambi et Sikoro est difficile à retracer. Pour occuper leur espace, ils ont emprunté le chenal de Mololo, conduisant vers les Makutu, le chenal Mungay, conduisant vers Bonsambi, le chenal de Moluba, conduisant vers Sikoro et Moluba. Les Mangba ou les Dzamba du groupement Buburu reconnaissent avoir la même origine que les LikokaNtanda de Nkoko. Ils ont emprunté le chenal de Djombo, avant de s’implanter sur les terres du versant Ngiri-Ubangi (Mumbanza 2003 : 53-76).

Les Dzamba des marais ont peu de terres, vivant sur les îlots fortifiés. C’est la raison pour laquelle ils ne cultivent pas beaucoup de manioc. Seuls les Makutu et les Mangba ont suffisamment de terres adaptées à la culture vivrière. Les Dzamba exploitaient surtout le palmier elæis destiné à la production d’huile et de vin de palme.

Les groupes détachés des Limbinza de la MoyenneNgiri ont occupé également la forêt de la rive gauche et ont donné naissance aux groupements Mabale et Balobo, dans l’entre Ngiri-Congo. Les autres groupes partis de la même région de la Moyenne-Ngiri par le chenal de Mabale ont débouché sur le fleuve Congo. Il s’agit des Lusengo, des Iboko et des Boloki. Ils ont occupé le territoire situé entre Mbandaka et Lisala, en remontant et en descendant le fleuve. Ils s’établirent sur tous les bons sites tels que Lolanga, Mankanza et Bopoto. D’autres se contentèrent des sites de second rang, qu’ils essayèrent d’aménager, sans réussir à combattre les inondations.

Ainsi les Boloki se répandirent sur les deux rives, de Bobeka (Mobeka), à l’embouchure de la Mongala, à Mbandaka, à l’embouchure de la Ruki, rivière à laquelle ils ont donné leur nom. Ruki est, en effet, une déformation de Mai ma Boloki (Stanley 1885 : 381-382). Les Iboko dont les frères descendirent jusqu’à Bakanga, en face de Mbandaka, partageant la grande agglomération de Mankanza avec les Mabale, après avoir chassé les Boloki. Les Iboko étaient menés par Lokole, dont descendait le grand chef Mata-Boike. Les Mabale, eux, étaient conduits par Molamba. Les Lusengo occupèrent le site de Lusengo entre Mankanza et Bobeka (Mobeka), mais certains des leurs allèrent s’installer à Bomangi (Umangi) et Bopoto (Upoto), sous les collines de Lisala et même au-delà, entre Lisala et Bumba (Mumbanza 1980: 39).

L’espace entre Mankanza et Lisala fut aussi occupé par quelques groupements ngombe et motembo venant de la Mongala. Ce fut donc le point de rencontre, au début du XIXe   siècle, entre les Riverains venant du sud-ouest et les Ngombe venant du nord. Il est presque certain que les Riverains étaient déjà maîtres de ce territoire à la fin du XVIIIe  siècle; ce sont eux qui accueillirent les groupes terriens et les aidèrent à traverser le fleuve. Les traditions, qui sont muettes à propos d’éventuels conflits entre les deux groupes, avaient sans doute pour objectif de souligner l’intégration rapide des Ngombe dans les sites déjà occupés par les Riverains: Mankanza, Lusengo et Bobeka. Les raisons seraient économiques et politiques. Les Ngombe, qui ne savaient pas naviguer, avaient besoin des Riverains pour s’adapter à leur nouvelle vie. Ces derniers avaient besoin des agriculteurs pour assurer leur approvisionnement en produits agricoles. Les Ngombe étaient, en outre, recherchés pour assurer la défense des agglomérations contre les ennemis, surtout contre les ngili, guerriers réputés dans la région, venant de la Ngiri (Coquilhat 1888).

Les Mbonzi et les Ndobo, ainsi que les Balobo, qui étaient restés dans la forêt de l’entre Ngiri-Congo, communiquaient avec le fleuve et la rivière Ngiri grâce aux multiples chenaux. Le territoire des Balobo, situé près de la Haute-Ngiri comprenait beaucoup de villages fortifiés, les miteba et les mibanda. Les Balobo vivaient de la pêche et de la chasse, de l’agriculture sur les îlots artificiels, de l’exploitation de l’huile de palme et de la fabrication des pirogues, qu’ils vendaient aux peuples de la MoyenneNgiri (Limbinza, Likoka-Ntanda et Dzamba) (Mum-banza 1980 : 254-265).

Avant la mise en place des populations actuelles, le pays des Riverains était peu peuplé. Les traditions ne signalent pas de populations installées antérieurement et les Pygmées ne pouvaient pas vivre dans les marais de la Ngiri, par exemple. Cette région a été surtout colonisée par les populations riveraines, après l’adoption des plantes étrangères adaptées à la région, notamment le bananier et, plus tard, surtout le manioc, qui provoqua certains mouvements de population au début du XVIIIe   siècle. Ces deux plantes, qui fournissent les aliments de base dans la région riveraine, comme dans l’ensemble de la cuvette, ont été adoptées respectivement au XVe  siècle et au XVIIe  siècle.

On peut donc estimer que cette région a été peuplée dans son ensemble entre le XVe et le XVIIIe  siècle. Mais l’occupation de l’espace s’est poursuivie du fait de la croissance démographique. Divers autres sites ont été abandonnés par la suite, avec la réduction de la population causée par les grandes épidémies, comme la maladie du sommeil, ou par les migrations modernes.

Tels sont les premiers groupes de pêcheurs qui ont occupé les rives de l’Ubangi depuis Dongo jusqu’à l’embouchure, les rives de la Ngiri depuis l’embouchure jusqu’aux marais de la Haute-Ngiri, puis les rives du fleuve, depuis Lisala jusqu’à Bolobo. Les Riverains occupèrent donc trois territoires entiers de l’Équateur: Bomongo, Mankanza et Lukolela. Les groupes détachés de ce bloc occidental pénétrèrent dans les bassins de la Lulonga, de l’Ikelemba et de la Ruki, dans les territoires de Basankusu, Bolomba et Ingende.

Au milieu du XIXe  siècle, les établissements riverains furent renforcés par l’arrivée de nombreux esclaves, mongo pour la plupart, vendus par les Ngombe dans le bassin de la Lolongo. Le marché de Basankusu comptait, jusque dans les années 1890, parmi les plus grands marchés d’esclaves de l’Équateur. Alexandre Delcommune, de passage à Basankusu en 1889, signale que près de 2500 esclaves attendaient d’être vendus aux marchands du fleuve (Delcommune 1922 : 326-327). Les agglomérations du bas Ubangi et du fleuve avaient ainsi accueilli des milliers d’étrangers, dont beaucoup jouèrent un rôle déterminant dans l’organisation du commerce de l’ivoire et des esclaves. Certains esclaves étaient engagés comme pagayeurs dans les expéditions commerciales, pendant que d’autres cultivaient le manioc et les bananiers pour le ravitaillement des voyageurs. Les expéditions commerciales permirent les retrouvailles entre les groupes d’aval et d’amont, autrefois séparés. Certains grands villages (Mankanza, Lolanga, Wangata, Ilebo, Lukolela, Bolobo, etc.) devinrent des centres cosmopolites, accueillant les représentants de tous les groupes. Le territoire des Riverains s’étendit plus au sud, jusqu’à Nsombele (Tchumbiri), à l’embouchure du Kasaï. Les Bobangi possédaient aussi des comptoirs sur les deux rives du Pool Malebo, dans le grand marché de Mpumbu, à la limite de la navigation.

 

2. Mise en place des Mongo et des Ngombe

Les Mongo et les Ngombe constituent les groupes terriens; leur origine est totalement différente de celle des Riverains dont il a été question plus haut. Il faut cependant souligner qu’ils ne forment pas un même bloc. Les Mongo, les plus nombreux dans le district, sont plus anciens que les Ngombe, arrivés seulement au début du XIXe siècle. Leur mise en place dans l’Équateur avant le démembrement sera, dès lors, évoquée séparément.

 

2.1. Installation des Mongo dans la Cuvette congolaise

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Peuple Mongo

Selon l’étude linguistique du père Louis De Boeck (De Boeck 1953), consacrée aux peuples de l’entre Itimbiri-Ngiri, les Mongo et les Riverains seraient les plus anciens occupants de la cuvette ; leur établissement est de loin antérieur à celui des Ngombe. Il est cependant difficile de préciser l’antériorité des Mongo par rapport aux Riverains. Il est établi de nos jours que les migrants mongo, venus du bassin de l’Uele et qui longeaient ou traversaient les grandes rivières, les rivières Aruwimi et Itimbiri au nord du fleuve, le fleuve Congo, entre Basoko et Lisala, les rivières Lulonga, Ikelemba et Ruki, au sud du fleuve, avaient rencontré sur place les groupes riverains qui leur avaient prêté main forte pour aller plus loin. La plupart de ces anciens riverains ne sont plus identifiables de nos jours. Mais sur la Lulonga et la Ruki, les riverains baenga reconnaissent avoir une origine différente, même si, de nos jours, ils parlent tous des dialectes mongo.

Une hypothèse possible est que cette région largement inondée et marécageuse ait été occupée avant tout par les pêcheurs, dont beaucoup n’ont peut-être pas de rapports directs avec les riverains actuels. Comme souligné plus haut, cette ancienne civilisation de pêcheurs est attestée depuis le troisième millénaire. D’autres groupes de pêcheurs de plus en plus spécialisés sont apparus avec l’isolement des grandes rivières: la Lolongo (Lulonga), l’Ikelemba et la Ruki. Les derniers groupes riverains auxquels les Mongo se mêlèrent furent d’origine occidentale. Certains parlaient encore leurs langues propres jusqu’à la fin du XIXe  siècle. À signaler que, selon Jan Vansina, les ancêtres lointains des Mongo (les Proto-Mongo) remonteraient aux années 800 de notre ère et que tout le territoire mongo aurait été occupé vers l’an 1000 (Vansina 1987).

Les groupes mongo étant nombreux, il convient de les distinguer. Il s’agit d’abord de porter l’attention sur les groupes mongo qui se trouvent dans le district de l’Équateur. Les Mongo du district de la Tshuapa, qui firent partie de la province de la Cuvette centrale, entre 1962 et 1966, seront abordés dans la quatrième partie, consacrée à l’Équateur post-indépendance. Nous énumérons de manière schématique, ci-après, ces autres groupes mongo, en les situant par territoire de résidence. Il y a :

– dans le territoire de Boende : les groupes Bakutu, Ekota, Mbole, Ntomb’a Nkole et Nsamba ;

– dans le territoire de Befale : les groupes Nsongo, Elinga, Mongando (les Likongo) et Nsamba ;

– dans le territoire de Bokungu : les groupes Bosaka et Mongando;

– dans le territoire de Djolu : le groupe Mongando, qui compte plusieurs sous-groupes, dont les Yaloola, Yailala, Yolota, Yete, Lingomo, Nkole et Nkolombo;

– dans le territoire d’Ikela : les groupes Yasanyama, Lalia-Ngolu, Boyela ainsi que les Topoke ;

– dans le territoire de Monkoto: les groupes Mbole, Ntomba, Imoma Mpako, Mpongo, Mpenge Ilonga, Watsi, Basengela, Lokalo et Mongando.

Cette identification peut s’avérer contestable, certains de ces groupes se voyant assez différents des Mongo au sens strict et revendiquant une appartenance séparée. C’est le cas, par exemple, des Topoke, dont le groupe principal resta attaché à la ProvinceOrientale. Les Mongando, quant à eux, s’apparentent, d’après la généalogie, aux Mongo, dont ils sont les nkali (fils de la sœur) et aux Mbole, des oncles maternels. L’origine des migrations semble être l’élément commun des Mongo: Gustaaf Hulstaert signale que l’immense majorité des peuples mongo donne comme direction générale des migrations nord-sud ou nord-est vers le sud-ouest (Hulstaert 1972). Seuls les Bakutu20 et les Mpongo-Imoma déclarent venir de l’ouest. La plupart de ces groupes ne renseignent pas de migrations en dehors de la cuvette. Rares sont ceux qui racontent la traversée du fleuve Congo.

Les principaux groupes mongo du district de l’Équateur sont les Mongo au sens restreint, les Nkundo, les Ekonda et les Ntomba. Ces Mongo, classés par les ethnologues comme les Mongo du Nord-Ouest, viennent de l’Uele, où ils vivaient probablement près des Budja et d’autres groupes bantous apparentés restés plus au nord. Les raisons profondes de ces migrations en vagues successives ne sont pas clairement connues. Mais la pression exercée sur les Azande et les Ngbandi dans le Soudan nilotique, pression consécutive à la poussée des Arabes musulmans dès le XVIe   siècle, pourrait en être la cause lointaine. Les peuples se sont ainsi bousculés depuis les rivières Mbomu et Uele, Aruwimi et Itimbiri jusqu’au fleuve, et de là jusqu’au centre de la cuvette.

Après avoir traversé le fleuve Congo entre les rivières Aruwimi et Itimbiri, ou même plus en aval, les Mongo de l’Ouest se sont dispersés dans tout le territoire de la rive gauche, jusque dans les bassins de la Lolonga et de la Ruki. Ils avaient suivi les cours d’eau depuis les sources de la Lopori et de la Maringa qui forment la rivière Lolonga. L’occupation de bonnes terres destinées à la pratique de l’agriculture a certainement été lente. C’est de cet endroit que les groupes du Sud-Ouest partirent pour occuper leurs terroirs actuels, jusque dans le Bandundu. Les Ekonda et les Ntomba s’installèrent dans le territoire de Bikoro, pendant que les Nkundo occupèrent les environs de Mbandaka et le territoire d’Ingende. Certains groupes furent attirés par la vie sur l’eau et se mêlèrent aux anciens riverains. Ils furent nombreux parmi les Baenga et les Ngele ea Ntando (Hulstaert 1984).

Les derniers déplacements que l’histoire a retenus eurent lieu au début du XIXe siècle, lorsque les Ngombe venus de la Mongala s’emparèrent de tout le territoire au sud du fleuve jusqu’à la rivière Ikelemba, dans le territoire de Bolomba. C’est ainsi que les Mongo, chassés presque totalement des territoires de Bongandanga et de Bosu-Djanoa, n’occupèrent plus qu’une partie des territoires de Basankusu et de Bolomba. Ils envahirent ensuite la totalité des territoires d’Ingende et de Bikoro (Bokongo 2011). Dans le pays qu’ils ont abandonné aux mains des Ngombe, les Mongo ne sont plus représentés que par quelques individus appelés Mongo de Nkinga, dans le territoire de Mankanza.

Les Mongo de la province de l’Équateur ne reconnaissent comme populations installées antérieurement à eux-mêmes que les anciens riverains et les autres groupements mongo qui ont migré vers l’est et vers le sud. Il existe cependant dans cette aire territoriale deux groupes de Pygmées, les Balumbe et les Batswa. Ces derniers vivent depuis longtemps à proximité des Mongo, dans une situation de quasi-dépendance.

 

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2.2. Installation des Ngombe

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Notable ngombe en apparat dit Likala, chapeau en genesh ou plumes de perroque (DocPlayer.fr)

Ainsi qu’il a été signalé plus haut, les Ngombe ne se sont établis dans le district de l’Équateur que depuis le début du XIXe  siècle. Ils venaient de l’Uele et se dirigeaient vers l’ouest lorsqu’ils furent attaqués par les Ngbandi dans la région de Yakoma. Ils s’installèrent ensuite aux sources de la Mongala, d’où ils furent à nouveau dispersés par les Ngbandi, leurs puissants ennemis. Un petit groupe se dirigea alors vers l’ouest pour se fixer dans les territoires de Bosobolo, de Libenge et de Kungu. Cela se passait entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. D’autres mouvements eurent lieu du fait de la croissance numérique des groupes ou pour des raisons économiques et sociales. Les derniers déplacements dans l’espace actuel du Sud-Ubangi furent occasionnés par la double pression des Ngbaka et des Ngbandi. Ne pouvant pénétrer dans les marais de la Haute-Ngiri, les Ngombe longèrent ces marais jusque dans le sud de Budjala. Certains pourront s’y maintenir au prix de durs combats contre les Ngbandi, pendant que d’autres rejoindront les riverains du fleuve, pour vivre à côté d’eux, entre Mobeka et Mankanza.

Toujours au début du XIXe siècle, certains membres des groupes les plus importants qui s’étaient dirigés vers le sud en suivant la Mongala, se retirèrent et s’établirent dans les territoires de Budjala et de Lisala. Ils furent obligés, quelques années plus tard, de traverser le fleuve Congo entre l’embouchure de la Mongala et Lisala, avec l’aide des Riverains. Commença alors une longue lutte entre les Ngombe et les groupements mongo occupant cette région de la boucle du Congo. Les Mongo battirent continuellement en retraite et les Ngombe devinrent maîtres de toute la région entre le fleuve et la Lulonga. Les guerres ne s’arrêtèrent qu’avec l’occupation européenne du bassin de la Lolonga, à partir de 1890. Plusieurs villages mongo furent soumis et assimilés aux Ngombe pendant que plusieurs captifs de guerre étaient vendus comme esclaves dans les agglomérations du fleuve et du bas Ubangi (Bokongo 2011 : 53-60).

Les Ngombe établirent assez rapidement des relations économiques avec les Riverains, en leur livrant des produits agricoles contre du poisson, du sel et de la poterie. Dans les années 1870-1880, ils commencèrent à fabriquer et à livrer de grandes pirogues aux riverains du fleuve, engagés dans le commerce de l’ivoire et des esclaves. Ils conservent cette activité jusqu’à ce jour. Les principaux groupements ngombe de l’Équateur sont les Bodala, les Likungu, les Bogbonga, les Moswea et les Yumba. Ils sont établis dans les territoires de Mankanza, Bolomba et Basankusu. Il est important de signaler que parmi les Ngombe, on retrouve des groupements Doko, une population apparentée habitant aux environs de Lisala. Ensemble, ils traversèrent le fleuve et formèrent un bloc Doko-Ngombe contre les anciens habitants. Les relations tendues entre ces deux derniers groupes jusqu’à la veille de la colonisation expliquent en grande partie les antagonismes politiques au début de l’indépendance.

 

 

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2.3. Installation des Batswa

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Les Pygmées de l’Équateur portent différents noms selon les lieux où ils habitent. Sur les rives de l’Ubangi, ils sont connus sous l’appellation de «Bambenga». Chez les Nkundo et les Ekonda, ils sont désignés sous le nom de «Batswa». Dans le territoire de Bolomba, ils sont appelés «Balumbe». Ailleurs encore en Équateur, ils portent le nom de «Bilangi ».

Considérés par tous comme les premiers habitants de l’Afrique centrale, dans la mesure où ils ont conservé la taille et les activités des populations autochtones, les Batswa de l’Équateur soulèvent tout de même un certain nombre de questions quant à leur origine et à leur établissement dans la cuvette. Ces hommes ne sachant pas naviguer, ils ne pouvaient se déplacer aisément que sur les terres fermes. Or, comme noté plus haut, pendant la période pluviale (-10 000 à -3000), la cuvette était une mer intérieure, ce dont témoignent les lacs Mai-Ndombe et Ntomba, sans oublier le lac Libanda et tout le bassin de la Ngiri. Les Pygmées ne pouvaient donc occuper que les régions périphériques. C’est le cas des Bambenga qui vivaient dans la région de Libenge. En longeant les hautes terres de l’Ubangi, ils pouvaient atteindre Dongo et Imese. Ils sont totalement absents du bassin marécageux de la Ngiri.

Quant aux Balumbe du territoire de Bolomba, ils sont certainement apparentés aux Baka, Pygmées de la Province-Orientale, qui occupaient une partie de la forêt au sud du fleuve, au moment où les Mobango, apparentés aux Budja, essayaient de s’y installer. Selon les traditions, ces Pygmées vinrent du nord et traversèrent les rivières et le fleuve grâce à l’aide des populations riveraines de l’Itimbiri, puis en utilisant le fleuve Congo. Ils occupèrent les meilleurs sites de la région méridionale du fleuve. Ils servirent de guides aux nouveaux migrants, entre les sources de la Lolonga et la Lomami21. Il y a lieu de croire qu’ils arrivèrent dans cette région au milieu du second millénaire de notre ère. En effet, les traditions des Budja et des Mobango rapportent que les chasseurscueilleurs qui avaient occupé le territoire au nord du fleuve furent obligés de traverser le fleuve pour se réfugier sur la rive gauche, alors très peu peuplée.

V. Rouvroy écrit à ce sujet:

«Les Batswa quittèrent le Bokombo dans la direction de la rivière Lolo, vers son embouchure dans l’Itimbiri qu’ils traversèrent grâce aux pagayeurs Yaliko. […] et furent déposés sur la rive gauche de l’Itimbiri, à l’embouchure de la rivière Loloka. […] Les Mombesa, avant de franchir le fleuve Congo, en auraient encore vus dans les environs de l’actuel Bolemo (à la rivière Motende), et auraient traversé le fleuve avec eux, mais ils auraient continué à s’enfoncer dans les forêts. Ces nains semblent bien être les aborigènes du pays » (Rouvroy 1930).

Ces Batswa vivent donc dans une liberté relative et ne dépendent d’aucun groupe mongo ou ngombe de la région. Le territoire qu’ils occupèrent est donc le dernier refuge qui leur permet de vivre après de nombreux déplacements imposés par les Bantous (dit Baoto), Mongo et Ngombe.

La situation des Batswa, qui vivent aux côtés des Nkundo dans le territoire d’Ingende, et des Ekonda, dans le territoire de Bikoro, reste vague. Les Mongo affirment qu’il s’agit des « esclaves » qui les ont accompagnés dans leurs migrations. Ils traduisent ainsi l’état de dépendance qui est le leur vis-à-vis des Nkundo et des Ekonda (Elshout 1963 ; Van Everbroeck 1961). Voici quelques remarques qui illustrent l’origine de certains comportements :

«Bien que les Batswa, c’est-à-dire pygmées, sont citoyens libres de la République démocratique du Congo à l’instar des Bantous (Baoto), les Baoto s’imposent politiquement et socialement aux Batwa comme Nkolo, terme qui signifie à la fois supérieur et maître dans le sens latin de “dominus” et qui relègue les Batwa en situation inférieure de serviteur et de client. Ils sont régis par un statut personnel coutumier qui diffère totalement de celui des Bantous. À l’origine de la vassalisation des Batwa, la légende “de la malédiction du fils aîné semble tout expliquer. Un ancêtre indéterminé avait deux fils. Après une journée de chasse, l’aîné omit de remettre au père les parties de viande qui lui revenaient en vertu de la coutume. Le père critiquait cette manière d’agir et le fils aîné s’excusait, mais continuait à contrevenir aux devoirs de la hiérarchie familiale coutumière. Le père maudit alors le fils aîné et donna tous les droits qui revenaient à l’aîné au frère cadet” (Elshout 1963: 50). D’après cette légende, le fils aîné maudit c’est un “pygmée” et le cadet à qui on a donné tous les droits, c’est un “Bantou”. Cette légende est répandue dans la mentalité populaire. Toutefois, cette légende n’est-elle pas une idéologie bantoue surtout quand on sait que l’idéologie qui domine une société des classes (et écrase éventuellement d’autres idéologies dès lors dominées) s’exerce au bénéfice ou au profit de la classe dominante, servant les intérêts de cette dernière, contribuant à la production de la domination: et cela tout simplement en justifiant les hommes d’occuper la position qu’ils occupent dans la structure de classes; position de dominant ou d’exploiteur… de dominés ou d’exploités. […]

Dans cette contrée on naît bantou ou “ twa”, on ne le devient pas. Ceci montre combien le passage d’une caste à une autre n’est pas possible, les “Twa” sont considérés comme “des enfants mineurs, irresponsables et capricieux”. Ainsi, ils n’ont pas droit au “losako”, c’està-dire à la salutation solennelle qu’on donne aux aînés, quel que soit leur âge. Au contraire, ils sont obligés de donner “losako” à tous les Bantous: femmes ou enfants, même ceux qui sont moins âgés qu’eux alors que dans la tradition de ces peuples, on ne donne généralement pas le “losako” à une femme. Ceci montre combien les pygmées sont considérés comme des éternels enfants. La mentalité “twa” est jugée primitive et son âme, celle d’esclave. Le manque quasi total de l’esprit préventif qui les conduit à vivre selon le principe “à chaque jour suffit sa peine”, leur dépendance aux Bantous, constituent aux yeux de ces derniers un élément important pour justifier la malédiction dont ils seraient victimes » (Iyeli 2009).

Cependant, l’hypothèse selon laquelle les Batswa du sud de l’Équateur ne seraient pas venus du nord en même temps que les Mongo reste crédible. Dans la région du sud, en effet, il y a des traces de chasseurs-cueilleurs exploitant la vaste contrée depuis le Lupembien. Certains Batswa actuels seraient donc à rattacher aux anciens chasseurs-cueilleurs du sud. Les envahisseurs bolia reconnaissent la présence antérieure des Pygmées au lac Mai-Ndombe ; ils étaient propriétaires des terres avant leur arrivée. Ils interviennent d’ailleurs jusqu’à nos jours dans l’intronisation des rois. La fondation du royaume des Bolia remonterait au XVIe  siècle (Engowanga 1983). Depuis longtemps, d’ailleurs, les Batswa de la région des lacs ne vivaient plus isolés. Ils occupaient les confins des villages des Ekonda et ils servaient pour ainsi dire de remparts en cas d’attaques des villages par les voisins. Ils continuaient à vivre de la chasse tout en travaillant dans les champs des Ekonda (Nkanda 1977).

 

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3. Évolution des relations entre les populations

Ce paragraphe décrit brièvement les relations qui ont existé entre les peuples de l’Équateur, pour dégager certains préjugés et certaines animosités qui persistent jusqu’à nos jours, mais aussi pour montrer la facilité d’intégration entre les différents groupes. Il sera question d’abord des relations internes entre les peuples des bassins de l’Ubangi, de la Ngiri et du fleuve Congo. Seront abordées ensuite les relations internes entre les Mongo, puis entre les Ngombe. Les derniers points porteront sur les relations entre les Riverains et les Terriens, renforcées à partir du grand commerce du fleuve.

 

3.1. Relations entre les Riverains de l’Ubangi, de la Ngiri et du fleuve Congo

Au moment de la mise en place, comme après la formation des sous-groupes ethniques, les Riverains gardent une large unité, malgré la diversité relative imposée par les différents milieux écologiques. Sur le plan linguistique, on constate que les Baloi de la basse Ngiri et du bas Ubangi sont plus attachés aux Bobangi, aux Banunu, aux Mpama et aux Losakani. Les Limbinza de la moyenne Ngiri se rapprochent des Balobo, des Mabale et des Boloki du fleuve. Les Iboko du fleuve sont à rattacher aux Mbonzi, aux Ndobo, aux Lobala et Likoka-Ntanda (Mumbanza 1974). Les Dzamba semblent constituer un bloc à part, malgré leur rapprochement avec les voisins Baloi et Lobala, Likoka-Ntanda, et sans doute aussi les Mbonzo dont ils seraient issus. Il faut aussi noter que chaque groupe approche facilement les groupes voisins.

Les relations les plus intenses sont d’ordre économique et social. Les Baloi et les Limbinza de la Ngiri vivent essentiellement de la pêche et de l’artisanat (poterie, forge, fabrication du sel végétal, etc.). Ils sont obligés de se procurer les produits des champs, la viande de chasse, l’huile de palme, le vin de palme et de raphia, les lianes, les fibres, etc., chez les Dzamba et les Likoka-Ntanda de la rive droite de la Ngiri. Chez les Mbonzi et les Balobo, ils acquièrent, en outre, de la viande de chasse, des pirogues epepe et minsale. Les marchés sont donc nombreux et réguliers sur les deux rives (Mumbanza 1980: 341-342). Deux villages spécialisés dans le métier de forgeron chez les Limbinza (Bongenye et Bobaka) fournissent à toutes les populations de la Ngiri les instruments destinés à l’agriculture, les engins de pêche, les armes de guerre et de chasse, les outils pour la fabrication des pirogues, les couteaux, les monnaies (mangeme et bikebe), les instruments de musique : le gong en fer (mokombe) et le grelot (wango) (Mumbanza 1980).

Les relations commerciales s’accompagnent de relations sociales. Hommes et femmes se lient d’amitié et fraternisent par échange de sang. Les Baloi et les Limbinza prennent femme chez les Dzamba et les Likoka-Ntanda, ils prennent aussi femme chez les Balobo et les Mbonzi; mais les mariages en sens inverse sont rares. Il semble que les femmes limbinza et baloi trouvaient accablants les travaux des champs et la fabrication de l’huile de palme dans les régions forestières. La même situation se présentait chez les Likoka-Ntanda qui prenaient les femmes chez les Lobala (Ngolo), et rarement le contraire. Les Ntanda disaient: «Mwana wa Ntanda takeke o Ngolo », ce qui veut dire «L’enfant (entendez la fille) des Ntanda ne va pas chez les Ngolo», car, au lieu de transporter sa charge dans la pirogue, elle sera obligée de la porter sur le dos. Les Dzamba des marais en disent autant des Mangba ou Dzamba de la chefferie Buburu, qui ne savent pas naviguer (Mumbanza 1980 : 376-378).

Ces différentes situations économiques donnèrent lieu à des préjugés qui persistent encore de nos jours. Les Limbinza, en particulier, avaient l’habitude de désigner les autres de façon péjorative comme «Bingonyonganyi bya Likoka, Biutunganyi bya Balobo, Bimwatanganyi bya Zamba». Ces expressions, souvent délicates à traduire, veulent tout simplement dire que les Likoka, les Balobo et les Dzamba n’ont pas la même valeur que les Baloi et les Limbinza ; ils sont à considérer comme des êtres inférieurs, à cause de leur habitat et des tâches détestables qu’ils exécutent. Les Boloki et les Iboko-Mabale du fleuve se considéraient aussi comme supérieurs aux Balobo, Mwe et Ndolo de l’entre Ngiri-Congo. Les Dzamba et les Likoka, eux, étaient fiers d’être plus forts au combat (mabita), comme à la lutte traditionnelle (mpongo) (Mumbanza 2008).

Les conflits armés ont toujours existé au sein des groupes ethniques et dans l’ensemble de la région. Les peuples de la rive droite de la Ngiri, les Ngili et les Likoka-Ntanda, attaquaient régulièrement les Limbinza de la moyenne Ngiri, les Balobo et les Mbonzi, ainsi que les Boloki et les Iboko du fleuve. Les Dzamba attaquaient aussi les Baloi de la basse Ngiri et les Mbonzi de l’entre Ngiri-Congo. Les peuples du fleuve, les Iboko et les Mabale, se battaient contre les Boloki (Mumbanza 1980 : 152).

 

3.2. Relations internes au sein des groupes Mongo et/ou entre les groupes Ngombe

Peu de commentaires sont nécessaires pour expliquer les relations internes entre les Mongo ou entre les Ngombe. Ces relations sont liées, d’une part, à l’unité linguistique qui facilite les contacts, d’autre part aux rapports sociaux entre les clans qui descendent des mêmes ancêtres. Les échanges commerciaux sont peu nombreux entre les groupes qui produisent presque les mêmes choses. Les relations sociales entre les communautés se renforcent grâce aux mariages, qui sont exogamiques. Les conflits armés opposent aussi bien les groupes Mongo entre eux que les groupes Ngombe entre eux. En témoigne le fait qu’ils se sont repoussés mutuellement avant d’occuper les terres qui sont les leurs aujourd’hui. Il existe aussi des alliances durables ou momentanées pour résister à un ennemi jugé plus fort.

 

3.3. Relations entre les Riverains et leurs voisins terriens

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Les Riverains et les autres populations de l’Équateur entretiennent depuis longtemps des relations suivies pour des raisons économiques. Les Riverains et les Terriens ngombe du Nord-Est organisaient des marchés pour échanger les produits vivriers et artisanaux, voire même les matières premières, comme le minerai de fer. Dans le territoire de Mankanza, à Bobeka, à Lusengo et dans l’agglomération des Iboko-Mabale, les Riverains et les Ngombe partageaient les mêmes sites, avec tout ce que cela impliquait dans la vie politique et sociale (Coquilhat 1888). Les mêmes relations avaient lieu depuis le XVIIe  siècle entre les Riverains et les Mongo terriens au sud. Collés sur les rives du fleuve, les Boloki, les Losakani, les Mpama, les Banunu et les Bobangi entretenaient des relations économiques avec leurs voisins nkundo, ntomba et ekonda. Sur la Lulonga, l’Ikelemba et la Ruki, les Riverains eleku et baenga organisaient également des marchés périodiques avec leurs voisins terriens, mongo et ngombe. Les relations économiques facilitaient les relations sociales, notamment les mariages et la fraternité par échange de sang (Mascart 1925 ; Lemaire 1926 ; voir aussi Harms 1987).

Les populations riveraines frontalières, notamment celles du fleuve, spécialisées dans le commerce, parlaient facilement les langues des voisins. Ces réalités se renforcèrent à partir de 1870, à l’époque du grand commerce du fleuve. Les Riverains d’aval retrouvèrent leurs frères restés en amont, tout en nouant de nouveaux contacts avec les Mongo et les Ngombe. Tous participèrent à ce commerce, qui toucha les populations du fleuve jusqu’à Bumba, au-delà de Lisala, les populations de l’Ubangi jusqu’au-delà du confluent de la Ngiri, les populations de la Ruki jusque vers Boende, les populations de la Lulonga jusqu’audelà de Basankusu. Ce fut de cette manière que les peuples de l’Équateur prirent part au commerce à longue distance. Les Riverains étaient de grands voyageurs, alors que les Terriens fournissaient les principaux produits (esclaves et ivoire), ainsi que les produits secondaires facilitant le commerce (les pirogues et les vivres). C’est pourquoi tous ces peuples ont contribué, à des niveaux différents, à la naissance et au développement du lingala, la langue commerciale du fleuve, devenue aujourd’hui l’une des quatre langues nationales du Congo (Mumbanza 1980: 477-482).

Les relations restèrent toujours plus ou moins tendues entre les Ngombe et les Mongo, en raison de la violence des combats qui les avaient opposés pendant plus d’un demi-siècle. Mais cela ne les empêcha pas de vivre en paix dans les territoires qu’ils partageaient depuis l’époque coloniale, à Bolomba comme à Basankusu. Ils seront ensuite largement représentés dans les milieux de travail: soldats de la Force publique, matelots dans la flotte fluviale congolaise, travailleurs dans les chantiers navals de Kinshasa. Ils y étaient tous étiquetés sous une même identité, l’identité bangala. Les Mongo et les Ngombe devinrent aussi, par la suite, majoritaires à Mbandaka, le chef-lieu de la province et du district de l’Équateur (Mumbanza 2008 : 87-104).

La longue communauté d’intérêts établie et garantie par le pouvoir colonial allait cependant subir un coup fatal pendant la Première République, lorsque les Mongo luttèrent pour établir leur propre province, celle de la Cuvette centrale. Les Ngombe, chassés de Coquilhatville, et les Riverains, plus ou moins tolérés, lutteront pour leur rattachement à la province du Moyen-Congo, dépendant de Lisala.

 

Références

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Chapitre 2 : Parlers

 

Les peuples de l’Équateur se classent, selon Jan Vansina, dans deux ensembles ou aires culturelles: les peuples de l’Itimbiri-Ngiri et les peuples de la Cuvette (Vansina 1966). Mais, dans la réalité, la ligne de démarcation est difficile à tracer. Les langues de ces peuples ont été étudiées, en ce qui concerne la Cuvette, par le R.P. Gustave Hulstaert et, en ce qui concerne la Ngiri, par le R.P. Louis de Boeck et par Motingea Mangulu (De Boeck 1953 ; Motingea 1990).

Selon le classement général de ces langues, elles se situent dans le Groupe Bantu, zone C (Atlas linguistique de l’Afrique centrale 1983). Dans ce chapitre, il ne s’agit pas de montrer les affinités, mais de faire un inventaire le plus exact possible des parlers de l’Équateur, afin d’en montrer à la fois la diversité et les regroupements que l’on peut opérer.

À part le lingala, dont l’origine se situe à Mankanza et Lisala, qui fut conçu par les missionnaires de Scheut et appelé, au départ, « langue commerciale », la situation du district de l’Équateur se présente schématiquement comme suit, du point de vue linguistique : les parlers mongo, les parlers ngombe et les parlers des Riverains.

 

1. Parlers mongo

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Livres : Proverbes Mongo de Basankusu (RDC) de Piet Korse mhm?

Ils couvrent la plus grande partie du district de l’Équateur: la ville de Mbandaka, une grande partie du territoire de Basankusu, une grande partie du territoire de Bolomba, tout le territoire d’Ingende et tout le territoire de Bikoro. En réalité, le groupe mongo présente plusieurs sous-groupes, ce qui se répercute sur les types de parlers. Ci-après, la représentation générale des sous-groupes mongo :

• Les Mongo du territoire d’Ingende sont appelés «  Nkundo  ». Ils comprennent les sous-groupes suivants :

– dans le secteur Bokatola: les Bakaala, les Beloko, les Bongale, les Lifumba et les Bombwanja ; – dans le secteur Duali: les Bongili, les Bonkoso (Monkoso), les Wangata, les Iyonda et les Bombomba ;

– dans le secteur Eungu: les Besombo, les Boangi, les Boya et les Injolo. Tous les Nkundo parlent le lonkundo, même s’il existe des différences dialectales minimes. En dehors de ces groupes de «Terriens », il faut signaler la présence des «Riverains » Elinga, qui font partie de l’ethnie mongo.

• Les Mongo du territoire de Bolomba, connus sous le nom de «Mongo ea lolo» (Mongo d’amont), sont aussi appelés « Elanga » ou « Nkundo ». Ils comprennent les sous-groupes suivants :

– dans le secteur Losangania : les Bokala, les Bonyanga, les Lingoy et les Mpombo;

– dans le secteur Busira : les Waola, les Bolenge, les Bongandanga, les Ikengo et les Mongo. Le lomongo, ou lonkundo-mongo, comme langue unique à tous les Mongo, est une création des missionnaires, principalement ceux de la congrégation du Sacré-Cœur, qui l’ont forgée à partir des années 1930. Au départ de Bamania, ils l’imposèrent à tous, surtout grâce à la scolarisation et à l’évangélisation. Les agents de l’Administration et les missionnaires protestants installés à Bolenge, en aval de Mbandaka, firent la même chose. Mais loin des centres religieux et administratifs, une multitude de dialectes et parlers mongo se sont maintenus, en fonction de distinctions claniques, qui se caractérisent par de nombreux accents particuliers dans les parlers mongo, dont certains ont fini par être très éloignés de cette souche devenue centrale.

• Les Mongo du territoire de Basankusu

Dans l’espace de l’actuelle cité de Basankusu, n’étaient, à l’origine, considérés comme autochtones au sens strict que les Lisafa et les Baenga, les premiers à avoir été en contact avec les Européens dans la région.

Basankusu est le nom donné au groupement Bolongo-Boyela-Bompoma des Baenga. Les autres groupes (Nsongo, Lilangi, Waka, Bokeka et Bokakata) sont des autochtones mongo au sens de l’espace actuel du territoire de Basankusu (Lonkama 1990 : 365).

Les Mongo du territoire de Basankusu sont appelés «Mongo» par les Riverains baenga. Ce sont eux qui ont donné leur nom à l’ensemble de l’ethnie. D’une manière générale, ils sont considérés comme les Baseka Bongwalanga («descendants de Bongwalanga »). Ceux qui font partie de ce groupe sont : les Ekombe, les Lilangi, les Lifumba, les Bongilima, les Nsongo, les Ekoto, les Lisafa du secteur Basankusu, les Monjonjo, les Boeke, les Ntomba, les Buya, les Lifumba du secteur Waka-Bokeka.

 

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Les Boendu, les Bolima, les Wala, les Boyela, les Lolungu, les Bokenda du secteur WakaBokeka et les Bomate du secteur Basankusu sont considérés comme les Baseka Mpetsi («descendants de Mpetsi »), apparentés aux Ntomba de Bongandanga. Les Mongo des territoires d’Ingende, de Bolomba et de Basankusu forment une unité remarquable en matière de traditions migratoires, de culture et de langue. Ils se disent originaires de la région de la Luwo (Maringa) et de la Lopori.

• Plusieurs autres groupes mongo vivent dans le district de la Tshuapa et dans le territoire de Bongandanga du district de la Mongala. Ils ont des parlers de portée locale, qui peuvent être présentés comme suit :

– dans le territoire d’Ikela : il existe deux grands foyers linguistiques (Bosenga Botong’a Engondoka 2002) : 

- le longando : qui est parlé par les Yasanyama, les Lalia-Ngolu, les Bombole (Ngombe) et les Topoke ;

- le loyela : qui est parlé essentiellement par les Boyela et certaines populations habitant le chef-lieu du territoire.

– dans le territoire de Bokungu :

- le bosaka (subdivisé à son tour en lomondje, lonkole, lofoma, biambe, lolanda, lolingo et longelewa) ;

- l’iyanda : une variante du longando parlé par les Ngombe dans le secteur Lolaka.

– dans le territoire de Djolu: - le longando : parlé par les Yolota, Yaloola, Yailala et les habitants de Lingomo; - le lomongo et le yasola. – dans le territoire de Befale : - le lomongo : parlé dans les secteurs Befumbo, Lomako et une partie du secteur Duale par les Mondje, Elinga (Baenga), Ntomba, Songok’Elese ; - le longando : parlé par les Likongo, mais linguistiquement différent des autres mingando des territoires de Djolu et d’Ikela. – dans le territoire de Boende : - le lokutu, parlé par les Bakutu. C’est un dialecte lomongo qui a tendance à employer la consonne «R» à la place du «L». Or d’une manière générale, la lettre «R» n’existe pas en lomongo. Le lokutu est parlé dans le secteur Bolua, une partie du secteur Wini, dans les groupements Nkwe, Ngomb’Amuna et Ntombankole ; - le lomilenge : c’est une variante du lomongo, parlée par les Mbole du secteur Wini, plus précisément par les autres groupements qui forment le groupe Milenge, à savoir Nongelema, Itsike, Nongokwa et Nongongomo. Ce dialecte lomongo est un peu nasalisé ;

- le lokota : les Ekota (d’amont ou d’aval) (ngele ou likolo) dans le secteur Lofoy parlent à peu près de la même manière que les Elinga, les Lembeolo, les Ntomba et les Nsongelese du territoire de Befale.

– dans la partie est du secteur Wini, les groupements Boondo-Boene, Yongo-Yala et Yongo-Booli24 parlent un dialecte différent de celui des autres habitants du secteur, tandis que le groupement Boliangama parle le lomilenge.

– dans le territoire de Monkoto :

- le lomoma mpako est le dialecte parlé par les Imoma ;

- le lompenge est parlé par les Mpenge Ilonga et les Mpenge Kaaboko;

- le lompongo est parlé par les Mpongo.

 

2. Parlers ngombe

Dans le district de l’Équateur, les parlers ngombe sont pratiqués dans les territoires de Basankusu, de Bolomba et de Mankanza. Dans le présent ouvrage, consacré au district de l’Équateur, nous ne nous y attarderons cependant pas, le groupe ngombe ayant été largement étudié dans le volume précédent consacré à la Mongala, auquel nous invitons le lecteur à se référer.

 

3. Parlers des Riverains

Ceux-ci sont répandus dans les territoires de Bomongo, Mankanza et Lukolela. Ils sont aussi pratiqués par des groupes peu nombreux dans les territoires de Bolomba et d’Ingende. La situation détaillée dans les différents territoires est la suivante.

Dans la ville de Mbandaka, une multitude de langues sont parlées. À l’époque de la fondation de la ville étaient pratiqués les parlers des Nkundo (lonkundo), des Boloki et des Eleku (Riverains). En face, sur la rive droite du fleuve, le parler des Iboko était utilisé, à Bakanga et Bongata. Le commerce du fleuve avait introduit l’usage du bobangi (Riverain) à Makoli et Boloko wa Nsamba. Du fait de l’évolution de la ville, les groupes mongo se sont multipliés. Aux Nkundo se sont joints les Mbole, les Ekota, les Bakutu, les Mongando, les Ekonda, etc. Les missionnaires du Sacré-Cœur ont introduit une nouvelle langue, le lomongo commun ou lonkundo-mongo, utilisé à l’école et à l’église. Il est devenu la deuxième langue parlée par la population de Mbandaka. Le parler ngombe, ou lingombe, a fait son apparition dans la ville et se pratique surtout dans les quartiers Basoko, Ikongowasa, Mban-daka II et Bongondjo.

Depuis 1910, d’autres parlers riverains se sont implantés en grand nombre dans les périphéries de la ville. Il y a, d’un côté, les parlers des peuples de l’entre Congo-Ubangi (Bobangi, Baloi, Limbinza, Balobo, Dzamba, Likoka, Mwe, Mbonzi, Ndobo, Mampoko, Boloki, etc.). Ensuite, il y a celui des pêcheurs venus du haut fleuve (Lokele, Basoko et Topoke). L’ancienne langue commerciale, le bobangi, est devenue le lingala, qui s’est imposé comme première langue parlée par les populations de la ville de Mbandaka. Cependant, la présence du lomongo réduit l’espace linguistique du lingala dans le cheflieu de la province de l’Équateur.

Dans le territoire de Bikoro, on distingue trois principaux parlers mongo qui coexistent: le lomongo du groupe dit «  Ngele ea Ntando  », dans le secteur Elanga, le lonkonda dans le secteur Ekonda et le lontomba, dans le secteur Lac chez les Ntomba. Pour rappel, les Ekonda et les Ntomba n’ont pas adopté le lomongo commun. Chez les Ekonda, les missionnaires, qui évangélisèrent en même temps les Riverains de Lukolela, avaient choisi le lingala comme langue commune d’évangélisation et de scolarisation.

Dans le territoire d’Ingende, les parlers mongo sont les seuls utilisés.

Dans le secteur Bokatola, c’est le parler bokatola elinga ; dans le secteur Duali, c’est le parler bombwanza igonda et, enfin, dans le secteur Eungu, c’est le parler eungu imbonga. Les populations du territoire d’Ingende utilisent soit les parlers cités ci-dessus, soit le lomongo commun pour communiquer avec les voisins et les étrangers. Les Baenga de la Ruki en général et les Boloki en particulier qui, au début de la colonisation, parlaient un idiome spécifique l’ont totalement abandonné au profit du lomongo. Le lingala y a également pénétré depuis l’époque coloniale.

Dans le territoire de Basankusu, deux principales langues se partagent l’espace du territoire : le lingombe et le lomongo. Les parlers mongo occupent deux secteurs: le secteur Basankusu, à l’ouest, et le secteur Waka-Bokeka, au sud-est. Les parlers ngombe se rencontrent dans le secteur Gombalo, au nord-est du territoire. Les deux langues sont utilisées dans le territoire où beaucoup de personnes sont bilingues. Langue commerciale du fleuve, avant la colonisation, le lingala y a fait également son introduction, depuis l’époque coloniale.

Dans le territoire de Bolomba, deux langues principales se partagent ce territoire, le lomongo et le lingombe, auxquels s’ajoutent les parlers riverains minoritaires. Les parlers ngombe qui englobent les Doko sont implantés dans les secteurs Mampoko, Bolomba et dans la chefferie Dianga. Les parlers mongo couvrent les secteurs Losangania et Busira. Le parler mongo de Losangania s’appelle « mongo ea lolo » et celui de Busira s’appelle « bosela ». À noter que le territoire de Bolomba renferme quelques minorités de Riverains de la basse Lulonga et du bas Ikelemba qui ne font pas partie des parlers mongo et ngombe ; il s’agit du parler eleku et boloki du groupe Bolombo. En 1927, ils constituaient une chefferie à part et ne dépendaient pas de grands voisins. En plus des deux grandes langues mentionnées plus haut, les peuples de Bolomba font usage du lingala, depuis la colonisation, comme ils utilisaient partiellement le kibangi, langue commerciale du fleuve, avant la colonisation.

Le territoire de Bomongo est l’entité qui connaît le plus grand nombre de parlers, malgré sa faible densité démographique. Dans la forêt, entre la rivière Ubangi et la rivière Ngiri, l’actuel secteur Dzamba regroupe deux grands ensembles. Il y a d’abord, au Nord, les Lobala et les Likoka, connus également sous les noms de Ngolo et Ntanda. Au Sud, se pratiquent les parlers dzamba (qui comprennent les Makutu, Mangba et Bamampanga). Entre les deux, à savoir ceux que l’on appelle Lobala III, forment une zone de transition entre les Lobala-Likoka et les Dzamba.

Certains parlers comme ceux des Nkoko et des Bokwe, encore importants au début de la pénétration européenne, ont disparu pratiquement, aux environs de 1970. Seul le parler du village Mbonzi représente la longue chaîne qui rattachait tous ces groupes aux Mbonzi de l’entre Ngiri-Congo. Sur l’Ubangi, en aval des Mangba, existe le parler de Mobodja.

Le long de la Ngiri, dans le secteur Ngiri, les parlers limbinza sont utilisés en amont, et les parlers baloi en aval. Les parlers limbinza ont absorbé quelques groupements Balobo et Mbonzi qui ont quitté la forêt de l’entre Ngiri-Congo. Les parlers baloi regroupent les Vengele et les Likila. Ils ont, eux aussi, absorbé les parlers des Mbonzi, Mampoko et Bokongo, qui ont quitté la forêt entre le fleuve Congo et la Ngiri. Le long du bas Ubangi, en aval de la Ngiri, sont pratiqués les parlers baloi et bobangi.

Dans le territoire de Bomongo, malgré leur diversité apparente, ces parlers ne représentent, en fait, que quatre grands ensembles d’idiomes: lobalalikoka, dzamba-makutu, limbinza, baloi-bobangi. Chacun peut utiliser son parler et se faire comprendre par les autres.

Depuis la période coloniale, le lingala, l’ancienne langue commerciale du fleuve, à la formation de laquelle les peuples de cette région avaient contribué, devint la principale langue de liaison entre ces groupes et avec les étrangers. Le lingala connut partout une large diffusion, pour des raisons à la fois religieuses, scolaires, commerciales et administratives.

Dans le territoire de Mankanza, existe également un grand nombre de parlers. La situation linguistique dans ce territoire reste complémentaire à celle du territoire de Bomongo. Les parlers les plus importants sont à rattacher à ceux des Limbinza et des Mbonzi de la Ngiri. Dans la forêt de l’entre Ngiri-Congo, se pratiquent les parlers mbonzi, ndobo, mabale, mbenga et balobo. Le long du fleuve, sont utilisés les parlers boloki, mabale, iboko, lusengo et ngombe. Les rapprochements linguistiques réduisent le nombre des parlers à trois principaux groupes: mbonzindobo-iboko, mabale-balobo-boloki, et ngombe. Le parler ngombe (ou lingombe) de Mankanza est à rattacher aux autres parlers ngombe de Budjala, Lisala, Bongandanga, Bolomba et Basankusu.

À la suite d’une confusion due à Henry Morton Stanley en 1877, les Européens considérèrent les parlers iboko, mabale et boloki comme des parlers bangala (au sens restreint du mot), bien qu’ils reconnussent leur spécificité. Les Iboko avaient d’ailleurs adopté une formule mixte Mangala ma Liboko. Le nouveau nom finit par être attribué à l’ancienne langue commerciale du fleuve, qui porta alors le nom de lingala, au lieu de kibangi. C’est aux parlers de Mankanza que l’on attribua la paternité du lingala littéraire ou classique, parce que les missionnaires de Scheut l’avaient fixée sur base de leurs formes grammaticales. On parla alors de lingala lya Man-kanza (« lingala grammatical »). C’est le père Égide De Boeck, futur évêque de Nouvelle-Anvers/ Lisala qui fut le principal artisan du lingala grammatical. Il y travailla de 1902 jusqu’à sa mort, en 1942 (Mumbanza 1980 : 477-491). Utilisé pour l’enseignement à la colonie scolaire puis à l’école primaire, dans l’ancien vicariat de Nouvelle-Anvers/Lisala, pour l’évangélisation (cf. infra), l’Administration et le commerce, le lingala devint la principale langue de communication dans le district des Bangala et à Léopoldville. Il fut aussi adopté comme langue de la Force publique, étant donné que les premiers soldats congolais étaient originaires de Mankanza et des environs; ils furent recrutés le 14  juillet  1885 par Camille Coquilhat. Leur nombre, qui augmenta rapidement, fut renforcé avec les jeunes esclaves libérés, formés à la colonie scolaire pendant plus de dix ans (Coquilhat 1888 : 352-353 ; Mumbanza 1976). Dans les camps militaires d’Irebu, Yumbi, Umangi et Lisala, les soldats ne parlèrent plus que le lingala. Le nombre élevé des travailleurs venant du haut fleuve (dans les navires et dans le chantier naval de Kinshasa) fut à l’origine de l’implantation et de la domination du lingala dans la capitale congolaise. Le même phénomène se développa du côté de Brazzaville, sur la rive droite du fleuve Congo.

Par la suite, le lingala devint non seulement une des quatre langues nationales, mais aussi une langue internationale africaine. Il est parlé en République du Congo (Brazzaville), en République centrafricaine et même en Angola.

Dans le territoire de Lukolela, existent trois parlers principaux : le losakani, le banunu et le kimpama. Ceux-ci correspondent aux trois secteurs administratifs, à savoir: Losakani au nord, Mpama au centre et Banunu au sud. Ces parlers se rattachent à ceux des Riverains de Bomongo et de Mankanza, leur berceau d’origine. La proximité avec les Ntomba et les Ekonda n’a pas fait disparaître diverses affinités avec les Bobangi et les Baloi de la Ngiri (Harms 1987).

À l’époque du grand commerce, ces Riverains du moyen fleuve utilisaient largement la langue commune du fleuve à côté de leurs propres parlers. Depuis la période coloniale, et jusqu’à nos jours, ils ont adopté le lingala pour les contacts avec les Européens et les autres étrangers.

 

Références

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Chapitre 3 : Art et artisanat

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Chaise Ekelé (Ethnie Ngombe)

Les peuples de l’Équateur, comme les autres peuples de la forêt, disposaient de nombreux matériaux pour pratiquer l’artisanat et produire des objets usuels: le bois, l’argile, les fibres, les lianes, les minerais, etc. Les produits ainsi obtenus semblaient couvrir tous les besoins et étaient d’une grande qualité. En matière d’artisanat, nous passerons en revue les activités de la forge, de la poterie, de la vannerie, de la tannerie et de la boissellerie. En ce qui concerne l’art, il y a lieu de constater que les œuvres plastiques sont rares dans le district de l’Équateur, où des groupes entiers ignoraient les statues en bois et en terre, les masques, etc. L’art s’y exprimait davantage dans la décoration des objets usuels, les arts corporels, les chansons et les danses.

 

1. Artisanat

L’exploitation rationnelle de la forêt équatoriale a commencé avec la production des outils en fer. Cette production date, estime Jérôme Mumbanza s’appuyant sur les enquêtes et différentes études menées sur la région, de deux mille ans avant Jésus-Christ. Depuis cette époque, chaque groupe essaie de localiser les gisements de fer, d’extraire et de fondre le minerai, puis de forger un ensemble d’objets utiles à la production dans divers secteurs: agriculture, chasse, pêche, travail du bois, etc.

À la fin du XIXe  siècle, les Ngombe du nord comme ceux du sud du fleuve comptaient parmi les grands producteurs de fer et d’outils en fer. La région de Bokombe et de Likungu était reconnue pour le travail de la forge parmi les Ngombe du Sud (Coquilhat 1888: 248-249). Les Ngombe de la Lulonga (région de Basankusu) produisaient et vendaient le minerai de fer aux riverains du fleuve et ceux-ci le transmettaient jusque chez les forgerons limbinza de la Ngiri (Mumbanza 1980b). Les Mongo produisaient aussi des anneaux de cuivre, appelés «nkonga », qui servaient de monnaie de dot lors de mariages.

Chez les Kutu et les Ekota du territoire de Boende, les ikiyaka (jambières de cuivre) devinrent la monnaie la plus couramment employée pour le paiement de la dot (une douzaine de jambières en moyenne). Seules les femmes mariées avaient le droit de les porter. Elles se garnissaient les chevilles d’un bourrelet pour éviter les blessures. Ces parures, dont le poids dépassait souvent 6 kilos, ne les empêchaient pas de se livrer à leurs danses traditionnelles ni d’effectuer quotidiennement des marches. Mais lors qu’elles les enlevaient, après quelques mois, elles devaient se réadapter à la marche normale, le port des ikiyaka ayant déplacé le centre de gravité du corps.

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Les Limbinza de la Ngiri comptaient également parmi les peuples forgerons. Les villages Bongenye et Bobaka produisaient des outils en fer pour les peuples de la vallée. Sur l’Ubangi, les forgerons connus étaient les Bondongo, dans l’actuelle localité de Dongo. Ils servaient toute la contrée des Lobala de Kungu et de Bomongo.

Si on ignore tout des techniques de prospection pour la découverte du fer, on sait que l’extraction se faisait à ciel ouvert et que la fonte ne nécessitait pas de haut fourneau. En effet, le bois dur de la forêt dense permettait d’entretenir un feu intense grâce à des soufflets (Mumbanza 1995).

Les forgerons fabriquaient les outils destinés aux travaux des champs (couteaux, haches, houes), les engins de pêche (fourches, foënes, harpons), les armes pour la chasse et pour la guerre (lances, couteaux), les outils pour travailler le bois (couteaux, haches, ciseaux et herminettes), les instruments de musique (gongs métalliques simples ou doubles, grelots), les couteaux pour la cuisine, les instruments de toilette (les lames pour se raser ou pour faire les scarifications, les bijoux, les colliers, les bracelets, les jambières), les aiguilles pour coudre les peaux lors de la fabrication des chapeaux, les tambours, etc. Ils fabriquaient aussi les outils pour la forge (marteau et enclume) et les monnaies en fer et en cuivre. Les forgerons limbinza, par exemple, produisaient, comme monnaie, les couteaux appelés «mangeme » et «makona » ainsi que les «nkwa » (Mumbanza 1980b; Mumbanza 1995). Les monnaies du fleuve comprenaient, au XIXe  siècle, surtout des barres (lingots) de cuivre (minzanga) provenant de Manyanga, dans le Bas-Congo, que l’on transformait en petites bagues (minkata) (Coquilhat 1888 : 324-325).

En raison de cette production qu’ils fournissaient à la communauté, les forgerons occupaient une place importante dans l’échelle sociale. Leur métier était d’ailleurs lié à une puissance spirituelle, aux esprits puissants.

Le bois permettait aux peuples de l’Équateur de fabriquer les sièges, les boucliers et les manches des lances destinés à la guerre, les mortiers et les pilons, sans oublier les cuillers, les gobelets et les plats pour la cuisine, les tam-tams, les tambours et les gongs en bois pour la musique et pour la transmission des messages, les cercueils, les manches des couteaux, des houes et des haches, les pipes, les xylophones, et, surtout, les pirogues et les pagaies, chez les Riverains. La navigation dans la cuvette congolaise, comme ailleurs en Afrique, est ancienne ; elle remonte à la dernière période pluviale (-10 000 ans). Les pirogues monoxyles qui constituent encore de nos jours les instruments essentiels de déplacement, de pêche et de commerce ne sont cependant apparues qu’avec l’usage du fer.

Si, en principe, depuis deux mille ans avant JésusChrist, chaque groupe riverain s’essaya à produire ses embarcations, certains peuples de la forêt se spécialisèrent néanmoins dans la fabrication de pirogues, qu’ils vendaient aux autres riverains. Dans le bassin de la Ngiri, les Mbonzi, les Bokongo et les Balobo fabriquaient de petites pirogues (minsale et epepe) et les vendaient aux Baloi-Limbinza. Le long du fleuve, dans la contrée des Bobangi, les pirogues étaient surtout fabriquées par les Banunu.

Les Ngombe, qui venaient d’occuper la région forestière au sud du fleuve et qui ne savaient pas naviguer, devinrent, à partir des années 1850, les principaux fabricants de pirogues. C’étaient eux qui fabriquaient les grandes pirogues pouvant transporter jusqu’à quatre tonnes d’ivoire ou d’autres marchandises. Celles-ci constituèrent la plus grande flotte commerciale du bassin du Congo, au milieu du XIXe  siècle (Mumbanza 1997).

Les grandes pirogues furent abandonnées dès la fin du commerce à longue distance (1890). Actuellement, les Ngombe de Bolomba et de Basankusu produisent encore la plupart des pirogues qui circulent sur le moyen fleuve. Les riverains de la Ruki et du lac Ntomba fabriquent eux-mêmes les pirogues dont ils ont besoin.

En ce qui concerne la forme des pirogues, celles qui circulent depuis Lisala jusqu’au Pool Malebo sont assez semblables. À ce propos, on peut lire chez Coquilhat: «Les embarcations des Ba-Ngala n’ont pas de plate-forme à l’avant ni à l’arrière comme celles des Stanley-Falls; elles sont terminées en pointes effilées, sont très gracieuses et peu différentes de celles des Bayanzi [entendez Bobangi] » (Coquilhat 1888 : 368).

La fabrication de pirogues incluait celle des pagaies, qui se présentaient sous différents modèles. Chez les Iboko de Mankanza, Camille Coquilhat les décrit de la manière suivante : «La pagaie est une palette étroite de dix à douze centimètres et longue de quarante centimètres. Le manche, très long, est souvent orné de lames de laiton enroulées » (Coquilhat 1888 : 368).

Le métier de fabricant de pirogues et de pagaies demandait un long apprentissage, qui se faisait dans des campements ou des lieux de construction; les jeunes étaient encadrés par des adultes qui les guidaient à chaque étape, depuis le choix du bois jusqu’aux travaux de finissage, en passant par l’ébauche de la pirogue. C’est ainsi que l’art se transmettait de génération en génération.

Les gongs en bois, les tambours, les tam-tams, etc., n’étaient pas fabriqués en grandes quantités et ne faisaient pas, à proprement parler, l’objet d’un commerce. Les spécialistes de chaque village en fabriquaient pour les notables, qui les utilisaient lors d’événements exceptionnels. Les nganga (devinsguérisseurs) en possédaient aussi pour assurer la pratique de leur métier. Comme ils duraient longtemps, leur production n’était pas régulière. À l’époque coloniale, les chefs-lieux de chefferies et les postes missionnaires possédaient également des gongs pour la communication de messages et l’indication des heures pour diverses activités.

La fabrication des boucliers était très répandue à l’époque pré-coloniale, compte tenu des nombreuses guerres qui opposaient les différents peuples. Chaque homme adulte valide et même chaque adolescent devaient en posséder un, comme arme défensive. Afin d’assurer la solidité du bouclier, le bois utilisé pour leur fabrication, souvent léger, était entouré d’une couche de lianes posées avec art pour décorer et pour faciliter son maniement. La pacification du pays mit définitivement fin à cette activité de constructeurs de boucliers.

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Epée en forme de faucille ("Ngulu"), Ngombe

La poterie, qui remplissait plusieurs rôles, était une activité féminine. Elle se pratiquait essentiellement dans les régions riveraines. Ainsi les femmes du fleuve, celles de l’Ubangi et de la Ngiri, celles de Lulonga, de l’Ikelemba et de la Ruki, sans oublier celles du lac Ntomba, savaient fabriquer les pots. Les plus vieilles poteries datant de trois mille ans avant Jésus-Christ ont été trouvées sur la Momboyo, un affluent de la Ruki (Mumbanza 1995 : 259-305). Les potières fabriquaient les grandes et les petites marmites servant à la cuisson des aliments, les pots spéciaux pour servir les repas, les jarres destinées à conserver et transporter l’huile, les boissons, l’eau, les vases trilobés (genres de braseros) qui transportaient du feu dans les pirogues, très utiles pour les voyages, les gobelets, les bilubu ou petits pots affectés à la garde des fétiches. D’autres pots servaient à la fabrication du sel végétal; ils étaient utilisés pour chauffer le liquide salé et obtenir le dépôt du sel.

Ces objets fragiles étaient continuellement demandés et échangés dans les marchés. Leur production répondait aux besoins locaux, mais, aussi, à ceux des voisins. La saison sèche facilitait la recherche du limon ou de l’argile et favorisait l’augmentation de la production. Les stocks non vendus pouvaient ensuite être écoulés progressivement. Divers produits manufacturés d’origine européenne et asiatique furent à l’origine du déclin de cette activité. Dans les années 1950, certains centres réputés pour la production de la poterie étaient encore très actifs (Mumbanza 1995). Comparée à la poterie du Nil ou à celle du Bas-Congo, celle de l’Équateur était pauvrement décorée : elle n’était pas peinte, mais ornée de dessins faits au moyen de poinçons spéciaux.

La tannerie était pratiquée à l’époque pré-coloniale. Les peaux des animaux entraient dans l’habillement (la peau de léopard pour couvrir la poitrine et la tête du chef, la peau des singes et des chèvres pour les bonnets, la peau d’éléphant pour les cuirasses, surtout chez certains peuples de la Ngiri, la peau d’antilope rayée et la peau de buffle pour les ceintures ou les baudriers). D’autres peaux entraient dans la fabrication des sacs des chasseurs, des tam-tams, des fourreaux de couteaux. La peau de l’éléphant ou de l’hippopotame servait aussi à couvrir les boucliers afin qu’il soit plus difficile de les percer avec une lance.

En 1931, dans une étude réalisée chez les Mpama de Lukolela, Reynaert décrit ainsi les techniques utilisées :

«L’indigène ne prépare pas ses peaux de chasse. Celles-ci, après avoir été débarrassées des graisses et des chairs qui y adhèrent, sont exposées au soleil pendant plusieurs jours. Il n’existe aucun procédé de tannage ; les peaux, à l’exception de celles des gongs, ne sont même pas débarrassées des poils. Les peaux souples, telles que celles des léopards, des loutres, etc. sont employées dans le vêtement. Pour cet usage, elles ne sont même pas découpées. L’indigène emploie également les peaux dans la confection de gaines de couteaux et principalement dans l’emballage des nkisi qu’il se procure chez le sorcier. Les peaux plus dures servent de siège dans les chaises longues pliantes. Coupées en lanières, elles font office de ceinture, sont coupées et cousues en forme de sacoche […] » (Reynaert 1931: 28).

La vannerie représente un autre secteur important de l’artisanat. Les femmes utilisaient les lianes pour la fabrication de gros et de petits paniers destinés à conserver ou à transporter les produits. D’autres paniers étaient utilisés pour servir les plats à table ou comme berceaux des enfants. D’autres encore servaient à la pêche, dans les eaux peu profondes. Les plus fins qui ne laissaient pas passer d’eau convenaient pour l’écopage des étangs.

Les nattes, qui constituaient un élément important de la literie, étaient fabriquées avec les lames de ngongo (matoko) ou avec les bandes ou lattes tirées des palmiers bambous (nkala). Chez les Riverains de la Ngiri et chez les Mpama du fleuve, les nattes étaient faites par les femmes; chez les Ngombe par contre, elles étaient faites par les hommes (Reynaert 1931 : 49). Les matières premières pour fabriquer les matoko étant rares dans certaines régions, celles-ci faisaient l’objet d’échanges dans les marchés. Les nkala étaient surtout pratiques pour voyager en pirogue ; elles servaient également à couvrir les marchandises et à construire des tentes provisoires.

La production de nasses rigides et souples pour la pêche se faisait en famille ; les hommes comme les femmes y participaient, depuis la recherche des matières premières jusqu’au finissage des ouvrages. Les hommes étaient spécialisés dans la confection de grandes nasses souples (poso ou biketo) et rigides (mileke). Les femmes construisaient les nasses à clapet (bisoko) et les petites nasses souples (mingondo), ainsi que les paniers-cloches (yika).

Les filets pour la pêche et la chasse étaient fabriqués par tous les groupes, y compris les Batswa. Les fibres de lianes (surtout le nkosa) et de certains arbustes étaient utilisées pour leur confection et pour étendre les filets. Pour la chasse comme pour la pêche, il existait plusieurs sortes de filets. C’était un métier essentiellement masculin, les femmes intervenant au niveau de la recherche des fibres et de la production des fils. Généralement, chaque famille produisait les filets nécessaires à ses activités. Certains peuples, comme les Baloi et les Limbinza, n’ayant pas directement accès aux fibres, ils les achetaient chez les peuples de la forêt. En raison de la forte demande, les fibres de nkosa comptaient parmi les produits les plus échangés dans les marchés chez les Dzamba, les Likoka et les Balobo.

Le tissage, très répandu dans la savane au sud de la forêt, était ignoré chez beaucoup de peuples de l’Équateur. Les peuples riverains de l’entre Congo-Ubangi et les Mongo de la cuvette utilisaient les fibres de raphia et de quelques arbustes pour réaliser des jupes en franges pour l’habillement des femmes, mais ils ne confectionnaient pas de tissus. Reynaert signale cependant la pratique du tissage des fibres de raphia chez les Mpama (appelés aussi « Bakutu », cf. supra) de Lukolela (Reynaert 1931). Cette pratique aurait été empruntée aux Bateke du Sud avec lesquels les Mpama et les Bobangi avaient été en contact pendant près de deux siècles. La présence du palmier raphia dans cette région peut être une autre explication, car il fait généralement défaut dans la cuvette.

Avec l’introduction des produits manufacturés, à partir de la fin du XIXe  siècle, l’artisanat périclita de façon de plus en plus importante. Il se pratiquait encore à petite échelle et se maintint uniquement pour les produits que l’Europe ne pouvait fournir. Ainsi, la fabrication des pirogues ne connut-elle aucune diminution et se poursuivit-elle encore longtemps. Il en est de même pour la fabrication des nasses et des paniers de pêche. Les filets de pêche ne se font, cependant, plus avec les fils traditionnels. Au début des années 1960, ils se faisaient encore avec du fil nylon, mais de nos jours, on utilise les filets importés d’Europe et d’Asie. La forge, qui se maintient à certains endroits pour produire les objets ignorés par l’industrie (lances et foënes par exemple), n’utilise plus le fer local, mais des barres de fer importées. La vannerie continue partout, avec la fabrication de nattes et de paniers. La poterie, qui était encore largement produite à la fin des années 1950, a fortement diminué et a même disparu dans certains endroits.

 

2. Art

Ainsi qu’évoqué plus haut, le district de l’Équateur, comme celui de la Mongala, compte parmi les régions congolaises ayant produit le moins d’œuvres d’art aujourd’hui étudiées. Il existe, certes, des statuaires en bois, en argile ou en fer, mais pas de masques mortuaires ou autres pour la danse. L’ivoire n’a guère servi à la fabrication d’œuvres d’art; il a plutôt servi à fabriquer des trompes et des objets de parure : bracelets, jambières et épingles à cheveux.

L’art était pourtant présent dans une grande partie de la production artisanale. La plupart des objets forgés, comme les lances, les couteaux, étaient, en effet, décorés. Les instruments en bois, comme les pirogues, les gongs, les sièges, étaient magnifiquement parés de divers motifs géométriques (losanges), voire d’animaux, comme des reptiles. Les boucliers, les nattes et certains paniers présentaient également des dessins décoratifs. Les pagaies et les manches des lances et des couteaux étaient ornés de fils de cuivre (Coquilhat 1888).

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L’art du corps comportait les tatouages corporels (sur le front et le nez, les tempes, la poitrine, le ventre et les bras) et le limage ou l’arrachement des dents, sans oublier les tresses des cheveux pour les hommes et pour les femmes.

S’agissant des tatouages, considérés comme des marques tribales, malgré des influences réciproques, nous n’en présenterons que quelques éléments, observés au milieu du XIXe  siècle.

Reynart (1931) donne la description suivante des tatouages chez les Mpama de Lukolela :

Par cicatrisation de coupures le Pama se fait sur la face des motifs ornementaux. La cicatrisation ou mbali comprend les undende, les [ikolela], les montungu, les asombola, les [nsungulu minga], les akomba et les atanunsoso. L’undende est le tatouage fait au milieu du front; depuis les cheveux jusqu’à la naissance du nez entre les deux sourcils. Il est composé de quantités de petits traits horizontaux larges d’un centimètre, parallèles et superposés en une colonne très régulière. La cicatrisation de ces plaies forme de petits renflements qui atteignent quelques fois la forme ronde. Les ikolela sont taillés entre l’œil et l’oreille, sous les favoris. Les ikolela sont souvent formés de quantités de sillons faits dans tout sens lors d’une saignée pour guérir les maux de tête. Certains ikolela se composent de quatre rangées parallèles de traits horizontaux longs d’un centimètre. Chez les femmes principalement, les ikolela ont une forme régulière. Les plaies sont faites en deux arêtes de poisson parallèles et leur cicatrisation fait un beau motif de palme stylisé.

Le [untungu] est une cicatrisation faite sur la poitrine et le ventre ; partant de la naissance des clavicules jusqu’au nombril. Ce montungu est constitué d’une série de traits obliques disposés en forme d’arêtes de poisson parallèles et verticales. Le montungu est exclusivement réservé aux femmes, de même que les asombola, les [nsungulu minga], les akomba et les atanunsoso. L’asombola a le même motif que le montungu, mais il est coupé horizontalement sur le ventre, de part et d’autre du nombril. Le [nsungulu minga] est composé de quatre rangs verticaux et parallèles de petites coupures verticales longues d’un centimètre faites sur l’épaule, à la naissance du bras.

L’akombu est une cicatrisation semblable au [nsungulu minga] faite sur chaque fesse. Atanunsoso est le terme générique désignant toutes les cicatrisations de fantaisie. Les femmes portent sur la poitrine et le ventre quantité de petits traits verticaux qui ont nom d’atanunsoso. Une des formes les plus jolies de rayons, est située symétriquement quatre par quatre au-dessus et dessous de ce point » (Reynaert 1931: 31-3226).

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Chapitre 4 : Musiques et danses

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Danse populaire à Mbandaka. (Photo équipe locale, 2009.)?

 

 

 

 

Introduction

Malgré le caractère composite des peuples du district de l’Équateur, les contacts entre eux ont permis un certain rapprochement des structures. Même si les appellations restent variées, il y a des ressemblances entre les fables, les folklores et les danses, voire entre les légendes qui parfois accompagnent ceux-ci. Chez les Mpama de Lukolela, par exemple, le folklore repose sur les quelques danses suivantes :

– ukuka : danse populaire à la fois pour les circonstances de joie ou de deuil;

– olima : danse à la naissance ou à la mort de jumeaux ;

– zebola (cf. infra) : danse occasionnelle lors d’une maladie provoquée par les esprits; elle serait d’origine mongo; – mpombo : danse pour chasser les mauvais esprits; elle serait d’origine mbelo ou sengele ;

– okondi-okondi: danse des chefs et notables exhibée lors des manifestations chez le chef ou un dignitaire (riche) ;

– ibenga : annonce du deuil ou de la mort par le tambour;

– etc.

Seuls l’ukuka et l’olima s’exercent encore de nos jours. Les autres danses deviennent de plus en plus rares.

Les danses des peuples de l’Équateur appartiennent aux « systèmes musicaux d’Afrique subsaharienne », et se présentent également, selon Sinha Arom (1988), comme suit :

a) n’ayant pas recours à l’écriture, leur transmission s’effectue par voie orale ;

b) populaires, elles sont dépourvues de canons explicites;

c) collectives, elles appartiennent à la communauté tout entière qui est la garante de leur pérennité ;

d) anonymes et sans date, on ignore souvent qui les a créées et quand elles ont été reçues;

e) fonctionnelles – ou plus précisément circonstanciées –, elles ne sont pas destinées à une quelconque utilisation en dehors de leur contexte socioculturel.

Les principaux instruments musicaux en usage sont d’abord le tam-tam, puis les harpes (boyeke), esanjo, ntombe lokombi, les xylophones, les gongs (lokole, elonja), les sonnettes en fer ou en bois, les tambours, le likembe, le longombe, les flûtes en bois, etc. Ils accompagnent les chanteurs et les danseurs en toutes circonstances socioculturelles (malheur, joie, guerre…).

 

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1. Musiques et danses des Nkundo-Mongo

Gustave Hulstaert (1984 : 31), pionnier des études sur les peuples mongo, s’est penché sur les performances de ces peuples en ce qui concerne l’art musical. Il estime que l’art des Nkundo-Mongo « a atteint un épanouissement extraordinaire, jusqu’à l’éclosion d’une véritable polyphonie jointe à une polyrythmie compliquée ». Les constats sur le terrain en attestent, comme l’illustrent les données suivantes.

 

1.1. Le jebola : une maladie, un rite, une danse (musique) endiablée

Globalement, le jebola (dit aussi zebola) est un rite de guérison qui a son origine chez les Eleku et qui s’est répandu chez les Mongo. Les personnes concernées en parlent souvent en termes, à la fois, de maladie provoquée par les esprits maléfiques et de danse s’exécutant publiquement au son de musiques spécifiques, à la fin du traitement imposé aux sujets malades. Ellen Corin (1976 : 42) en donne l’éclairage suivant: « le cœur du traitement jebola est l’apprentissage de la danse des esprits dont l’exécution en public constituera le couronnement de la thérapie jebola ».

 

1.1.1. Une danse pour femmes

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L’étude de référence consacrée à cette danse-thérapie, menée par les chercheurs du Centre Æquatoria de Bamania (situé à 10 km de Mbandaka), fournit des détails qui y sont relatifs: « la maladie jebola s’attaque presque exclusivement aux femmes […] les cas de possédés jebola de sexe masculin sont exceptionnels » (Korse et al. 1990 : 7). Ce détail fait du jebola une danse pour femmes. Une danse qui, à l’origine (il y a environ un siècle aujourd’hui), avait comme acteur principal une femme dénommée Bolumbu. Il est rapporté à ce sujet que tout a commencé avec celle-ci à Boyeka, un village situé sur la rive droite de la rivière Lulonga, entre Losombo et Mampoko. Atteinte d’une maladie que les guérisseurs locaux ne parvenaient pas à guérir, Bolumbu s’enfuit en catastrophe dans la forêt. Plusieurs jours ayant passé, les villageois la donnèrent pour morte, mais un nkanga («un devin»), du nom de Longenga, leur redonnera espoir, jusqu’à convaincre ceux qui croyaient en lui de battre les tam-tams et les tambours sans se fatiguer pour voir Bolumbu leur revenir. Les villageois finirent par donner raison au nkanga, car Bolumbu réapparut après les efforts prolongés de ceux qui s’étaient engagés à offrir le spectacle musical demandé.

La réapparition de Bolumbu, qui présentait les signes d’une personne possédée par les esprits, sera suivie de l’élaboration, par le nkanga (« sur instruction des esprits »), d’un cadre référentiel de traitement de la «maladie » en question, qui imposa l’internement du sujet malade.

Ce contexte ne reflète pas moins une logique de spectacle, qui caractérisa définitivement la thérapie jebola, reconnaissable par: a) quelques signes distinctifs que doit présenter la malade tout au long du traitement; b) les chants et danses appropriés que le nkanga doit lui apprendre, et qui lui seront utiles à l’étape décisive du « jojà » (la sortie solennelle, lors de laquelle le public sera gratifié de quelques séquences de danse offertes par l’ex-malade guérie).

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Danses Wangatas - 1958?

 

 

 

1.1.2. Une danse portée par les sons du tam-tam et des chants

Le spectacle de danse (d’une durée de plus ou moins deux heures) que présente l’acteur principal (la malade) le jour de sa sortie solennelle, après plusieurs mois d’internement chez le nkanga, est attrayant, même s’il effraie parfois les enfants. Cela au vu de la « transfiguration» de la malade, qui se constate à travers des signes, déjà relevés, qu’elle arbore désormais: l’esumbu, un chapeau fabriqué avec de longues plumes d’oiseaux différents; un ngonga, une sonnette qui fait des bruits à chaque mouvement de la danseuse et, surtout, le ngola, ou fard rouge, avec lequel est fabriquée une patte servant à colorer le corps et l’eengo, ou le kaolin blanc, pour colorer le visage afin de « se protéger contre les mauvais esprits ». En dehors de cet aspect insolite, Ellen Corin (Corin 1976 : 46) ajoute un autre détail significatif, qui colore encore le spectacle jebola : « les mouvements de la danse jebola doivent ressembler aux ondulations qui parcourent les anneaux du vers palmiste ».

 

1.1.3. Deux sous-composantes du jebola

 

a) La danse Esombi

Malgré l’accent mis sur le jebola comme étant une danse réservée aux femmes, Korse et al. (1990) estiment qu’il est important de citer aussi le cas de l’esombi et de l’enyeme. Au sujet de la première, ils rapportent que :

« […] il ne s’agit pas de la possession d’une femme, mais d’un homme […] Le patient d’esombi ne danse pas à n’importe quelle occasion. Il lui faut une raison propre pour danser. Cette raison la voici: si la nuit, dans un rêve, les mânes lui révèlent qu’un sorcier vient d’entrer dans leur village pour “manger” ; il monte alors son jeu d’esombi: on porte à la connaissance de tous les habitants du village qu’un tel va exhiber la danse esombi. Ainsi, tout le monde, tant possédés que des gens normaux, viendra ce jour-là pour admirer la danse. Le danseur fait des exhibitions, plaît au public, mais finit par attraper le sorcier. »

 

b) La danse Enyeme

«La danse enyeme est une danse joyeuse exécutée par toutes les guérisseuses et leurs anciennes malades en mémoire de leurs regrettées compagnes. On danse aussi l’enyeme en souvenir d’un homme qui, de son vivant, accompagnait les femmes jebola […]. »

 

1.1.4. Observation importante

Le jebola, en tant qu’important et complexe rite de guérison, a le mérite de fournir aux observateurs les éléments de compréhension de l’importance ou de la signification sociale des musiques et des danses chez les peuples mongo. Pour le cas du rite jebola ou d’autres (à l’instar du wale, chez les Ekonda et les Ntomba, accompagnant le sevrage des femmes primipares), les musiques et les danses ont une fonction non négligeable : accompagner leurs processus et/ou leur aboutissement. À l’opposé de ces musiques et de ces danses, il en existe d’autres, dont la fonction essentielle est simplement de meubler fortuitement des cérémonies à certains moments précis.

 

1.2. Les chants et danse de la sortie de wale

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Danse Walé, ethnie Ekonda

Le rite de sevrage des femmes primipares évoqué ci-dessus, appelé «  wale  », chez les Ekonda et les Ntomba de Bikoro, partage une certaine ressemblance avec le jebola :

a) l’internement ou la « réclusion» (de 2 ans ou plus, dans sa famille) de la personne concernée qui, à l’occasion, se fait identifier par le même nom que ce rite (wale) ;

b) le principe que le sujet concerné adopte un accoutrement singulier;

c) et, surtout, le recours à la combinaison chants spécifiques et danse spectaculaire pour meubler l’ultime et solennelle cérémonie de la fin du sevrage, c’est-à-dire la « sortie » de wale pour regagner son toit conjugal.

Ce qui est particulièrement intéressant ici c’est le spectacle dansant offert par la wale.

«La fin de son isolement est marquée par des danses et des chants rituels extrêmement codifiés qui sont, à chaque fois, une création unique propre à chaque wale », raconte Patrick Willocq, qui y a consacré un film à succès intitulé Je suis wale, respectez-moi. Cet auteur, fasciné par ce qu’il a vu à plusieurs reprises, a trouvé des mots justes, considérant ledit rituel « comme un magnifique hommage à la maternité, à la fertilité et à la féminité ».

 

1.3. Les chants et danses des jumeaux

La naissance de jumeaux est un fait exceptionnel qui exige un rite spécial destiné à «sécuriser» les enfants concernés. À l’Équateur, les peuples s’adonnent à un semi-rituel variant légèrement au regard des particularités de chaque groupe. Chez les Mongo, par exemple, on fête la naissance des jumeaux en carnaval dansant, lors de leur «sortie solennelle». L’heureuse mère, parée des symboles des jumeaux tels que les rameaux (au cou) et les décorations du visage avec du kaolin, accompagnée parfois du père, se fait entourer des femmes portant les bébés honorés et des membres de la famille, sans oublier les badauds intéressés, pour descendre dans la rue au son d’un chant cadencé reprenant l’onomatopée «iye-li yé yé». Une personne l’entonne, égrenant les appellations consacrées des enfants en question («Mboyo» et «Boketshu») suscitant l’empressement, chez les autres membres de ce groupe joyeux, de reprendre en chœur le refrain.

Dans les milieux ruraux, le spectacle se fait au domicile des parents avant de gagner la rue, tandis qu’aujourd’hui, en ville, il commence à la sortie de la maternité pour se répandre ensuite dans la rue menant vers le domicile des parents. Ces deux environnements se partagent néanmoins une tradition singulière liée à la naissance des jumeaux chez les Mongo. Elle consiste à faire ponctuer cette occasion de joie immense par quelques termes ou mots obscènes, en guise de catharsis.

 

1.4. Le bobongo-iyaya

L’Équateur se distingue aussi par ses « ballets ancestraux », le bobongo, un genre de musique et de danse pratiqué surtout chez les peuples ekonda. L’iyaya représente une variante plus ancienne de celui-ci. En effet, comme on le verra ci-après, les superstructures présentes dans le bobongo, soutenant parfois des nacelles amenées à glisser sur des « rails » en lianes, relevaient initialement d’une danse plus ancienne, connue sous le nom d’iyaya. Cette chorégraphie existait notamment chez les Ekonda et les Iyembe. À la différence du bobongo, l’iyaya accordait une place importante aux danses et aux acrobaties. Bien que l’iyaya ait été en quelque sorte incorporé au bobongo, que tout danseur de bobongo connaissait normalement l’iyaya, et que le nyang’e nkoso du bobongo fût normalement responsable de l’iyaya, il faut toutefois noter qu’il n’y avait pas de véritable amalgame. Chaque danse demeurait bien identifiable. Ainsi, dans la chorégraphie bobongo, la séquence connue sous le nom d’ibuleyo (dans laquelle interviennent les superstructures) est celle qui illustre le plus clairement les danses de l’iyaya avec une autre séquence à prédominance acrobatique, connue sous le terme éponyme d’iyaya.

 

2. Musiques et danses des Ngombe

Il existe peu d’études élaborées par des pionniers (ethnographes) sur les Ngombe. Toutefois Herman Burssens, dans son livre intitulé Les peuplades de l’entre Congo-Ubangi (Ngbandi, Ngbaka, Mbandja, Ngombe et Gens d’eau), met en évidence une danse largement partagée par plusieurs groupements ngombe éparpillés dans l’Équateur, la Mongala, le Sud-Ubangi et le Nord-Ubangi. C’est l’ikbeti ou likpeti (Burssens 1958 : 167). Cet auteur, citant Van Thiel, décrit ladite danse en ces termes: «une des rares danses pendant lesquelles les chefs et les notables font usage de leurs couteaux de parade (mipamba et ngbangba), […] dure deux jours et le point culminant consiste dans la décapitation d’un seul coup d’une chèvre (jadis d’un esclave) ».

Des investigations auprès de certains membres de ce grand groupe à Kinshasa ont permis de renseigner sur quelques danses et musiques prisées par les leurs: le mosingo, l’esembe, le bwae et l’isango.

 

2.1. Le Mosingo

C’est une musique d’invocation des esprits des anciens, supposée aider à résoudre certains problèmes cruciaux de la société. La voix prépondérante ici est celle des nganga, à qui est reconnu un pouvoir de médiation entre les vivants et les morts.

 

2.2. L’Esembe

C’est une danse pour femmes: elle les aide à conjurer les maux liés à l’interdit d’entrer pour travailler dans la forêt un certain jour de la semaine (mercredi).

 

2.3. Le bwae

C’est une musique spéciale exploitée à l’occasion de la célébration de la fin du sevrage des jeunes femmes primipares, un peu du genre de celle exploitée à la sortie du wale chez les Ekonda et les Ntomba.

 

2.4. L’isango

C’est un chant spécial, servant à agrémenter la fin de la cérémonie d’initiation des jeunes filles honorées dans certaines circonstances par la société.

 

3. Musiques et danses des Gens d’eau

L’histoire écrite des danses et musiques pose problème chez les Gens d’eau (Likoka, Bamwe, Limbinza, Baloi, Bankutu…) Plusieurs informations recoupées nous permettent d’aller au-delà de l’éclairage sommaire fourni, sur ce sujet, par Herman Burssens (1958: 167) : « les Gens d’eau auraient des danseurs professionnels qui tiennent lieu entre autres de maîtres de cérémonie lors des danses funéraires: l’ebala, une danse mixte dansée après l’enterrement d’un homme et la muntembe, une danse de femmes exécutée lors du décès d’une femme». Cette particularité démontre la richesse musicale des Gens d’eau, laquelle se manifeste encore davantage à travers les chants et danses suivants: le lingando, le limongi et le ngope.

 

3.1. Le lingando

Cette danse trouverait son origine chez les Bamwe, avant d’avoir gagné presque tous les Gens d’eau. On recourt à elle à des occasions importantes de divertissement (fêtes de mariage, de retrait de deuil, du Nouvel An…). Il s’agit d’une danse de remuement des hanches et de hochement des épaules, réunissant les hommes et les femmes dans un grand cercle, où se succèdent un à un des danseurs à tour de rôle pour animation. Le lingando est associé à deux autres danses: le moseki et le binengi.

 

3.2. Le limongi

Danse des Limbinza, elle se manifeste par les coups de hanches des acteurs. On s’en sert habituellement dans certaines cérémonies d’initiation.

 

3.3. Le Ngope

La danse Ngope aurait son origine chez les Mangala-ma-Liboko. On s’en sert dans la lutte traditionnelle pongo. Les exécutants se mettent en cercle pour danser en chantant pendant que les lutteurs programmés se livrent au mokato (c’est-à-dire qu’ils s’affrontent) à l’intérieur du cercle formé par les danseurs du jour. Le chant et la danse sont aussi de mise avant l’entrée en scène des lutteurs, à l’étape préparatoire du spectacle.

 

4. Quelques autres danses

L’Équateur regorge également de danses et de musiques de loisirs habituels: une rencontre quelconque de jeunes filles qui se transforme en une scène de danse par le vouloir d’un aîné, l’occasion d’une rentrée au village d’un leader des jeunes, qui conduit à l’organisation rapide d’un spectacle dansant le soir, etc. Sont à citer à titre illustratif au moins deux danses ayant ces caractéristiques, chez certains Mongo et dans la ville de Mbandaka : le bayonga et le bofenya.

 

4.1. Le Bayonga

C’est une danse de très jeunes filles servant aux divertissements des adultes, à Basankusu et dans plusieurs autres localités mongo. Les choses sont organisées ici un peu à l’image des loisirs pour fillettes et filles dans les écoles maternelles et primaires d’aujourd’hui. Sont réunies une dizaine ou une vingtaine de jeunes filles légèrement habillées, parées de jupettes en raphia ou en rameaux de palmiers et alignées au son des chants entonnés par une « responsable » et repris par les badauds les entourant.

 

4.2. Le Bofenya

Il s’agit d’une danse de grands jeunes garçons et de filles, chez les Mongo. Elle s’exécute exclusivement la nuit, surtout au clair de lune, au rythme du tam-tam et de chants appropriés connus des intéressés. Ces danseurs de circonstance se meuvent avec enthousiasme, dans un exercice d’entrée et de sortie dans un grand cercle qui se forme à cette occasion festive. On chante et danse parfois jusqu’au petit matin. Le bofenya avait pris beaucoup d’ampleur dans la ville de Mbandaka dans les années 1960 et 1970, avec la montée du mouvement des Bill (jeunes au comportement influencé par le cinéma occidental, dont les films westerns) ; la « liberté », copiée par la plupart auprès des acteurs pris pour modèles, leur permettait des escapades nocturnes qui passaient pour des sorties justifiées en famille par la participation au bofenya. Ce nouvel esprit ira jusqu’à influencer la tradition des chants consacrés, en ajoutant des mélodies faites en argot local en plus de celles (traditionnelles) en langue lomongo.

 

4.3. Le lingando

Danse des Limbinza dont l’origine se situe chez les Bomwe.

 

Conclusion

Ce qui précède démontre la richesse musicale de l’Équateur. Il convient cependant de noter que certains rites cités ont relativement perdu de leur importance, en raison notamment des influences d’ordre religieux (notamment avec la montée des églises dites de réveil), mais ils ne méritent pas moins d’être cités parmi les facteurs sociaux (actifs ou passifs) « créateurs d’avenir » pour leur région et pour leur pays. Pour Manda Tchebwa (199 : 39) ce sont « ces musiques et danses de la forêt naturelle [de l’Équateur] qu’exploiteront plus tard certains musiciens de Kinshasa pour les insérer dans un art musical appelé à s’urbaniser (Lita Bembo dans la série Ekonda Saccadé, Boketshu 1er, Baoto Don Camilo et le Swede Swede) […] ».

Ces musiques et danses ont donc enrichi ce qui est appelé désormais la « rumba congolaise », en tant qu’« art musical », mais également en tant que « symbole du pays ». L’illustration de ce symbole s’aperçoit notamment à travers les hommes incarnant le succès de cet art, comme on le constate avec la percée sur les scènes musicales congolaises des musiciens originaires de l’Équateur: Jeannot Bombenga (territoire de Basankusu), Bombolo wa Lokole «Bolhen» (territoire de Basankusu), Empompo Loway (territoire de Basankusu), Evoloko Lay Lay alias Jocker (territoire de Bolomba), Alain Mpela (territoire de Bikoro), Thomas Lokofe…

 

Références

- Arom, S. 1988. « Systèmes musicaux en Afrique subsaharienne ». Revue de musique des universités canadiennes 9 (1) : 1-18.
- Babette. S. d. «La danse africaine phénomène de mode ». En ligne sur http://www.danse africaine.net/documents/memoire-sur-la-danse africaine (consulté le 25 mai          2015).
- Bois, P. «Bobongo. La grande fête des Ekonda dans le style des Batwa ». Maison des cultures du monde. http://www.maisondesculturesdumonde.org/actualite/bobongo
- Bokonga, E.B. (sous la direction de). 1975. La Politique culturelle en République du Zaïre. Paris: Les Presses de l’UNESCO.
- Burssens, H. 1958, Les Peuplades de l’entre Congo-Ubangi (Ngbandi, Ngbaka, Mbandja, Ngombe et Gens d’eau). Tervuren.
- Corin, E. 1976. «Zebola, possession et thérapie au Zaïre ». Bulletin de médecine traditionnelle au Zaïre et en Afrique 1 : 22-39.
- De Cleene, N. 1957. Introduction à l’ethnographie du Congo belge et du Rwanda-Urundi. Anvers: Éditions De Sikkel S.A.
- Gansemans,  J. 2007. Musique des Nkundo. Tervuren-Bruxelles: MRAC-Fonti Musicali («Anthologie de la musique congolaise – RDC», vol. 11).
- Hulstaert, G. 1938. «Grafbeelden en Standbeelden». Congo XIX (2) : 94-100.
- Hulstaert, G. 1984. «Éléments pour l’histoire Mongo ancienne ». Bruxelles: Académie royale des sciences d’outre-mer («Mémoires des sciences morales et politiques »,        XLVIII).
- Iyandza-Lopoloko, J. 1961. Bobongo : danse renommée des Ekonda. Tervuren: MRAC (« Série archives d’ethnographie », n° 4).
- Korse, P., Mondjulu, L. & Bongondo, B. 1990. Jebola : texte, rite et signification. Thérapie traditionnelle mongo. Bamania : Centre Æquatoria («Études Æquatoria », n° 6).
- Manda Tchebwa. 1996. Terre de la chanson. La musique zaïroise hier et aujourd’hui. Paris: Duculot et Afrique-Éditions.
- Tonnoir, R. 1953. «Bobongo ou l’art chorégraphique chez les Ekonda, Iyembe et Ntomba du lac Léopold II ». Problèmes d’Afrique centrale 20 : 87-109.
- Van Everbroeck, N. 1974. Ekond’e mputela : histoire, croyances, organisation clanique, politique, sociale et familiale des Ekonda et de leurs Batoa. Tervuren: MRAC (« Série      archives d’anthropologie », n° 21).
- Vangroenweghe, D. 1976. «La mort, le deuil et les festivités bobongo et iyaya à l’occasion de la clôture du deuil chez les Baoto et Batwa des Ekonda (Zaïre) ». Thèse de        doctorat. Leuven: Katholieke Universiteit Leuven.
- Vangroenweghe, D. 1977. «Oorsprong en verspreiding van Bobongo en Iyaya bij de Ekonda ». Africa-Tervuren XXIII (3-4) : 106-128.
- Vangroenweghe, D. 1988. Bobongo. La grande fête des Ekonda (Zaïre). Berlin: Dietrich Reimer Verlag («Mainzer AfrikaStudien», Band 9).
- Volper, J. 2011a (28 mai). «Les statues dansent aussi. Les grandes sculptures en bois du bobongo ». Anthroposys. En ligne sur http://www.anthroposys.be/Bobongo.pdf
- Volper, J. 2011b. «Exquise vanité. Les sarcophages des Nkundu». Tribal Art Magazine XV (4).

 

 

Source : Équateur au cœur de la cuvette congolaise (Sous la direction de Jean Omasombo Tshonda)

Jérôme Mumbanza mwa Bawele

Élodie Stroobant

Jean Omasombo Tshonda

Joris Krawczyk

Gérard Lomema Lomboto

Jean Liyongo Empengele

Pierre Mobembo Ongutu

Mohamed Laghmouch

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Troisième partie : Domination européenne, organisation politique et administrative

 

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Troisième partie : Domination européenne, organisation politique et administrative

 

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«Lorsqu’en 1877, je descendis le grand fleuve, je ne pus me faire qu’une très vague idée de la configuration de la terre ferme. Pour échapper à la férocité des indigènes qui nous menaçaient constamment, sans raison plausible, nous étions obligés de nous réfugier dans les méandres du fleuve au milieu des îlots, dès que nous apercevions à l’horizon un groupe de naturels. Aujourd’hui, notre mission consiste à bâtir au milieu de ces sauvages. Mais avant de commencer, nous devrons nous mettre en contact avec eux, faire taire leurs clameurs, apaiser leurs esprits inquiets, leur inculquer des sentiments plus doux, leur enseigner les arts de la paix ». H. M. Stanley 1885 : 354.  

 

 

Chapitre 1 : La violence dans la conquête européenne

Par Mathieu Zana Etambala

 

1. Les premiers traités et les premières explorations

 

Henry Morton Stanley (1840-1904) fut le premier Européen à passer sur le fleuve Congo à hauteur de la localité qui deviendrait, un peu plus tard, le chef-lieu de l’Équateur (Cambier 1948a) : le 19 février 1877, il accosta à une petite île située en face du village devenu l’actuelle ville de Mbandaka (Vangroenweghe 1981 : 109).

Pour rappel, le 10 décembre 1878, après la signature du contrat avec le Comité d’étude, Stanley fut chargé à la fois de fonder trois stations entre le Kongo central et le Stanley-Pool et d’étudier la potentialité commerciale du Haut-Congo. Il atteignit le Stanley Pool à la fin de 1881 et fonda Léopoldville. Il partit alors organiser la station des Stanley Falls. Au cours de ce voyage, il navigua sur la rivière Mfimi jusqu’au lac Léopold II, atteint le 26 février 1882. Le 31 mai, il était de retour à Léopoldville puis rentra, épuisé et malade en Europe (Vangroenweghe 1988: 424-428).

De retour à Léopoldville au début de 1883, il partit, le 9 mai, en direction des Stanley Falls. Arrivé à Ikengo, un village situé tout près de l’équateur, le 8  juin  1883, il se trouvait à Inganda le 9. Il fonda «Equateur station» d’abord à Bojia, qu’il déplaça finalement à Wangata, le 17 juin 1883.

Le but de ce voyage était de conclure avec les chefs indigènes le long du Congo des traités établissant des droits territoriaux souverains sur les rives du fleuve. C’est au courant de ce voyage qu’il laissa Alphonse Vangele (1948-1939) (Engels 1951c) et Camille Coquilhat dans les régions de l’Équateur et des «Bangala » où ils signèrent nombre de traités avec des chefs locaux. Alphonse Vangele résida à Équateur-Station entre juin 1883 et juillet 1884.

Vangele soumit aux chefs riverains un modèle de traité, dans lequel les chefs locaux cédaient au Comité d’études et à l’Expédition internationale du Haut-Congo (également mentionnée sur la feuille) la souveraineté sur les territoires, la propriété de ceux-ci ainsi que les droits d’exploitation du pays, à l’exclusion de toute autre personne ou institution. Le texte que Vangele utilisa en 1884 différait légèrement, car l’expression « céder la souveraineté » était modifiée en « abandonner l’exercice des droits souverains ». Guillaume Casman (1854-1885), à ce moment, chef de la station de l’Équateur (Coosemans 1951a) conclura encore, en décembre 1884, trois traités dans cette région. Le bénéficiaire en fut alors l’Association internationale du Congo (AIC) (Denuit-Sommer hausen 1988: 93).

 

2. Récits sur les contacts entre les premiers Européens et les autochtones

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Au vu des nombreux faits rapportés sur les violences commises dans la région de l’Équateur, l’Administration coloniale recueillit des témoignages sur les premiers contacts entre l’Européen et l’autochtone. Ci-après, nous reproduisons deux récits.

 

2.1. « Renseignements sur les contacts entre les premiers Européens et les Baenga ». 

Le 2 juin 1930, L. Charlier, agent territorial de Basankusu, envoie au commissaire de district Jorissen (Lufungula 1986) une lettre dans laquelle il résume les renseignements qu’il a récoltés auprès de vieillards baenga sur les premiers contacts de leur peuple avec les Européens :

«  Le 1er Blanc qui arriva dans la région fut un missionnaire protestant qui s’installa à Ikau. Après lui vint un Blanc de Coquilhatville dénommé Madefu pour acheter de l’ivoire, sans résidence à Basankusu. Alors seulement arriva un représentant de Bulamatari appelé Lofembe (Lothaire, je crois) qui s’installa à Bolongo (emplacement actuel SAB à peu près), puis près de la rive gauche de la rivière Lokongo entre les villages Bolongo et Mompona. Mr Lothaire fut remplacé par Bombende auquel fut adjoint Mondjolongo35 (Peters et Termolle). Ils voulurent imposer la récolte du caoutchouc aux Baenga qui refusèrent. Ce fut alors une chasse à l’homme par les pistonniers qui en tuèrent beaucoup, entre autres le fils du chef d’Ikau. Tous les Baenga se cachèrent dans les îles et la Lopori. Puis vint un accord pour fourniture de poisson, mais au moindre manquement, les Baenga devaient payer de fortes amendes ou donner des esclaves. Un Blanc de Cie commerciale dénommé Isolona avait envoyé dans la Lopori, avec des marchandises, le nommé Wane de Boyela (Baenga). Ce dernier arriva au beach où se trouvait Isongidji de Mompona (Baenga), Wane lui vola son poisson. Une bataille s’en suivit et la pirogue d’Isongidji fut coulée. Il vint se plaindre au Blanc Bombende qui ordonna à Wane de remettre une pirogue à Isongidji. Wane refusa et menaça le Blanc. À cette époque, les Blancs construisaient une maison à l’emplacement du beach actuel de Basankusu. Comme ils retournaient à midi chez eux, ils rencontraient Engwandjala frère de Wane. Engwandjala leur montra un oiseau et leur demanda de le tuer. Sur la réponse des Blancs qu’ils n’avaient pas d’arme, Engwandjala frappa mortellement Bombende de sa lance. Mondjolongo se défendit à coups de chicotte, mais Wane accourut et le blessa d’un coup de lance. Un Mongo de Lisafa nommé Empempe l’acheva d’un coup de lance. Les missionnaires anglais prévinrent Coq d’où arrivèrent deux Blancs Longombolo et Bongena avec des soldats et ce fut une répression sans merci, quantité des Noirs furent tués. Engwandjala et Empempe furent pendus ainsi que le chef Lomama de Boyela ; Wane, arrêté dans la Lopori fut fusillé à son arrivée au beach de Basankusu. Alors ces deux Blancs partirent et furent remplacés par trois Blancs de l’ABIR: Ilombo, Moto et Bolaluma.  »

 

2.2. « Arrivée des Blancs à Basankusu»

Le second récit a été rédigé en 1954 par Bernard Linunda, alors moniteur à la mission catholique de Bokakata. Cette narration concerne l’arrivée des Blancs à Basankusu et leurs relations avec les Lilangi qui étaient sous le patriarche Wese :

«Avant l’arrivée des Blancs, nous avions un grand patriarche nommé Wese. Il avait deux frères: Iseimk’ea Linunda et Iseankoli ey’Efambe. Wese commença à interdire les guerres entre les Lilangi et leurs voisins, et devint le chef de tous les autres villages. Lorsque les Ngombe apprirent cette suprématie de Wese, ils vinrent provoquer une guerre contre lui afin de lui ravir tous les villages qui lui étaient soumis. Ayant appris les desseins des Ngombe, il ordonna aux autres villages de rester, et ne prit que les Lilangi pour contrecarrer l’incursion ngombe. Il en tua de nombreux, et parvint à repousser les survivants. C’est en ce moment qu’arriva le premier Blanc, un missionnaire protestant. On allait le contempler, car jamais vu pareil être humain. Wese qui était en guerre fut prévenu et alla lui aussi à sa rencontre. On appela ce Blanc nténdélé à cause de sa peau claire. Deux autres Blancs arrivèrent: Bomende et Bonjolongo. Ils ont maltraité beaucoup des nôtres. Lomama les tua. Après leur mort vinrent deux Blancs surnommés Moto et Ilombo. Ils vengèrent impitoyablement Bomende et Bonjolongo. À cause de cette terreur, Wese et les siens se réfugièrent à Lofale où ils ont vaincu les Ngombo. Nos gens finirent par demander la paix. Moto et Ilombo leur demandèrent de fournir assez de caoutchouc, sinon la guerre continuerait. Les gens acceptèrent malgré eux. Mais Wese n’en était pas d’accord. Il en interdit énergiquement la récolte, et vociféra : “Pourquoi le caoutchouc pour ces idiots venus chez nous? ” Il en confisqua de nombreux paniers et les brûla. Apprenant cela, les Blancs ordonnèrent à leurs soldats de combattre Wese et ses hommes: la guerre se généralisa.

Wese tua plus de soldats qu’eux ne tuèrent ses hommes. Il parvint à récupérer 10 fusils comme butin. La guerre n’avait pas encore pris fin qu’un autre Blanc, Iseongembe, arriva. Il surchauffa les esprits et la guerre devint plus atroce. Les gens inventèrent un fétiche appelé ikakota qui les rendrait invulnérables aux balles. Un Blanc Mpaka vint de Kinshasa, et signa l’armistice avec Wese. On tomba d’accord sur la fourniture de caoutchouc contre paiement, et la guerre prit fin à cause du Blanc Mpaka.

Malgré cela, si on ne fournit pas la quantité maximale, les Blancs vont tuer le chef du village. Voyant que son frère Bonengo est tué, Wese prend fuite dans la forêt, et interdit la fourniture du caoutchouc. Un Blanc, Lofembe, résidant à Mbandaka envoya un émissaire auprès de Wese pour l’apaiser. Car faire la guerre avec lui, c’est décimer sa population. Les émissaires lui proposèrent de la réhabiliter dans ses fonctions antérieures. Ces émissaires étaient Nina, et un autre de la compagnie Bile. Non convaincu, Wese s’enfuit vers Ikelemba. Les Blancs supplièrent sa mère et ses frères Iseimeka et Iseankoli de la faire revenir pour son investiture. Wese revint et redevint le grand patriarche des Basankusu. Malgré cela, Liyoko dut faire face à beaucoup d’ennuis de la part des Blancs. »

Précisons encore que le mot « nténdélé » peut référer à « mondele » ce qui signifie « le Blanc » ; il est possible qu’il s’agit d’une déformation du nom de Henri Morton « Stanley ».

 

3. Les régimes foncier et commercial

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Maison coloniale - 1930?

 

Le 1er  juillet  1885, l’Administrateur général Francis de Winton (1835-1901) (Coosemans 1951c ; Luwel 1964) proclama, à Vivi, la constitution de l’EIC. Il tint, entre autres, des propos dont les effets sur la population de l’équatoriale ne tardèrent pas :

«Un décret du Souverain invitera incessamment tous les non-indigènes qui possèdent actuellement ou occupent actuellement, à un titre quelconque, des terres situées sur le territoire de l’État indépendant du Congo, à faire une déclaration officielle indiquant ces terres et à soumettre à l’examen et à l’approbation du Gouvernement les contrats et les titres en vertu desquels ils les occupent.

Le décret a pour but d’assurer, dans les formes qui seront prescrites, la reconnaissance des droits acquis, et de permettre l’organisation régulière, dans un avenir prochain, de la propriété foncière dans ledit État. En attendant, pour éviter des contestations et des abus, l’administrateur général, autorisé à cet effet par le Souverain, arrête :

1. À partir de la présente proclamation, aucun contrat ni convention passé avec les indigènes pour l’occupation, à un titre quelconque, de parties du sol, ne sera reconnu par le Gouvernement et ne sera protégé par lui, à moins que le contrat ou la convention ne soit fait à l’intervention de l’officier public soumis par l’administrateur général et d’après les règles que ce dernier tracera dans chaque cas particulier.

2. Nul n’a le droit d’occuper sans titre des terres vacantes ni de déposséder les indigènes des terres qu’ils occupent; les terres vacantes doivent être considérées comme appartenant à l’État » (Boelaert 1956: 3).

L’État du Congo s’appropriait des forêts dites « vierges », où les indigènes n’auraient jamais pénétré. Du point de vue juridique, l’interprétation était sans équivoque. L’article premier ne reconnaissait plus légalement aux indigènes le droit de concéder ou de céder l’occupation de quelque partie que ce soit du sol congolais, soit à titre de propriétaire, soit à titre d’usage, sans l’intervention de l’EIC. Le deuxième article déclarait les terres vacantes terres domaniales, défendait de les occuper sans titre légal et interdisait de déposséder les indigènes des terres qu’ils occupaient (Boelaert 1956a : 4).

À ce propos, toute une série de décrets et d’ordonnances suivit. Ils prescrivirent comment les non-indigènes devaient faire la demande ou procéder pour l’enregistrement de leurs parcelles et de leurs terrains. Puis, le rôle du conservateur des titres fonciers fut expliqué jusqu’au moindre détail. Il fut également question de la taxe d’enregistrement, des tarifs des frais de mesurage, de la délivrance du certificat d’enregistrement, des frais d’entretien des topographes et de leurs aides, de la commission de vérification des demandes d’enregistrement des terres, etc. (Bulletin officiel de l’EIC 1885 ; 1886a ; 1886b; 1886c ; 1886d; 1886e).

Mais en même temps, Léopold II et son administration congolaise se montrèrent habiles, certaines dispositions paraissant protéger les indigènes. Ainsi le second article d’un décret du 14 septembre 1886 stipulait :

«Les terres occupées par des populations indigènes, sous l’autorité de leurs chefs, continueront d’être régies par les coutumes et les usages locaux. Les contrats faits avec les indigènes pour l’acquisition ou la location de parties du sol, ne seront reconnus par l’État et ne donneront lieu à enregistrement qu’après avoir été approuvés par l’administrateur général du Congo. Celui-ci pourra déterminer les formes et les conditions à suivre pour la conclusion desdits contrats. Sont interdits tous actes ou conventions qui tendraient à expulser les indigènes des territoires qu’ils occupent ou à les priver directement ou indirectement de leur liberté ou de leurs moyens d’existence » (Bulletin officiel de l’EIC 1886d).

Le décret du 27 février 1887 régla la situation des sociétés commerciales, tant celles constituées dans le territoire congolais que celles créées à l’étranger avec des succursales au Congo. L’article premier stipulait que ces entreprises constituaient des individualités juridiques distinctes de celles des associés. À son article deuxième, les actes d’entreprise devaient être, à peine de nullité dans les six mois de leur date, déposés en copie et par extrait au greffe du tribunal de 1re instance. Ils devaient être publiés au Bulletin officiel et toute modification aux actes de société devait, à peine de nullité, être déposée, comme les actes eux-mêmes, et publiée dans le même Bulletin officiel de l’EIC (1887a).

Pour rappel, toutes les sociétés commerciales constituées légalement et ayant leur siège en pays étranger pouvaient faire leurs opérations et ester en justice au Congo. Des sociétés étrangères, qui voulaient fonder au Congo une succursale, un comptoir ou un siège quelconque d’opérations, étaient tenues, dans les six mois de la fondation de cet établissement, de déposer un extrait de leurs actes constitutifs contentant, outre toutes les indications précitées, la désignation des personnes préposées à l’établissement au Congo, et de faire élection de domicile dans l’EIC. Celles qui avaient une succursale, un comptoir ou un siège d’opérations au Congo, devaient faire ce dépôt dans les six mois de la promulgation de ce décret. Très important, ce décret précise que « […] aucune société ne pourra posséder ou acquérir plus de 10 000 hectares de terres sans une autorisation expresse » (Bulletin officiel de l’EIC 1887a).

En ce qui concerne les maisons commerciales, une ordonnance du 30 juin 1887 détermina les conditions auxquelles elles pouvaient occuper des terres situées dans le Haut-Congo, en amont du Stanley Pool :

«Les non-indigènes qui veulent fonder des établissements commerciaux ou agricoles dans le Haut-Congo en amont du Stanley Pool pourront, sans autorisation préalable, prendre une superficie de terre non encore occupée, n’excédant pas 10 hectares et n’ayant pas plus de 200 mètres de rive le long du Congo, ou d’un autre cours d’eau navigable. Jusqu’à une distance de 500 mètres, à partir de la rive, le terrain ne pourra pas avoir plus de 200 mètres de largeur. Ils devront éventuellement faire avec les indigènes les arrangements nécessaires pour s’assurer une paisible occupation du sol et pour prévenir des conflits ou des hostilités. Ils sont tenus d’indiquer soit par des poteaux, des bornes, des fossés ou des clôtures, soit de toute autre manière apparente, les limites des terres occupées par eux» (Bulletin officiel de l’EIC 1887b).

Émile Banning (1836-1898) fut un des rares Belges à élever la voix contre cette vision réductionniste de Léopold II au sujet du régime foncier (Walraet 1948). L’ancien directeur général au ministère des Affaires étrangères s’opposa à ce que l’on considère comme terres vacantes, toutes celles qui n’étaient pas occupées par les indigènes, c’est-à-dire bâties ou cultivées. Une telle théorie était, selon lui, une véritable violation du droit naturel consacré par la législation même de l’État, car elle enlevait aux indigènes la libre exploitation des forêts et des savanes qui étaient le bien commun de leurs peuples, leur propriété ou, tout au moins, sur lesquelles ils avaient des droits d’usage. Elle était, en outre, poursuivait-il, manifestement contraire à l’esprit qui animait les signataires de l’acte de Berlin. Il précisa qu’en concédant le pouvoir politique à l’EIC dans le bassin du Congo, ils ne voulaient pas déposséder, au profit exclusif de celui-ci, les peuples indigènes de leurs droits sur leur sol naturel héréditaire (Gossart1920: 70).

Le Gouvernement britannique considéra l’interprétation donnée par le Gouvernement congolais à sa politique d’occupation comme étant trop restrictive et ses applications trop rigoureuses. À son avis, l’Administration congolaise ne voulait pas fixer de manière sérieuse les caractères propres des droits originaires indigènes (Livre blanc 1908 : 9-10).

À partir de la fin 1889, le Gouvernement congolais imposa des restrictions quant à l’exploitation des produits d’exportation les plus importants. Il instaura, dans le domaine économique, une politique de concession. Par le décret du 17 octobre, il régla les conditions auxquelles pouvait se faire l’exploitation du caoutchouc, de la gomme copal et des autres produits végétaux dans les terres où ces substances n’étaient pas encore exploitées par les indigènes et qui faisaient partie du domaine de l’État, notamment dans les îles situées dans la zone comprise entre Bolobo et l’embouchure de l’Aruwimi et dans les forêts s’étendant dans cette zone le long du fleuve et de ses affluents.

 

4. Le temps des mains coupées

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En mars  1890, le lieutenant Hubert Lothaire (1865-1929) arriva aux «Bangalas » dirigés alors par le commandant Ernest Baert(1860-1896) (Engels 1948c ; Coose-mans 1948b). Il accompagna celui-ci pendant une reconnaissance de la Lulonga. Au cours de ce voyage fut fondée, en octobre 1891, la station de Basankusu. Lothaire en prit le commandement, le 26 mai 1890, et commença à explorer, en les remontant jusqu’à leurs sources, les rivières Maringa et Lopori. Selon la Biographie coloniale belge, l’occupation de la région par Lothaire se fit non sans difficulté. Pendant dix-huit mois, il parcourut le pays, nouant des relations avec les populations et s’efforçant de mettre un terme à leurs guerres intestines. Il rentra à NouvelleAnvers le 17 novembre 1891 (Engels 1948c).

À noter que dans l’Équateur, l’exercice de la violence fut intense, à l’époque de Lothaire. Celui-ci fit l’exploration des rivières de cette région afin de trouver, ou plutôt de capturer, des « libérés ». Il initia dans l’Équateur la politique de la chasse à l’homme et à l’ivoire : «En octobre 1891, Lothaire remet le poste à Peters qui continue la politique de son prédécesseur: la chasse aux hommes et à l’ivoire. Il envoie des chefs indigènes ou des soldats dans Maringa et Lopori pour lui acheter esclaves et marchandises. Et bientôt s’y ajoute le caoutchouc. Seulement, ici les riverains ne sont plus contents et ce fut une chasse à l’homme par les pistonniers qui en tuèrent beaucoup» (Boelaert 1956b: 202-203).

C’est le 18  octobre qu’Hubert Lothaire remit le commandement de la station de Basankusu à Oscar Peters (1867-1893), sous-lieutenant de la Force publique (Lacroix 1952b).

Pour rappel, les Européens du district de l’Équateur s’adonnaient à l’achat d’esclaves. Ils disaient avoir reçu des instructions dans ce sens. «Recruter » des jeunes gens avait la même signification que les « acheter » et ces recrutements ou achats se transformaient parfois en des prises d’otages pures et simples à la suite d’expéditions punitives. Edmond Boelaert écrit à ce propos :

« Il (Fiévez) commence immédiatement par l’imposition du caoutchouc. Et pour augmenter la production, il faut occuper le pays […] Mais il faut aussi des soldats, des travailleurs, des enfants. Et pour en obtenir, il y avait plusieurs procédés. On envoyait des expéditions commerciales par les rivières pour acheter des esclaves ou capturer des gens. On s’en faisait remettre à titre de rançon ou d’otages. Ou l’on envoyait des expéditions punitives vers l’intérieur. Tout le butin obtenu par ces procédés divers: hommes, femmes et enfants, c’était des “libérés” qui servaient à remplir les camps d’instruction, les camps des travailleurs et les colonies d’enfants, et tous ces libérés rapportaient des primes. Mais rien d’étonnant à ce que les envoyés du Blanc, soldats et autres, voulurent profiter eux aussi du système, capturant enfants, femmes et filles pour eux-mêmes ou pour leur famille. Cet odieux trafic humain continua encore du temps du successeur de Fiévez, Sarrazyn […] »  (Boelaert 1956b).

En décembre 1890, le lieutenant Charles Lemaire (1863-1925) (Laude 1951) fut désigné pour assurer la direction du nouveau district de l’Équateur. Il transféra la station d’Équateurville (Wangata), fondée au confluent de la Ruki et du Congo, sur la rive gauche de la Ruki, dans le village du chef Boyera. En souvenir du vice-gouverneur général Camille Coquilhat, décédé à Boma le 24 mars de cette année, Lemaire proposa de donner au chef-lieu du district le nom de «Coquilhatville ».

Charles Lemaire fit de nombreuses reconnaissances des cours de rivières comme la Ruki, la Momboyo, la Busira, la Lulonga, la Lopori, l’Ikelemba, etc. De multiples notes rédigées avaient souvent une importance géographique, botanique et ethnographique. On lui doit également des informations hydrographiques sur le lac Ntomba. Ses carnets de route conservés au MRAC ont déjà fait l’objet d’analyse de la part de Daniel Vangroenweghe. Ses activités se regroupèrent en quatre catégories: la pacification, les reconnaissances, le transfert du poste de Wangata (Équateurville) à Coquilhatville ; le caoutchouc (Vangroenweghe 1986).

Charles Lemaire organisa au total treize expéditions punitives, afin de soumettre les villages avoisinants de Coquilhatville. L’utilisation de la force brutale était, pour lui, chose banale. Quand, le 18 mars 1891, il convoqua les chefs de Wangata, il leur fit comprendre que «Bula Matari, le chef de tout le pays », c’est-à-dire Léopold II, l’avait envoyé pour faire un grand village (Coquilhatville). Il prévint que ceux qui ne voulaient pas être ses amis « auraient la guerre ». Tous les quatre jours, expliqua-t-il, les villages d’amont et ceux d’aval, à tour de rôle, devraient venir à la station pour tenir marché. Ils avaient la charge de nourrir ses hommes. Il précisa qu’il payerait un mitako pour trois œufs et que chaque village fournirait à son tour une dame-jeanne de masanga (vin de palme) gratuitement (Vangroenweghe 1986 : 14-16).

Le titre du récit manuscrit de Charles Lemaire est significatif: Palabres diverses dans le district de l’Équateur. Carnet de notes prises du 18 mars 1891 au 27  mai  1893. À dire vrai, le mot «palabre » est un euphémisme pour le terme « guerre ». Et certains chefs vinrent faire acte de soumission. Le 16 mai 1891, ce fut le tour du chef Ikengo, pour qui Charles Lemaire fixa « le paiement de l’indemnité de guerre » comme suit: quatre hommes et une femme à libérer; 5000 mitakos; 500 bambous (dont 200 à fournir dans un délai de 5 jours) ; quatre chèvres; deux moutons; huit canards (Vangroenweghe 1986 : 26-27).

D’après une étude du père Honoré Vinck, missionnaire qui vécut à Bamania, Charles Lemaire enregistra (durant une période de deux ans) neuf localités se situant sur le terrain de l’actuel Mbandaka, qui furent « visitées » par une expédition punitive. Le résultat en fut au moins 24 morts pour les villageois et deux pour la station, de nombreux blessés et des villages brûlés. Après chaque expédition, un « tribut de guerre » était exigé. Pour les cas mentionnés dans le journal de Charles Lemaire, on arriva au résultat suivant: 36 hommes « libérés », au moins 6500 mitakos, 22 chèvres, 118 poules et dix paniers de caoutchouc. Des bambous et des quantités de chikwangues furent aussi souvent imposés. Les villages de la rive droite souffrirent davantage : Bonkombo fut attaqué trois fois, Mpombo et Nkoto deux fois, Bakanga et Lukumbi une fois. Généralement, ces incursions se terminaient avec une demande de paix et, peu après, par l’échange de sang et le paiement d’un tribut (Vinck 1992).

Charles Lemaire était convaincu que pour assujettir les autochtones, la violence se justifiait. Lors de la rébellion d’Ipeko, il nota dans son carnet, le 19  août  1891 : «Ce n’est que lorsqu’Ipeko aura été brûlé que le calme se rétablira […] Les vivres pour Noirs ont diminué. Il est temps que la correction nécessaire soit infligée aux rebelles » (Vangroenweghe 1986 : 36).

Mais Charles Lemaire entra également dans l’histoire congolaise comme chasseur et trafiquant d’hommes. À cette époque, l’Administration congolaise ne cessait de se vanter de mener une campagne antiesclavagiste afin de « libérer » les indigènes des mains des esclavagistes arabes et autres. À dire vrai, ces « libérés » ne changeaient que de maîtres et gardaient, auprès des Blancs, le statut d’« esclaves ». Ces « libérés » payaient leur liberté par un service de sept ans renouvelables. Divers documents contemporains s’accordent à dire que la vie de ces soi-disant libérés n’était pas enviable du tout.

Ultérieurement, en 1907, Charles Lemaire expliqua comment l’achat de ces « libérés » se faisait et les abus qui se produisirent :

«Lorsque j’étais commissaire de district de l’Équateur (1890-1893), on avait tout loisir de se faire la forte sorte (solde ?), rien qu’en achetant des libérés. Un libéré était un homme destiné à servir l’État pendant 7 ans; il devait être bien constitué, en état de porter les armes, etc.

Pour l’acheter – car avant d’être libéré, c’était un esclave que son maître mettait en vente – pour l’acheter, donc, on pouvait dépenser cent francs (valeur d’Afrique) d’articles d’échange. Il y avait alors trente francs de gratification, pour le “libérateur”, lequel était un agent de l’État, souvent commissaire de district, voire inspecteur d’État.

Même l’autorisation d’acheter des libérés pour le compte de l’État fut accordée à des commerçants, et certains commissaires de district furent invités officiellement à fournir à ces commerçants des armes et de la poudre d’après les ordres qui leur seraient transmis de Boma [sic]. J’en ai la preuve en main.

Donc on pouvait aller jusqu’à cent francs pour “libérer” un esclave. Si on n’atteignait pas ce prix limite, on bénéficiait de la moitié de l’économie faite. Ainsi lorsqu’un commissaire de district libérait un homme pour 60  francs, ce commissaire touchait d’abord la prime fixe de 30  francs; puis la moitié des 40  francs économisés, soit 20 francs; en tout 50 francs. Quand on libérait un esclave sans dépenser pour cela un “fifrelin”, on touchait 30 francs de prime fixe, plus 50 francs de part sur le bénéfice fait, soit au total 80 francs. En libérant 100 esclaves dans ces conditions, on s’assurait un “petit bénéf ” de 8000 francs.

Et ce n’était pas seulement pour les libérés que l’on touchait des primes. Il y en avait pour le caoutchouc, pour les plants de caféiers arrivés à 75 centimètres de hauteur, etc.

En ce qui me concerne – et je ne fus pas le seul à protester énergiquement –, je demandai au Gouvernement de passer à mes sous-ordres les primes qui pourraient m’être dues. Mais ce système de primes ne put être maintenu; l’Allemagne intervint pour les faire supprimer. On les remplaça par des “allocations trimestrielles”, allouées aux agents dont on était satisfait » (Lemaire 1907 : 1).

Ces horreurs et ces barbaries se produisirent dans une large partie du Congo. Les autorités politiques n’ignoraient pas ces faits. Théophile Wahis (1844- 1921) (Dellicour 1948), vice-gouverneur général faisant fonction, jugea opportun d’envoyer, le 12 décembre 1891, aux chefs d’expédition, aux commissaires de district et aux commandants de la Force publique la circulaire suivante :

«Les rapports tant écrits que verbaux que j’ai reçus, surtout dans le Haut-Congo, établissent que les chefs d’expédition emploient comme moyen de répression l’incendie des villages hostiles. L’effet ainsi produit est en réalité peu considérable, les abris brûlés sont vite rétablis et nous sommes loin d’avoir donné aux populations une haute idée de notre force et de notre valeur. Ce n’est pas par des vexations de ce genre qu’on obtient les soumissions, on ne fait, au contraire, qu’entretenir les inimitiés. Il faut que nos troupes prennent l’habitude de respecter, même en temps d’hostilités, l’habitation de l’indigène et tout ce qui lui appartient. Les chefs des petites expéditions, sachant qu’ils n’auront plus à enregistrer comme un succès l’incendie de quelques cases, s’attacheront d’avantage à obtenir de vrais résultats, en combinant habilement leurs marches de manière à atteindre et à punir les coupables. Chaque fois qu’une répression est nécessaire, elle doit être très énergique et de nature à produire une impression durable, mais sans vexations inutiles. En agissant ainsi, notre considération vis-à-vis des indigènes augmentera et ils se soumettront facilement à des hommes plus forts, plus habiles et plus généreux qu’eux»  (Wahis 1891).

Le document susmentionné confirma l’habitude qu’avaient prise de nombreux agents et militaires européens d’incendier les villages indigènes. Ils ne se gênaient pas non plus de fouetter et de pendre ou de fusiller des villageois pour le moindre motif. Promu entre-temps gouverneur général, Théophile Wahis estima nécessaire, le 28 juin 1893, de consacrer une circulaire à ce problème :

«À différentes reprises, j’ai eu le regret de constater que les tribunaux territoriaux ou les tribunaux militaires prononçaient des peines non prévues par nos lois. Sous prétexte qu’il fallait un exemple, des condamnations à mort ont même été prononcées, alors que la loi ne comminait pas cette peine. J’attire toute votre attention sur l’illégalité grave d’actes semblables, et vous prie à vous rappeler que vous ne pouvez en aucun cas vous ériger en législateurs. Juges, vous devez expliquer la loi et ne pas donner l’exemple de la (mot illisible) de nos dispositions pénales. Au cas où celles-ci vous sembleraient insuffisantes, vous auriez à me soumettre vos vues à ce sujet, et non pas à appliquer des peines arbitraires, qu’elles soient légères ou sévères. Les instructions aux commissaires de district contenues dans le recueil administratif […] vous indiquent d’ailleurs clairement vos devoirs à ce sujet […] » (Wahis 1893).

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La peine du fouet. (HP.1953.49.393, collection MRAC Tervuren; © MRAC Tervuren.)

De nombreux fonctionnaires et militaires vivaient dans un sentiment d’impunité complète ; ils croyaient pouvoir punir à leur guise les indigènes. Ainsi en fut-il de Victor Fiévez, qui se rendit tristement célèbre. Dans une lettre du 8 janvier 1896 adressée depuis Matadi par l’abbé Émile Behiels (1868-1935) (Coosemans 1952a), prêtre-aumônier au Chemin de fer Matadi-Kinshasa, à son évêque Mgr Antoine Stillemans (1832-1916) (De Meulemeester 1956) du diocèse de Gand, celui-ci déclarait: «On dit que dans le Haut-Congo il y a une prime pour les pieds et les mains coupés à des Noirs, si je ne me trompe, qui ne livraient pas le caoutchouc. On raconte aussi couramment que Mr Fiévé [sic: Fiévez] à l’Équateur a tué 1300 Noirs pour obtenir du caoutchouc. En un mot, Monseigneur, l’opinion générale est qu’il se passe des choses affreuses dans le Haut-Congo» (Archives Évêché de Gand Lettre de E. Behiels à Mgr Stillemans, 8 janvier 1896).

Dans la mémoire collective, Victor Fiévez devint le «diable de l’Équateur ». Après le meurtre du lieutenant César Peters (1867-1893) et du commis Lucien Termolle (1860-1893) à Basankusu, le 16 janvier  1893, il avait dirigé une « grande guerre », au cours de laquelle il avait tué plusieurs indigènes et capturé cent hommes, qu’il incorpora dans la Force publique (Lacroix 1952c et 1952d). Il fut décrit comme le plus monstrueux de tous les Blancs de l’époque des pionniers de l’œuvre léopoldienne au Congo. Ci-après quelques-unes de ses interventions :

« Il créa à Bokena des maisons pour ses soldats, des plantations de café, de cacao, de riz, de patates douces, d’arachides (njoko). Il créa un marché pour le ravitaillement en chikwangues, poisson et huile par les indigènes bakongo, bobau et bokongo. Finalement, il livra des guerres partout, de sales batailles. À tous les cadavres tués au champ on devait couper les mains. Il voulait voir le nombre de mains coupées par chaque soldat qui devait les rapporter dans des paniers. Tous les soldats faisaient ainsi.

Après cela, il ordonna la récolte du caoutchouc à tous les indigènes. Le village qui refusait de fabriquer le caoutchouc sera complètement balayé. J’ai vu, étant jeune, le soldat Molili, gardant alors le village Boyeka, prendre une grande nasse, y mettre dix indigènes arrêtés, attacher de grosses pierres à la nasse et la faire basculer au milieu du fleuve. Molili faisait comme cela, Losanja aussi. Waka et Ngondo, eux coupaient la tête à leurs condamnés. La création du caoutchouc a causé assez de malheurs, c’est pourquoi nous ne voulons plus entendre parler de ce nom. Les soldats obligeaient les enfants mâles adultes de tuer ou de violer leurs propres mères et sœurs »  (Boelaert 1952: 58-59).

Dans une lettre envoyée à son ami Steyaert, président du tribunal de première instance de Gand, le 16  février  1895, le magistrat Marcellin De Saegher (1858-1896) reproduit quelques lignes d’un rapport officiel dans lequel Fiévez racontait qu’il était parti le 18 novembre 1894 faire le nécessaire pour l’installation du domaine privé de la Busira. De Saegher écrivait ensuite : 

«Fiévez a tué une première fois 959 (neuf cent cinquante-neuf) indigènes et fait 200 prisonniers dont la moitié des enfants de 4 à 10 ans (ceux envoyés aux PP jésuites peut-être, du moins ils les recevront). Pour vous imaginer quelle boucherie, songez que nous n’avons eu que 3 morts et 10 blessés. Peu de jours après 145 indigènes tués – 1 soldat tué, 2 blessés. Puis tués indigènes 59. Puis le commissaire de district conclut, et je résume : on a tiré 2838 cartouches (il veut montrer qu’il a été économe parce qu’une circulaire se plaint qu’on tire trop de cartouches pour rien) et 1346 tués indigènes. On a ravagé 162 villages, brûlé les habitations et coupé les plantations pour réduire les populations par la faim. Pratiquement, les chefs ont promis de fournir par mois 1562 charges de 15 kilos de caoutchouc. Mais ajoute-t-il, il n’y faut pas trop compter parce que les résultats de la guerre ont été insuffisants pour arriver à une paix durable c’est-à-dire la fourniture régulière du caoutchouc promis. 

Bien se mettre dans la tête que ce n’est pas un fait isolé – mais le système appliqué dans tous les districts – seulement, je n’ai pu prendre de renseignements que dans un seul rapport. Voici comment ce rapport dit “Un homme a posé un acte d’indiscipline, c’était un caporal, je l’ai fusillé”. On a envoyé le rapport à la direction de la justice pour avis si l’exécution est légale !!!

Ne pas oublier que tous ces rapports pareils vont chaque mois à Bruxelles et que ces messieurs sont non seulement maintenus, mais félicités et qu’à leur rentrée ils touchent des 50 000 à 100 000 francs de prime et davantage – et des décorations »  (Maréchal 2005: 45-46).

Victor Fiévez fit l’objet d’accusations véhémentes concernant les atrocités commises vers les années 1895-1896. Rentré définitivement en Belgique, en novembre  1899, il reprit du service dans l’armée métropolitaine. En mai 1900, il réagit à ce qu’il appela les calomnies dont il était victime (Fiévez 1900).

Le sous-lieutenant Knud Jespersen (1873-1941), d’origine danoise, fut chargé, lors de son premier séjour au Congo, de janvier 1898 à avril 1901, de la gestion de la région de la Momboyo, un affluent de la Tshuapa. Il fonda des stations comme Mbala-Londji, Waka, etc. (Jorissen1958). Il laissa un carnet de route dans lequel il avait enregistré ses voyages durant la période de 1898 à 1908. Ce journal constitue une réelle observation documentaire du système d’exploitation à l’époque de l’EIC. Il raconta, notamment, comment, au poste de Mbala-Londji, les populations environnantes désertaient leurs villages après avoir brûlé elles-mêmes leurs habitations. Cela avait entraîné une grave pénurie de vivres pour lui et ses 150 soldats. Il expliqua aussi comment l’occupation se fit effectivement. Un gradé noir, chargé du commandement, était installé avec deux ou trois soldats, tous armés de fusils Albini, dans le principal village ; un soldat ou plusieurs, selon l’importance des agglomérations, était établi dans les autres villages. Seuls le caoutchouc et l’ivoire intéressaient les représentants de l’État, quasi libres d’agir à leur guise ; il n’y avait pour ainsi dire aucun contrôle supérieur.

Les troupes de l’EIC se conduisaient avec cruauté et arbitraire (Hulstaert 1980 : 1-2).

Dans le journal de Jespersen, on apprend que lorsque la première livraison de caoutchouc par les soldats venus des villages occupés se termina, les villageois furent payés par le chef de poste, qui donna l’ordre à Jespersen de contrôler quelques hottes placées à l’écart et de distribuer à chaque soldat deux cartouches. Des hottes vidées sortirent une cinquantaine de mains humaines boucanées, de toutes grandeurs. D’après les règles de l’époque, chaque cartouche manquante devait être justifiée par une main humaine. Un grand nombre provenait de cadavres de guerriers tombés au combat, mais il y avait également beaucoup de mains d’enfants, de femmes et de vieillards (Ibid. : 3-4).

Les soldats, parfois aidés de jeunes autochtones avides d’aventures et de moyens faciles pour acquérir une dot en vue du mariage, partaient alors à la recherche des fugitifs. Ces auxiliaires furent appelés des « etafenjolo-bitafenjolo » (en lomongo: branches fortes) ou «njakala » (du kikongo: nsakala ?). Les fugitifs se groupaient généralement à l’intérieur des forêts dans des nganda, ou campements temporaires, pour la pêche ou la chasse. Les soldats et leurs auxiliaires les rattrapaient. Ils expédiaient des pirogues chargées de butin et de prisonniers adolescents et de jeunes femmes, dans le but de les vendre ou de les faire travailler pour eux dans leur village d’origine. Jespersen surnomma ces soldats massacreurs et incendiaires des «Vikings noirs ». Dans les villages, on trouva des pieux ornés de crânes humains, souvePrisionnier décédé porté par d’autres prisonniers. (AP.0.2.10792, collection MRAC Tervuren; photo S.?Molin, 1930, ©?MRAC Tervuren.) nirs des ennemis ou esclaves tombés ou mangés (Hulstaert 1980 : 5-6).

 

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Prisionnier décédé porté par d’autres prisonniers. (AP.0.2.10792, collection MRAC Tervuren; photo S.?Molin, 1930, ©?MRAC Tervuren.)

Symptomatique fut le cas du lieutenant Alphonse Engels (1880-1962), entré au service de l’EIC en 1906. Il fit dix séjours au Congo. Il commença sa carrière coloniale dans le district de l’Équateur, où il participa à la «pacification» et à l’organisation des territoires riverains du lac Ntomba. Il fut chef de 1re classe avec résidence principale à Bokatola. En 1911, après un congé en Belgique, il fut affecté de nouveau au district de l’Équateur, pour ériger celuici en zone dite de la Maringa-Lopori, devenue ultérieurement le district de la Lulonga (Jadot 1968). En 1910 et 1911, Alphonse Engels publia, en quelques livraisons, dans La Revue congolaise, un document ethnographique sur les Wangata. Il s’étendit non seulement sur les habitants, mais aussi sur leur pays, leur vie matérielle, leur vie économique, leur vie familiale, leur vie politique, leur vie religieuse, leur vie esthétique, leur vie intellectuelle, « les phénomènes juridiques », etc. Le but de l’auteur était de présenter l’ancienne vie traditionnelle des Wangata. Quelques fois, il se référa à la réaction des Wangata vis-à-vis de la présence blanche dans leur milieu, essayant de démontrer que le Blanc était généralement bien aimé par les autochtones : 

«Le Wangata ne salue pas le Blanc à la façon indigène : il imite gauchement le salut militaire en portant la main au front. Pour que l’Européen soit salué à la façon indigène, il faut qu’il soit connu et aimé des populations. Il n’est pas difficile d’acquérir l’affection de ces braves Wangata, car ils ne nourrissent aucun mauvais sentiment à notre égard et, s’ils détestent certains Blancs, ce n’est pas parce que blancs »  (Engels 1910: 450).

Le lieutenant Engels signalait, de temps à autre, la transformation de la vie des Wangata due à la pénétration européenne : depuis cette époque, ils ont commencé à porter des étoffes européennes; ils vont au «marché du jeudi » organisé à Coquilhatville depuis la fondation de cette station; il y a eu récemment l’introduction du numéraire… Il constatait, par ailleurs, que la pénétration des idées européennes avait modifié considérablement l’état social et politique du Wangata.

« […] le Blanc a exigé des chefs, il en a créé. Soutenus par l’influence européenne, ceux-ci ont acquis une certaine autorité, mais c’est un pouvoir qui agit à côté du pouvoir indigène ; il ne s’est pas confondu avec lui, il ne lui est pas non plus absolument opposé.

La question de l’organisation politique chez les Wangata est des plus délicates. Nous sortirions de notre rôle en faisant la critique du système actuel issu des efforts de l’État pour organiser le pays, mais cette question est majeure ; elle intéresse non seulement les Wangata, mais une grande partie du district de l’Équateur, davantage même peut-être […]

De tribu à tribu, de village à village, la guerre a cessé ; d’homme à homme, les différends sont portés devant l’ancienne autorité ; mais il existe aujourd’hui une juridiction d’appel: c’est le Blanc. Tous les jours, magistrats et fonctionnaires territoriaux ont à juger – à arbitrer – de nombreux différends […] Dès qu’un Wangata a un différend, il va à Coquilhatville trouver un magistrat ou un fonctionnaire territorial. Au point de vue de la civilisation, c’est un pas immense fait en avant. Certain d’être entendu par un juge impartial, le Wangata, qui n’est pas batailleur, préfère user des moyens de conciliation […] Pour arbitrer un différend, il n’est pas nécessaire de se baser sur la coutume indigène : il suffit de se baser sur les principes de justice et d’équité, connus des Wangata comme des Belges.

Quoi qu’il en soit, il faut constater les excellents résultats qu’a amenés indirectement l’immixtion de l’Européen dans les affaires privées du Wangata. Le Wangata est convaincu que, pour obtenir justice, il est plus sage et plus avantageux de recourir au Blanc que d’user de violence. Aussi en comparaison des régions plus éloignées, on peut affirmer que les crimes et les délits de toute nature ont considérablement diminué. L’Européen est bien accueilli par les Wangata et ses voisins les Indjolo et les Bofidji, qu’il soit fonctionnaire ou missionnaire, commerçant ou voyageur; c’est le Blanc : il n’a pas de traitement différentiel, tout au plus apportera-t-il avec plus d’empressement des vivres au Blanc qui possède des galons et qui voyage sous belle escorte […] » (Engels 1911: 111-112).

C’est une image de l’homme blanc juste et équitable, en qui les indigènes wangata ont toute confiance, que le lieutenant Engels fournit ci-dessus. Il n’est donc pas du tout étonnant de le voir proposer, pour la Biographie coloniale belge, des notices quasi hagiographiques sur Hubert Lothaire, Gustave Sarrazyn, Paul Le Marinel et autres anciens «pacificateurs » de la région de l’Équateur. Pourtant la Belgique jugea nécessaire de fonder un Comité de protection des indigènes !

 

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Pesée des récoltes de caoutchouc à Basankusu par un agent ABIR.

 

 

5. Le temps des révoltes «Ikakota » et «Indongo »

La période de l’occupation de l’Équateur et du caoutchouc fut caractérisée par une accumulation d’événements tragiques. Les missionnaires du SacréCœur de Jésus, arrivés dans la région en 1925 et remplaçant les trappistes, firent, à ce sujet, des enquêtes dans la région, qui confirmèrent l’existence de conflits sanglants. Les villageois se souvenaient que le premier bateau passé à Ingende appartenait à «Bokukulu», le surnom attribué à la SAB. Deux indigènes, Bokongo et Mbeka, qui avaient voulu l’arrêter avaient été tués. Plus tard, quand des ouvriers de Bokukulu étaient descendus à Coquilhatville (Mbandaka), les indigènes de Mpama avaient assassiné trois de leurs hommes. Bokukulu en avait appelé à l’État, qui avait envoyé Victor Fiévez. Assisté du lieutenant Gustave Sarrazyn, celui-ci avait étendu rapidement l’autorité de l’État jusqu’aux limites de l’immense district, « châtiant les rebelles et les anthropophages extrêmement nombreux, pacifiant la région du Ruki et de ses affluents, ainsi que celles du lac Tumba, qu’il explora en poussant jusqu’au lac Léopold II » (Boelaert 1947 : 1947).

Dans l’édition de juin-août 1912 de la revue Onze Kongo, le père Aloysius De Witte (1884-1960) évoqua l’existence d’une secte dénommée « Indongo», qui proliféra dans les bassins de la Tshuapa et de la Busira, de la Lomela et de la Salonga. Elle avait déjà traversé la rivière Momboyo et existait également au nord des rives de la Maringa. Lors de son passage à Coquilhatville, le commissaire de district, entre autres, lui avait demandé des renseignements sur cette société secrète qui l’inquiétait. Et en octobre 1911, il rencontra le chef de secteur de la Tshuapa à Ikaka-Mpesu qui lui fit part également de sa crainte que l’Indongo ne puisse perturber un jour l’ordre public. L’État voulut tout savoir sur cette secte afin de mieux connaître l’ennemi, en cas d’insurrection (De Witte 1912).

Le but de cette association secrète était belliqueux, selon le père De Witte. Leur devise était: «Le Congo aux Congolais ». Une fois qu’elle se serait estimée suffisamment implantée partout et assez puissante, elle aurait chassé tous les Blancs et mis un terme à l’imposition de taxes. Elle devait donc être considérée comme un mouvement anti-blanc.

Pour le père De Witte, Indongo n’était pas dangereuse, mais elle aurait pu dégénérer. Il faisait allusion au phénomène de l’Ikakota, qui était apparu au début de la présence européenne dans la région. « Ikakota» était le nom tant du bonganga, ou fétiche, ou médicament de guerre censé rendre les membres de l’association secrète invulnérables aux cartouches des fusils. La préparation de ce charme était la suivante : il fallait tout d’abord tuer un homme dont le sang et les intestins étaient jetés dans un pot. Chaque guerrier s’enduisait avec ce mélange et devenait alors invulnérable aux balles qui le touchaient pendant le combat. Le père De Witte ajouta qu’il connaissait deux chrétiens affirmant qu’à l’époque où ils étaient encore des païens, ils avaient été touchés par des balles, l’une au front et l’autre à la poitrine, sans aucune blessure. D’ailleurs, les balles étaient tombées à leurs pieds. De plus, en regardant dans le pot, les membres voyaient si le Blanc et ses soldats approchaient et connaissaient leur nombre (De Witte 1912 : 70-71).

Le père Gustave Boelaert écrivit, en 1947, un article montrant que le martyr des villageois de l’Équateur avait duré plusieurs années, jusqu’en 1902 environ. En voici un extrait :

«L’occupation des Bongili a dû se faire par deux voies différentes: l’une par les “sentinelles” de Molo, à Bolondo, l’autre par des sentinelles de “Bokatola”, Mbawanga de Bongale w’otolo, Mbunyekambi et peutêtre Ilanga de Longa, et Enyala. Cette occupation de l’intérieur par les sentinelles se fit à la manière arabe : des soldats armés de fusils occupent un village, prennent les hommes du village à leur service comme “sinjili y’akula = sentinelles à flèches” et comme “basali = travailleurs”, et rayonnent du nouveau village, portant la soumission et le caoutchouc plus loin. Mais nous n’avons aucune date sur la fondation de Bolondo ou de Bokatola […]

Il y eut des essais de révolte, résumés par les indigènes sous le nom de “ikakota”, espèce de médicament de guerre qui rendait les balles de fusil inoffensives. Il y eut des expéditions punitives: une de celles-ci, venue de Bolondo, mit les indigènes de Bonkoso et de Bongili en fuite et en rencontra une autre venue de Bokatola, près de Bongili. C’est ici que Bakutu Boniface fut fait prisonnier en 1895, Mbwamanga, chef de cette deuxième expédition, poursuit les fuyards jusqu’à Boamba, y est blessé au poignet par une lance et rentre à Bokatola avec ses prisonniers. Is’ey’Iwanga y a déjà construit une maison alors et récolté son premier riz. À Boamba les fuyards sont encore pourchassés et passent la Jwale, Ekuma, nom indigène de Loewenthal, est envoyé à leur poursuite et se fait blesser à Bokala d’Ionda. Il doit battre en retraite. Les indigènes se croient les maîtres de la situation et vont attaquer Molo à Bolondo. Malgré trois attaques furieuses, ils sont repoussés, s’enfuient de nouveau à Ionda.

Les fuyards Bongili racontent qu’ils sont restés plus d’un an dans les Ionda. Mais Bajuno est envoyé de Bokatola pour pacifier définitivement le pays. Il traverse les Bongili, soumet les Ionda en poussant les résistants devant lui. Ceux-ci passent la Momboyo et sont poursuivis jusqu’à Belondo des Boangi. Bajuno les bat là aussi et rentre à Mbala Loonje vers la fin de 1898, pour “organiser” Ionda, Boangi, Waka. Les derniers fuyards rentrent dans les Bongili, définitivement matés, et se remettent au caoutchouc.

La confusion de ces années a été extrême. Les groupes de sentinelles, laissés à eux-mêmes, massacraient trop souvent par peur, par bravade, par colère. Ils enlèvent les femmes et les enfants pour leur propre harem ou pour ceux de leur famille, se livrent à toutes espèces de cruautés et d’immoralités. De nombreux indigènes, vieillards, femmes, enfants meurent en forêt. Batswa et Nkundo se tuent entre eux, par excitement [sic: excitation] ou par faim. Des gens de la rive, qui viennent chercher le caoutchouc ici, tuent ou sont tués. Bolekela w’is’ey’Ikoko, cadet de Bosaka, quoique très vieux, à ce moment, ne voulut entendre parler des Blancs. Quand les Baseka Bolekela se soumirent, il se retira avec ses Batswa dans la forêt de Loala, entre Bongili et Ifuto et envoya ses Batswa tuer “tous les amis de Blancs”. Ils ne pouvaient épargner que les jeunes femmes, qu’ils devaient lui amener. Ainsi furent tués Bolekela w’ikuswambula et sa femme Nsongo, tandis que leur fille Bongunda fut faite prisonnière. Mbwamanga encercle le vieux Blekela et ses Batswa, les tue et emmène Bongunda, dont le fils, Bolekela Dominique, reviendra plus tard à Bongili.

La nouvelle période de caoutchouc est encore très meurtrière. Et l’on cite plusieurs cas de vieux qui se pendent par dépit et tristesse, parce que toute leur famille a péri dans cette période. Il faut avoir visité ces anciens emplacements de grands villages qui se sont rétrécis et mis ensemble, il faut avoir recherché surtout patiemment des dizaines de généalogies, pour pouvoir admettre comment ces quelques années ont pu réduire un peuple entier et lui enlever toute joie de vivre, créer ce “traumatisme psychique” dont parle le Dr Schwers comme la cause primaire de la dépopulation. “L’arrivée des soldats nègres a donné à l’organisation familiale le premier coup, qui fut un coup presque mortel”, dit le P. Hulstaert. Il faut avoir vu pleurer les survivants de ces temps sur leur famille disparue, tel ce bon vieux Indombe, de Bolingola, dont le père fut tué en forêt et la mère sur la cour des soldats à Inkanja. Son frère aîné fut tué en forêt, le suivant tué pendant la fuite et sa femme à la cour des soldats, le suivant tué en forêt. Une sœur et son mari tués en forêt, une autre sœur emmenée prisonnière, ainsi qu’un dernier frère. De huit enfants, lui seul a survécu. On comprend alors la même tristesse d’un Bombongo, patriarche des Boamba, qui survit seul aussi de ses trente femmes et de ses dix-sept enfants et qui n’a plus qu’un seul losako: “ = la vie apporte du bonheur et du malheur, mais plus de malheur”.

(Encore des guerres) : Pourtant il vint un temps où les sentinelles furent retirées. (Peut-être vers la fin de 1901 […] et que la corvée du caoutchouc fut levée. Les Bongili se regroupèrent et furent encore décimés, cette fois par la maladie du sommeil […] »  (Boelaert1947: 30-31).

Les nouveaux maîtres introduisirent le chaos dans l’Équateur: les gens s’enfuyaient dans la forêt où ils vivaient comme des bêtes sauvages sans abri et se nourrissaient de toutes sortes de plantes, de racines et de fruits sauvages. Il fallait parfois marcher pendant plusieurs jours à travers des clairières immenses pour arriver dans de petits villages misérables. Quand on posait aux rares villageois la question de savoir où étaient les autres, la réponse, terrifiante, était: «Bakufi na masasi » (morts par des cartouches) ! Les gens de l’Équateur vécurent l’enfer. Elikia M’Bokolo parle du « temps des massacres » (M’Bokolo 2003).

 

6. Les missionnaires protestants lèvent la voix

Les missionnaires protestants publièrent, en novembre 1895, un premier rapport sur les excès du régime léopoldien. L’Équateur était une région où les protestants s’étaient implantés avant l’arrivée des missionnaires catholiques. La Baptist Missionary Society (BMS) y avait ouvert des stations à Lukolela (1885), à Monsembe (1890), à Upoto (1890), à Pimu (1890) et à Tondo (1894). La Congo Balolo Mission (CBM) s’était établie à Bonginda (1889), à Ikau (1889), à Lulonga (1890) et à Bongandanga (1891) (Braekman1961 : 349-351).

La BMS songea à abandonner la station de Lukolela quelques années après son installation. La plupart des habitants des environs traversèrent le fleuve Congo vers les territoires français. Aux alentours de Monsembe (Mongala), les missionnaires protestants se montrèrent très mécontents des actes des agents de l’État qui incendiaient des villages. Mais la société ayant obtenu des faveurs spéciales du Gouvernement congolais, elle ne voulut plus mettre en cause ses relations avec l’Administration. Elle n’exprima pas immédiatement de critique dans la presse, mais s’adressa directement au roi. À l’occasion de la visite d’un membre de la BMS à Bruxelles, Van Eetvelde écrira au souverain, le 3 octobre 1895 : « M. Baynes des missions anglaises, est venu m’entretenir d’un nouvel acte de brutalité commis dans le district des Bangalas […] J’ai promis une enquête et la révocation du Blanc si les faits sont établis. Beaucoup de nos agents sont des hommes brutaux et je crois que des exemples sont nécessaires […] » (Slade 1959 : 243).

Les autorités congolaises étaient conscientes de la faible qualité morale de nombreux agents. Même Léopold II en fut informé.

Vers la fin de l’année 1895, le missionnaire Murphy de la CBM livra à Reuter (agence de presse) un entretien dans lequel il donnait une description graphique des méthodes de la récolte du caoutchouc. Il expliquait comment les soldats africains forçaient les villageois à récolter le caoutchouc, et tuaient les gens ou leur coupaient les mains. La presse belge et étrangère ne s’intéressa pas à ces affaires d’atrocités dans l’Équateur. Mais les accusations portées laissèrent des traces. À la fin du mois de février 1896, le magistrat Marcelin De Saegher présenta, dans un rapport, Victor Fiévez comme le symbole de l’oppression européenne au Congo. Il raconta qu’après la pacification de l’Aruwimi, le commandant Achille De Bock (1869-1895) avait pris la direction de cette région comme commissaire de district (Coosemans 1952b), mais qu’il avait été tué, le 8 décembre 1895, lors d’un combat livré aux environs de Basoko. La nouvelle parut si inquiétante que Victor Fiévez avait été envoyé sur place, parce que :

« […] il a tant fait celui-là de massacres de nègres, qu’il était tout indiqué pour aller “pacifier” cette région aussi. Or le courrier qui vient d’arriver annonce que Fiévez aussi a attrapé une formidable pile, qu’on lui a pris les fusils et qu’un de ses sous-officiers blancs – j’oublie le nom – a été tué […] À propos de Fiévez une lettre qu’on rappelait: “Il y a, écrivait-il de l’Équateur, le domaine privé de l’État, le domaine privé du roi, le domaine privé du comte de Bergheyck, le domaine privé de Brown de Tiège […] C’est tout mon district: il ne se compose que de domaines privés. Dans lequel faut-il faire des “récoltes” ? “N’importe, pourvu que vous récoltiez”. Aussi Fiévez est-il un homme qu’on ménage: il a le sarcasme cruel» (Archives MRAC Courrier de fin février 1896).

Certaines lettres que le magistrat Joseph De Lancker (1866-1896) avait envoyées, en 1896, à son collègue Marcelin De Saegher contenaient des renseignements précis sur les atrocités dans l’Équateur. En février  1896, il fut désigné par le gouverneur général Wahis pour enquêter sur les accusations portées dans le Times de Londres par le révérend Murphy contre le personnel de l’Administration congolaise. Selon son biographe Jean-Marie Jadot, l’enquête réduisit à moins que rien ces accusations, « à en croire le gouverneur général Wahis ». Mais il est intéressant de lire, dans une lettre expédiée à De Saegher, le 21 mars 1896, ce qu’il raconta de son enquête :

« […] J’envoie au gouverneur général mon rapport sur les faits signalés par Murphy. Ci-joint vous en trouverez une copie. Faites-moi le plaisir de me la conserver puisque vous avez bien voulu vous charger de garder mes paperasses. J’adresse en même temps à Bula (surnom: Wahis) une attestation signée de quatre missionnaires et qui assure que la petite fille mutilée dont il a été tant question n’est pas le seul exemplaire. Il existe dans un village voisin de la mission d’Ikoko un petit garçon de trois ou quatre ans, également amputé de la main droite. Le charcutier qui s’est amusé à cela avait commencé, paraît-il, à entamer la main gauche. Il s’est aperçu de l’erreur et a alors coupé la droite. Ce bout de papier est très édifiant.

Une autre déclaration n’est pas moins intéressante. Elle émane également d’un missionnaire, mais reproduit une partie d’une lettre d’un agent de l’État. Comment eut-il connaissance de cette lettre, je l’ignore ? J’avais espéré le revoir, car j’ai eu un entretien déjà avec lui et c’est quinze jours après qu’il m’a envoyé l’extrait. Mais je n’ai plus réussi à le rencontrer. Voilà donc deux instructions intéressantes à faire. Avis au collège qui aurait l’envie de faire un voyage. La déclaration cite trois cas dans lesquels l’agent a palabré et ses hommes lui ont rapporté : la 1re fois, 78 mains droites; la 2e fois, 49 mains droites; la 3e fois, 56 mains droites. Le missionnaire est John Logie de Lulanga ; l’agent Pourceau (Gourceau: en voilà un nom bien donné) de Bombinda.

J’oubliais de dire que j’envoie une photographie du gosse manchot au gouverneur. Elle est faite par le missionnaire Whitehead de Lukolela et représente l’enfant sur le pas de la porte d’une maison en bois, avec le bras droit à l’avant-plan donc à peu près le buste de profil. Le moignon repose sur un linge blanc étendu sur les genoux. C’est une photographie pour stéréoscope, c’est-à-dire que l’appareil reproduit l’image en double, donc elle est destinée à la publicité. J’ai vu Whitehead ici et il m’enverra un exemplaire double dans quelques semaines. J’expédie aujourd’hui au gouverneur un exemplaire simple.

Ces missionnaires m’ont bien amusé. Mon passage avait été annoncé par les collègues de Matadi. Jusqu’à l’Équateur, ils m’ont uniquement embêté avec des questions de police générale, mais une fois sur le territoire Fiévez en ai-je reçu ! Je n’avais pas ni assez d’yeux ni assez d’oreilles et il m’eût fallu une bonne douzaine de mains pour prendre les notes. Il y a de la besogne pour des mois et des mois.

Pour vous montrer jusqu’à quel point on en était arrivé : j’ai de sérieuses raisons de croire que le dossier “empoisonnement Corino ( ?)” qui se trouve à la direction de la Justice n’est qu’une vaste blague. Le thé malsain ne représenterait qu’une quantité de caoutchouc insuffisante fournie par les deux pendus. Dès que j’en aurai la certitude, je vous écrirai. De même, il y a beaucoup à parier que Mr Batsusu qui en habile praticien a amputé la main droite de la petite fille d’Ikoko n’a jamais pris le chemin de Basoko. J’ai écrit au gouverneur général de ne plus tenir compte de ma palabre avec Fiévez, de ne considérer la lettre écrite le 19-2-96 que comme une excuse de mon absence de rapport sur les faits qui m’avaient été signalés à l’Équateur […] »  (Archives MRAC Lettre de Joseph De Lancker à Marcelin De Saegher, 21 mars 1896).

En ce début de 1896, Joseph De Lancker se rendit vers le district de l’Équateur en compagnie de l’inspecteur d’État Francis Dhanis, qui fut chargé d’aller faire un petit tour dans la Lulanga. Ils allèrent à Coquilhatville et à Basankusu, où ils visitèrent l’ABIR. Dans une lettre du 8 avril, il donna au magistrat De Saegher le compte rendu suivant :

« […] Vous vous souvenez que ma visite aux missions se bornait à une enquête qui pouvait soulever les missionnaires en exposant des griefs contre les agissements des fonctionnaires de l’État. Dans la Lulanga il n’y en a pas (du moins, ils ont l’air de ne pas l’être), mais il y a quatre ou cinq stations de la Congo Balolo Mission et comme les messieurs et les dames (j’ai rencontré une très jolie Norah) qui les occupent, n’ont pas toujours habité là et qu’ils auraient pu avoir des réclamations à formuler pour d’anciennes histoires, je me suis décidé à accompagner Dhanis, bien qu’aucune mission de cette rivière ne fut renseignée sur la liste remise par le secrétariat

Dhanis ne m’avait pas dit ce qu’il allait faire. Ma curiosité était d’autant plus éveillée. Je fus vite au courant. À peine avions-nous quitté Lulanga que nous apercevons un Blanc descendant la rivière. Il y avait deux pirogues. À l’avant de la première un caporal de l’État donnait des ordres. L’inspecteur fait arrêter. Le Blanc monte à bord du Ville d’Anvers et présente ses salutations. L’inspecteur lui demande à brûle-pourpoint comment il se fait qu’il soit accompagné par un soldat. Embarras du monsieur (Poncelet, je pense) qui doit avouer que c’est simplement un travailleur de l’ABIR qui, par erreur, a cousu trois galons sur la manche de sa veste. On appelle l’homme et on lui supprime ces ornements (pas de fausse interprétation, s.v.p.) en un tour de main.

Le lendemain, 5-2-96, nous arrivons à Bokakata factorerie SAB. On faisait palabre, c’est-à-dire qu’à la suite de manifestations hostiles de la part des indigènes, on avait envoyé de l’Équateur du Ville de Charleroi avec une trentaine de soldats et comme il n’y avait pas de personnel blanc disponible, on avait chargé le mécanicien du steamer de diriger les opérations stratégiques. Il y avait en cet homme l’étoffe d’un grand général. Le matin, il lâchait ses hommes dans l’intérieur puis il fumait tranquillement sa pipe jusqu’à ce que ses hardis guerriers songeassent à revenir chargés de tout ce qu’ils avaient pu prendre. Naturellement pour prouver qu’ils n’avaient pas inutilement jeté leur poudre aux moineaux, ils avaient soin de rapporter quelques dextres fraîchement découpées. Ce petit jeu de salon n’a pas plu à Dhanis.

À Basankusu, à peine le steamer était-il en vue, que le pavillon a commencé un va-et-vient intense le long du mât, quelle politesse ! Et quand nous sommes arrivés ! Motif: 24 indigènes illégalement détenus par ces messieurs, parmi eux 17 chefs. Le tout dans un trou infect crevant de faim. On continuait l’application des théories Engherinx [Engeringckx] qui fut, paraît-il, le plus grand manchotiste de son temps […] » (Archives MRAC Lettre de Joseph De Lancker à Marcelin De Saegher, 8 avril 1896).

En septembre  1896, Léopold II créa une Commission pour la protection des indigènes, en réponse aux critiques anglaises et suédoises. Il ne nomma aucun membre de la CBM. Le 5 novembre 1896, Van Eetvelde écrivait à Wahis que la campagne contre le Congo et ses horreurs prenait fin, mais qu’« elle renaîtra[it] si nous ne sévissons pas désormais contre ceux qui transgressent les lois de l’humanité à l’égard des Noirs […] Notre magistrature n’a plus de fautes à commettre, si nous voulons éviter l’établissement de la justice consulaire […] » (Slade 1959 : 249).

 

7. Les surnoms « indigènes » des agents européens

«Longomba loya («Quand le Blanc vint ») Lola lokwa («Le ciel tomba ») » (Rorive 1948 : 20).

C’est une chanson de pagayeurs de la rivière Momboyo. Dans le parler lomongo, « longomba » pouvait signifier « l’homme blanc ». Il est probable que les natifs de l’Équateur attribuaient à ce terme le sens de « variole ». La corrélation d’idées suivante s’établit: longomba = variole ; variole = calamité ; calamité = homme blanc ; homme blanc = longomba ! En substance, ces vers veulent dire : quand la variole ou une calamité, c’est-à-dire le Blanc, arrive, la tranquillité s’en va (Rorive 1948 : 20).

Les Européens furent souvent baptisés de surnoms par les Africains. Durant des années, le père Edmond Boelaert étudia l’arrivée des premiers Européens dans l’Équateur et il enregistra nombre de sobriquets. Il y consacra, avec la collaboration de son confrère Honoré Vinck et Charles Lonkama, une publication (Boelaert et al. 1996).

Certains surnoms étaient donnés en rapport avec les traits physiques de l’agent: Bafutamingi (mafuta = la graisse ; mingi = beaucoup) = personnage gros; Batalatala (kotala = regarder) = porteur de lunettes; Bombende = antilope (personnage ayant un gros ventre) ; Bosongo = canne à sucre ou personne élancée ; Ekutu = calebasse ou quelqu’un ayant une tête ronde et grande comme une calebasse ; Itoko (kitoko = beau, élégant) = beau jeune homme ; Nina = poisson électrique ou gros personnage, etc.

 

Tableau 1.1. Surnoms indigènes des agents et significations

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Références

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- Coosemans, M. 1951b. «Glave Edward». In Biographie coloniale belge (BCB). II. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 415-417.
- Coosemans, M. 1951c. «de Winton Francis ». In Biographie coloniale belge (BCB). II. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 981-984.
- Coosemans, M. 1952a. «Behiels Émile ». In Biographie coloniale belge (BCB). III. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 40-41.
- Coosemans, M. 1952b. «De Bock Achille ». In Biographie coloniale belge (BCB). II. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 64-67.
- Coosemans, M. 1953. «De Saegher Marcelin». In Biographie coloniale belge (BCB). III. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 761-763.
- De Meulemeester, M. 1956. « Stillemans Antoine ». In Biographie coloniale belge (BCB). IV. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 852-854.
 

 

 

Chapitre 2 : L’exploitation de l’Équateur par les sociétés concessionnaires et l’affaire Isidore Bakanja : ca. 1885-1914

Par Mathieu Zana Etambala

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Campement en forêt sur la Tshuapa. (AP.0.0.22685, collection MRAC Tervuren; photo S.?Molin, 1923, ©?MRAC Tervuren.)

L’ exploitation du caoutchouc sauvage durant l’EIC et encore quelques années après fut une tragédie qui coûta la vie à de nombreux Congolais. Désignée sous la dénomination de « caoutchouc rouge », elle est de mieux en mieux connue aujourd’hui (Vangroenweghe 1986 ; Verhaegen 1987 : 3 et suivantes). Elle est d’abord la conséquence du régime économique instauré au cœur du Congo. Les violences furent « structurelles » dans les territoires tant concédés à des sociétés commerciales que dans ceux gérés directement par l’«État congolais ». Les massacres, les exécutions et les tortures ne visaient pas d’abord des délinquants de droit commun ou des insurgés, mais « les auteurs de délits économiques », c’est-à-dire les villageois ne récoltant pas suffisamment de caoutchouc ou ne livrant pas assez de vivres. La responsabilité était jugée comme étant collective : le chef et tout le village. Les femmes, les enfants et les vieillards étaient pris en otage (Verhaegen 1987 : 4-6).

Ce chapitre porte sur la méthode brutale dont les agents de la Société anonyme belge pour le HautCongo (SAB) et de la Société de la Lulonga exploitèrent les concessions que l’EIC leur avait octroyées. C’est sous ce jour que se révèle l’affaire Bakanja, béatifié le 24  avril  1994 à Rome, dans le contexte historique de la colonisation. Cet originaire d’Ingende, devenu un évangélisé catholique, mourut dans des conditions affreuses, malgré une présence missionnaire – des trappistes et des prêtres de Mill Hill – dans cette partie de l’Équateur. Bakanja fut victime, d’une part, d’un agent européen et, d’autre part, d’un système oppressif de domination. Il y a donc, ici, lieu de sortir du cadre généralement limité et trop enclin à faire croire qu’il n’aurait été que la victime d’une foi catholique intrépide.

 

1. La Société anonyme belge : les difficultés avec l’EIC (1888-1892)

Le 10  octobre  1888, la Compagnie du Congo pour le Commerce et l’Industrie (CCCI), surnommée la Douairière de la rue Bréderode, créa une filiale : la Société anonyme belge pour le commerce du Haut-Congo, la SAB en sigle. Son siège social fut installé à Léopoldville. Son capital de départ était de 1 200 000 FB, soit 162 millions, en valeur des années 1990. L’assemblée générale porta le capital à 3 000 000 FB, le 31 janvier 1890 et à 5 050 000 FB, le 16 avril 1892.

L’objectif de la société était d’établir le long du fleuve Congo des comptoirs pour la récolte et le transit de l’ivoire et du caoutchouc à lianes. Dans ce but, elle reprit l’organisation commerciale de la Sanford Exploring Expedition, la SEE, fondée en 1886 par Henry Sanford, ministre plénipotentiaire (ambassadeur) des États-Unis à Bruxelles et ami personnel de Léopold II.

 

1.1. Les privilèges : le droit de police et le droit de perception d’impôts

Engerinckx, le directeur en Afrique de l’Abir, envoya, le 19 mars 1894, au gouverneur général, une lettre confirmant (cela avait déjà été raconté dans sa lettre du 20 février) la nouvelle du «petit accident » arrivé à Baringa, où il s’était rendu au début du mois de février. Il allait y construire une nouvelle factorerie. Le terrain nécessaire à l’installation était défriché. De retour à Waka, où la factorerie était restée sans gérant, le poste fut laissé dans les mains d’un capita avec douze fusils.

« […] le soir même du jour de mon départ, ce poste fut attaqué ; trois hommes furent tués et malheureusement, 5 fusils restèrent entre les mains des indigènes. Comme l’installation de la police armée sous ma direction n’est pas encore résolue, je n’ai pu agir moi-même. J’en ai informé le chef de poste de Basankussu [sic] qui s’est rendu immédiatement sur les lieux et a infligé une punition sévère aux indigènes, sans, toutefois, parvenir à se faire restituer les 5 fusils. Étant en relation avec un chef, ami des Baringa, j’ai envoyé celui-ci à la recherche des armes et j’apprends par les indigènes qu’à l’heure actuelle on les lui a rendues. Je profite de cette occasion pour vous faire remarquer, Monsieur le Gouverneur, la nécessité de pouvoir agir moi-même directement dans des circonstances analogues, ce que je ne saurais faire sans autorisation pour ne pas courir le risque de me voir dresser procès-verbal “pour avoir empiété sur les droits du chef de poste de Basankussu”, ce dont on m’a déjà menacé lors d’un petit accident sans aucune importance » (Archives MRAC Lettre de Engerinckx à Théophile Wahis, 19 mars 1894).

Ce fut donc le directeur de l’Abir en Afrique qui demanda au gouvernement local un certain droit de police, que Théophile Wahis lui accorda. Celui-ci envoya, à ce propos, la lettre ci-après au commissaire de district de l’Équateur :

« […] La première de ces questions, qui concerne Basankussu, sera résolue en confiant la mission politique dans ce poste à un agent de la société et ainsi, l’agent de l’État actuellement chef de poste pourra plus utilement vous seconder dans une autre région du district. Veuillez donc, à titre provisoire, supprimer le poste de l’État à Basankussu.

Le directeur de l’ABIR sera également chargé, à titre d’essai, de la police de toute la région concédée, mais sous votre direction. Les mesures proposées par M. Engerinckx concernant les délits ou crimes commis dans les factoreries seront également adoptées à titre d’essai. Veuillez donner connaissance de ce qui précède au directeur de l’ABIR en même temps que des instructions lui permettant de remplir convenablement sa mission politique.

Si des abus se produisaient, vous m’en rendriez immédiatement compte, je modifierais le système qui sera mis à l’essai ou même je le supprimerais complètement pour en revenir à ce qui existait antérieurement. Je vous prie toutefois de remarquer tous les avantages qu’il y aurait à donner aux agents de l’ABIR des fonctions qui nous permettent de supprimer un certain nombre d’agents de l’État. On peut espérer de plus que les conflits seront moins nombreux quand les agents commerciaux relèveront directement de votre autorité et n’auront plus à recevoir des ordres d’un chef de poste qui peut être inexpérimenté, mal comprendre luimême les instructions et provoquer des réclamations très fondées. 

Un inconvénient que je vois au système qui va être mis à l’essai, c’est que vous aurez à vous déplacer assez fréquemment pour inspecter la région et veiller à ce qu’aucun abus ne s’y produise et je sais que le temps dont vous disposez est déjà fort restreint […] » (Archives MRAC Lettre de Théophile Wahis au commissaire de district, 5 juin 1894).

Mais l’État congolais n’avait pas investi dans la Justice. Il commença par organiser la justice répressive dès janvier 1886, publia un code pénal, un code de procédure pénale et, dans le courant de la même année, un code de procédure civile et des lois régissant les matières civiles usuelles. En 1889, une Cour suprême, sous le nom de Conseil supérieur, fut instituée à Bruxelles. Jusqu’en 1906, il n’existait qu’un tribunal de première instance pour tout le Congo et un tribunal d’appel; l’un et l’autre étaient itinérants. Divers tribunaux territoriaux à compétence exclusivement répressive existaient également. Au courant de la même année 1906, le nombre des tribunaux de première instance fut porté à quatre, celui des tribunaux territoriaux à douze (Leynen1944).

Après la reprise de l’EIC par la Belgique, un second tribunal d’appel fut créé à Élisabethville en 1910, ayant le Katanga comme ressort. Ce ne fut qu’en 1913 que des tribunaux de police furent institués et l’administrateur territorial devint le juge. Les tribunaux du parquet, dont le juge était le magistrat du parquet près le tribunal de première instance, furent créés la même année (Leynen1944).

 

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1911: un prisonnier à Bokatola. (AP.0.0.21025, collection MRAC Tervuren; photo E. Verdick, 1911.)

 

 

1.2. La vie des agents commerciaux : violences, alcool, ménagères…

Le père Edmond Boelaert a fait des recherches sur les débuts de la SAB à l’Équateur et a pu identifier quelques-uns des premiers agents. Dans un article très intéressant, il dit d’un certain Arthur Boulanger, qui n’a pas conquis une place dans la Biographie coloniale belge, que des missionnaires protestants ont adressé une lettre au Commissaire du district à Bangala, pour protester contre les cruautés de ce Boulanger envers les indigènes (Boelaert 1988 : 53).

En réalité, peu d’écrits portent sur la vie quotidienne des agents commerciaux. Quelques récits, cependant, apportent un éclairage, comme celui d’Eugène Verbèque (1867-1903), embarqué pour le Congo comme agent commercial de la SAB, le 6 mai 1893. Verbèque travailla d’abord à Nzonkadi, au Kasaï. Dans son journal, il raconta comment, en septembre  1894, il punit, dans cette station, deux instigateurs d’un cambriolage dans ses magasins :

« Il y a un mois environ, j’ai dû punir 2 hommes de mon personnel. Comme la chose était grave, je me suis vu forcé de frapper un exemple, afin que de pareils faits ne se produisent plus, ce qui pourrait devenir un danger pour ma sécurité. Ces 2 hommes étant en expédition pour achat de caoutchouc, ils avaient leurs fusils et une trentaine de francs de marchandises que je leur avais confiés. L’un des deux, se jugeant assez riche, est revenu à la factorerie une nuit, et a entraîné 5 hommes avec lui pour fuir.

Connaissant parfaitement la contrée dans ses moindres replis, je les ai fait traquer par les indigènes en promettant une forte récompense. Mon cuisinier, qui m’est très dévoué, s’est également mis à leur poursuite, et deux jours après tous étaient repris et ramenés à la factorerie. Je suis rentré en possession de mes fusils, mais les marchandises étaient perdues. Je me suis contenté d’infliger une forte amende aux 5 qui se sont laissés entraîner.

Quant aux deux instigateurs du complot, malgré ma répugnance pour la bastonnade, il fallait, comme je l’ai dit, faire un exemple. Je leur ai fait distribuer à chacun neuf cents coups de chicotte (lanière d’hippopotame). Le sang coulait. Malgré leurs cris et leurs supplications, je n’ai fait cesser que lorsqu’ils étaient sur le point de perdre connaissance […] » (Archives MRAC Verbèque 1894).

La bastonnade ne s’arrêta pas là. Deux lignes de son récit furent couvertes avec du papier blanc collé sur la note. En tenant la page à la lumière, on lit : « Ils sont morts le lendemain. Tant pis. Chacun 900 !!! […] je recommencerai. » Ce passage gênera Eugène Verbèque. Le 20 février 1895, il écrivait :

« Je viens de réfléchir que mon dernier journal parle de certaines punitions que j’ai dû infliger ici, et dont la lecture pourrait faire jeter de hauts cris à des gens encore assez arriérés que pour prendre cette race de nègres en pitié. Inutile de le recommander, n’est-ce pas, que si tu communiques copie de mon journal à autrui, de déguiser amoindrir la chose à sa façon, ou de ne pas copier le fait du tout. Je t’écris réellement ce qui se passe ici, en bien comme en mal. À toi à juger si d’autres doivent le savoir » (Archives MRAC Lettre d’Eugène Verbèque, 20 février 1895)

Toujours concernant la punition infligée aux voleurs, Eugène Verbèque écrivit ce qui suit :

« […] Je me suis contenté d’infliger une forte amende aux 5 qui se sont laissés entraîner. Quant aux deux instigateurs, malgré ma répugnance pour la bastonnade, je leur ai fait distribuer un certain nombre de coups de chicotte. Je suis seul ici, et ne dois pas me laisser aller à un moment de faiblesse. Il faut montrer de l’énergie avec ces lâches moricauds. Aussi, ils se tiennent bien maintenant, mon service marche, et ils redoutent mes colères. Et je te prie de croire qu’elles sont terribles, quand je m’y mets […] » (Archives MRAC Verbèque s.d.).

Eugène Verbèque se voulait pourtant un homme raisonnable. Il ne manqua pas d’être critique à l’égard des Européens qui y allaient trop fort. Dans une lettre du 20 mai 1896, il raconta à sa famille la situation dans laquelle il se trouvait dans cette station. Il exprima son mépris pour son prédécesseur :

« Je possède pour la défense de la factorerie 22 bons fusils Albini avec baïonnettes et 500 cartouches. De ce côté, je suis donc tranquille […] Les postes qui existaient dans la contrée ont dû être levés, à cause de palabres avec les indigènes. Des hommes du personnel ont été tués à différentes reprises (28 en tout je crois). Ce monsieur Roux est tout le temps en désaccord avec les Noirs. C’est un grincheux. J’ai moi-même de la peine à m’entendre avec lui. J’attends qu’il soit parti. Je suis persuadé qu’après quelques voyages, toutes ces palabres seront aplanies, et que la tranquillité régnera de part et d’autre […] » (Archives MRAC Lettre d’Eugène Verbèque, 20 mai 1896).

Eugène Verbèque n’éprouvait pas de sympathie pour M. Roux, son prédécesseur, qui était français. Dans d’autres lettres, il le traitait d’imbécile, car ce monsieur se querellait continuellement avec des villageois. Le terme de «palabres » utilisé dans son récit est un euphémisme, parce qu’il s’agissait, en fait, de « guerres ». Quelques mois plus tard, Eugène Verbèque proposait à nouveau un récit invraisemblable : deux indigènes d’un village voisin avaient tiré sur un de ses hommes pour voler une chèvre. Voici son récit : 

« Immédiatement, je monte dans ma pirogue et je me rends à ce village où j’arrive en 10 minutes. Je laisse mes hommes dans la forêt, et j’entre dans le village accompagné seulement de mon contremaître. À mon approche, tout le monde s’est enfui. Il ne restait que 2 femmes. Je leur dis que si le chef ne vient pas me parler immédiatement, je mets le feu à toutes les cases. L’une va porter mon message ; je retiens l’autre comme otage. Au bout d’un quart d’heure, il apparaît avec deux indigènes, armés de tout un paquet de flèches empoisonnées. J’invite le chef à s’asseoir et à détendre les arcs. Puis je commence la palabre pour ma chèvre. Ce serait trop long à décrire. Cela a duré une heure. J’ai usé de beaucoup de patience. Mes conditions étaient de me livrer le voleur ou de me donner une pirogue en paiement du larcin. Finalement, je me suis impatienté, et c’est sur un ton de colère que je lui ai dit qu’à défaut de me satisfaire endéans les 5 minutes, je m’emparais de sa personne pour le livrer à l’État. L’affaire a été terminée de suite, et je suis parti en emportant une grande pirogue. Le soir même, ils ont tenté de me la reprendre. Mais mon factionnaire était sur ses gardes. Il a tiré dans le tas; et ils ont disparu. Je n’ai plus rien entendu depuis lors […] » (ibid.)

Eugène Verbèque ne pensait pas du tout faire appel à l’un ou l’autre juge de tribunal.

Fernand Harroy (1870-1958) (Harroy 1968 ; Salmon 1978) se comporta de la même façon qu’Eugène Verbèque. Lorsqu’il arriva à Inkongo, la SAB lui avait réservé une petite maisonnette en torchis: quatre murs de terre, un toit de chaume, un sol en terre battue où traînaient quelques nattes indigènes. Elle mesurait trois mètres sur trois, n’avait pas de fenêtre, mais seulement une porte branlante. Le lit était fait de quatre sticks figés en terre, réunis par des planches latérales sous lesquelles s’entrelaçaient, en guise de sommier, des lianes indigènes. Un semblant de matelas bourré de feuilles de bananier le recouvrait (Salmon 1978 : 455).

Fernand Harroy fut pourtant bien accueilli par Jules Ganty, le gérant du poste. Celui-ci venait de perdre ses deux adjoints. Un certain Lemmens avait été tué par des indigènes dans la région des Lulua et la Force publique y était allée mener une «promenade militaire ». Après avoir constitué une caravane, Fernand Harroy arriva à Chibango, où il trouva du ndundu, ou caoutchouc, en abondance. Logé dans une petite hutte, il fit construire à côté un petit hangar pour abriter ses marchandises et son caoutchouc. Il fit aussi creuser, tout près, un très grand trou, pour y jeter des marchandises et le caoutchouc, en cas d’incendie. Il se plaignit pendant plusieurs mois de son chop-box trimestriel: il manquait de beurre, de farine, de vin, du sucre, etc.

 

 

1.3. L’enfer du Bus-Bloc : les opérations de guerre

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Au poste de Bala-Lendzi. (AP.0.0.4383, collection MRAC Tervuren.)

 

Les sociétés concessionnaires possédaient de grandes réserves d’armes et des munitions. Pour deux sociétés commerciales qui opéraient dans l’Équateur, les armes importées pendant les années 1899-1903 répertoriées dans la note rédigée pour la Commission d’enquête de 1905 donnaient les chiffres du Tableau 2.1.

Les populations vivaient en permanence dans une situation de guerre. Il existe plusieurs rapports d’opérations de guerre effectuées dans la région de l’Équateur. Par exemple, celui établi par le sous-lieutenant Amédée de Rossi (1870-1941) (Coosemans 1958c), qui séjourna dans le district de l’Équateur du début de 1902 jusqu’à la fin du mois de mai 1903. Il quitta le poste de Bala, avec un détachement de 50 soldats et le commis Duchêne, pour aller «châtier» le village Boyera, rendu coupable du meurtre du soldat de 1re classe Iangoï. Des informations reçues avant de se mettre en route renseignèrent sur le fait que les habitants de Boyera se réfugiaient en partie chez les Besombo (Boangi), et plus précisément au village Ifoku; en partie (les guerriers), à Ngundu avec les indigènes de ce village et des deux villages Mompona I et Mompona II. Tous étaient sous les ordres du chef de Mompona I, qui excitait les autres villages à la révolte, en leur disant qu’il ne fallait pas avoir peur des soldats. L’opération de guerre se déroula comme suit :

«Arrivé à Ivulu, j’ai dirigé sur Boroka un détachement de 15 soldats commandés par le Blanc avec l’ordre de venir me rejoindre par voie de terre à Ngundu, lieu de concentration des Boyera, afin de pouvoir empêcher les indigènes de gagner le fleuve.

À 5 h du matin j’ai débarqué à Boyera. De la rive au village, il y a une heure de marche sur une route assez facile, ce qui m’a permis de prendre le dispositif de marche suivant: une avant-garde composée de huit soldats et un gradé, qui devait détacher deux éclaireurs à droite, deux à gauche et deux en avant; 50 mètres environ après l’avant-garde le carré au milieu duquel les bagages; enfin l’arrière-garde composée de six soldats et un gradé qui suivaient à la distance de 100 mètres. À 6 h je suis arrivé au village qui était abandonné. J’ai laissé alors ici dix soldats avec l’ordre d’arrêter les indigènes si ceux-ci allaient rentrer dans leurs villages et je me suis dirigé sur Mompona I et Mompona II où je me suis arrêté pendant une heure. Les deux villages étaient abandonnés. Depuis Boyera, j’ai dû changer le dispositif de la marche à cause de la route difficile à travers la forêt inondée. L’avant-garde avec ses éclaireurs me précédait de 25 mètres. Le peloton qui devait marcher sur un rang avait été divisé en deux sections entre lesquelles se trouvaient les bagages, à 50  m de l’arrière-garde.

À midi, j’ai repris la marche vers Ngundu. À 2  h (de l’après-midi), les éclaireurs m’ont signalé la présence de fléchiers dans la forêt. J’ai doublé alors mes précautions en envoyant une patrouille sur la droite et une patrouille sur la gauche. À 3 h, on est arrivé à l’entrée du village. Pendant que je faisais serrer la troupe pour former le carré, sur les éclaireurs qui s’étaient réunis à 10 mètres avant moi pour me prévenir d’une surprise, on a lancé des flèches. Les éclaireurs ont alors tiré quelques coups de fusil qui ont causé la mort de deux indigènes. Rentré de suite dans le village, on a vu des indigènes qui se sauvaient dans la forêt. La première escouade qui était en tête du carré a fait une salve, mais sans effet.

Après avoir exploré la forêt environnante, on a trouvé des arcs, des flèches, et j’ai pu constater beaucoup de traces d’indigènes, ce qui me fait supposer que le village était environné de fléchiers, j’ai fait le campement en disposant la troupe en carré et en plaçant des sentinelles doubles en dehors des palissades construites avec des troncs de bananiers.

Le lendemain, j’ai fait des reconnaissances vers Djomba et vers Betimbola, mais sans rencontrer d’indigènes. Je me suis engagé alors dans la route, vers Boroka, mais après une heure de marche la route devenait impraticable, ce qui a empêché le détachement de Boroka de venir me rejoindre. Le même jour, en passant par le village Ifito (Badjuas de Mompona I et Mompona II) je me suis retiré à Boyera où le détachement que j’y avais laissé n’avait pas vu un seul indigène.

Le matin suivant, j’ai envoyé le 1er sergent Mombanu avec 5 soldats amener les Boyera réfugiés chez lui. Cela pour avoir des prisonniers afin de forcer le chef Boyera à se rendre. Le 1er sergent en débarquant à la rive d’Ifoku, a été attaqué par des fléchiers, pour se défendre il a dû faire exécuter une salve qui a causé la mort d’un indigène. Il est rentré à Boyera le surlendemain en me disant que le chef d’Ifoku s’était enfui et que dans le village il avait constaté la présence de plusieurs indigènes de Boyera, il ne les avait pas faits prisonniers parce que je lui avais donné l’ordre de ne pas amener les indigènes qui se trouvaient à Ifoku – fussent-ils de Boyera – si le chef n’était pas là. Pendant la nuit du 30 juin au 1er juillet, les sentinelles ont tué deux indigènes qui tâchaient de s’approcher du campement. Au poste de Bala-Lendzi. (AP.0.0.4383, collection MRAC Tervuren.) Le 1er juillet à 5 h de relevée […] Ici, j’ai trouvé un courrier urgent, qui me rappelait à Bala, le poste étant sur le point d’être attaqué par un grand nombre d’indigènes. Le 2 juillet, dans l’après-midi, je suis rentré à Bala avec toute ma troupe […] » (AAMAE de Rossi n.d.).

Il s’agit ici de la tactique militaire et de la méthode de guerre de la Force publique. Les villageois n’étaient armés que d’arcs et de flèches, résistant courageusement. Ils connaissaient mieux la forêt équatoriale que leurs adversaires.

Amédée de Rossi ne resta pas longtemps à Bala. Le 15 juillet, il partit avec un détachement de 50 soldats et le sous-officier Dewaet. L’objectif était double : d’une part, une reconnaissance chez les Yonda et les Bombomba ; de l’autre, continuer après l’opération interrompue chez les Boyera. À cet effet, il donna l’ordre au commis Duchêne d’envoyer durant la nuit du 27 au 28, cinq soldats à la rive de Boyera avec mission «d’arrêter tous les indigènes qui auraient voulu gagner le fleuve ».

Ci-après, la suite du récit :

«Le 17 (juillet), à Bolena, le sous-officier [Dewaet] est tombé malade, et a dû rentrer au poste. Le 24, de Ganda [Yondo)] je me suis rendu à Betimbola [Bombomba]. Ici, le chef de Ngundu est venu se présenter pour demander la paix et la protection, car le chef de Mompona I avec ses indigènes et les Boyera voulaient le tuer s’il venait faire acte de soumission. Après avoir terminé ma reconnaissance au sud de Betimbola, le 27 à 4 h du matin, je me suis dirigé sur Mompona et Boyera. La marche étant difficile à cause de la pluie et de la route dans la forêt inondée, j’ai laissé en arrière les bagages avec une escorte de 10 soldats et j’ai pris le dispositif suivant: une avant-garde composée de 12 hommes et un gradé, à la distance de 15 mètres, le peloton divisé en deux sections, une arrière-garde de six hommes.

À 8 h, avant d’arriver à Mompona II, un groupe de fléchiers cachés dans la brousse a tiré des flèches sur les éclaireurs. Je me suis arrêté alors en plaçant le peloton par le flanc sur deux rangs, le premier rang face à droite et le second face à gauche, et j’ai envoyé une patrouille en avant vers la gauche afin de m’assurer si les indigènes étaient dans le village. Celui-ci était abandonné et j’ai pu le traverser facilement en disposant ma troupe en carré. À la sortie du village, j’ai dû reprendre le premier dispositif de marche.

Avant d’arriver à Mompona I les éclaireurs m’ont signalé la présence des indigènes. Pour éviter de tomber dans une embuscade, j’ai remis ma troupe et, le peloton déployé sur deux rangs, j’ai commandé une salve dans la direction du village. Cinq indigènes qui faisaient partie d’un groupe de fléchiers situé à une dizaine de mètres de l’entrée du village ont été tués. Avancé au pas gymnastique, le peloton toujours sur deux rangs, j’ai fait exécuter une deuxième salve, sur les indigènes qui se sauvaient vers Boyera. Il y a eu trois morts, dont le chef du village.

Parti sans perdre du temps à la poursuite, j’ai rencontré dans la plaine entre Ilinga et Boyera une bande de fléchiers qui, repoussés par le détachement venu de Bala, repliaient sur Boyera. Surpris par moi, ils se sont enfuis dans la forêt entre Ilinga et Boroka. J’ai lancé alors une section à la poursuite et six indigènes ont été tués et trois faits prisonniers.

À 3 h de l’après-midi, je me suis retiré à Boyera où j’ai fait le campement en disposant la troupe en carré et en plaçant des sentinelles doubles. Le surlendemain, par voie de terre, j’ai regagné le poste de Bala, avec toute ma troupe […] Je crois, or, que le chef de Mompona I n’existe plus et que les Boyera viendront faire acte de soumission comme l’a fait le village Ngundu […] » (AAMAE de Rossi n.d.).

Au moment où il signa les deux rapports susmentionnés, le 5 octobre 1902, le commissaire de district De Bauw notait que les indigènes des environs de Boyera avaient tous repris le travail et que la région était calme. Mais les opérations de guerre se poursuivirent en 1903. Au début du mois de janvier, le sous-lieutenant Verdozzi partit en guerre en direction de la localité de Bokatola. Ci-après, son rapport : 

«Opération de guerre effectuée pendant la reconnaissance vers Bokatola. Ayant reçu l’ordre de me rendre dans cette région sans retard (lettre 41, du 6 janvier…), le 17 (janvier) à 10 h du matin, j’ai quitté le poste de Bala avec un détachement de 12 soldats pour me diriger en pirogue sur Ingende, où je suis arrivé à 11 h 1/2. À midi, je suis parti vers Bokatola en prenant le dispositif de marche suivant: deux éclaireurs, l’escouade en rang par le flanc. À 4 h de l’après-midi, à 1 kilomètre du village Mosenga, les éclaireurs m’ont signalé la présence de fléchiers sur la route. J’ai retiré alors les éclaireurs et j’ai disposé l’escouade sur deux rangs par le flanc. Arrivé au milieu du village, j’ai été attaqué de tous les côtés par un fort nombre d’indigènes. Après avoir mis l’escouade à genou, j’ai commandé le feu rapide. Les indigènes alors se sont retirés dans la brousse, d’où ils ont continué à tirer des flèches. Le 1er sergent Mambanu a été blessé à la cuisse droite et le 1er soldat Ikoi au bras gauche. Tous les deux pas gravement, mais dans l’impossibilité de pouvoir se servir de leur fusil. Le soir étant tombé, j’ai cru bien faire de ne pas continuer la marche et je me suis arrêté dans une petite plaine qu’il y a à la sortie du village en disposant les 10 hommes qui me restaient en carré. Pendant toute la nuit, les indigènes m’ont attaqué ; j’ai su les tenir à distance en exécutant de temps en temps des salves. Un seul indigène a été blessé légèrement.

Le matin à 3 h, ils se sont retirés dans la forêt et j’ai pu continuer la marche vers Bokatola, où je suis arrivé à 4 h, de relevée. Cartouches brûlées 91 […]

Opération de guerre effectuée chez les Bolongo par le chef du poste auxiliaire de Sengo. Le 15 janvier, arrivé à Esama, j’ai envoyé deux patrouilles fortes de 10 hommes chaque. La patrouille droite a rencontré un campement de fuyards et en a amené quatre, la patrouille de gauche a rencontré des indigènes qui ont opposé résistance. Sept ont été amarrés, 2 tués et 3 blessés. Les patrouilles sont rentrées à midi, suivant l’ordre reçu. Le surlendemain 17, deux nouvelles patrouilles ont effectué deux nouvelles reconnaissances, elles étaient fortes de 10 hommes chacune ; une patrouille est rentrée au campement à 3 h de l’après-midi sans avoir rencontré un seul indigène ; l’autre est rentrée le jour suivant 18 à 8 h du matin. Cette patrouille a surpris un campement indigène qui a tenté d’attaquer les soldats. Le milicien Kendolo a été gravement blessé à la gorge, et il est mort quelques minutes après. Des indigènes, il y en a eu 37 de tués et huit ont été faits prisonniers. Bala Lundzi, le 31 janvier 1903 Le sous-lieutenant chef de poste, Verdozzi » (AAMAE Verdozzi 1903).

L’une des raisons principales de l’intervention de la Force publique était la fuite ou la migration des villages pour échapper aux agents de la SAB. Cette société bénéficiait d’un «droit de police » auquel le commissaire général De Bauw ajouta, dans une lettre du 27 juillet 1903, le droit d’opérer même en dehors de sa concession pour aller chercher et ramener les fuyards : «Les déplacements de la force de police en dehors du bloc concédé, pour y ramener des fuyards, pourront se faire sur simple réquisition de monsieur l’agent principal de votre société qui ne devra user de ce droit qu’à bon escient sinon il s’exposerait à se le voir retirer. »

 

1.4. Les atrocités dans la concession de la société La Lulonga

La Commission d’enquête s’était arrêtée aussi à Bonginda, village situé sur la rive de la rivière Lulonga. Elle se trouvait alors sur le territoire de la société La Lulonga. Cette société anonyme, constituée le 22 octobre 1898 à Bruxelles, avait alors obtenu une concession de 2000 hectares. Son objet était l’exploitation de produits végétaux quelconques, dont les plus importants étaient le caoutchouc et le copal (Plas & Pourbaix 1901 : 73-74).

Des abus sanglants furent commis dans la région où La Lulonga effectuait des opérations commerciales. Charles Padfield fut l’un des missionnaires protestants qui témoignèrent devant la Commission d’enquête. Il avait accumulé des nuda facta ou seuls faits. Il était membre de la Congo Balolo Mission. Les activités de cette société missionnaire protestante installée depuis 1889 couvraient le bassin des rivières Lulonga, Lopori, Maringa, Tshuapa et Busira.

Les renseignements rassemblés par le missionnaire Padfield concernaient les années 1903 et 1904. Selon lui, les agents de La Lulonga n’épargnaient personne et terrorisaient tant les chefs que les vieillards, les femmes et les enfants. Il rapporte qu’à l’annonce de la venue de la commission d’enquête, les agents commerciaux avaient tenté de corrompre les indigènes en leur distribuant des cadeaux. Ci-après, les déclarations de Padfield : 

«Vers le mois de juin  1904, l’agent européen (nom indigène Ekotolongo) contrôlant la station de Boyeka ordonna à sept hommes du village de Bokenyola de mener sa sentinelle (Bolinda), en canot, chercher le caoutchouc d’un autre village (Efomi). À leur retour, ils rencontrèrent le Blanc à Wambala, et celui-ci les envoya à un troisième village (Bosanfusu) avec deux sentinelles (Bolinda et Loleki). Quand ils arrivèrent à ce dernier village, il ne s’y trouvait pas assez de caoutchouc, et l’on y saisit deux otages. L’un de ces derniers possédait 200 mitakos (monnaie courante du pays) dont les sentinelles s’emparèrent, mais un des rameurs (Yambolenga) essaya de rendre les mitakos à leur propriétaire. Les sentinelles lui ordonnèrent de cesser et le battirent sévèrement avec la chicotte, lui donnant aussi des coups de crosse au dos et à la poitrine. Lorsqu’ils rentrèrent à Boyeka, les rameurs rapportèrent l’affaire à l’agent, qui les traita de menteurs.

Deux jours plus tard, le rameur en mourut. Ses parents portèrent le cadavre à l’agent qui les congédia, en déclarant que l’homme était mort de maladie ordinaire. Dans les premiers mois de 1904, peut-être en mars ou avril, un autre agent européen (nom indigène Lingonju) de la société à Boyeka envoya sa sentinelle dire à tous les gens du village de Bokenyola d’apporter kekele, c’est-à-dire de la corde employée dans la construction des maisons, etc. Les hommes du village obéirent à cet ordre, à l’exception de trois, deux vieillards et le chef reconnu de la communauté. Plus tard, dans la même journée, la sentinelle Ebolo arriva au village et voyant un des vieillards (Mokuto), lui demanda pourquoi il n’était pas allé chercher ekekele. Il le battit ensuite avec la chicote, et l’amena à l’agent européen à Boyeka. Celui-ci le fit mettre en prison, où il mourut deux jours plus tard.

Mdwabenga, chef du village, accompagné du fils du vieillard, Bofoke, vint trouver l’agent et essaya de lui parler, mais comme il ne voulait pas les écouter, Bofoke, qui savait que le commissaire du district, M. de Bauw, était attendu, dit qu’il lui rapporterait l’outrage. Là-dessus, l’agent européen ordonna au chef de garder Bofoke au village, ajoutant que s’il lui était permis de faire son rapport au commissaire de district, lui (l’agent) tuerait le chef. L’agent donna aussi à Bofoke 800 mitakos pour qu’il ne dise rien de la mort de son père.

Le dimanche 4 décembre 1904, lorsque la Commission d’enquête était attendue, les agents européens à Boyeka essayèrent de corrompre les villages environnants pour les empêcher de révéler les atrocités commises. On envoya deux sentinelles (Ndongola et Loyeka) inviter des indigènes (Botofe et Lofali) du village d’Ingando à la station pour y chercher 100 couvertures, mais les gens du village, sachant bien que la Commission d’enquête allait venir, refusèrent d’aller chercher les couvertures.

Le même jour, les agents européens envoyèrent des sentinelles au village de Nkoli, inviter les chefs (Bosolo et Mbolo) à la factorerie pour y chercher 100 couvertures, mais eux aussi refusèrent. On agit de même dans les villages de Boyeka et de Bokenyola, et comme les chefs ne voulaient rien écouter, on offrit de faire des largesses au peuple, qui les refusa. Les agents européens donnèrent alors des cadeaux aux capitas chefs des sentinelles. [Note de M. Padfield : les indigènes expliquèrent à la Commission que la raison de leur refus de recevoir ce qu’on leur offrait était que les agents européens ne leur payaient pas le caoutchouc, etc., mais que les Blancs à l’approche de la Commission essayaient ainsi d’acheter leur silence. Les Blancs, eux, expliquèrent que c’était leur habitude de donner des primes aussi bien que des gages, et que ces marchandises ainsi offertes étaient les primes annuelles !]

En août ou septembre  1904, les agents européens de Boyeka (noms indigènes Ekotolongo et Nkoi) envoyèrent une sentinelle au village de Nkoli chercher le caoutchouc. Comme plusieurs des hommes robustes étaient morts, certaines gens du village allèrent trouver l’agent européen pour le prier de réduire le nombre de corbeilles de quarante à trente. Il refusa, et envoya la sentinelle Ekolelo punir le peuple, si la quantité de caoutchouc récolté était insuffisante. Les indigènes ne purent apporter la quantité voulue, et là-dessus, la sentinelle tua le chef Bombambo, la balle pénétrant dans l’abdomen du côté droit et ressortant par le dos.

Le fils du chef assassiné, accompagné d’un autre homme nommé Bosolo, amena le corps à l’agent européen Ekotolongo et porta plainte. Mais l’agent leur dit que le chef avait été tué parce que le caoutchouc n’était pas au complet et leur ordonna de remporter le corps chez eux. Avant leur départ, il appela son chien et le lança contre eux; le chien mordit le fils à la jambe, pendant qu’il transportait le cadavre de son père.

Vers le commencement de 1904, l’agent blanc à Boyeka (nom indigène Lokoka) envoya la sentinelle Eyoka au village de Nkoli chercher la quantité voulue de caoutchouc, c’est-à-dire trente corbeilles. Cependant, un indigène s’étant échappé du village, il ne s’en trouvait que vingt-neuf. Là-dessus, la sentinelle abattit un indigène nommé Lokambo d’un coup de feu. Il ne mourut pas tout de suite, et les hommes du village le portèrent à l’agent en protestant. Celui-ci répondit que la sentinelle avait fait son devoir, et ordonna aux indigènes de rentrer immédiatement chez eux. La victime de ce crime mourut en route.

Le 4 décembre 1904, cinq sentinelles (Ntsombo, Loyeko, Etoko, Yamb et Mpokojimbo) allèrent au village de Nkoli. Elles n’avaient pas de fusils, car l’agent les leur avait ôtés en vue de l’approche de la commission. Ces sentinelles infligèrent au peuple une amende de 500 mitakos et d’une quantité de vivres. La ville avait à fournir quarante corbeilles de caoutchouc et un sanglier tous les quinze jours.

Les gens de la ville d’Inganda avaient à fournir vingt corbeilles de caoutchouc par quinzaine. Une fois, vers le commencement de 1904, ils n’en avaient récolté que seize. On envoya la sentinelle Maboke chercher le caoutchouc et celui-ci, voyant qu’il en manquait, battit si rudement un indigène (Isatolinga) avec son fusil, qu’il en mourut. Lofali et d’autres hommes portèrent le cadavre à l’agent européen Ekotolongo, qui dit que l’homme avait été tué parce qu’il manquait du caoutchouc.

Un peu plus tard, il manquait cinq corbeilles dans le même village, et la sentinelle Mambuso s’empara d’un indigène (Ewaki) et l’amena à l’agent blanc à Boyeka. Celui-ci le fit chicoter en sa présence. La victime de cette brutalité fut ensuite conduite à Bassankusu (quartier général de la Société ABIR) où il fut détenu cinq jours, après quoi il fut ramené à Boyeka, de nouveau chicoté sur l’ordre de l’agent, et renvoyé chez lui. Il avait le corps si horriblement déchiré qu’il en mourut deux jours plus tard. Les gens du village, précédés de leur chef, Lofali, portèrent le cadavre à l’agent blanc, qui se contenta d’ordonner à une sentinelle (Yamba) de fustiger Lofali avec la chicotte ; il en porte encore les cicatrices.

Au mois de novembre 1904, une sentinelle (Yamba) alla au village de Nganda chercher le caoutchouc, et s’empara de 500 mitakos appartenant aux indigènes, pour son propre compte. Les indigènes ne le rapportèrent pas à l’agent, car ils avaient déjà rapporté des faits semblables, et les sentinelles n’avaient pas été punies.

Vers la fin de novembre, une autre sentinelle (Mangula) alla au même village et, trouvant que la plupart des habitants étaient partis, il demanda à ceux qui restaient de lui donner 500 mitakos disant que si on ne les lui donnait pas, il irait à Boyeka chercher d’autres sentinelles pour leur livrer bataille.

Vers la même époque, une autre sentinelle fut envoyée dire au peuple d’amener le sanglier, qu’ils devaient fournir au Blanc, comme partie de “l’impôt”, et que les gens du village, cette fois-ci, n’avaient pu réussi à attraper. Cela leur valut une amende de 4000 mitakos. Le lendemain, les indigènes attrapèrent un sanglier, mais ils ne reçurent aucune compensation.

Afin de démontrer l’énormité de l’amende (200 francs), il suffit d’ajouter que ce village ne comptait que quarante hommes et cinquante femmes, d’après le recensement officiel fait en automne 1904.

Le Blanc (nom indigène Lokoka) ordonna (date inconnue) aux hommes de Bokenyola de récolter de la gomme copal, d’apporter des arbres et des matériaux pour faire un toit, et de fournir des ouvriers pour construire une maison. Ils ne reçurent aucun dédommagement. Une autre fois, il les envoya couper des arbres, et comme ils ne revenaient pas aussi vite qu’ils auraient dû le faire selon son avis, il fit attacher tous les hommes et les femmes qu’il trouva dans la ville, et les garda ainsi jusqu’à ce qu’ils fussent rachetés au prix de 4000 mitakos.

Le dimanche, la ville de Bokenyola doit envoyer dix femmes, et la semaine quarante, pour travailler à la factorerie. Un soir, que les quarante femmes avaient travaillé toute la journée, l’agent européen Lokoka les fit mettre en rang et leur ordonna de se mettre nues, puis il choisit la plus jolie, coucha avec elle, et lui communiqua la maladie sexuelle dont il était atteint.

Au commencement du printemps de 1904, les sentinelles de la compagnie La Lulanga furent envoyées à Bolongo chercher le caoutchouc que ce village “devait” fournir. Les gens étaient allés à la forêt, mais n’avaient pas pu récolter la quantité voulue. Comme punition, trois indigènes (Moniongo, Ngombele et Eloko) furent assassinés par les sentinelles (Mbangu, Lolo et Ngala) et un autre fut blessé (Mabonga). Les indigènes apportèrent un des cadavres ainsi que le blessé à M. Spélier (récemment acquitté après enquête judiciaire à Boma ; actuellement en Belgique), directeur de cette société. Il les traita de menteurs et leur dit de rentrer chez eux. Les gens de Bolongo furent forcés d’acheter du caoutchouc à une autre tribu, les Ngombe, au prix de 50 mitakos la corbeille, et durent porter à la factorerie quarante corbeilles qui ne leur furent pas payées.

En septembre 1904, les gens de Bojinga allèrent demander à Ekotolongo, l’agent blanc à Boyeka, pourquoi il ne leur payait pas le caoutchouc. Pour toute réponse, le Blanc fit attaquer la ville par ses sentinelles, la brûla et s’empara de tout le butin qu’il pouvait emporter. 

Vers le milieu de 1903, les gens du village de Bomengi venaient de se mettre en route pour porter le caoutchouc à la factorerie, lorsqu’une sentinelle (Engonda) arriva en canot. Les gens lui dirent que le caoutchouc avait été envoyé, mais il ne voulut pas le croire et tua le chef (Etenda). Ceci fut rapporté à l’agent blanc Lokoka qui refusa de faire des démarches pour punir le coupable.

Une autre fois, l’agent blanc Lokoka fit savoir aux gens du village de Bosokoli qu’à l’avenir ils devraient fournir le double de caoutchouc, sous peine de punition. Comme les indigènes ne pouvaient ou ne voulaient pas le faire, l’agent blanc a envoyé ses sentinelles au village où elles tuèrent deux hommes. Le chef se plaignit à l’agent, qui répondit : “Pas de palabre” et dit aux sentinelles de jeter le corps dans le fleuve.

Quelque temps après, ayant appris que le chef s’était fâché, l’agent européen lui ordonna d’apporter le caoutchouc lui-même. À son arrivée, le chef fut chicoté par les ordres de l’agent et incarcéré pendant environ quatre mois; pendant ce temps, il fut forcé de travailler chaque jour et fut fréquemment fustigé.

Au printemps de 1903, lorsque la sentinelle attachée au village de Lobola, sur la rivière Eloko, était allée à la factorerie de la société pour y porter l’impôt de caoutchouc, le village fut pillé par d’autres sentinelles (Bosokudemo, Ekua, Ecikala et Bomboju). Les indigènes ayant fait des remontrances, les sentinelles en tuèrent quatre (Malongo, chef; Mombo; Buke ; Etambanjoko), y compris le chef; puis, s’étant mises à la poursuite d’un garçon nommé Mbuke, elles l’attrapèrent, lui tailladèrent le corps et lui coupèrent la main droite. Deux indigènes (Mambalanga et Efasu) allèrent porter plainte à l’agent blanc Bomba (nom indigène) à Mampoko, emportant avec eux le cadavre d’une des victimes. L’agent leur dit de s’en aller et de jeter le cadavre à l’eau.

Vers la même époque, lorsque les gens de ce village étaient en train de porter le caoutchouc à l’agent blanc Lokoka, celui-ci leur dit de lui apporter aussi dix poules et envoya une sentinelle (Nkileku) avec eux pour faire exécuter ses ordres. Comme le peuple faisait des objections, la sentinelle tua un indigène nommé Maloko. Un des parents (Manuka) de ce dernier porta le corps à l’agent qui se contenta de le congédier.

Au printemps de 1903, pendant que la sentinelle (Ngombele) attachée au village de Busanbongo était allée à Mampoko porter l’impôt de caoutchouc, deux autres sentinelles (Efanzabomba et Ecikala) vinrent piller le village de presque tout ce qui avait de la valeur. Comme les gens du village s’y opposaient, une sentinelle fit feu et blessa le nommé Mokembe au genou gauche, la balle pénétrant plus bas dans la jambe et lui cassa le genou droit avec une massue (à ce jour, l’homme est estropié) ; pendant ce temps, l’autre sentinelle blessa le nommé Biacia au bras droit, dont il ne peut plus se servir maintenant.

Les femmes à Mampoko devaient piétiner sur l’argile employée à la fabrication des briques et, un jour, les sentinelles mirent ces femmes à nu, en présence du Blanc qui surveillait les travaux, et leur enfoncèrent de l’argile dans les parties sexuelles. Ces femmes se rendirent chez M. Spélier, le directeur, qui leur dit de s’en aller.

Vers le mois d’octobre  1904, les agents du village de Bokutolo, près de Boyeka, se firent amener le chef de ce village, nommé Jongi, et lui ordonnèrent de travailler le caoutchouc. Il refusa, étant le chef, et aussi parce que sa ville fournissait déjà du poisson, du minsumbu, etc. Il fut alors saisi par les agents qui le battirent atrocement. Quand ils eurent fini et qu’il ne se relevait pas, ils lui donnèrent des coups de pied, puis s’aperçurent qu’il était mort. Un Blanc s’était chargé de le tenir pendant que l’autre le battait.

À une certaine occasion, en automne 1904, les gens du village de Bokutolo, près de Boyeka, reçurent trois grains de verre plat, comme prix de leurs corbeilles de caoutchouc. Ils en demandèrent davantage, n’ayant rien reçu les huit dernières fois qu’ils avaient apporté du caoutchouc. Pour toute réponse, l’agent blanc saisit l’homme Mboyo et, tenu par l’un et battu par l’autre, celui-ci mourut sur place.

La troisième fois qu’ils apportèrent le caoutchouc après le meurtre rapporté ci-dessus, les agents blancs donnèrent aux indigènes un petit miroir. Ceux-ci demandèrent des mitakos. La réponse des agents fut de saisir l’homme Boketu et de le battre si vigoureusement avec la chicote qu’il en mourut… »  (Congo Reform Association 1905: 51-57, cité dans Mille 1905: 116-124).

À ce moment arrivèrent dans l’Équateur les missionnaires de la société des prêtres séculiers de Saint-Joseph, dits de Mill Hill. La première caravane, embarquée en janvier  1905, s’installa d’abord à Yumbi. Puis, très vite, elle remonta la rivière Lulonga pour s’établir à Bokakata. En 1907, les missionnaires ouvrirent une deuxième station à Baringa, sur la rivière Maringa. Une année plus tard, en 1908, ils fondèrent la mission de Basankusu. Les établissements Mill Hill de Mampoko, sur les bords de la Lulonga et de la Mompono, sur la haute Maringa, ne furent ouverts qu’en 1917 et 1922.

 

2. La présence des missionnaires catholiques

À plusieurs reprises, Léopold II avait demandé, mais sans succès, à l’abbaye de Westmalle de s’engager dans l’évangélisation des populations de l’EIC. Il fallut que le pape Léon XIII intervienne pour que les cisterciens réformés s’établissent au Congo en 1894.

 

2.1. Le regard trappiste sur les « indigènes »

Les trappistes se rendirent à l’Équateur, où ils trouvèrent un meilleur emplacement. Le regard qu’ils portèrent sur les indigènes ne différait pas de celui des autres Blancs, si ce n’est qu’ils différenciaient les indigènes païens des chrétiens. Ainsi, dans une lettre qu’il envoya de Bamania en Belgique, le 3  octobre  1903, le frère Valentinus Van Bogaert (1866-1950) considérait que « les nègres qui restent dans leurs villages et que l’on appelle des Wazenzi [sic] ne sont que des bêtes par rapport à ceux qui travaillent tout près de l’État » (Lettre du frère Valentinus 1904 : 54). Selon lui, ils étaient très difficiles à convertir. En revanche, les travailleurs de l’État devenaient de plus en plus civilisés, parce qu’ils imitaient les Blancs en construisant des maisons d’une meilleure qualité, en s’habillant plus proprement et dignement, en aménageant des jardins et en plantant des arbres fruitiers. Les missionnaires reproduisirent dans leur revue Het Missiewerk les mêmes blagues insipides sur les villageois qui furent d’une peau et d’une âme noires et dont ils blanchirent un grand nombre sans savon (Lettre de Grégoire Kaptein 1911 : 5-6).

Les trappistes étaient également convaincus que les Noirs ne pouvaient pas gérer un budget ménager. Le frère Grégoire Kaptein fournit une démonstration de cette « incapacité » dans une lettre du 12  janvier  1911. Il commence par préciser qu’un ouvrier de l’État reçoit deux florins et demi par mois, à côté de la nourriture. À la fin du mois, quand les travailleurs reçoivent leur salaire, ils se rendent aux magasins des Blancs pour acheter trois bouteilles de bière, chacune au prix de 75 centimes, et les vident tout de suite. Un autre achète un pagne à deux florins, part chez le tailleur qui lui coud un pantalon pour dix florins. Il s’endette donc immédiatement. Et quand l’État vient percevoir l’impôt, les villageois viennent vendre à la mission leurs poules ou leurs canards, parce qu’ils ne sont pas capables d’épargner leur argent.

En outre, ces religieux approuvaient que les autochtones payent l’impôt jugé être l’unique moyen d’obliger les «paresseux » à travailler (Lettre de Grégoire Kaptein 1911 : 5).

Dans les lettres envoyées à leurs confrères ou à leurs familles en Europe, les trappistes se plaignaient de l’indolence des indigènes et de leur lenteur dans l’exécution d’un travail: après une heure, ils montraient déjà le soleil pour dire qu’il faisait trop chaud et qu’ils transpiraient déjà trop, même si l’on ne voyait aucune goutte de sueur sur leurs visages. Un trappiste était même persuadé que les nègres blanchiraient plus vite lorsqu’ils auraient acquis de l’ardeur au travail (Lettre du frère Adrianus 1911: 116).

 

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Pagayeuses busanga de la rivière Melo. (AP.0.2.10905, collection MRAC Tervuren.)

 

 

2.2. Les rapports difficiles des trappistes et de l’Administration congolaise

Les relations entre les trappistes et l’Administration congolaise se dégradèrent sérieusement pour la première fois à la fin de l’année 1896. Quatre religieux de retour en Belgique faisaient l’objet de rumeurs répandues à Léopoldville et dans le BasCongo. Ci-après, quelques renseignements sur cette affaire recueillis par Delathuy (Delathuy 1994 : 107).

Trois pères et un frère trappistes de résidence à Bamania furent embarqués à bord d’un vapeur de l’État à Équateurville en septembre, pour rentrer à l’abbaye de Westmalle. Ils arrivèrent à Matadi, le 20 octobre. Mais l’abbé D’Hooghe reçut, le 22 octobre, une lettre confidentielle du père De Hert, directeur de la mission des jésuites à Kisantu, adressée au père Bert avec prière de la communiquer au père Janssens et à lui. Ainsi l’abbé D’Hooghe apprit des extraits de lettres du commissaire de district Costermans. Dans le premier, celui-ci écrivait :

« Je dois porter à votre connaissance la façon scandaleuse et peu édifiante dont se sont conduits hier (7 octobre) trois pères trappistes et un frère. Ces religieux accompagnés d’un monsieur Hargot logeaient hier à Maybo Yubo entre Léo et Kimuenza. À Yuba, les pères de compagnie avec Mr Hargot se sont enivrés au point que l’un d’entre eux a rendu tout ce qu’il a pris devant les indigènes. Excité par la boisson, l’un d’entre eux (le petit trapu) a réclamé avec insistance une femme pour passer la nuit, et il aurait même agacé une femme qui pétrissait de la chikwangue. Puis sous prétexte que le chef avait dérobé la lance de l’un d’entre eux, ces forcenés puisqu’il faut les appeler par leur nom, ont amarré le chef et l’ont frappé jusqu’à ce qu’il eût perdu connaissance. Les indigènes sont venus nous informer de ces faits et j’ai fait revenir ces pères à Léo où une enquête judiciaire est ouverte. La nuit lorsque ces religieux sont rentrés à Léo, ils titubaient encore fortement et ne pouvaient marcher qu’avec peine […] Afin de ne pas prolonger le scandale, je ne les poursuivrai pas, mais je transmettrai à Boma le résultat de mon enquête […] » (Archives AEG Extrait cité dans la lettre originale de D’Hooghe à Mgr Stillemans, 29 novembre 1896). Le commissaire de district donna quelques précisions dans une seconde missive :

«Les indigènes de Benza sont accourus en foule à Léo et ont naturellement répandu le bruit parmi le personnel que des Ngangi Nzambi (prêtres) s’étaient enivrés et avaient voulu avoir des relations avec les femmes du village. Deux pères ont avoué avoir dansé avec des indigènes et l’un a reconnu avoir offert à une femme cinq mitakos de Bangalas pour qu’elle vienne se baigner avec lui au ruisseau ! […] Ces gens me paraissent inconscients et ne semblent nullement se rendre compte des suites déplorables de leur conduite […] » (ibid.).

Le dossier fut envoyé au directeur de la justice à Boma. Les missionnaires du Bas-Congo – les jésuites, les scheutistes et les prêtres du diocèse de Gand – craignaient que ces nouvelles soient envoyées à Bruxelles, où certains journaux les ébruiteraient. À Boma, tous remirent une lettre de protestation et une demande de réparation. Les quatre trappistes niaient tout, mais reconnaissaient avoir signé à l’aveugle les pièces, qui étaient rédigées en français.

L’élément significatif dans ce dossier était, probablement, le fait qu’ils se trouvaient en compagnie d’un ivrogne et criminel blanc :

«Mr  Hargot a dit que tous ont bu de manière à avoir une émotion. Ce Mr Hargot est mort à Matadi pendant que j’étais à Kisantu. Ce Mr venait purger à Boma une peine de 3 mois d’emprisonnement et de 5000 francs, peines auxquelles il avait été condamné dans le Haut Congo pour avoir tué cinq Noirs. Ce Mr, au dire de tous les trappistes, était ivre le 7  octobre […] » (ibid.).

L’affaire des trappistes montre que le milieu colonial blanc était petit. Les Blancs se connaissaient, se fréquentaient assez souvent et se critiquaient très rarement. Que ce monsieur Hargot ait été un assassin, cela ne gênait pas les missionnaires trappistes de se promener avec lui dans les villages indigènes.

Les trappistes n’exprimèrent de critiques ni sur les agents de l’EIC ni sur les agents des sociétés commerciales. Le frère Valentin Van Bogaert raconta dans une lettre écrite à Bamania, en octobre  1903, qu’il avait parcouru les environs de Bokatola pendant une dizaine de jours pour arriver finalement à Ikenge, où étaient établis quelques agents de l’État. Parmi eux se trouvait un certain Pascal (prénom) originaire du même village que lui, Zwijndrecht. Il avait passé une agréable soirée en sa compagnie. Il mentionna aussi que « ce brave homme […] si bon à notre égard (les missionnaires), dont il avait fait la connaissance déjà à Coquilhatville » serait bientôt promu chef de poste à Ikenge (Lettre du frère Valentin 1904 : 12).

 

2.3. Les litiges avec les agents de la SAB

Des confrontations entre trappistes et agents commerciaux se produisirent pourtant régulièrement. Dans une lettre du 20  décembre  1908, Paul Le Marinel (1858-1912) (Cambier 1948), le directeur local de la SAB à Busira, se plaignait auprès du père Robert Brepoels de ce que la présence de ses catéchistes risquait de perturber le personnel de sa société. Dans une deuxième lettre, du 11 mars 1909, il fit savoir au père qu’il désirait que la ferme-chapelle soit déplacée et que les catéchistes « s’abstiennent de leurs bruyantes manifestations journalières ».

Le 4 avril 1909, le catéchiste Antoine Loleka écrivit au père que le chef comptable Poelmans incitait le chef indigène Elangi à chasser le père de Busira. Au terme de sa lettre, il faisait remarquer que les «Anglais », c’est-à-dire les missionnaires protestants, n’étaient pas frappés de l’interdiction de battre le gong, bien qu’ils fussent aussi proches de la SAB que les catholiques.

Le même catéchiste Loleka envoya au père, le 9 avril 1909, une lettre dans laquelle il racontait comment, lors du rassemblement de midi pour la répartition du travail, le Blanc disait à ses travailleurs :

«Si vous n’allez plus à la prière, nous battrons le ngonga comme il faut, et nous augmenterons vos salaires […] mais si vous continuez à prier, nous le battrons avant l’aube, et le travail ne se terminera qu’à la nuit; et le jour du paiement, je soustrairai une incina d’étoffe. Dès maintenant, nous ne voulons plus qu’un de nos hommes passe encore sur ce chemin pour aller à la nsau (prière) […] Nous ne voulons pas qu’un de nos travailleurs porte une médaille ou un chapelet […] ».

Ce contexte situe l’affaire Bakanja, qui commença en février 1909 (cf. infra). Les agents de la SAB détestaient la présence de catéchistes parmi leurs ouvriers. Mais la direction, qui ne souhaitait pas pousser à outrance les tensions, proclama un ordre de service, le 30 août 1909. Dans ses instructions aux agents de la SAB, s’y trouvait ce qui suit :

« […] l’administrateur-directeur a permis que les RR.PP. de la mission des trappistes prennent, provisoirement, et dans certaines limites, gratuitement passage sur nos vapeurs entre Busira et Coquilhatville et vice-versa […] Il doit être bien compris que nos agents n’ont pas à s’immiscer en Afrique dans des questions religieuses et que leur devoir est de se consacrer exclusivement aux intérêts de la société. Or, si, comme c’est à espérer, l’enseignement religieux comporte en même temps l’enseignement du travail à l’indigène, chacun peut bénéficier de la présence dans le pays des missionnaires et de leurs catéchistes. Si nos agents ne peuvent en aucun cas apporter des entraves aux pratiques religieuses de leurs travailleurs, il est entendu que les catéchistes ne doivent à leur tour troubler en rien le service régulier de notre personnel, et qu’ils ont pour devoir de respecter et de faire respecter l’autorité du Blanc […] ».

Ce document eut, au moins pendant une année et demie, un effet positif sur les relations entre les agents commerciaux et les missionnaires. Aucun litige à signaler durant l’année 1910. Les rapports se dégradèrent au début de 1911. Le 10 mars 1911, le catéchiste Bernard Lofambo écrivait aux trappistes qu’un certain Bonyoko se plaignait chez l’agent Van Loo parce que le chef Ifufa de Boangi avait pris Louise Bolumbu, la femme du catéchiste Pierre Entombo. L’agent lui répondit que ce n’était pas grave, car le père était encore un plus grand voleur.

Dans son édition du 16 décembre 1911, La Tribune congolaise reproduisit une « lettre de l’Équateur » dans laquelle était décrite l’attaque de la factorerie de la SAB à Busanga. Cette attaque avait été menée «par une bande de malandrins commandés par un catéchiste ayant une grande autorité morale dans la région». Les assaillants, au nombre d’une cinquantaine, et recrutés parmi «les mécontents de la région» avaient profité d’un moment où les soldats du poste étaient éloignés des habitations pour s’introduire dans la factorerie. Ils étaient armés d’énormes gourdins (Lettre de l’Équateur 1911 : 1).

Mais Batjoens, le géomètre qui était sur place, aidé de ses deux boys, réussit à tenir les «mutins » en respect avec son Browning. Un caporal et cinq soldats accourus sur ces entrefaites furent molestés. Dhont étant intervenu à son tour, des coups furent échangés et celui-ci atteint assez sérieusement. Le chef de secteur Milani, averti d’urgence de ce qui se passait à Busanga, envoya immédiatement sur les lieux le sous-officier Dujardin et un détachement important de la Force publique. Les assiégeants se dispersèrent tard dans la journée, après que leur chef et les principaux meneurs eurent été remis aux mains des soldats. Plusieurs arrestations furent encore opérées et les coupables traduits devant la justice à Coquilhatville (ibid.).

D’après les premières informations du gouverneur général, dans sa lettre du 24 novembre 1911, le catéchiste et ses hommes auraient pris un chemin traversant la propriété de la SAB, malgré la défense qui leur en avait été faite. Une mêlée s’ensuivit au cours de laquelle Batjoens tira deux coups de revolver en l’air. Le catéchiste déposa plainte au sujet de faits dont les Blancs se seraient rendu coupables: indigène mordu par un chien, le catéchiste brutalisé au moment de son arrestation, une femme indigène prise de force, coups à une ménagère qui voulut rester chez le catéchiste.

Il y eut une enquête judiciaire et d’après le parquet, les agissements des agents de la mission de délimitation n’étaient pas étrangers aux causes de la rébellion. Mais le gouverneur général rendit, le 14 décembre 1911, le jugement ci-après :

« a.Bemome, catéchiste, avait par abus d’autorité provoqué ses fidèles de Busanga à se battre avec les Blancs de la factorerie et la mission de délimitation du Bloc de la Busira, provocation qui a été suivie d’effet, 2 Blancs ayant été frappés.

b. Ndunube (indigène) avait frappé de coups de bâton et de poing le Blanc Lofembe Moke, factorerien de la SAB et le caporal Djuma qui intervenait.

c. Botoi (indigène) avoir volontairement donné des coups de bâton au Blanc Mobilu de Businga. La prévention à charge du catéchiste n’a pas été établie, le deuxième et le troisième ont été condamnés respectivement à 5 et 4 mois de prison et au tiers des frais du procès […] » (AAMAE Document sur Incident Businga s.d.).

Les trappistes apprécièrent peu ce jugement. Aussi, début 1912, après que des agents de la SAB à Busira eurent pris deux femmes païennes de la mission pour en faire leurs concubines, le père Aloïs De Witte déclara-t-il, le même soir aux gens, durant le catéchisme, qu’ils feraient mieux d’aller chercher du travail ailleurs, plutôt que de rester encore plus longtemps au service de la SAB. Plusieurs ouvriers suivirent ce conseil et quittèrent le service, et cela, au grand mécontentement des Blancs.

Évoquons encore une autre affaire : sur la plainte du père Antoine Vermaesen, George Du Pourque, agent de la SAB à Wassi Kengo, avait été déféré au tribunal de première instance de Coquilhatville pour prévention d’avoir, au début de 1912, tenu, sur le compte du religieux, des propos calomnieux et diffamatoires. L’inculpé aurait prétendu devant de nombreux villageois, les catéchistes Bernard Lofambo, Ikomo Bofifa, Caputa Bokomo, Iloku, des travailleurs, etc., «que le père Antoine avait des relations avec des femmes noires ». 

 

3. L’affaire Isidore Bakanja

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L’affaire Bakanja se produisit après que la Belgique eut repris l’EIC en novembre  1908. Les révélations de T. W. Dörpinghaus au sujet des agissements d’un grand nombre d’agents de la SAB dans la Busira datent de la seconde moitié de 1909. Elles brisaient les dernières illusions de ceux qui croyaient encore à l’existence, au Congo, d’oasis où le travail du caoutchouc était libre. Car contrairement aux instructions qui leur venaient d’Europe, des agents de la SAB, dont les traitements étaient toujours complétés par des primes, continuaient à faire croire aux indigènes qu’ils étaient obligés de faire du caoutchouc ou du copal et se livraient à des violences si ceux-ci se refusaient au travail (Vandervelde 1911 : 92).

La mort brutale du catéchiste Isidore Bakanja n’émut la presse coloniale ni en 1909 ni au cours des années qui suivirent. Mais les incriminations à l’adresse des tortionnaires de la SAB firent l’objet de discussions politiques en Belgique dès la fin de 1909, après que T. W. Dörpinghaus eut parlé au ministre des Colonies Jules Renkin et au député socialiste Émile Vandervelde. Le 21 octobre 1909, Dörpinghaus avait partagé le déjeuner à domicile de Vandervelde qui, pour l’occasion, avait invité Speyer, du Conseil colonial. Cette rencontre avait eu lieu sur proposition de Morel, qui avait fait envoyer les lettres de Dörpinghaus à Vandervelde pour consultation. Notons que l’Allemand avait écrit une lettre à Morel pendant son voyage de retour, du 5 au 25 septembre, date à laquelle il avait débarqué à Anvers (Claessens 1982 : 171-172).

Émile Vandervelde aurait même fait une interpellation à la Chambre des représentants, le 27 octobre 1909. Jules Renkin répondit que huit des dix personnes inculpées se trouvaient déjà en Europe lors de la déposition de la plainte. Le ministre mentionna même la plainte de Dörpinghaus lors de la discussion générale du budget du Congo belge pour l’exercice de l’année 1910. Et Vandervelde cita aussi le nom de Dörpinghaus dans son intervention du 3 février 1910 (Claessens 1982 : 172-174).

À ce moment, le parquet de Coquilhatville menait déjà une enquête. Le tribunal de première instance de cette ville se prononça sur l’affaire Bakanja le 31 janvier 1910. Ce procès en justice eut lieu une deuxième fois, en août 1912. En 1913, pour la première fois, l’Église catholique commença à s’impliquer dans cette affaire. Cet intérêt soudain était lié à la personne du jésuite Arthur Vermeersch (1858-1936) (Charles 1956), qui, en janvier 1913, avait effectué une tournée à travers l’Afrique allemande, britannique et belge, dont il était rentré à la fin de l’année. Pendant ce périple, il avait été accueilli par diverses congrégations et sociétés missionnaires catholiques du Congo belge, notamment par les trappistes.

 

3.1. La mort d’Isidore Bakanja : août 1909

Isidore Bakanja naquit vers 1880 à Bokendela, village situé à environ 100 kilomètres de Mbandanka, chez les Boangi, aujourd’hui dans le secteur Eungu du territoire d’Ingende. Il fut engagé à Mbadaka comme boy-maçon et il suivit, à cette époque, le catéchuménat des pères trappistes à Boloko wa Nsimba. Le 6 mai 1906, il reçut le baptême. Son parrain était Bakutu Boniface, un des premiers catéchistes des trappistes. En signe de baptême, on lui imposa le scapulaire de la confrérie du Mont Carmel. Le 8 août, il fit sa première communion et il reçut la confirmation le 25  novembre de la même année (De Meester 1998 : 107).

En 1908, Bakanja se rendit à Ikili, dans l’actuel secteur Djela en territoire de Boende, où il fut engagé comme domestique par Reynders, de la factorerie SAB. Vers la fin de janvier  1909, le chef du village d’Ikili, nommé Iyongo, vint se plaindre chez Van Cauter de ce que les villageois de Bonjoli (dans la tribu des Nkengo) avaient assassiné une de ses femmes, Loanga, alors qu’elle revenait de Bongili, où elle vivait avec la sentinelle Bompulu. Elle avait demandé à Giret, le chef de poste, une feuille de route afin de rentrer dans son village. Van Cauter, jouant au justicier, décida de venger ce meurtre. Il rassembla un grand nombre d’hommes: le chef Iyongo avec ses villageois, lui-même et son adjoint Reynders, leurs domestiques Iyongo et Bakanja, le reste du personnel en service (Vinck et al. 1983 : 12).

Ayant eu le pressentiment qu’on leur ferait la guerre, les hommes de Bonjoli prirent la fuite, sauf un, qui fut abattu par Ise Boya ou Bongele. Les femmes trouvées furent capturées. Le lendemain, la troupe repartit avec les prisonnières, mais en cours de route, elle fut attaquée par les hommes de Bonjoli regroupés en embuscade. Lors de cette confrontation, le fils du chef Iyongo d’Ikili s’écroula, le ventre transpercé par une flèche. De retour à Ikili, les prisonnières furent enfermées dans le bâtiment réservé au fumage du caoutchouc (Vinck 1983 : 12). Van Cauter garda les femmes prisonnières, exigeant que celles-ci soient rachetées avec des anneaux de cuivre. Les dernières prisonnières ne furent libérées que lors de la reprise de la factorerie par l’agent Stronck.

À noter qu’à Bonjoli, où ils passèrent la nuit, Iyongo et Bakanja furent occupés par leurs patrons. Van Cauter, qui avait aperçu un scapulaire au cou de Bakanja, lui ordonna de l’enlever; celui-ci refusa. Ultérieurement, de retour à Ikili, il remarqua de nouveau le scapulaire, se fâcha et fit battre Bakanja de 25 coups de chicotte ordinaire.

Un jour, après le repas de midi, quand les boys avaient fini de servir leurs maîtres Van Cauter, Reynders et Giret, Isidore Bakanja s’en alla prier. Van Cauter le remarqua à nouveau. Il envoya une sentinelle nommée Ise Boya le chercher. Il reprocha vivement à Bakanja d’apprendre des prières et des «mensonges » aux travailleurs. Il craignait que si cela continuait, personne ne veuille plus travailler.

Van Cauter arracha le scapulaire de Bakanja et le jeta. Son chien s’en empara et le déchiqueta. Il donna à Bongele, le capita des travailleurs, une chicotte en peau d’éléphant avec deux clous aux extrémités. Durant la séance de flagellation de Bakanja, la sentinelle Ise Boya tint les bras et les épaules de la victime, tandis que Bolonge tenait les jambes. Bakanja refusa d’abord de se coucher. Van Cauter le prit par le cou et le renversa. Bongele devait frapper 200 à 250 coups. Bakanja se tordait de douleur, mais Van Cauter lui pressait le dos avec son pied pour l’empêcher de bouger, tout en ordonnant continuellement à Bongele de frapper plus fort. Les autres Blancs, qui se tenaient sur la véranda, n’intervinrent pas.

Grièvement blessé, Bakanja fut porté au cachot. Il ne reçut que secrètement de la nourriture. Quelques jours plus tard, Van Cauter envoya son adjoint à Isako et ordonna à Bakanja d’accompagner son maître. À cette occasion, Bakanja prit la fuite et se cacha en forêt, à l’entrée du marais proche du chemin menant au débarcadère de Yele.

Lors de l’arrivée du vapeur Ingolonolo de la SAB ayant l’inspecteur Dörpinghaus à son bord, Bakanja se montra à son boy. Lors du retour de celui-ci au bateau, après sa visite à la factorerie, Dörpinghaus trouva Bakanja sur son chemin. Il fit appeler Van Cauter et les deux hommes eurent une conversation. Van Cauter lança son poing dans la figure de Bakanja et se blessa aux dents de celui-ci. L’inspecteur Dörpinghaus le retint la seconde fois. Il amena Bakanja sur le bateau qui se rendait à Ngom’Isongu, où il accosta le 9  février. Grillet s’y trouvait également. Isidore Bakanja y resta quelque temps, dans la maison du chef du village Isangankoi. On allait chercher pour lui de la nourriture à la SAB. Peu de temps après, Grillet débarqua à Yele, accompagné de l’agent Stronck, qui resta à Ikili, tandis que Van Cauter montait sur le bateau avec ses bagages.

Vers le 4  juin  1909, Bakanja fut transporté à Busira-Monene (Bonsela) chez son cousin Boya, puis dans la maison de Bolangi, juste en face de celle du catéchiste Antoine Loleka. C’est là que, le 24-25 juillet 1909, le père supérieur des trappistes, Grégoire Kaptein, lui administra les derniers sacrements. Selon ce missionnaire, Bakanja aurait promis de prier au ciel pour son meurtrier. Finalement Antoine Loleka le prit chez lui. Il mourut sur la véranda de sa maison, un dimanche matin du mois d’août (Vinck et al. 1983).

Une version légèrement différente de la mort de Bakanja existe. Il est rapporté qu’un dimanche entre le 8 et le 15 août 1909, les chrétiens et catéchumènes de Busira se réunissaient chez le catéchiste Antoine Loleka pour la prière dominicale. Bakanja y fut apporté, étendu sur son lit. Après la prière, il mangea encore un peu de surelle, que Maria Saola lui avait préparée. Il se leva et se rendit derrière la bananeraie. En rentrant, il se coucha de nouveau et peu de temps après il mourut (De Meester 1998 : 108-109).

 

3.2. Le rapport Dörpinghaus : 31 juillet 1909

L’ingénieur allemand Wilhelm Theodor Dörpinghaus (né en 1878), dont le sobriquet Lomame signifie « grand marin-pêcheur », fut agent principal du BusBloc, de juillet 1907 jusqu’en juillet 1909. Durant son mandat, il constata de nombreuses irrégularités et adressa plusieurs plaintes au directeur commercial, Paul Le Marinel, ancien inspecteur d’État de l’EIC. Celui-ci ne réagit pas, jugeant que Dörpinghaus n’avait pas à se mêler de ces affaires-là. « […]

Le 6  février  1909, j’avais visité la factorerie de Yele, à une heure de marche environ de la rive de la Lomela, à l’intérieur du pays. Je retournais au bateau quand j’entendis dans la forêt une voix qui m’appelait à l’aide et je vis sortir un homme, le dos labouré de plaies profondes, suppurantes et puantes, couvert de saletés, harcelé par les mouches, s’aidant de deux bâtons pour s’approcher de moi, rampant plutôt que marchant. C’est un nouvel exploit d’un agent de la SAB ! J’interroge le malheureux: «Qu’as-tu fait pour mériter une telle punition? » Il me répond qu’étant catéchiste de la mission catholique des trappistes de Bamanya, il avait voulu convertir les travailleurs de la factorerie et c’est pour cela que le Blanc de Yele l’avait fait fouetter avec une lourde cravache garnie de clous pointus. Je fais appeler l’agent responsable. Celui-ci avoua cyniquement son crime, s’en vanta même et ajouta que cet homme lui avait volé deux bouteilles de vin, ce que le malheureux niait de toutes ses forces.

L’agent se félicitait de son crime ! En réalité, il n’avait fait qu’imiter, en exagérant toutefois, l’exemple que lui donnait la direction elle-même, à Busira. Là, en effet, un véritable combat était mené depuis des mois contre la mission catholique : on troublait les offices religieux par un tapage grossier et trivial, par des coups de feu et des injures, on malmenait de différentes façons le personnel de la mission. Deux agents, amis du directeur, se distinguaient particulièrement par ces manœuvres afin de prouver leur “noble” haine contre les bienfaiteurs du pays, pour lesquels cependant ils auraient pris fait et cause avec le même enthousiasme et la même conviction si le directeur avait été un catholique bon teint. Puisqu’on se permettait de tels agissements à Busira même, il ne fallait plus s’étonner des excès auxquels se livraient les agents subalternes.

J’ai pris avec moi la victime de Yele et, après trois mois de soins, les plaies n’étaient toujours pas guéries. J’avais dénoncé le cas à la direction en exprimant ma conviction que l’employé de Yele n’était pas totalement responsable de ses excès; sans être fou, il souffrait de troubles mentaux et de crises épileptiques le faisant parfois tomber sans connaissance. À ce propos, la réponse de l’inspecteur V. m’a stupéfié : il connaissait depuis longtemps cette particularité et c’est pour cette raison qu’il n’avait jamais visité la factorerie de Yele ! […] » (Dörpinghaus 1909: 83-84).

Las de cette attitude de complète indifférence, Dörpinghaus demanda, dans une lettre du 10 juin 1909, son affectation à la direction. Celle-ci l’accepta, d’après la réponse qui lui fut faite le 28 juillet 1909. La réaction de Le Marinel était bien ironique. Celui-ci connaissait la circulaire n°  40 du 6 juillet 1906 de la SAB interdisant à ses agents de porter plainte auprès des autorités. Le 31  juillet  1909, Dörpinghaus écrivit une lettre au substitut Vogt et, le 7  août suivant, il fut interrogé par le parquet de Coquilhatville. Il eut une entrevue avec Jules Renkin, qui était de passage dans cette ville. Le ministre des Colonies lui confia que, selon les dires du procureur, les faits qu’il évoquait dans sa lettre n’étaient pas aussi graves.

Dörpinghaus ne se laissa pas décourager. Au début de septembre  1909, il remit sa plainte au consul britannique Armstrong, à Matadi. Le 5 septembre, c’est le consul allemand à Boma qui reçut une copie de sa plainte. Le 28 octobre, de retour en Europe, il porta les accusations contre les agents de la SAB à la connaissance du procureur du Congo à Boma. En même temps, il en fit parvenir une copie conforme au ministère des Affaires étrangères à Berlin et au consul impérial allemand à Matadi. Edmund Dene Morel, de la Congo Reform Association, en reçut également une copie.

La plainte de Dörpinghaus comprenait une vingtaine de crimes et délits commis de 1906 à 1909 et imputés à dix agents ou ex-agents de la SAB. Les accusations concernaient des assassinats, des meurtres et des contraintes corporelles touchant les hommes, les femmes et les enfants, des coups de chicotte, l’incendie volontaire de huttes et de villages indigènes, de la relégation… tout cela pour contraindre les indigènes au travail et augmenter la production de caoutchouc. Ci-après, un extrait de ce dossier :

«À Watse M’Bole se trouvaient pendant mon séjour du 27 novembre à décembre 1909 [sic: 1908], à la chaîne une centaine de femmes et d’hommes qui travaillaient à la construction d’une route. Une partie des captifs recevait jusqu’à 100 coups de fouet par jour. Le gérant Lebrun les faisait lier aux mains et aux pieds et les jetait du haut de la Libanda par un coup de pied […]

L’avant-dernier gérant Tourron a commis des crimes terribles. Il a tué son boy, enterré vivante sa femme, brûlé des Noirs. À Momboyo on a pendu d’abord et brûlé, quand la corde se déchirait, un petit boy de 5 à 6 ans qui était accusé d’avoir volé la tête d’une chèvre. Le sieur Tourron liait des femmes et tirait sur elles avec un revolver. Témoin oculaire monsieur Piron à Bossanga […]

À Mondombe fin 1908 l’agent Lechat a chassé les indigènes et brûlé leur village […]

À Mondombe le 8 mai 1909 l’agent Huberty était parti pour rentrer par contrainte le caoutchouc. Il avait amarré plusieurs femmes et à cette occasion les sentinelles ont tué une vieille femme Cekowa Ngole de Lundji, parce qu’elle ne marchait pas assez vite […]

À Monkosso le 14 décembre 1908 au marché de copal, les indigènes arrivèrent sans armes. Trouvant que le village de Monkosso avait fourni 10 paniers (de) copal trop peu, le gérant Konings se mit en colère terrible et tirait avec une carabine Albini, qu’il avait reçue quelques jours auparavant de monsieur Grillet, deux fois sur les indigènes sans les blesser; la troisième balle toucha mortellement le chef Ekowala en entrant dans l’arrière-tête et en sortant par la bouche. L’homme est enterré tout près de la Libanda. Témoin oculaire l’agent Bronier […]

À Monpembe le 1er décembre 1908 se trouvaient à la chaîne 18 femmes, qui travaillaient de 6 à 12  heures dans les plantations. Elles étaient très maigres, misérables et affamées. Je demandai à l’agent Polemente s’il ne donnait pas à manger à ces malheureuses. Il me répondit “leurs mâles n’ont qu’à en apporter”, une de ces femmes du village Pamce est morte ensuite. Présent monsieur Grillet. Témoin monsieur Janssen […]

Le 6  février  1909 se trouvaient à Yole 15 femmes à la chaîne. J’ai constaté à différentes reprises que Van Cauter avait toujours des captifs. L’agent Deflandre à Boneme et Bokoka a commis des crimes encore plus terribles que ceux commis par Tourron. Il tuait de préférence des femmes et des enfants. Il n’y a aucune bestialité qu’il n’aurait pas commise. Il a brûlé et enterré des personnes vivantes, mis des femmes dans le chemin des fourmis rouges. Les agents Van Cauter et Delpierre ont été témoins quand Deflandre a tué des hommes et donné les cadavres à manger aux indigènes. Témoin monsieur Vittorio Gelmetti, ingénieur Bardolino, Verona. Monsieur Matthias Stronck, Berdorf, Luxembourg […] » (Extraits du rapport Dörpinghaus 1909, cité par Verhaegen: 12-14).

Sans pour autant excuser leurs agissements, notons que de nombreux agents étaient, en quelque sorte, les otages du système dans lequel la société les faisait fonctionner. Le candidat européen était engagé contre un salaire minimal: le salaire fixe s’élevait seulement à 1800 francs par an durant le premier terme. Les primes et les gratifications à la production formaient l’essentiel de la rémunération. Arrivé sur place, l’agent s’apercevait vite que la réalité était toute différente de ce qu’on lui avait fait miroiter en Europe. Subséquemment, il tombait dans les filets de la SAB, d’où il était difficile de sortir.

 

4. Le père Arthur?Vermeersch et l’affaire Bakanja : 1906-1913

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Isidore Bakanja a été béatifié par le pape Jean-Paul II en 1991. (Carte de prière; http://forums.catholic.com/attachment.php?attac hmentid=13447&d=1332723592)

Pourquoi l’Église catholique a-t-elle fait grand cas de l’affaire Bakanja ?

Il y eut de nombreuses atrocités sous le régime léopoldien et belge d’avant la Première Guerre mondiale, contre lesquelles seules les missions protestantes avaient levé une voix de protestation. Contre celles-ci, le vice-gouverneur général Fuchs rédigea, le 14 mars 1903, une circulaire confidentielle dans laquelle le troisième alinéa insistait «pour que l’autorité administrative évite plus encore dans le voisinage des missions, notamment des missions protestantes, que partout ailleurs, tout ce qui pourrait être taxé de procédés violents à l’égard des indigènes » (Archives AMAE Circulaire confidentielle du vice-gouverneur général Fuchs, 14 mars 1903). Ce texte fut sévèrement critiqué dans les milieux coloniaux lorsqu’il fut ébruité. Fuchs fut obligé de le rectifier, en le reformulant comme suit: «Si les procédés irréguliers qui doivent être poursuivis n’importe où ils se produisent, sont fâcheux partout, ils le sont spécialement dans les environs des missions, les missionnaires protestants particulièrement étant toujours à l’affût de ce qui pourrait nuire à l’État et à la recherche de griefs contre lui » (Archives AMAE Circulaire confidentielle de Fuchs, 23 octobre 1903).

La circulaire de Fuchs visant les protestants avait été rédigée avec raison. Lors d’un débat à la Chambre des communes à Londres, le 20 mai, les membres du Parlement dénoncèrent, en effet, des actes graves à charge de l’EIC. Le consul britannique à Boma, Roger Casement, reçut, le 4 juin 1903, une dépêche du Foreign Office de Londres lui demandant de partir le plus vite possible à l’intérieur et de lui faire parvenir des rapports sur la situation. Il se rendit à Léopoldville, le 5  juin, où il monta sur le steamer Président Brugmann, propriété de la SAB, le 23 juin.

 

Références

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- Cambier,  R. 1948. «Le Marinel Paul ». In Biographie coloniale belge (BCB). I. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 664         670.
- Ceulemans, N. 2010. Per steamer over de Congo. Carl van Overstraeten: logboek uit 1905. Gand-Courtrai: Snoeck.
- Charles, V. 1956. «Vermeersch Arthur ». In Biographie coloniale belge (BCB). IV. Bruxelles: Institut royal colonial belge,. 913-917.
- Claessens, A. 1982. «La correspondance du Dr T.W. Dörpinghaus dans les Papiers Morel ». Annales Æquatoria 3 : 169-175.
- Conan Doyle, A. 1909. Le Crime du Congo belge. Londres.
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- Cornet, R. J. 1950. Terre katangaise. Bruxelles: Édition du Comité spécial du Katanga.
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- Coosemans, M. 1952. «Lund Olaf ». In Biographie coloniale belge (BCB). III. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 573.
- Coosemans, M. 1958a. «Demeuse Fernand». In Biographie coloniale belge (BCB). V. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col.       230-232.
- Coosemans, M. 1958b. «Grisar Henri ». In Biographie coloniale belge (BCB). V. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col. 361-       362.
- Coosemans,  M. 1958c. «de Rossi Amédée ». In Biographie coloniale belge (BCB). V. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col.       710-711.
- Coosemans, M. 1958d. «Grillet Maximilien». In Biographie coloniale belge (BCB). V. Bruxelles: Institut royal colonial belge, col.       360.
- De Meester, P. 1998. L’Église de Jésus Christ au Congo-Kinshasa. Lubumbashi: Centre interdiocésain de Lubumbashi.
- Delathuy, A.M. 1994. Missie en Staat : Redemptoristen, trappisten, norbertijnen, priesters van het H. Hart, paters van Mill Hill         (1880-1914). Berchem (Anvers) : EPO.
- Dorman, M. 1905. A Journal of a Tour in the Congo Free State. Bruxelles: Lebègue.

 

 

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Chapitre 3 : Mise en place et évolution de l’organisation politico-administrative

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Locaux de l’administration du territoire à Basankusu, devenus, après l’indépendance, le bureau du district de l’Équateur. (collection MRAC Tervuren; photo C. Lamote (Inforcongo), ©?MRAC Tervuren.)

 

 

1. Mise en place et évolution de la composition territoriale de l’Équateur, de l’EIC à 1933

 

1.1. L’organisation des espaces

Le nom «Équateur » fut attribué à l’un des onze premiers districts créés en 1888, son chef-lieu étant la station de l’Équateur. Ce vaste district couvrait les bassins de la Lulonga et de la Ruki. Il était limité au nord par le district de l’Ubangi-Uele, à l’est par le district des Stanley Falls, au sud par le district du Kasaï et à l’ouest par le fleuve Congo (BO septembre 1888 : 244-247).

La nouvelle division du pays en 15 districts intervint en 1895. Le district de l’Équateur conservait pratiquement les mêmes limites. Il était désormais borné au nord par le district des Bangala, à l’est par le district de l’Aruwimi, au sud par les districts du Kasaï, du lac Léopold II et du Stanley Pool à l’ouest par le fleuve Congo (BO 17 juillet 1895 : 233-239).

En 1910, deux ans après la reprise du Congo par la Belgique, le Congo fut divisé en 12 districts, dont celui de l’Équateur. Il fut alors entouré, au nord, par le district des Bangala, à l’est, par le district de l’Aruwimi, au sud, par les districts du Kasaï, du Lac Léopold II et du Moyen-Congo, à l’ouest, par le fleuve Congo et l’Ubangi jusqu’au confluent de la Ngiri (BO 23 mars 1910 : 249-257).

Le district de l’Équateur fut subdivisé en trois zones et neuf secteurs par l’arrêté ministériel du 29 juillet 1911, lequel dispose que :

1. La zone de Maringa-Lopori, chef-lieu Basankusu, compte quatre secteurs: – secteur Ouest: chef-lieu Basankusu; – secteur Nord: chef-lieu Yala ; – secteur Est: chef-lieu Simba ; – secteur Sud: chef-lieu Mompono.

2. La zone Ruki-Ikelemba, chef-lieu Coquilhatville, compte trois secteurs :

– secteur de Coquilhatville ;

– secteur du Ruki: chef-lieu Bokatola ;

– secteur de la Luilaka : chef-lieu Monkoto.

3. La zone Tshuapa, chef-lieu Boende, compte deux secteurs:

– secteur de la Tshuapa-Lomela: chef-lieu Boende;

– secteur de la Haute-Tshuapa : chef-lieu Ikela. L’arrêté royal du 28 mars 1912 organise la colonie en districts et prévoit leur découpage ultérieur en territoires. En exécution de cet arrêté, le nombre de districts fut porté à 22 et celui de l’Équateur fut réduit au seul bassin de la Ruki, le bassin de la Lulonga constituant désormais un district à part. Ses limites étaient définies au nord par les districts des Bangala et de la Lulonga, à l’est par le district de l’Aruwimi, au sud par les districts du Sankuru, du Lac Léopold II et du Moyen-Congo, à l’ouest par le fleuve Congo et la rivière Ubangi, jusqu’à son confluent avec la rivière Ngiri (BO 30  mars  1912 : 356-369).

Dans le district de l’Équateur, c’est par l’ordonnance n° 53/2 du 1er mars 1913 que l’arrêté royal du 28 mars 1912 fut exécuté. Chaque territoire fut baptisé du nom de son chef-lieu. Coquilhatville resta le chef-lieu du district, qui comptait 18 territoires (BO 1913) : Coquilhatville , Bikoro, Bokatola, Mompona, Lusangania, Boyenge, Bianga, Monkoto, Waka, Bokote, Boliko, Boende, Itoko, Inkaka, Yolombo, Yokolo, Moma, Mondombe.

À noter que le territoire de Basankusu fut intégré dans le district de la Lulonga, composé de dix territoires, et dont Basankusu était le chef-lieu. Les territoires constitutifs étaient (BO 1913 : 378-385) : Losombo, Basankusu, Bongandanga, Lingunda, Befale, Yala, Lingomo, Mompono, Befori, Simba.

Par l’ordonnance n° 161/4 du 25 novembre 1913, le chef-lieu du territoire de Bikoro fut transféré de Bikoro à Irebu. Mais par une nouvelle ordonnance n° 20/SG du 10 février 1916, le chef-lieu fut ramené d’Irebu à Bikoro. Ce fut par l’ordonnance n° 6/SG du 31 décembre 1916 que le territoire d’Inkaka prit le nom de territoire d’Ilenge, chef-lieu Ilenge.

Entretemps, les districts avaient partout au Congo été coiffés par les provinces, dont le modèle s’était généralisé entre 1910 et 1914. La province de l’Équateur fut aussi instituée par l’arrêté royal du 28 juillet 1914. Cette nouvelle situation entraîna un dédoublement de l’appellation, puisqu’il y avait désormais le district de l’Équateur et la province de l’Équateur. La province de l’Équateur était située de part et d’autre de l’équateur. Elle comprenait, en effet, les districts de l’Ubangi, des Bangala, de la Lulonga, de l’Équateur et du Lac Léopold II. Ces frontières étaient définies au nord par la rivière Ubangi, à l’est par la Province-Orientale, au sud par la province du Congo-Kasaï, à l’ouest par l’Afrique équatoriale française. Le district de l’Équateur était limité au nord par les districts des Bangala et de la Lulonga, à l’est par le district de l’Aruwimi, au sud par les districts du Sankuru et du Lac Léopold II, à l’ouest par le fleuve Congo et la rivière Ubangi, jusqu’à son confluent avec la Ngiri (BO 22 septembre 1914).

Le 30 septembre 1919, il fut décidé de réduire le nombre de territoires du district de l’Équateur de 18 à 12 (BO 27 décembre 1919 : 1056 ; BA 1920 : 719), lesquels continuaient de porter les noms de leur chef-lieu: Coquilhatville , Bokatola , Lusangania, Waka, Monkoto, Bokote, Boende, Mondombe, Itoko, Yokolo, Yolombo, Moma.

Le processus d’organisation du territoire reprit son cours dans la seconde moitié des années 1920. Un nouveau territoire, celui des Wangata, fut délimité le 25 avril 1926. La même année, l’ordonnance n° 95/AIMO du 30 septembre 1926 remania les districts de la province de l’Équateur, ainsi que leurs limites. Si le district de l’Équateur conservait son espace de 1912, l’ordonnance n° 101/AIMO du 1er  octobre 1926, qui détermine le nombre et les limites des territoires de la province, en restructura par contre la configuration interne. À l’exception de Coquilhatville, tous les territoires furent ainsi rebaptisés du nom de leurs ethnies majoritaires et les anciens noms furent conservés pour leurs chefslieux. Le district présentait dès lors les territoires suivants :

– territoire des Wangata : chef-lieu Longo;

– territoire des Bokala : chef-lieu Bokote ;

territoire des Ekota-Bosaka : chef-lieu Bulukutu;

– territoire des Lolia-N’golu: chef-lieu Mondombe ;

– territoire des Boyela : chef-lieu Moma ;

– territoire des Yasanyama : chef-lieu Yolombo;

– territoire des Bakutshu: chef-lieu Boende ;

– territoire de la Luilaka : chef-lieu Monkoto;

– territoire des Mbole de la Salonga : chef-lieu Watsi-Kengo;

– territoire des Boangi: chef-lieu Mompono.

 

 

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Chapitre 4 : Composition administrative

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Maison du gouverneur. (Photo © Isaac Bakuku, 2012.?

Le district de l’Équateur compte une ville et sept territoires. Dans ses limites actuelles, l’organisation de l’Équateur remonte à 1949. Mais le nombre de territoires a évolué depuis cette époque, de six à cinq, puis de cinq à sept. À cela s’ajoute la ville de Mbandaka.

Avant 1949, le district connut une longue restructuration administrative. La partie comprenant les territoires de Bomongo et de Mankanza, entre le fleuve Congo et la rivière Ubangi, releva successivement du district de l’Ubangi-Uele (1888-1895), du district des Bangala (1895-1932) et du district du Congo-Ubangi (1932-1949). Le reste du territoire dépendait soit du district de l’Équateur (1888-1912), du district de Lulonga (1912-1932) et du district de la Tshuapa (1932-1949). Pendant ce temps, les territoires furent soit regroupés, soit scindés selon les besoins. Dans les lignes qui suivent, l’évolution administrative de chaque territoire sera présentée, en commençant par les territoires du nord-ouest: Bomongo et Mankanza. Seront abordés ensuite ceux du nord-est et du centre : Basankusu et Bolomba, puis celui du sud-est: Ingende. Pour terminer seront évoqués ceux du sud-ouest: Bikoro et Lukolela.

 

 

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L’Équateur sous la Deuxième République: 1966-1997

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Femmes de Lisala - Province de l'Equateur...1950

 

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Village Bokonda, territoire de Bikoro

 

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Ethnie mongo

 

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Hôpital des blancs - 1928

 

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Arrivée du Président Mobutu au Stade Baudouin en 1966 (avant le changement du nom) – àCoquilhatville/Mbandaka.

 

 

 

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Pirogue scolaire, village de Mankanza 

 

 

 

L’Équateur sous la Deuxième République: 1966-1997 

 

Le président Mobutu, originaire de l’extrême nord de la province de l’Équateur (frontalier de la RCA), naquit à Lisala et fut scolarisé à Mbandaka. Plusieurs membres de sa famille (frères et sœurs et, aussi, sa mère) vécurent dans le Sud-Ubangi où ils formèrent, avec quelques Ngbandi qui y étaient établis, le « clan de Mbia81 ». Son ethnie, les Ngbandi, en majorité localisée dans les territoires de Yakoma, Mobayi-Mbongo, Businga et Bosobolo (district du Nord-Ubangi), se rattachait à la souche des peuples que les ethnologues classent parmi les Soudanais. Sa démographie et sa position sociopolitique étaient faibles.

Avant l’avènement de Mobutu au pouvoir, les Ngbandi n’avaient guère eu de poids dans la compétition politique parmi les acteurs originaires de l’Équateur. Dans la province, les peuples dominants étaient les Ngombe, avec comme centre Lisala, les Ngbaka, avec comme centre Gemena ou encore les Mongo, avec comme centre Mbandaka. Les Ngbandi étaient englobés dans l’identité bangala, qu’ils endossaient, fragiles comme ces «Gens d’eau» marqués par leur éparpillement géographique.

Le géographe Jean-Claude Bruneau présente ainsi cette province de l’Équateur :

«Le grand Équateur, région de vastes forêts et de cours d’eau puissants, concerne la partie centrale de la cuvette et son rebord septentrional, de part et d’autre du fleuve Congo. Ce dernier et ses affluents mis à part, les voies de communication (transversales) sont quasi inexistantes en cet espace immense voué à l’agriculture villageoise et à la pêche, mais aussi au forestage et aux plantations depuis le temps colonial. Dans les forêts denses et souvent inondées du centre-sud régnaient autrefois les cultures forestières : d’une part celle du grand peuple mongo [région cuvette centrale*] en réalité fort segmenté, mais “unifié” par l’anthropologie coloniale ; d’autre part celle des pêcheurs et commerçants du fleuve [peuples de la région Itimbiri-Ngiri*]. Dans les forêts plus clairsemées des plateaux septentrionaux prévalait en revanche la culture des savanes du Nord [peuples de l’Ubangi*], issue d’une expansion non bantoue vers le sud.

L’Équateur maintenu dans le sud-ouest de la cuvette (au voisinage du Congo-Brazzaville) apparaît bien réduit. La grande forêt y est faiblement peuplée, dépourvue de vraies routes, mais la nouvelle entité conserve la ville majeure de Mbandaka sur le fleuve Congo. Très morcelés, les Gens d’eau (dont les Bobangi), ainsi que des Ngombe, tiennent les zones riveraines ou marécageuses du fleuve, jusqu’à l’Oubangui; les forêts denses de l’intérieur, entre les vallées inondées des grands affluents, sont aux Mongo, et à de rares Pygmées Twa.

La Tshuapa fait figure d’arrière-pays enclavé du nouvel Équateur, dont elle ne se distingue guère : perdue au cœur de la cuvette, elle semble n’être qu’eaux et forêts, que les seuls Mongo (et des Pygmées Twa) occupent de façon clairsemée. Mini-province la plus isolée du Congo, dont le minuscule chef-lieu, Boende, n’est joignable (de Mbandaka) que par avions petits porteurs.

La Mongala, vers le nord, est à cheval sur le fleuve Congo. Elle se trouve encore dans la cuvette, mais elle est bien mieux peuplée, et plus variée que les deux entités précédentes. Les Pêcheurs (dont les Lokele) occupent le fleuve lui-même et ses abords; si l’on s’en écarte, on trouve en aval les Ngombe, et en amont les Mongo (au sud) comme les Mbudja (au nord). Les villes de Lisala et de Bumba sont des escales importantes sur le puissant axe fluvial.

Le Sud-Ubangi, au nord-ouest, est bien différent. On est ici dans la boucle de l’Oubangui, qui fait frontière avec la RCA. Les plateaux portent une forêt savanisée, au peuplement rural localement très fort autour du chef-lieu Gemena, centre urbain actif au cœur de ses terroirs. Sur la rivière, Zongo est plus modeste, face à Bangui. C’est ici le pays des Ngbaka et des Mbanza de langues oubanguiennes, qui voisinent avec quelques Pygmées Bomassa.

Le Nord-Ubangi est en fait situé plus à l’est, et la grande forêt y subsiste largement. Le peuplement, moins dense, est le fait d’autres groupes oubanguiens: les Mono, les Mbanza, et surtout les Ngbandi (et Yakoma) » (Bruneau 2014: 140-141).

Préoccupé par la délicate question des frontières qui s’était posée lors de la création des trois nouvelles provinces en 1962-1963, Joseph Mobutu s’empressa, dès sa prise de pouvoir, d’y apporter une solution, fût-elle provisoire. Il éleva et stabilisa administrativement son ethnie, en créant, en 1978, le district du Nord-Ubangi, et la ville de NgbadoLite. Quant à son autorité, c’est avant tout lui-même qui la construisit.

À la veille de l’indépendance, l’élite bangala avait gagné en visibilité à Léopoldville. Elle semblait plus proche de l’Administration coloniale, qui la préférait aux Kongo de tendance séparatiste, réunis au sein de l’Abako. Jean Bolikango, chef de l’association des Bangala, dite «Liboke ya Bangala », s’affichait comme le principal leader de la province de l’Équateur. Il avait obtenu 53 121 voix de préférence lors du scrutin de mai 1960, le plus gros score de tous les candidats originaires de l’Équateur. Dans l’ensemble du pays, il n’était dépassé que par Charles Kisolokele, le fils aîné de Simon Kimbangu (94  300 voix), Patrice Lumumba (84  602  voix), Albert Kalonji (78 076 voix) et Cléophas Kamitatu (60 511 voix). Il devançait Antoine Gizenga (52 445 voix) et Joseph Kasa-Vubu, classé très loin derrière (39  492 voix). Parmi les originaires de l’Équateur, Justin Bomboko le suivait, avec seulement 10 101 voix. En outre, des personnalités telles que Cyrille Adoula, Joseph Ileo, Paul Bolya, Joseph Mobutu… n’obtenaient pas de légitimité populaire.

Malgré ses résultats électoraux, Bolikango échoua cependant chaque fois qu’il brigua un poste de pouvoir. Il n’obtint ni celui de premier président du Congo indépendant, confié à Joseph Kasa-Vubu, ni celui de président du Parlement congolais, décerné à Joseph Kasongo, le candidat de Patrice Lumumba. Ce furent les originaires des districts mongo à la fois de la Tshuapa et de l’Équateur qui dominèrent la représentation de la province de l’Équateur au niveau du pouvoir national. Joseph Ileo devint président du Sénat; Justin Bomboko, Paul Bolya, Antoine Bolamba et Maximilien Liongo furent intégrés au gouvernement Lumumba. Joseph Mobutu, dont le territoire d’origine faisait jadis partie du district de la Mongala, intégra l’équipe, avec le poste de secrétaire d’État à la présidence du conseil du gouvernement.

 

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Le gouvernement Lumumba constitué le 24 juin 1960. Côte à côte, Justin Bomboko et Paul Bolya, adversaires politiques, certes, mais tous deux Mongo originaires du même secteur Losangania et du même territoire de Bolomba. Ajoutons aussi la présence, dans ce gouvernement, d’Antoine Roger Bolamba, lui aussi Mongo, du territoire d’Ingende. Le seul district de l’Équateur prenait tous les postes. Joseph Mobutu, loin derrière sur la photo, occupait un poste subalterne. (HP.1960.4.541, collection MRAC Tervuren; photo E. Zute (Inforcongo), 1960, © MRAC Tervuren.)

 

Au plan idéologique, l’Équateur s’opposa à Patrice Lumumba. Déjà lors de la scission du MNC, en juillet  1959, celui-ci avait eu contre lui « les gens du Haut », un groupe plus large, mais qui intégrait aussi les originaires de l’Équateur. Cette province brandit l’étendard de l’anticommunisme à la mode à Léopoldville, s’attirant ainsi l’appui des pouvoirs occidentaux. Mais contrairement à la province du Katanga, celle de l’Équateur défendait la thèse d’un Congo unitaire. Même lorsque Jean Bolikango, perdant à Léopoldville, voulut créer l’«État de l’Équateur » dans un Congo confédéral, sa tentative échoua. À la surprise générale, c’est une province mongo dénommée «Cuvette centrale » qui fut créée, poussant, dès lors, les autres peuples de la province de l’Équateur à se répartir en deux autres nouvelles provinces dont les limites furent difficiles à tracer.

Chez les Mongo, Justin Bomboko joua un rôle important et occupa une position qui fit de lui l’acteur décisif tant au niveau national qu’au niveau local. Ainsi le traité général d’amitié, d’assistance et de coopération en matière militaire, entre la Belgique et le Congo fut signé par Gaston Eyskens, Pierre Wigny et Auguste De Schryver d’une part, par Patrice Lumumba et Justin Bomboko, d’autre part. Au niveau provincial, sans être le chef administratif de l’UNIMO, il devint son mentor et l’incarna réellement.

 

1. Le départ de l’Équateur lors de l’indépendance

 

L’événementiel, à partir de 1960, fut favorable aux acteurs originaires de la province de l’Équateur. Pour écarter Patrice Lumumba, la Belgique actionna, dès le 13 juillet 1960, la démarche – qui ne se concrétisa pas – d’organiser un coup d’État par Justin Bomboko (Gerard et Kuklick 2015 : 37). Puis, ce fut au tour du président Joseph Kasa-Vubu de nommer Joseph Ileo Premier ministre, en septembre  1960. Sans succès. Justin Bomboko devint président du Collège des commissaires généraux (septembre 1960-fin janvier/ début février  1961). Ensuite, Joseph Ileo redevint Premier ministre (février-fin juillet 1961). Et Justin Bomboko fit arrêter Moïse Tshombe et son ministre Évariste Kimba, à la conférence de Coquilhatville qui s’était tenue du 23 avril au 26 mai 1961. D’après une dépêche de l’AFP, le 7  mai, Bomboko annonçait que «Monsieur Tshombe sera [it] poursuivi par le Gouvernement central du Congo pour crimes de haute trahison». Une lettre manuscrite du 5 mai 1961 de Jacques Brassinne à René Clémens signale : «Les circonstances dans lesquelles le président Tshombe est tombé dans le guet-apens de MM. Bomboko et Adoula, conseillé par M.  Doucy » (cf. farde n°  19, fonds Clemens, MRAC). Dans une interview accordée à l’occasion de l’anniversaire du cinquantenaire de l’indépendance de la RDC en 2010, Bomboko répondit: «Tshombe voulait continuer avec sa sécession et on lui a demandé: qu’avez-vous fait de Lumumba ?»

Enfin, à la suite des résolutions du conclave de Lovanium à Léopoldville, Cyrille Adoula devint Premier ministre (août 1961-juillet 1964).

Joseph Mobutu prit le pouvoir, le 24  novembre 1965, écartant Kasa-Vubu de la tête de l’État congolais. La situation qui lui permit d’accéder au pouvoir fut favorisée par le président Joseph Kasa-Vubu. Celui-ci voulut, en engageant une opération opportuniste, garder son poste de chef de l’État aux élections présidentielles annoncées en février 1966. Le 13  octobre 1965, dans son message à la séance inaugurale de la première session ordinaire de la 2e   législature, Kasa-Vubu affirma avoir ramené au pouvoir un Moïse Tshombe que beaucoup ne voulaient plus revoir. Il expliqua que ce dernier venait de terminer la tâche pour laquelle il fut approché et, donc, devait partir.

La «Déclaration de prise de pouvoir par le Haut Commandement de l’armée congolaise au Parlement » ne citait Moïse Tshombe ni comme Premier ministre ni comme partie prenante à la confrontation politique en cours. Il y était signalé que :

«La course au pouvoir des politiciens risque de nouveau de faire couler le sang congolais, tous les chefs militaires de l’Armée nationale congolaise réunis ce mercredi 24  novembre  1965 autour de leur Commandant en Chef, ont pris en considération les graves décisions suivantes:

1. M. Joseph Kasa-Vubu est destitué de ses fonctions de président de la République.

2. M.  Évariste Kimba, député national, est déchargé de ses fonctions de formateur du gouvernement. [...]. 

3. Le lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu assumera les prérogatives constitutionnelles du chef de l’État.

[…]

En prenant ces graves décisions, le Haut-Commandement de l’Armée nationale congolaise espère que le peuple congolais lui en sera reconnaissant, car son seul but est de lui assurer la paix, le calme, la tranquillité et la prospérité qui lui ont fait si cruellement défaut depuis l’accession du pays à l’indépendance.

Le Haut-Commandement de l’Armée nationale congolaise souligne avec force que les décisions qu’il a prises n’auront pas pour conséquence “une dictature militaire”.

Seuls l’amour de la patrie et le sens de responsabilité vis-à-vis de la Nation congolaise ont guidé le Haut Commandement à prendre ces mesures. Il en témoigne devant l’histoire, l’Afrique et le Monde.

Le Haut-Commandement de l’Armée nationale congolaise demande à tous les Congolais de lui faire confiance. Il demande également que le fonctionnement régulier des institutions, de l’administration et de l’économie du pays soit assuré par la présence de tous sur le lieu de leur travail.

Le lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu assumant les prérogatives constitutionnelles de président de la République, prend les décisions suivantes :

1. Le colonel Léonard Mulamba assumera les fonctions de Premier ministre.

2. Le colonel Mulamba est chargé de former un gouvernement représentatif d’union nationale dont fera partie au moins un membre de chacune des 21  provinces de la République démocratique du Congo et de la ville de Léopoldville.

3. Pendant toute la durée durant laquelle le lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu exercera les prérogatives du président de la République, le général-major Louis Bobozo remplira les fonctions de commandant en chef de l’Armée nationale congolaise. »

 

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Le premier gouvernement Mobutu après sa prise de pouvoir. Sur la photo (sans suivre l’ordre) le 30-11-1965 : Justin Bomboko, Léonard Mulamba, Joseph Mobutu, Michel Colin, Grégoire Kashale, Jules-Léon Kidicho, Jean-Jacques Litho, Jean Bolikango, Bertin Mwamba, Victor Kande, Philémon Madudu, Alphonse Zamundu, Jean-Marie Kititwa, Oscar Mulelewu, Alexis Kishiba, Athanase Ndjadi, Étienne Tshisekedi, Joseph Kulumba, Éloi Mayala, Bernadin Mungul Diaka et Jean-Jacques Kande. (CP.2007.1.601 collection MRAC Tervuren, fonds J. Gérard-Libois; Studio Diogo (Kinshasa), s.d., archives du service Histoire et Politique.)

L’arrivée au pouvoir de Mobutu modifia la configuration interne de l’appareil d’État. Le colonel Léonard Mulamba, Premier ministre, était un Lulua de Luluabourg (Kananga), dans la province du Kasaï. Philémon Madudu, représentant de la province du Bas-Congo, se situait en septième ordre de préséance, avec le portefeuille de ministre de la Justice. L’aire du pouvoir se déplaça de la province de Léopoldville, avec le président Kasa-Vubu, et de celle du Katanga, avec Moïse Tshombe et Évariste Kimba, vers le nord du pays (Équateur et Province-Orientale). Outre Mobutu, qui s’assura de la direction de l’armée à travers son oncle Louis Bobozo, on assista au retour, dans l’exécutif, de Justin Bomboko, aux Affaires étrangères, de Jean Litho (un cousin) aux Finances, de Victor Nendaka (un allié, Province-Orientale) aux Transports, de Jean Bolikango aux Travaux publics, d’Alphonse Zamundu (un allié, originaire de l’Ituri) à l’Agriculture.

 

2. Origine du pouvoir de la Deuxième République: le trio Bomboko-Mobutu-Nendaka

 

Date de dernière mise à jour : samedi, 09 mars 2019

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