Les pays n'ont pas d'amis mais ils cherchent que des intérêts.
Le 07/10/2020
Le général de Gaulle disait que « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».
L’Afrique économique actuelle n’est plus celle évoquée par Lénine. Il ne s’agit plus d’un ensemble de territoires coloniaux, mais quasi totalement d’États officiellement souverains avec lesquels les États extra-africains, anciennes puissances coloniales comprises, sont censés avoir des relations de coopération ou de partenariat, dans le respect des engagements internationaux. Cependant, cette souveraineté est assez relative, plombée par la persistante dynamique du néocolonialisme. Les mécanismes de la dépendance subordonnante à l’égard des capitaux extérieurs, de l’exportation des matières premières (brutes), de l’importation des produits manufacturés de l’ancienne métropole coloniale et d’autres puissances économiques n’ont pas disparu. Ils ont été adaptés à la dynamique de l’ordre inégalitaire mondial. C’est ce que manifeste l’actuelle prouesse économique africaine supposée, célébrée presque partout : la croissance moyenne constante de son pib depuis une décennie, autour de 5 %, soit au-dessus de la moyenne mondiale et qui s’est, par ailleurs, avérée résiliente au lendemain de la manifestation de la crise des économies du centre capitaliste en 2008, après juste un léger recul en 2009. Le secteur financier a pu y tenir le coup dans l’ensemble, malgré la situation sud-africaine (la plus affectée par la crise).
Loin d’être la preuve d’une dynamique économique endogène, il s’agit plutôt de la manifestation de la domination du capital étranger. La dite croissance est principalement tirée par les secteurs pétrolier et minier – où sont découverts de nouveaux gisements, facteur de plus d’extractivisme –, dont les principaux capitaux sont, exception faite du capital minier sud-africain, ceux des transnationales « occidentales » (les sociétés pétrolières et minières nord-américaines et européennes). Ces transnationales, soutenues par « leurs » États, agissent dans un contexte dit de libre concurrence (avec possibilité de partenariat aussi) et non plus en situation de monopole néocolonial – longtemps détenu, par exemple, par l’entreprise pétrolière française Elf (absorbée par Total) au Congo (Brazzaville) et au Gabon. Cette croissance est aussi tirée par l’exportation d’autres matières premières (souvent les mêmes depuis l’ère coloniale) dans les économies non minières et non pétrolières, où s’activent, par exemple, des géants étatsuniens et européens de l’agrobusiness (Cargill, Archer Daniel Midland (ADM), Louis Dreyfus, etc.). Transnationales qui sont aussi attirées par le leadership mondial africain en matière de retour sur investissements ou réalisation des surprofits et la facile « sortie de capitaux illicites » (faite de pillage des ressources, de fraude fiscale, etc.) : 528 milliards de dollars, partis d’Afrique subsaharienne, de 2003 à 2012 , soit une moyenne annuelle de 5,5 % du pourcentage de son PIB, la plus élevée du monde.
Cette situation est une des conséquences de la réorganisation exogène, à partir des années 1980, des économies africaines à travers les programmes d’ajustement structurel néolibéral incluant la « réforme » des codes des investissements et du travail. Le FMI et la Banque mondiale les ont imposés aux États du traditionnel capitalisme périphérique, victimes d’un surendettement promu par la Banque mondiale (solution à l’abondance des pétrodollars) à partir des années 1980. Compte tenu du rapport de forces au sein de ces institutions à multilatéralité très hiérarchisée et du poids particulier des intérêts économiques étatsuniens dans la décision de restructuration de l’économie mondiale, la croissance africaine actuelle relève principalement de la soumission à (ou de l’exécution d’un projet de) l’establishment étatsunien, partagé au sein de la Commission trilatérale par les autres bourgeoisies du centre capitaliste qui lui sont subordonnées, voire celles qui paraissent adverses.
Mis en dépendance financière asphyxiante, les États africains ont été contraints à une cession partielle de leur souveraineté, déjà relative sous la domination néocoloniale classique. Ils sont ainsi régulièrement soumis aux missi dominici du capital, les institutions financières internationales organisatrices de l’appropriation par les capitaux des puissances européennes et nord-américaines (les « investisseurs stratégiques ») d’anciennes entreprises d’État africaines, considérées comme les plus rentables, dans le cadre du Consensus de Washington. Une médecine assez particulière qui s’intéresse plus aux êtres bien portants et délaisse les « canards boiteux ». Une nouvelle dépossession « civilisatrice », intégrant ces sociétés dans la phase néolibérale de la civilisation capitaliste, comme la colonisation l’avait fait dans la phase dite aussi de déclin du libéralisme classique.
En rapport avec le remboursement de la dette publique extérieure constituant encore – à travers le paiement des intérêts – une ponction considérable par le capital financier international. Ainsi, en 2004, la CNUCED cachait à peine son émotion en constatant ce qui n’avait cessé d’être dénoncé par les réseaux d’annulation de la dette du tiers monde : « Un coup d’œil rapide à la dette de l’Afrique permet de constater que le continent a reçu quelque 540 milliards de dollars en prêts et a remboursé quelque 550 milliards de dollars en capital et intérêts entre 1970 et 2002. Pourtant, l’encours de la dette est resté de 295 milliards de dollars. Pour sa part, l’Afrique subsaharienne a reçu 294 milliards de dollars de versements, a remboursé 268 milliards de dollars au titre du service de la dette, mais conserve une dette active de quelque 210 milliards de dollars […]. Sans tenir compte des intérêts et des intérêts sur les arriérés, le remboursement de cet encours de dette représenterait un transfert inverse des ressources ». Une ponction qui s’effectue dans la sous-région ayant la plus grande proportion de pauvres au monde. La prétendue performance économique actuelle a favorisé un autre cycle d’endettement public (sur les marchés financiers internationaux), déjà alarmant.
La marque apparente de générosité à l’égard des États dits « très endettés » – allègements ou annulations de dettes – relève plus d’une « faveur » soutenue de façon très intéressée par quelque actionnaire influent de la Banque mondiale ou du FMI. Illustration en a été faite négativement par la pression exercée, il y a quelques années, sur le gouvernement congolais de Joseph Kabila afin qu’il révise à la baisse les termes d’un contrat considéré comme octroyant une situation trop privilégiée à la Chine. En cas d’entêtement du gouvernement de Kinshasa, les institutions financières internationales auraient empêché l’annulation promise d’une part importante de la dette bilatérale de la RD du Congo par le Club de Paris. Le chantage a marché, le contrat a été révisé à la baisse. La portée du partenariat capitaliste de la RP de Chine avec la RD du Congo a ainsi été définie par les traditionnels actionnaires principaux des institutions financières internationales convoitant ses ressources naturelles.
La domination étant plus efficace quand elle est revêtue de quelque vernis « nationaliste », le relais africain de ce pouvoir du capital financier international sur les États est assuré par la Banque africaine de développement (BAD), principale institution financière régionale, superviseuse du Nouveau partenariat économique pour l’Afrique (NEPAD) de l’Union africaine, censé organiser le développement économique de cette région du monde. Présentée comme panafricaine, cette institution financière connaît la participation de 78 États dont 25 non africains, parmi lesquels cinq membres du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Japon) détiennent 25 % du capital. Cette participation importante – à laquelle il faudrait ajouter celle des deux autres États du G7, d’autres États européens (Confédération helvétique …) et des puissances dites émergentes – confère un pouvoir de subordination de ses programmes aux intérêts majeurs des puissances traditionnelles. Ainsi, il est presque impossible de distinguer les recommandations de la BAD de celles des institutions de Bretton Woods où la domination des puissances impérialistes traditionnelles, États-Unis en tête, est conservée.
À ce dispositif de dépendance organisée des sociétés africaines, « l’aide publique au développement » donne un air de générosité, alors que le Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde s’interroge : « En 2012, le rapatriement des bénéfices de la région la plus appauvrie de la planète a représenté 5 % de son PIB contre 1 % pour l’aide publique au développement. Dans ce contexte, il convient de se demander : qui aide qui ? »
cadtm