Nord-Kivu : Tongo, un village attaqué par les singes
Le 19/03/2019
Dunia Sibomana, un petit garçon congolais qui a été grièvement blessé après avoir été attaqué par des chimpanzés sauvages
Cela ressemble à une légende, et pourtant… En quelques mois, au moins 17 personnes ont été gravement blessées et 10 tuées lors d’attaques de chimpanzés à Tongo, un village au nord-est de Rutshuru (60 km au nord de Goma). Le 24 juin 2012, les médias se sont faits l’écho du drame d’une fillette de 2 ans, arrachée du dos de sa mère lors d’une attaque de cinq chimpanzés et grièvement blessée. Transportée à l’hôpital de Goma, elle décédera deux jours plus tard de ses blessures. Un fait divers qui n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Agressions et rumeurs
Ces témoignages, hors de Tongo, défraient la chronique. Cependant, de nombreux villageois ainsi que le chef de groupement, abondent dans le même sens. La brutalité des chimpanzés est visible sur les enfants : cicatrices ; oreilles, doigts ou orteils coupés. Certains en gardent des traumatismes : « Il y a trois mois, ces chimpanzés m’ont arraché mon enfant du dos après m’avoir frappée. Il a été blessé et traumatisé. Aujourd’hui, il ne se comporte plus normalement. Je comptais qu’il étudie et devienne prêtre. Mais, maintenant, il est chez sa tante maternelle », regrette une maman. L’enfant a en effet été éloigné du village pour éviter la stigmatisation.
Associé à ces récits d’agressions des singes, la rumeur prétend que ces animaux violeraient les femmes. Sans donner plus de précisions, un médecin vétérinaire assure : « Il est pratiquement impossible que le sexe d’un chimpanzé pénètre le vagin d’une femme. Cependant leur odorat peut détecter à distance ‘une femelle’ en chaleur. Par ailleurs, ils peuvent certainement attaquer et blesser une personne. »
Les témoignages de victimes rencontrées n’évoquent d’ailleurs jamais de viols : « J’étais allée sarcler les haricots. Un groupe de chimpanzés m’a encerclée et ils m’ont arraché mon enfant du dos. Ils m’ont donné des gifles et des coups de pieds, témoigne une victime. J’ai crié, et, à force, les singes ont laissé mon enfant. Il a eu un traumatisme crânien et a encore beaucoup de cicatrices. »
Conflits homme-animal : Les chimpanzés déclarent la guerre
« Ces animaux ont longtemps été attaqués et tués par des combattants pour se nourrir. Je pense qu’ils se vengent contre les hommes des atrocités qu’ils ont subies pendant les guerres, pense un notable du groupement de Bwito. Ils doivent considérer les humains comme des ennemis. »
Autour de certains villages, il existe en effet des concentrations importantes de primates ayant fui leurs territoires d’origine, ce qui tendrait à provoquer des conflits homme-animal (les « human-wildlife conflicts » évoqués par la plateforme Human wildlife conflict collaboration (HWCC).
Du côté de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), les attaques relèvent bien d’un « conflit homme-animal qui se vit actuellement à Tongo. Il est clair qu’il faut prendre cela en compte, l’insécurité ayant entraîné une forte concentration d’animaux autour de plusieurs villages riverains du parc des Virunga, dans le territoire de Rutshuru », explique Arthur Kalonji, agent de l’ICCN Virunga.
Certains villageois regrettent que l’ICCN ne s’implique pas davantage. « Nous aimons la faune et la flore qui font notre richesse, mais, face à ces problèmes, l’ICCN ne fait rien. Ils nous demandent l’impossible ; par exemple de leur montrer quels chimpanzés sont responsables d’une agression ! En revanche, si quelqu’un leur lance une pierre, il est jeté en prison », accuse l’un d’entre eux.
La société civile fait, de son côté, des propositions : « Que l’ICCN nous construise des écoles, des centres de santé et qu’il augmente le nombre de pisteurs surveillant les chimpanzés pour éviter les mauvaises rencontres, suggère Manihiro Bakundakwabo. Cela nous est dû pour nous indemniser des blessures infligées à nos femmes et à nos enfants. D’ailleurs, le parc occupe la terre de nos ancêtres. Il est donc juste qu’il intervienne dans des activités de développement au bénéfice des populations riveraines. »
Les relations entre habitants et ICCN sont au plus froid et Emmanuel Demeraude, directeur du parc des Virunga se dit impuissant : « Nous sommes conscients des dégâts commis par les chimpanzés. Mais, avec la situation actuelle, les conflits, nos moyens sont vraiment limités. »
Syfia