Le 11/09/2017
Certains le prennent pour un fou, d’autres pour un génie. Yeux perçants, mains agiles, jambes déformées par la polio, Emmanuel Botalatala est le Ministre des Poubelles de Kinshasa. Ce poste n’est pas officiel. C’est son nom d’artiste. Dans un Congo qui se dirige vers des élections aussi capitales qu’incertaines, le Ministre a une « destinée ». Depuis les quartiers populaires, il crée des tableaux hautement politiques et en relief à partir des déchets que Kinshasa vomit chaque jour. Sa démarche va naturellement à l’encontre de la société de surconsommation qui pousse à acheter du neuf mais alimente aussi d’autres réflexions.

CINÉMA
"Je n’ai pas choisi l’art, c’est l’art qui habite en moi." L’histoire d’Emmanuel Botalatala est celle d’un passionné. Chaque jour que Dieu fait, il s’installe dans sa parcelle, à même le sol et coupe, assemble, peint, colle. Il crée des tableaux didactiques qui dénoncent ou interrogent : processus électoral en panne, violences faites aux femmes, trafic d’armes, exactions. Emmanuel Botalatala conçoit l’art comme une interpellation afin de promouvoir la paix, la bonne gouvernance, la justice.
"L’homme, lui-même, est l’auteur de la destruction de son environnement. Les ambitions démesurées de l’homme nous ont conduit jusqu’ici. L’Onu, les institutions européennes, l’Union africaine : tout est à recycler." Pour illustrer cette sagesse, qu’il voudrait populaire, l’artiste collecte chaque jour des objets abandonnés qu’il détourne et recycle dans ses tableaux. Atteint de poliomyélite à l’âge de 5 ans, on le voit arpenter la ville tel un échassier en quête d’une chaussure oubliée, de rebuts, de feuilles ou de branches qui composeront ses tableaux en relief.
"L’homme moderne jette tout. Le XXIe siècle est caractérisé par le rejet. Tout est poubelle." Agé de 64 ans, celui que l’on surnomme le ministre des poubelles a réalisé ses premiers tableaux en 1979-1980. S’il a fréquenté l’université de Kinshasa, il n’a jamais fait les Beaux-Arts. Et il a abandonné son travail dans une banque pour se consacrer à son art en autodidacte.
Sa créativité et sa vigilance sont aiguillonnées par les soucis que partagent ses concitoyens : le spectre lointain des élections, le trafic de minerais et des armes, les massacres à l’Est du pays. Malgré l’âpreté de la vie, le coût du contreplaqué ou de la peinture, le ministre des poubelles continue inlassablement sa tâche. Si le public commente son travail, ses œuvres se vendent peu ou mal. Heureusement, le ministre peut compter sur ses fidèles collaborateurs : sa femme Marguerite, dotée d’une patience infinie, et son bras droit Richi qui, malgré les soucis et le peu de moyens, suit la trajectoire de son maître.
"Ce n’est pas l’argent qui te rend grand, c’est le message que tu transmets aux autres."Pour être sûr de le pérenniser, le ministre rêve d’ouvrir un centre culturel où les plus jeunes pourront venir se former. Mais, comme toujours, le manque d’argent vient freiner ses ambitions.
En découvrant ce portrait touchant, on pense forcément au plasticien urbaniste Kingelez et à ses maquettes grandioses et utopiques. Ici, il n’est pas question d’une hypothétique ville du futur mais bien de dénoncer les dérives et l’insalubrité de Kinshasa comme le font les jeunes activistes du Congo. Le réalisateur Quentin Noirfalisse tisse ainsi un bel hommage à ceux qui puisent dans l’art la force d’imaginer une autre société.

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