Le 25/09/2017

Au nord de l’île d’Idjwi, sur le lac Kivu, en République démocratique du Congo, les Pygmées tentent de survivre dans leur village de fortune. Quelques cabanes de pisé couvertes de feuilles de bananiers se dressent sous les grands arbres touffus. Trois cents Pygmées habitent ici. Ils ne sont plus « hauts d’une coudée » comme le racontaient les fables, mais ont conservé une petite taille et des traits fins. Ils portent des habits misérables, troués et déchirés par l’usure, des tee-shirts noircis de terre qui ne sont plus que des bouts de tissus effilochés et des pantalons ceinturés avec des ficelles. Leurs vies ont tant changé durant ce siècle dernier.
« Etre comme tout le monde »
Sans droit ni reconnaissance, les Pygmées subissent de fortes discriminations et un racisme de la part des autres ethnies. « Nous sommes marginalisés à l’école et au travail. Nous sommes des locataires. Les Bahavus ne veulent rien partager avec nous », explique un ancien du camp, aux yeux délavés et au sourire sans dent. Une femme dont les dents sont aussi rongées par la malnutrition rajoute : « Ils nous disent que l’on pue, que nous ne pouvons pas manger ensemble, que nos manières sont différentes. » Beaucoup d’emplois leur sont refusés.

Manguiste, le pêcheur, voudrait être moto-taxi sur l’île. Mais il sait que « les Bahavus ne monteront pas avec moi parce qu’ils disent que je pue ». Il rêve de regagner Goma, sur le continent, où il pourrait « être comme tout le monde » et scolariser sa fille. C’est que l’école, gratuite et obligatoire aux yeux de la loi, ne l’est pas dans les faits. « Nous n’avons pas les moyens de payer les primes qu’ils nous demandent », explique un père de famille. Les autres espèrent dans leurs songes de construire un jour une maison en dur où ils ne devraient pas passer la nuit debout quand tombent les pluies torrentielles. Car étant locataires, ce droit leur est interdit.
Leur dignité humaine est bafouée jusque dans l’accès aux soins. Dans le camp, de nombreuses personnes souffrent de maladies. Certains ont la malaria, des infections liées à la malnutrition ou des maux indéfinis. « Chaque semaine, nous enterrons l’un d’entre nous », assure le chef des Pygmées. Les enfants traînent leurs plaies ouvertes et s’habituent à la fièvre.

Autrefois, ces cueilleurs se soignaient avec des plantes dans la forêt qu’ils ne trouvent plus ici. Quant aux ONG qui ont réalisé une campagne de vaccination dans le camp contre la rougeole et la malaria, « ce sont des farceurs qui récoltent des données mais ne reviennent jamais », s’énerve Charles Livingston. Avec leur peu de moyens, les Pygmées ne peuvent se payer un accès aux soins de l’hôpital qui est à trois heures de marche. Les femmes accouchent seules dans leur maison et y perdent parfois la vie ou celle de leur enfant. Mais sur l’île comme sur le continent, on accorde bien peu d’importance à leurs histoires. « C’est un cas minoritaire », balaye d’une phrase le mwami qui ne souhaite pas s’étaler davantage sur le sujet. Quelque 250 000 à 600 000 Pygmées vivent en RDC. Une proposition de loi en faveur de la reconnaissance des peuples autochtones est toujours en discussion.
lemonde.fr/afrique